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A propos de sorcellerie...
--> Acculturation des pauvres et persecution des femmes dans l’europe de la fin du XVe aux débuts du XVIIIe siecle
Lu sur Non-fides : "L’Europe de la fin du XVe siècle aux débuts du XVIIIe siecle , voit se développer une culture populaire complexe dans la continuité de celle du bas moyen age. Nous entendons ici la culture populaire comme culture des populations pauvres, par opposition à une culture savante des élites qui ne concerne qu’une partie aisée et instruite de la population, c’est à dire la noblesse, le clergé ou encore les élites économiques du tiers-état, la bourgeoisie. La culture populaire en Europe est alors majoritairement orale en raison de l’analphabétisme très élevé des populations pauvres et rurales du tiers-état. Elle est l’ensemble des connaissances acquises, l’instruction, le savoir et les comportements collectifs des populations qui caractérise une société. Par extension, la culture populaire désigne tout comportement, habitude, savoir appris ou transmis socialement. Au quotidien dans les milieux populaires, les veillées sont le lieu de transmission d’une culture orale de contes et légendes souvent liés à la magie et à la sorcellerie. (Beaucoup furent collectés entre autres par Charles Perrault et Mme d’Aulnoy en France au XVIIe siècle ou par les frères Grimm en Allemagne au XVIIIe siècle). Le terme sorcellerie, lui, désigne souvent la pratique de la magie. Selon les cultures, elle fut considérée avec des degrés variables de soupçon voire d’hostilité, parfois avec ambivalence, n’étant intrinsèquement ni bonne ni mauvaise. Le dogme chrétien considérant toute forme de magie comme de la sorcellerie, il la proscrit ou la place au rang de superstition en lui opposant le caractère sacré de ses propres rituels aux pratiques de la sorcellerie qui seraient d’inspiration diabolique. Dans l’Exode (XXII, 18) se trouve d’ailleurs l’injonction « tu ne laisseras pas vivre la magicienne ». Si la sorcellerie et la culture populaire sont dans ce sujet mis en relation, c’est qu’en effet, il existe des liens étroits entre ces deux entités. Nous verrons ici en quoi furent liés sorcellerie et culture populaire et quelles furent les réponses des élites sociales.

 

La sorcellerie dans la culture populaire

Une culture aux racines païennes, ancrée dans la ruralité.
La sorcellerie est bien plus ancienne que le christianisme. En effet, le phénomène de sorcellerie remonte au néolithique avec la sédentarisation due aux débuts de l’agriculture. La sorcellerie est donc un pan très ancien de la culture populaire qui préexiste au christianisme, même si sa pratique était d’une plus grande mixité sociale. Dans les premiers temps du christianisme occidental, les populations habituées à l’usage de la magie dans la vie quotidienne attendaient du clergé une forme supérieure de magie par rapport à l’ancienne magie païenne. Alors que la chrétienté concurrençait le paganisme, ce problème était d’une importance cruciale pour le clergé, qui peu à peu substitua aux pratiques ancestrales le culte des reliques, des saints et du Christ, reprenant ainsi l’usage populaire d’amulettes et de talismans. Jusqu’à ce qu’au fil des siècles, elle réussisse à éradiquer la sorcellerie des contrées les plus christianisées avec pour point culminant les chasses aux sorcières dans l’Europe baroque. Cependant, les périphéries rurales encore peu occupées par les missionnaires catholiques, perpétuent encore ces traditions païennes de sorcellerie, incompatibles avec le dogme chrétien.

