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Pour une laïcité post-chrétienne
--> Entretien avec Michel Onfray
À l'occasion du centenaire de la loi de séparation de l'Église et de l'État, nous avons interrogé Michel Onfray au sujet de la laïcité, de l'athéisme, de la place que les religions continuent d'occuper dans une société qui aime, en certaines occasions, à se donner comme post-chrétienne, sans pour autant se montrer prête à assumer les conséquences qui seraient celles d'un passage de « l'ère religieuse à l'ère philosophique ».
 
Le Monde libertaire: On a cru bon de fêter cette année les cent ans de la laïcité. Avec l'avènement de l'idée de laïcité ouverte, conçue comme une « grammaire qui permettrait l'échange entre les religions » (la définition est de Jean-Pierre Raffarin), n'aurait-il pas mieux valu fêter l'enterrement de la laïcité « historique » ?

Michel Onfray: La laïcité est malheureusement considérée comme une fin en soi, et comme , le terminus de la question des rapports entre la religion et la cité. Or, ici comme ailleurs, il s'agit d'être dialectique, autrement dit de tirer les leçons du temps qui passe et de refuser une définition pétrifiée une bonne fois pour toutes. Cette loi, comme toutes les lois, correspond à un rapport de force à un moment donné. Ce rapport de force a changé, ce moment n'est plus. Nous ne sommes plus à l'époque du petit père Combes mais à celle de Bush et de Ben Laden. Cette conception de la laïcité, ne l'oublions pas, laisse une partie de la France sous le régime du Concordat: dans l'est de la France - le sait-on vraiment? -, les curés et les évêques sont payés par l'État français, avec les impôts des citoyens de la République!

Certains, y compris chez les libertaires, voient dans le concept de laïcité un outil susceptible. d'oeuvrer à l'idéal d'un monde débarrassé des religions, et de toute superstition. Dans ce combat millénaire, cet outil te paraît-il aujourd'hui pertinent? L'a-t-il été, un jour?

Puisque c'est un concept dynamique, il mérite une redéfinition. Voilà pourquoi, dans le Traité d'athéologie, j'invite à une laïcité post-chrétienne, une laïcité qui ne définit plus un modus vivendi qui permette la tolérance de toutes les religions, qui pose un signe d'égalité entre judaïsme, christianisme, islam et agnosticisme, athéisme, mais une laïcité débarrassée de cette victoire des croyants à qui l'on octroie le même statut qu'à celui des non-croyants. La laïcité vieux style considère qu'un discours de fable, de mythe, d'histoires pour les enfants (un Dieu qui ouvre la mer pour laisser passer son peuple, un fils de Dieu mort et ressuscité le troisième jour, etc.) vaut un discours rationnel et philosophique (la Terre tourne autour du soleil, nous sommes soumis à la loi de la chute des corps). Il faut une laïcité qui permette enfin réellement le passage de l'ère religieuse à l'ère philosophique...

La loi de 1905 n'a-t-elle pas, au bout du compte, permis la survivance des Églises, en leur conférant un statut, une reconnaissance officielle?

Oui. C'était l'expression d'un rapport de force dans lequel chacun faisait des concessions. L'Église consent à entamer un peu de ses pleins pouvoirs sur tous les domaines de la société et, en échange de ce marchandage, grâce à lui, elle peut encore exister et prospérer sans remise en cause. Toute négociation suppose qu'on confère à celui avec qui on négocie un crédit d'existence qui représente un réel atout quand il se trouve en position de faiblesse.

Plutôt que de rupture, ne vaudrait-il pas mieux parler, à propos de cette loi, de continuité en terme de volonté politique de s'assurer le soutien des clergés, toutes religions confondues? Aujourd'hui Sarkozy, ministre des Cultes dont on connaît les ambitions présidentielles, s'appuie sur la laïcité pour justifier l'éventuel financement public des lieux de prière...

