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Lu sur Claude Guillon : Prouvant par là que le libéralisme peut être un humanisme, M. Douste-Blazy a eu une idée forte et généreuse : accorder le droit de mourir aux mourants !
Surfant sans vergogne sur l’émotion soulevée par le décès de Vincent Humbert, ce jeune tétraplégique qui avait - spectaculairement et en vain - demandé au président de la République de lui accorder le « droit de mourir », une poignée de députés ont rédigé une proposition de loi relative aux droits des malades « en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable ». Dans la foulée, le ministre de la Santé a révélé que pas moins de 150 000 malades sont, « sans aucun cadre formel », euthanasiés chaque année dans les hôpitaux français (Le Figaro, 27 août 2004). Le ministre n’emploie pas le mot « euthanasie », parce que sa maman lui a appris à ne pas dire de gros mots en public et parce qu’il ne faut pas « remettre en cause l’interdit du droit de tuer [sic] ». Le ministre dit : « 150 000 machines par an sont débranchées par décision du corps médical ». On doit compter parmi ces 150 000 décès, mais le bien élevé n’en dit rien, les « euthanasies administratives » motivées par aucune volonté préalablement exprimée des malades ou de leur famille, mais par les nécessités d’une saine gestion des lits d’hôpitaux, en nombre insuffisant.
La loi, adoptée en première lecture par l’Assemblée, vise donc logiquement à fournir un « cadre formel » à l’action du corps médical, par la reformulation de plusieurs articles du code de la santé publique. Celui-ci devrait mieux garantir le droit d’un malade de refuser un traitement (y compris l’alimentation artificielle), d’exprimer son refus de l’acharnement thérapeutique, soit directement soit par l’intermédiaire d’une personne de confiance désignée par lui.
Précisons immédiatement que les futurs Vincent Humbert n’auront, pour toute perspective « humanisée », que de crever de faim, une fois leur tuyauterie débranchée ! Pas question de procéder à une injection mortelle, acte d’euthanasie active et positive qui demeure prohibé.
La lecture de l’exposé des motifs de la nouvelle loi donne d’ailleurs à penser que la notion très à la mode de « droit des malades » sert d’abord et surtout à mettre les médecins à l’abri des poursuites pénales qui pourraient être engagées contre eux à l’initiative de proches ou de magistrats : « En effet, un médecin qui satisferait aux obligations de transparence et de collégialité ne serait pas pénalement responsable contrairement à celui qui s’en affranchirait. »
Immédiatement et bruyamment approuvée par l’ordre des médecins reconnaissant, et par l’Église catholique, la nouvelle loi s’inscrit dans le cadre de la rationalisation capitaliste du système de santé publique. Déjà, dans les hôpitaux, les gestionnaires dictent au corps médical le type d’actes qui devront être effectués, sous peine de réductions de personnel et de fermetures de services (auxquelles on procédera de toute façon, mais un peu plus tard). Ici comme ailleurs, s’impose la logique marchande.
Chaque année, une dizaine de milliers de personnes, dix fois moins donc que les « euthanasiés », dégoûtées du monde ou malades (mais valides), se donnent la mort dans la solitude, contraintes de choisir, pour plus de 80% d’entre elles, entre des méthodes violentes, dont la racaille moraliste feint de croire qu’elles dissuadent du suicide. À celles-là, nul médecin ne songe à accorder le « droit de mourir dans la dignité », que Douste-Blazy vient de réinventer. Qu’ils crèvent les déserteurs ! Et qu’ils en bavent nom de dieu ! Laisser le pékin accéder au savoir médical sur l’intoxication médicamenteuse, et puis quoi encore ! La loi de 1987, censée réprimer la « provocation au suicide » a permis d’interdire (en 1995) la réimpression de Suicide, mode d’emploi ; elle interdit toute publication équivalente et même toute publicité pour une publication étrangère (Le Monde en a fait les frais, condamné en 1998, ce dont il ne s’est pas vanté [1]).
Quant à « l’interdit du meurtre » il ne s’impose pas - la convention européenne des droits de l’homme prend bien la peine de le rappeler - aux États eux-mêmes, à leurs armées et leurs polices, légalement autorisés à mitrailler les populations insurgées.
Dans ce contexte juridique et économique, à la fois national et européen, la loi concernant les « droits des malades en fin de vie » est un placebo hypocrite. C’est bien pourquoi elle a été saluée avec un répugnant ensemble par les journalistes de tous bords, enthousiasmés devant un tel « consensus ».
Ajoutons qu’elle marque une défaite retentissante de la stratégie de lobbying parlementaire de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité, certes capable de remplir la plus grande salle de l’Hôtel de Ville de Paris, la veille de l’examen de la loi, flattée par quelques politiciens venus ménager un électorat potentiel, mais qui se fait voler ses revendications et jusqu’à son vocabulaire sans pouvoir peser en quoi que ce soit ni dans le débat ni sur le texte de la loi. Les parlementaires adhérent de l’ADMD, dont le bureau de l’association est si fier, et dont il prétendait que le nombre croissant était une garantie des victoires futures, ont voté la loi comme les autres, sans même un baroud d’honneur. L’ADMD, toute forte qu’elle est de ses 40 000 adhérents, a été marginalisée et mise hors jeu sans même avoir compris ce qui lui arrivait. Misère de la naïveté réformiste !
Ainsi, sans rien céder des prérogatives étatiques ou médicales, le système feint de prêter l’oreille aux émotions populaires, quand il ne fait qu’organiser la rationalisation du système hospitalier. Voilà comment l’on « règle », à la mode moraliste, marchande et policière, les problèmes humains de la maladie, de la souffrance et de la mort...
[1] Voir mon récent ouvrage Le Droit à la mort. Suicide, mode d’emploi, ses lecteurs et ses juges, éditions Hors Commerce, 2004.