La sorcellerie comme expression d’une révolte.
L’historien Jules Michelet (1798 - 1874) dans La Sorcière, affirme que la pratique de la sorcellerie était l’expression d’une marginalisation volontaire, d’un refus de l’impérialisme religieux et d’une rébellion anticléricale. Une révolte naïve de la culture populaire rurale contre l’oppression de l’Eglise et des élites urbaines et savantes, car c’est majoritairement dans les zones géographiques en cours de christianisation et dans lesquelles le pouvoir religieux était faible, dans les zones tardivement conquises, éloignées des centres de décisions et aux confins de la chrétienté qu’ont proliféré ces marginaux hostiles aux efforts de normalisation, d’intégration et d’acculturation déployés par l’Eglise et le pouvoir monarchique. En effet, l’impiété est à l’époque moderne, un acte de rébellion. La sorcellerie peut donc être vue comme la réaction du marginal qui sait son mode d’existence et sa liberté menacés par un nouvel ordre des choses imposé par les autorités religieuses. Loin de la considérer comme la manifestation d’un obscurantisme archaïque ou comme d’absurdes superstitions, Michelet voit dans la sorcellerie à la fois la conséquence de la misère des « temps du désespoir » et l’expression d’une révolte. La naissance, en réaction à l’impérialisme du dogme chrétien, d’une contre-culture ancrée dans le paganisme –et à qui l’Eglise et dans certains royaumes l’Inquisition font la guerre- pour mieux rejeter l’ordre moral chrétien.

Une perception variable de la sorcellerie dans la culture populaire.
Certes marginaux, les sorciers et sorcières étaient plus craints que respectés dans les milieux ruraux populaires. Mais là où l’Eglise niait toute existence possible de la magie hors du cadre chrétien en réprimant les croyances, la culture populaire, elle, croyait majoritairement en la sorcellerie sans toutefois la pratiquer. La marginalité de ces phénomènes n’excluait donc pas la croyance en ces phénomènes ni même parfois leur réprobation. En effet, certaines croyances ont pu considérer la sorcellerie comme un phénomène bénéfique : le sorcier est aussi parfois, le guérisseur. C’est ce que releva l’historien italien Carlo Ginzburg dans son ouvrage Les Batailles Nocturnes de 1966 à travers le cas étonnant de la secte des Benandanti et de sa survivance au XVIe siècle dans le Frioul (région du nord de l’Italie), région qui ne tarda pas à être frappée par l’Inquisition.
Les Benandanti (littéralement « ceux qui avancent pour le bien ») étaient des hommes et des femmes qui étaient "nés coiffés", c’est-à-dire que la membrane amniotique recouvrait une partie du corps, spécialement la tête. Ce n’était pas uniquement un signe de « Benandanti » mais aussi un signe de facultés de guérisons des mauvais sorts, et du pouvoir de voir les sorcières. Certains Benandanti conservaient leurs coiffes et la portait autour du cou comme une amulette. ils étaient invoqués la nuit, soit à l’aide de tambours soit, selon la tradition, par des anges. Cependant, si ils ne parvenaient pas à répondre assez rapidement à l’appel, ils risquaient d’être lapidés par les villageois. Au moment où ils quittaient leurs corps, leurs esprits prenaient l’apparence de papillons, de souris, de chats, ou encore de lièvres. Il se rendaient ensuite au centre de la terre où il affrontaient l’armée des Sorcières, aussi appelées les « malendentis ». Les Benandanti étaient armés de queues de fenouil, plante connue pour ses vertus curatives. Les Sorcières elles, étaient armées de queue de sorgho. Si les Benandanti remportaient la victoire, les récoltes de l’année seraient abondantes. Si au contraire c’était les malendentis qui gagnaient, cela annonçait une période de disette, de peste et de misère. Les origines de ce culte sont inconnues mais il est probablement très ancien. Les Benandanti étaient considérés par les autres villageois comme des soldats du bien, préservant les récoltes et protégeant leurs villages de la malveillance des sorcières. Pour une mère, c’était un honneur d’avoir un fils Benandanti et bien que païen à la base, ce culte acquis des éléments chrétiens à la fin du XVIème siècle. Les Benandanti se mirent au service de Dieu et du Christ en combattant les envoyés du diable avant que le tribunal de l’Inquisition ne les condamne à la fin des années 1580. Ce qui montre l’ambivalence de la perception de la sorcellerie dans la culture populaire, mais aussi l’ambivalence et l’évolution de la culture des lettrés face à la sorcellerie, avec une phase importante de récupération par les autorités religieuses.

