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L'En Dehors


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Alternatives à l'enfermement
--> Vers une société libertaire
TOUT ANARCHISTE est opposé, par principe, à l'enfermement. Cela vaut principalement pour la prison et l'hôpital psychiatrique. Mais, par extension, nous pouvons facilement inclure l'armée, l'usine ou l'entreprise, l'Église, l'école et la situation des femmes dans le monde.
Pour rester dans le domaine de la lutte anticarcérale et antipsychiatrique, nous exigeons de manière péremptoire la fermeture de l'asile et de la prison. Or, cela ne suffit pas. En société capitaliste, tout s'oppose à ces revendications. La prison, comme l'a démontré Loïc Wacquant, sert à éradiquer les miséreux. L'hôpital psychiatrique protège une société rentabilisation de toute tentation de fuite par la folie. Derrière la chaleur de l'accueil en urgence se cache le froid glacial du camp de concentration.

Lorsque nous disons à l'homme de la rue et à l'opinion publique que les lieux d'enfermement doivent être déconstruits, il nous réponde invariablement: « Mais par quoi allez-vous les remplacer? » Nous avons beau jeu de leur rétorquer: « Cassons d'abord les murs. Nous verrons après! » Cela augmente la terreur et met fin au dialogue. De plus, l'État, avec ses chiens de garde les médias, n'aura aucun mal à nous faire passer pour des casseurs, des autonomes et des... anarchistes. En société libertaire, par contre, ce serait parmi les premières démarches à effectuer.
Il est donc important de démontrer le caractère inutile, nuisible de la prison et de l'hôpital psychiatrique. Pour l'univers carcéral, le constat est accablant: 50 °/o de récidive pour l'ensemble de la population. Ce chiffre, pour les mineurs multirécidivistes, va jusqu'à 90 %. Pour l'asile, ce n'est pas plus brillant. Les traitements modernes à coup de médicaments et de thérapies brèves sont des échecs patents. Le produit pharmaceutique tasse le symptôme, mais ne soigne pas. Un antidépresseur pour la dépression, un anxiolytique pour l'angoisse, un neuroleptique pour le délire et un régulateur d'humeur pour la bipolarité. Arrêtons le traitement, c'est la rechute.
N'oublions pas, non plus, les 95 d'échec avec les usagers d'alcool et de drogue, pris en charge dans des lieux d'enfermement tels que l'hôpital et même les centres de postcure.
Les méthodes axées sur les processus cognitifs et utilisant le conditionnement peuvent s'avérer efficaces pour des symptômes simples: phobies, tics, tocs, insomnies, mais pas pour des troubles de la personnalité aussi sérieux que les états limites et les psychoses.
Malheureusement, nous ne pouvons pas nier l'existence de ces êtres démolis par leur histoire familiale et sociale... Or, ces disciplines sont de plus en plus recommandées pour des traitements courts, car elles obéissent aux impératifs de rentabilité imposés désormais aux unités d'hospitalisation psychiatrique UHP qui remplacent les hôpitaux. Ce n'est pas surprenant, puisque ces UHP doivent s'aligner sur le mode de fonctionnement des cliniques privées.
Les équipes soignantes sont en nombre insuffisant, car la santé mentale n'est plus une priorité. Entre le « fou » et le travailleur, la société a fait son choix. Que peut faire un staff de 70 soignants pour 2 200 soignés éparpillés sur le secteur qui représentait 70 000 habitants en 1972. Par exemple, aujourd'hui, celui de Stains, La Courneuve et Dugny dépasse les 90000 habitants. Une partie des patients se retrouve à la rue. Beaucoup commettent des délits et des crimes qui les conduisent en chambre correctionnelle ou en cour d'assises. En effet, il leur faut se nourrir, se vêtir, se loger, tout en explosant sur leurs impulsions ou en implosant dans les dédales tortueux de leurs délires.
Les juges et les psychiatres ont subitement perdu la raison depuis les années 1990: ils ont abandonné l'article 64 du Code de procédure pénale, même s'ils l'ont remplacé par le 122-1. Cela donne des expertises et des jugements aberrants: « Ce prévenu est schizophrène, mais accessible à la prison. C'est même un droit, comme pour tout citoyen. Il a droit à ce que l'on reconnaisse sa responsabilité. Les victimes, quant à elles, le souhaitent également, car il est ainsi susceptible d'être puni. Et la sanction lui fera prendre conscience de ses actes et le ramènera à la réalité.»
En somme, le psychiatre et le magistrat sont des thaumaturges. Depuis les années 1990, la prison est devenue thérapeutique!