Sarkozy aime ce qui échappe à l'esprit de la loi dans cette loi: le Concordat. Il aimerait que les lieux de culte et les cultes soient d'État, c'est plus facile à surveiller - donc à soudoyer, à contrôler, à acheter. En même temps, le spirituel ainsi acoquiné au temporel voit avec bonheur toutes les charges de l'intendance passer aux mains de l'État. Les religieux conservent l'avantage (l'empire sur les âmes, donc les corps) tout en évitant les inconvénients (faire marcher la machine et trouver les financements ad hoc).

Quel est, selon toi, aujourd'hui, le rôle dévolu au concept de laïcité, dans la stratégie de maintien d'une emprise des religions, dans la sphère publique comme dans la sphère privée?

La laïcité post-chrétienne devrait revendiquer clairement l'athéisme comme position officielle de la République: la République ne tolère pas les cultes, elle les ignore, elle en fait une affaire strictement privée, une affaire radicalement personnelle - comme la sexualité: à pratiquer chez soi, dans l'intimité des quatre murs de la maison. En conséquence, on enseigne l'athéisme à l'école, on lit et fait lire le Testament de jean Meslier en cours, on étudie les livres de D'Holbach (le Christianisme dévoilé, Histoire critique de Jésus Christ, Essai sur les préjugés, etc.) en classe terminale, on inscrit l'athéisme dans les manuels et les programmes, on fait lire l'Esprit du christianisme de Feuerbach dans les lycées, à l'université, etc.

Le succès de ton Traité d'athéologie prouve, mais ce n'en est pas le seul signe, un regain d'intérêt pour l'idée de non-croyance. En quoi un athéisme revendiqué, posture ferme, sans ambiguïtés, peut-il être plus efficace, en terme de réponse au retour du religieux, que celles empruntant les chemins de la laïcité?

Nous n'avons pas encore été athées! Trop souvent l'athéisme définit une morale chrétienne sécularisée. On défend l'idéal évangélique avec les mots de la philosophie kantienne: tolérance, amour du prochain, fraternité, droits de l'homme, et autres préchi-préchas de bons sentiments. On ne croit plus en Dieu, certes, mais on sacrifie encore aux cultes qu'il a générés. L'athéisme suppose moins l'enseignement de l'inexistence de Dieu (du moins l'enseignement de la construction de cette fiction nommée Dieu) mais la déchristianisation radicale de tous les domaines de la société (travail, famille, nation, patrie, médecine, art, politique, éducation, sexualité, philosophie, morale, etc.)

Pour la plupart des gens, en Europe tout du moins, cette déchristianisation est en cours, voire achevée. Les églises sont vides, dit-on. Il faut la mort du pape et l'offensive médiatique qui l'a accompagnée pour qu'on se rende à nouveau compte de la place centrale que continue d'occuper la religion chrétienne. Dès lors, sachant que les médias de masse y opposent leur force de frappe, par quels moyens opérer cette déchristianisation?

Restons chrétiens, du moins en ayant recours à la facilité dualiste! Il y a au moins deux types de déchristianisation: celle du corps et celle de l'âme... À l'évidence, on a avancé sur celui des corps: pilule, avortement, contraception, union libre, banalisation du divorce, possibilité de penser de manière relativement sereine la question du mariage des homosexuels, l'homoparentalité, tout cela montre un réel progrès. Mais il reste plus subtil: déchristianiser les âmes - disons-le dans ce terme pratique. C'est-à-dire montrer en quoi nous sommes encore chrétiens même si nous sommes agnostiques, incroyants, mécréants, athées. Par exemple: un avocat général, un procureur, un magistrat peuvent bien être adhérents à l'Union rationaliste, ils fonctionnent malgré tout dans un système de références où l'on croit au libre arbitre, au choix, à la responsabilité, donc à la culpabilité et à la possibilité d'être puni, emprisonné, de payer pour une hypothétique dette. Or un abord déchristianisé de la question du droit montrerait le poids des déterminismes (sociaux, politiques, économiques, psychiatriques, génétiques, affectifs, etc.) et l'illusion de cette vision du monde qui s'appuie sur les fables du genre: libre arbitre, choix, liberté, responsabilité, culpabilité, punissabilité. On pourrait effectuer le même travail sur d'autres terrains: bioéthique (contre la déconsidération du corps matériel), pédagogie (contre l'enseignement par l'effort et la souffrance), art contemporain (contre le culte de la pulsion de mort et du corps maltraité), architecture (contre le bâtiment fait pour l'oeil malgré la chair), etc.