Culture populaire et culture savante : des rapports de dominations

La sorcellerie : une tradition orale.
Une des différences majeures entre la culture populaire et la culture savante est l’alphabétisation. L’analphabétisme des masses paysannes du tiers-état est un facteur d’exclusion indiscutable. L’écriture étant quasiment réservée au clergé, seuls détenteurs du contenu de la foi, la culture populaire du se contenter d’une culture orale de transmission d’une profondeur acquise au fil des siècles. Comme nous l’avons déjà remarqué, les veillées furent le lieu privilégié de transmission d’une culture orale de contes et légendes souvent liés à la magie ou à la sorcellerie, souvent transmise des grands parents aux petits enfants. Tandis que la culture populaire se perpétuait ainsi, la culture savante se transmettait, elle, à travers l’écriture et surtout, la liturgie écrite. L’analphabétisme était donc un facteur important d’exclusion vis-à-vis de la foi chrétienne des paysans que nous pouvons supposer s’être rabattus sur des croyances comme la sorcellerie pour palier à la méconnaissance du contenu de la foi. Dans la Constitution Apostolique, il est écrit que « La liturgie est chose sacrée. Par elle, nous nous élevons jusqu’à Dieu et nous nous unissons à Lui, nous professons notre foi, nous remplissons envers Lui le très grave devoir de la reconnaissance pour les bienfaits et les secours qu’Il nous accorde et dont nous avons un perpétuel besoin ». Mais étant exclus de l’étude des textes, de la lecture des prières et de tout ce qui constitue la liturgie, ils ont vu le fossé se creuser entre le christianisme, encore considéré dans beaucoup de régions reculées comme la religion des élites et la croyance en la sorcellerie déjà largement répandues depuis des siècles.

Population rurales et population urbaine : un mépris respectif.
S’ajoute à cela une forme de mépris des élites envers les couches populaires et la paysannerie principalement installée dans les zones géographiques tardivement conquises et éloignées des centres de décision. Là plus qu’ailleurs, se sont affrontées la culture savante et la culture populaire, l’une soutenue par l’écrit, l’autre de tradition orale séculaire et immémoriale. En effet, le paganisme, objet de nombreux réquisitoires en sorcellerie était vu par les instances chrétienne et les élites savantes urbaines comme la religion des paysans, comme la culture populaire ou plus péjorativement le « folklore », se raccrochant à des formes de croyances pré-chrétiennes et donc incompatible avec le dogme chrétien. Son origine sylvestre et agricole et son enracinement dans la culture populaire de l’Europe moderne confèrent à la sorcellerie un caractère « rustre ». En effet, vu des élites sociales et religieuses, le paysan donne l’image d’un être fruste fermement attaché à des croyances rudimentaires et désuètes et donc, réceptif à la sorcellerie. Ce sont des stéréotypes importants à l’époque. Durant les deux vagues de chasse aux sorcières, les accusateurs étaient souvent issus de milieux urbains qui commençaient petit a petit à se constituer en bourgeoisie. Plus les élites urbaines se plaisaient à se voir comme les champions de la rationalité (notamment avec le développement des sciences), plus le monde rural se voyait relégué au rang de « mécréants hérétiques aux croyances archaïques » (selon l’expression de Pierre de Lancre), considérés comme « primitifs ». La proximité des paysans avec la nature est ainsi inversement proportionnelle à leur éloignement de la culture savante. En témoigne cette phrase du démonologue Pierre de Lancre (Juge d’origine basque mandaté par Henri IV) : « anciennement, on ne connaissait pour sorcier que des hommes vulgaires et idiots, nourris dans les bruyères et les fougères » extraite de son Tableau de l’inconstance des mauvais anges et démons en 1612.

