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lu sur .hns-info : " par André Bouny [1] Après 1975, l’Ogre est parti bouffer ailleurs, en Irak, au Liban... Au Viêt Nam, il a chié partout. Dans les années 80, de nombreux siamois naissent au Viêt Nam dans des proportions tellement inhabituelles que les personnes autorisées pensent aussitôt à l’Agent Orange. En 1981, deux garçons siamois naissent au Kontum, région très pauvre des hauts plateaux du centre du Viêt Nam et premier endroit arrosé par les défoliants. Ces deux frères siamois sont appelés Duc et Viêt. Dans cette contrée, la grande pauvreté et la rudesse de la vie ne laissent aucun espoir de survie à ces nouveau-nés. On les porte à Ho Chi Minh-Ville, à l’hôpital Tu Du, la plus grosse maternité du pays.
Viêt est atteint au cerveau, tandis que Duc à l’œil vif. Attaché à Viêt comme l’homme du Centaure au cheval, Duc tente de se dresser. Ils sont unis au niveau du bassin avec un anus, un pénis, un appareil urinaire, une vessie, deux reins et trois jambes. La séparation de Duc et Viêt est envisagée et les préparatifs commencent.
En 1988, à l’Hôpital Tu Du, une équipe de chirurgiens japonais sépare Duc et Viêt après une série d’opérations de haut vol. Chaque enfant quitte le corps de l’autre. Duc et Viêt survivent (de nos jour à peine 20% des siamois séparés survivent). Leur séparation réussie émeut l’opinion publique internationale.
Aujourd’hui, oubliés de l’opinion internationale, Duc et Viêt sont au « Village de la paix » qui héberge des victimes de l’Agent Orange dans l’enceinte de l’Hôpital Tu Du où sont nés mes enfants. Lors de ma dernière visite, Madame Nguyen Thi Binh [2], descendue de Hanoi, et Madame Nguyen Thi Ngoc Phuong [3] m’avaient accueilli en organisant une petite réunion avec quelques personnes au rez-de-chaussée du « Village de la paix ». En sortant de ce petit colloque, je me dirige vers l’escalier qui mène aux étages pour rendre visite aux victimes. Je me tiens à la main-courante -je suis moi-même handicapé- et monte côté intérieur dit « à la corde ». Arrivé à mi-étage, un jeune unijambiste sur béquilles me double à l’extérieur de l’escalier avec une vélocité jamais vue : c’est Duc. Il monte voir son frère.
A l’étage, Viêt est là, attaché sur son lit face à l’éternité. Aveugle, il semble fouiller les détails du plafond. Posé sur deux lit rapprochés, il est bien entretenu. Je lui parle. Il mord son poignet en maugréant afin de manifester quelque chose, je ne sais pas pourquoi mais je crois que ce doit être là sa façon de rire avec Duc. Je caresse son bras : Viêt s’immobilise. Puis il s’agite en portant de nouveau son poignet à sa bouche hilare et balbutie en tournant sa tête d’un côté à l’autre comme si on le chatouillait. Je crois qu’il est content.
Duc est malheureux pour Viêt, part entière de lui-même. Duc aide l’administration du « Village de la paix ». Il aime la musique. Il fait de l’informatique et conseille la copine née sans bras qui pianote sur le clavier avec les pieds.
Duc joue au football dans la cour, défenseur central, impossible de le passer à cause de ses « trois jambes ». Il enfourche sa drôle de « moto bricolée » à trois roues et fonce faire une course tantôt pour l’un, parfois pour l’autre. Duc ambitionne de quitter le « Village de la paix » et d’être un jour autonome.
Je pense qu’il l’est déjà.
[1] André Bouny, père d’enfants vietnamiens, président du « Comité International de Soutien aux victimes vietnamiennes de l’Agent Orange et au procès de New York » (CIS).
[2] Madame Nguyen Thi Binh, ancienne Vice-présidente de la République Socialiste du Viêt Nam, ancienne Ministre des Affaires étrangères et de l’Education, c’est elle qui a négocié et signé les Accords de Paris pour le Gouvernement Révolutionnaire Provisoire (GRP), elle a crée le Fond d’aide aux victimes de l’Agent Orange.
[3] Madame Nguyen Thi Ngoc Phuong, célèbre obstétricienne qui, par dénuement, manqua de bocaux et de formol pour conserver les enfants mort-nés de l’Agent Orange comme des preuves supplémentaires, Directrice de l’Hôpital maternité Tu Du de Ho Chi Minh-Ville.