Pour qui connaît le livre de Catherine Herzberg, Fresnes, histoires de fous, c'est exactement le contraire. Les personnes atteintes de pathologies lourdes vivent dans un cauchemar permanent. Elles hurlent de terreur et d'angoisse.
Elles se suicident ou tuent leurs codétenus, ne serait-ce que pour leur manger la cervelle ou un poumon.
N'oublions pas que l'univers pénitentiaire s'oriente de plus en plus vers le modèle international de l'économie libérale par la multiplication des prisons privées. La taule doit rapporter de l'argent. Alors, qu'importe que s'y entassent des pauvres, des malades mentaux, des toxicos, des étrangers en situation irrégulière et les nouveaux manifestants surgis de la révolte contre Sarkozy.
Que 30 % de détenus soient atteints de psychoses n'a longtemps dérangé personne, si ce n'est le personnel soignant, qui tirait la sonnette d'alarme.
Or, si nous rendons compte des résultats obtenus par ceux qui ont mené des luttes anticarcérales et antipsychiatriques, la démonstration est éclatante. Dans l'État du Massachussets, entre 1965 et 1980, les 1 000 jeunes sortis de prison et placés dans des foyers et des familles d'accueil, ont récidivé à 15 %, au lieu de 45 %.
Dans les années 1980, Scatolero a quasiment vidé un quartier de jeunes de la Maison d'arrêt de Turin, avec une association de 2 000 citoyens lambda qui permettait à ces mineurs d'apprendre des métiers et les ont remis dans le circuit d'une vie sociale normale.
La ferme de Laplanche, à Champoly, entre Saint-Étienne et Le Puy, entre 1980 et 2000, a reçu des jeunes qui venaient travailler avec l'équipe d'éducateurs, au lieu de faire de la prison. Sur plusieurs centaines de mineurs, la récidive est passée de 50 à 22 %.
Aujourd'hui, une expérience semblable se poursuit en chantiers extérieurs à la prison avec l'Asssociation nivernaise d'aide à la réinsertion (ANAR).
Avec l'Antipsychiatrie et l'Alternative à la psychiatrie, nous avons assisté à la même démarche. David Cooper l'a lancée dès les années 1960 au Pavillon 21, à Kingsley Hall, à Londres, et à Archway en Écosse. C'est le principe de « Vivre Avec » les patients, au lieu de les assommer de médicaments, qui a été repris par Claude et Marie Sigala, au Corral, à Aimargues près de Nîmes, de 1975 à 2005. Le lieu de vie continue...
Dans mon propre appartement, de 1970 à 1978, j'ai reçu 70 jeunes délinquants, malades mentaux ou toxicomanes, sortant de prison ou d'hôpital psychiatrique, pour des séjours de huit jours à neuf mois, avec des suivis sur deux ou trois ans. Six seulement ont rechuté...
Pour les criminels sexuels, une alternative avait été conceptualisée par la Commission d'éthique du traitement des criminels sexuels, de la Fédération française de santé mentale. Elle préconisait « l'incitation à la rencontre », au lieu de l'injonction thérapeutique, la thérapie bifocale (deux thérapeutes: un psychiatre et un psychologue), des expertises régulières dans un lieu séparé de la prison. Cela n'a jamais pu voir le jour, à cause d'oppositions politiques.
Nous aurions risqué de déranger. L'État a besoin de l'asile et de la prison. Les alternatives ne permettent pas d'asseoir son pouvoir. Ce dernier utilise les lieux d'enfermement pour anéantir les rebelles, les déviants et les marginaux. De plus, en diabolisant ces ennemis publics désignés, il rassure la population qui se croit libre et en bonne santé.
La systématisation acharnée des Alternatives à l'enfermement finira pourtant un jour par déborder sur la fermeture de l'hôpital psychiatrique et de la prison. En France, les services asilaires ont commencé à fermer dès la fin des années 1990. Lorsque nous l'évoquions en 1972, nous étions traités d'utopistes.
Si nous parvenons à rendre inutiles ces appareils d'État, nous allons priver le gouvernement de deux de ses principaux piliers. Reste à coordonner cette tâche avec ceux et celles qui luttent sur les terrains du travail, de l'économie, de l'armée, des religions, de l'école, de la lutte de libération des femmes, en n'en excluant aucun des où le combat reste à mener.
La mise en place progressive de pratiques autogestionnaires fédérées dans tous ces secteurs nous laisse d'ores et déjà entrevoir la perspective des sociétés libertaires de l'avenir.

Jacques Lesage de la Haye

Le monde libertaire Hors série n°32 du 12 juillet 2007

Ecrit par libertad, à 09:11 dans la rubrique "Pour comprendre".



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