La Terre qui devrait être pour l'Humanité un splendide paradis, ne serait-elle comme le disait un jour Sébastien Faure : Qu'une vallée de larmes ? Elle est un lieu de délices pour une poignée de sacripants, qui par spoliation, ont usurpé tout ce qui pourrait faire le bien-être de la masse prolétarienne, ne lui laissant qu'un immense champ de douleur. Le perfectionnement de telles ou telles choses engendrées le plus communément par la faim, le grand besoin de sortir d'une situation commerciale quelconque, ou par la platitude d'un contre-maître, d'un ouvrier, ou encore par l'ambition de faire rapidement fortune, on est arrivé à former pour l'homme une quantité considérable de soi-disants besoins, dont la plus grande partie est aussi inutile qu'absurde, et tout cela, au prix d'incalculables souffrances. L'homme s'est passé la corde au cou le jour où il a marché sur le chemin de la civilisation.
Nous, Naturiens, nous rompons avec la civilisation, car nous avons compris qu'elle porte dans ses flancs les plus terribles malheurs ; et si, d'après tous ceux qui jettent le cri d'alarme, et combattent pour faire pénétrer chez les êtres dits civilisés, que la Terre dans sa vaste étendue ne doit pas être recouverte d'une monstrueuse misère, mais bien parsemée d'une couche abondante de produits et de bien-être, que la Nature y a étendue pour faire le bonheur des peuples, ils s'en trouvent qui croient que l'homme doit être condamné pour y vivre, nous leur opposons un formel démenti il est insensé de se servir d'une maxime aussi erronée et de répéter dans les cerveaux un principe sorti d'une doctrine préconisée par une secte dont les propagateurs ont la conscience aussi noire que leurs vêtements et qui s'en vont de tous côtés, beuglant sur tous les tons, que " l'homme doit manger son pain à la sueur de son front ". Non ! ces hommes noirs, de par la parole de leur Dieu, ont effrontément menti ; que ceux qui se laissent enduire de ce mensonge crèvent le voile qui vitre encore leurs yeux et ils se pénétreront que la Nature engendre et fait germer plus qu'il ne faut pour la satisfaction de tous les besoins naturels de l'homme (rien des besoins factices) et sans qu'il soit obligé à un labeur forcé qui puisse le contraindre à suer et à souffrir, et qu'il peut jouir de son séjour sur la Terre au milieu d'un bonheur parfait.
D'ailleurs nous posons les questions suivantes à tous les individus qui nous sont en opposition :
Pourquoi cet appétit carnassier ? Cette autorité de l'homme sur l'homme, ce pape, ces rois, ces ministres, ces juges, ces gardes-chiourme, ces tortures, ces supplices d'hommes sur d'autres hommes, puisque dans la mort, les êtres deviennent ce qu'ils devraient être de leur vivant, c'est-à-dire égaux ? Pourquoi tyrans de toutes sortes, vos griffes de vautours s'enfoncent-elles à chaque seconde dans les flancs de vos victimes pour en extraire les plus terribles douleurs avec lesquelles vous savourez votre cruauté puisque vous savez qu'un jour la Mort viendra s'asseoir sur vos têtes et que vous disparaîtrez à tout jamais ?
Pourquoi ces carnages sanglants, ces multitudes armées? A quoi bon avoir été Hannibal, Bonaparte ou Gallifet, la gloire n'est-elle pas une vaine apparence, et si la Terre doit aussi mourir, pourquoi avoir un nom fameux si tout doit un jour être ignoré ?
Pourquoi tant d'efforts en Pyrotechnie, mécanique, Astronomie ? Pourquoi tant de fatigues et d'heures passées à pencher son front pâli sur des livres pour y puiser une éducation dénaturée, si un jour, la Terre doit être glacée comme une tombe et roulée dans le Gouffre de l'oubli ?
Pourquoi ces mines profondes tombeaux sinistres, rôtisseries de chair humaine, ces machines monstres, ces grandes usines, véritables abattoirs, affreux bagnes dont chaque maille des chaînes sont autant de pointes de feu pour les forçats qui y peinent ? Pourquoi ces cathédrales, ces prisons, ces palais, ces casernes, ces monastères, lieux dégoûtants où s'étalent des crimes honteux et des moeurs de nature bestiale, production morale des Loyola, ainsi que les églises et tous ces édifices dont chaque assise est marquée de la mort d'un prolétaire ? De même que ce répugnant appareil de Rigault, dissolvant le minerai d'or et autres corps, qui décomposés forment des toxiques, pourquoi cet or, filament de la corruption, fouet brutal cinglant la misère ? Pourquoi ces parures, ces bijoux, ces pierreries, pièges toujours tendus pour l'avilissement des consciences, tout ce luxe inutile forgé de tant de douleurs et de misères, si un jour la fournaise que notre planète renferme dans ses flancs réduit la Terre en cendres et laissant ses cendres dans un tourbillon impétueux en toutes les directions à travers l'espace et qu'il ne reste plus une seule voix pour dire « Ici était Paris, là était Alexandrie ". Partout la mort, la mort qui aura étendu son linceul venant d'ensevelir un monde dans ce vaste infini ? Répondez savants ! Répondez dirigeants!
Répondez tyrans assassins !
D'aujourd'hui à l'époque où l'humanité poussera son dernier râle, cette race humaine ne doit pas continuer à former une aussi terrible hécatombe ; tout est à recommencer sur de nouveaux aspects, qu'elle s'élance sur le chemin qui conduit à une existence naturelle et dans les conditions d'affinités où la force des temps a fait l'homme de nos jours, et là sera la planche ce salut.
Quand un membre est gangréné, on l'ampute, la civilisation est pourrie comme un vieux fumier, qu'on ne l'enterre pas, elle empoisonnerait la Terre il vaudrait mieux l'incinérer.
Honoré Bigot.
LA NOUVELLE HUMANITE, n°11-12-13, février 1897.