Une culture savante hégémonique.
Cette culture savante hégémonique trouve l’appui de ruraux qui rompent avec le passé de leur ordre et veulent participer, eux aussi, à l’enrichissement avec la progression du commerce. Ces derniers viennent des masses en voie de paupérisation, qui ne peuvent pas être insensibles au spectacle de l’opulence de certains de leurs concitoyens. La masse rurale, qui elle par contre se voit de plus en plus appauvrie, écrasée d’impôts, soumise et incapable de réagir est de plus en plus exclue et marginalisée par les élites. Il lui reste à subir, de façon aliénante, la diffusion d’une culture faite sur mesure pour elle. Non pas d’une culture savante, qu’elle ne saurait entièrement assimiler et apprécier de par son analphabétisme et le temps passé au travail de la terre, comme le pensent avec mépris les élites sociales, mais d’une nouvelle « culture populaire » diffusée comme substitut de l’ancienne à l’aide de missionnaires pour convertir, d’inquisiteurs pour punir et d’implantation de diocèses pour surveiller. vinrent donc les chasses aux sorcières, une façon pour les pouvoirs religieux et monarchiques d’adapter la culture et les mentalités populaires à leurs convenances et préparer le terrain de son enrichissement tout en exerçant la terreur sur les populations. Une façon aussi d’imposer le christianisme en éradiquant toute forme de croyances hors du dogme catholique, ou protestant selon les régions. Ils les avertissent que l’anti-conformisme et la tentation des (nombreuses) révoltes ne paient pas. Ils leur prouvent qu’existe et continuera d’exister un fossé économique et social entre les puissants et les pauvres. Ils démontrent aussi leur appartenance au monde des maîtres et à celui de la culture savante. Le supplice d’une sorcière souvent vieille et pauvre sert ainsi à affermir leur pouvoir sur les masses paysannes autant qu’à donner des gages à la société environnante, dont ils répercutent et utilisent à leur profit les aspects hiérarchiques et inégalitaires.

La répression de la sorcellerie avait elle pour but la mise à bas de la culture populaire ?

La volonté de contrôle social.
Le contrôle social fait référence selon le philosophe Michel Foucault dans Surveiller et Punir aux mécanismes sociaux qui régulent les comportements individuels et des groupes d’individus, en terme de punitions et de récompenses. Cela désigne des procédés transparents ou informels comme les normes sociales et les conventions sociales, ainsi que des procédés officiels et formels comme les règles et les lois concernant les comportements dit « déviants ».
Les autorités religieuses imposent une forme de conformisme obligatoire à l’aide de procédés transparents comme le dogme chrétien de la reforme catholique et de procédés officiels comme le tribunal de l’Inquisition, la torture, l’enfermement, l’exécution et autres moyens de dissuasions formels pour faire entrer dans le rang ceux qui transgressent le dogme chrétien et se marginalisent par le biais de croyances impies et jugées hérétiques, comme ce fut le cas pour la sorcellerie. Mais le contrôle social des élites sur les masses populaires passe également par l’élimination dans le cas de l’inquisition de ceux qui sont les gardiens des savoirs pré-chrétiens et donc intrinsèquement subversifs pour l’Eglise et l’Etat. En effet, l’acharnement du pouvoir à brûler de vieilles paysannes peut également s’expliquer par le fait qu’elles sont dépositaires de ces dits « secrets », qu’elles sont les tenantes d’un ordre ancien des choses qui s’apparente plus du point de vue de l’inquisition et des autorités religieuses à de l’hérésie qu’à la vision étroite de la réforme catholique. Car sont plus souvent brûlées de vieilles femmes plutôt misérables que des jeunes filles.

La sorcière : bouc émissaire d’une période de transformations sociales.
Les populations de l’Europe moderne sont divisées en trois ordres, hiérarchisés et inégaux : le clergé, la noblesse et le tiers-état. C’est une séparation qui repose sur des critères idéologiques plus que sur des critères de fortune ou de mérite personnel. Les ordres étaient en théorie fermés, mais une petite frange d’individus pouvaient échapper à leurs états de naissance par différents moyens. En effet, parmi ces ordres se dégagea une frange encore au stade embryonnaire, la bourgeoisie.
Une partie de cette bourgeoisie se retrouve plus riche que les petites et moyennes noblesses, elle aspire même parfois à devenir noble par l’achat de charges ou par le mariage. Remettant en cause l’immuabilité des trois ordres. Elle est essentiellement composée d’artisans partis des campagnes vers les villes pour vendre leur savoir-faire et s’enrichir. Ils constituent en quelque sorte une aristocratie commerçante du tiers-état prolétaire, tandis que les paysans eux, se paupérisent de plus en plus, provoquant de plus en plus de révoltes. En France, la période du ministère de Richelieu est celle qui a vu se développer le nombre le plus important de révoltes. L’engagement de la France dans la guerre de Trente Ans faisant beaucoup augmenter les impôts. Ces révoltes ne menacent pas réellement l’Etat, mais représentent tout de même une menace importante pour les élites. C’est dans ce climat politique tendu que va émerger la seconde vague de chasse aux sorcières (de 1560 à 1650). La chasse aux sorcières, est le point d’aboutissement d’une manœuvre des élites qui se sont servies de la peur eschatologique populaire du diable et de l’au-delà pour catalyser la peur éprouvée par les paysans, au sein d’une société où la bourgeoisie s’enrichit et le tiers-état prolétarien s’appauvrit un peu plus sur une figure bien définie : la sorcière. Utilisant la culture populaire pour inverser le sentiment d’injustice et de colère vis a vis des élites (et donc les révoltes paysannes) en celui de peur des sorcières, faisant d’elles les bouc-émissaires des transformations sociales. Expliquant aussi le fait que les villageois se sont associés à la répression.

La répression de la sorcellerie comme volonté d’opprimer la femme et de réprimer la sexualité.

c’est sur un fond de troubles que paraît en 1486, directement inspiré par la bulle Summis desiderantes affectibus du 5 décembre 1484 d’Innocent VIII (1484-1492), le Malleus maleficarum. Ses auteurs, les inquisiteurs Henry Institoris et Jacques Sprenger, ont le sentiment de vivre la désintégration d’un monde : « Au milieu d’un siècle qui s’écroule, l’hérésie des sorcières, attaquant par d’innombrables assauts, réalise en chacune de ses oeuvres, son incarnation totale ». Ils font une lecture démonologique centrée sur le maléfice, puis anthropologique et sexologique, accablant la femme, accusée d’être la complice de Satan. La théologie s’est alors muée en une idéologie amalgamant hérésie, folie et frénésie sexuelle. Le modèle démonologique de « la femme au diable » est né, aussitôt pris en charge par l’imprimerie, c’est-à-dire véhiculé par une abondante littérature d’où se détache le traité de Jean Bodin Démonomanie des sorciers (1580).

Dans les premières sociétés néolithiques matriarcales, la femme avait socialement, le rôle le plus important. A l’ère chrétienne, les religions et croyances anciennes sont le diable de la nouvelle et c’est pourquoi le christianisme associa les femmes à des rôles maléfiques. Ce qui explique la prépondérance sur les bûchers des sorcières sur les sorciers. la chasse aux sorcières fut donc la répression des croyances ancestrales des cultures populaires par le pouvoir religieux, liée à un vaste mouvement de répression de la sexualité féminine et même, de la femme en-soi. A tel point que certains historiens parlent d’un « gynocide » ou encore d’un « sexocide » selon l’écrivaine Françoise d’Eaubonne dans Le sexocide des sorcières (1999). La phrase de Michelet extraite de son plaidoyer La Sorcière, illustre bien l’ampleur de la persécution dont elles ont fait l’objet : « pour un sorcier, dix mille sorcières ». Démontrant l’acharnement des inquisiteurs à juger et parfois brûler des femmes plutôt que des hommes, car entre 70 et 80% des condamnés au bûcher étaient des femmes.
La sorcellerie serait donc en partie due à une misogynie tenace autant dans la culture populaire que dans la culture savante. Elles y sont rendues coupables, comme dans la Bible avec la figure d’Eve, de la dénaturation de l’être humain en général, et de l’homme en particulier.
En ces temps d’oppression généralisée contre les pauvres, les hommes sont exécutés pour hérésie et les femmes pour sorcellerie. Entre les deux se distingue la même différence qu’entre le prisonnier de droit commun et le « prisonnier politique ».

Il apparaît également, au cours des procès, une dimension sexuelle importante. Ces faits sont à mettre en relation avec les valeurs socioculturelles que l’Eglise et l’Etat tentent d’implanter dans l’esprit des ruraux et dans les fondements de la culture populaire. A travers la persécution des femmes s’exprime une répression plus générale de la sexualité. Les missionnaires de la réforme catholique combattent la relative liberté des mœurs qui existait dans les campagnes avant 1550. Ils imposent au monde paysan des freins sexuels efficaces. Les « aveux » extorqués aux prétendues sorcières peuvent être interprétés par rapport à cette lutte puritaine bien réelle. La copulation avec Satan, ou avec des démons, rappelle la survivance dans le monde rural des « fiançailles à l’essai », des concubinages, que veulent extirper les autorités de la culture populaire. Le sabbat, cette « fête sacrilège » (Malleus Maleficarum), n’est que la transposition diabolique des fêtes populaires multiples qui débouchaient fréquemment, l’ivresse aidant, sur des débordements sexuels.

En fait, les multiples péchés imputés aux sorcières résultent d’une insatisfaction profonde des missionnaires devant la résistance d’une conduite sexuelle paysanne qui ne se coule pas suffisamment dans le moule théorique véhiculé par la réforme catholique. Les procès en sorcellerie, dans ce contexte, permettent de culpabiliser les foules en reliant au diable la sexualité hors mariage. Dans le Malleus Maleficarum qui inspira ces vagues de répressions, les femmes sont l’emblème de la luxure. Avec elles, la sorcellerie prend la forme d’une débauche sexuelle : orgies, accouplements contre nature avec le diable, la sorcière est succube, fécondable par le diable et susceptible de donner naissance à des êtres démoniaques en transgressant les lois chrétiennes de la procréation. Les sorcières révèlent également en creux les angoisses sexuelles profondes de l’imaginaire masculin : elles sont supposées sectionner le penis des hommes à des fins rituelles, attenter à leur puissance sexuelle, ou encore, comme dans certains récits, engloutir des hommes par leur vagin.

Pour conclure...

Nous avons vu que sorcellerie et culture populaire sont étroitement liés. La sorcellerie, après avoir traversée les ages, s’est intégrée largement dans la culture populaire rurale, sylvestre, paysanne et agricole. Mais la démarche des autorités religieuses et monarchiques d’adapter cette culture à ses besoins, de la contrôler et de la manipuler non sans difficultés afin d’exercer un contrôle social important sur les sujets à l’aide de moyens tel que le tribunal de l’inquisition et les tribunaux séculiers ; et additionné au mépris de la culture populaire par la culture savante, ont fait de la sorcellerie le cheval de Troie nécessaire à son immersion dans la sphère privée, notamment sexuelle, des paysans afin de brider la culture populaire sans pour autant la rendre savante. Faire de populations séculairement ancrées dans une culture bien plus païenne que chrétienne des populations dévouées à l’ordre établi n’était pas chose facile pour le pouvoir. C’est pourquoi il usa d’une grande violence dans la répression contre tout ce qui lui paraissait déviant.

Pourtant, c’est dans une époque dite de « progrès » que se déroulent ces événements : la multiplication des libres-penseurs et autres libertins, la révolution scientifique, le progrès des arts, de la philosophie et des sciences humaines montrent à la fois une Europe de la renaissance tournée vers le progrès mais également le visage obscurantiste et archaïque de la répression religieuse et de l’hégémonie culturelle.
Selon Théodore Adorno et Walter Benjamin, il existe un lien entre le processus de civilisation et la barbarie. Le progrès et la violence marchent de pair. On pourrait alors voir les sorcières comme les bouc émissaires de cette forme de modernité que furent la renaissance et les révolutions scientifiques.

Extrait de Non Fides N°III
Ecrit par libertad, à 20:04 dans la rubrique "Actualité".

Commentaires :

  libertad
13-04-09
à 20:13

Reconnaissance du matriarcat au néolithique ?

"Dans les premières sociétés néolithiques matriarcales, la femme avait socialement, le rôle le plus important."
Le matriarcat néolithique sujet tabou chez les féministes tendance victimiste ou radicales et par voie de conséquence chez les anars deviendrait une évidence ?
En effet tout le monde sait que la domination masculine a existé de tout temps :-)
Répondre à ce commentaire

  Rakshasa
13-04-09
à 20:13

Il a déjà été mis en ligne sur l'En-dehors ce texte, non ? 
Répondre à ce commentaire

  libertad
13-04-09
à 20:16

Re:

Ah bon, je ne l'ai pas trouvé...mais il y a tellement de choses sur l'En Dehors !
Répondre à ce commentaire

  Rakshasa
14-04-09
à 07:54

Re:

J'ai dû confondre...
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