Tu parles de laïcité postchrétienne... Sur quels concepts s'appuyer? Y a-t-il une possibilité de laïcité post-chrétienne, étant entendu que dans une société déchristianisée la laïcité, comme outil, ne serait plus nécessaire?

Il faut s'appuyer sur une nouvelle définition de l'athéisme qui ne soit plus du christianisme transcendantal - c'est-à-dire d'un christianisme traditionnel réécrit dans la langue laïque kantienne) mais qui, dans un esprit gramscien, parte prioritairement à la (re) conquête du pouvoir intellectuel. Car le savoir et le pouvoir entretiennent une relation intime: tout-savoir qui ne vise pas un pouvoir alternatif ne mérite pas une seconde de peine... (C'est d'ailleurs l'idée qui soutient notre projet d'Université populaire à Caen depuis quatre ans maintenant). L'athéisme n'est pas une fin en soi, mais un moment dans un mouvement général, dans une dialectique qui doit et peut conduire à une morale et une politique réellement post-chrétiennes.

Quels terrains investir en priorité, en terme de lutte contre l'omniprésence religieuse? La médecine, l'art, etc.?

Aucun en particulier, mais tous en général. J'ai tâché, de livre en livre, de montrer qu'il fallait agir sur le terrain éthique (la Sculpture de soi), politique (Politique du rebelle), bioéthique (Féeries anatomiques), esthétique (Archéologie du présent), érotique (Théorie du corps amoureux), pédagogique (Antimanuel de philosophie), philosophique (la Communauté philosophique et Contre
histoire de la philosophie). Mais il reste de nouveaux chantiers: je travaille à un texte sur la psyché au sens large du terme (psychologie et psychanalyse). J'envisage un texte sur la question du droit, etc. Les chantiers ne manquent pas!

Quand un ministre de l'Intérieur, par ailleurs ministre des Cultes, signe un livre dans lequel il revendique clairement l'idée selon laquelle « le spirituel est plus important que le temporel » (sic), est-il sage de compter encore sur l'appareil d'État et le législatif pour s'opposer au religieux? Concrètement, puisque la République, sur ce point comme sur d'autres, se montre défaillante, n'est-il pas de notre devoir d'inventer de nouvelles manières d'agir, d'autres formes de résistance?

La République meurt non pas d'avoir été république, mais de ne pas l'avoir été assez, voire de ne pas l'avoir été du tout. La droite n'a jamais été vraiment républicaine, elle l'est par impossibilité .d'afficher son opposition trop clairement: elle ne connaît de loi que celle du marché, de l'argent, des pouvoirs économiques et financiers. Elle fait semblant d'être républicaine. Ce qui se passe dans les banlieues montre non pas l'échec du modèle républicain, mais le succès du modèle communautariste généré par plus d'un quart de siècle de politique libérale: de Pompidou à Chirac en passant par Mitterrand qui n'ont différé que par le style, le ton, mais par le fond qui est resté le même. La trahison de Mitterrand qui l'extrémisme ou la pure protestation. Nous n'avons pas besoin d'aller chercher bien loin des modèles que nous n'avons pas même besoin d'inventer: il suffit de les retrouver, ils existent encore et toujours, ce sont ceux de la gauche non pas anticapitaliste (que pourrait bien signifier cette option?) mais antilibérale (le libéralisme étant l'une des modalités dit capitalisme qui peut aussi être... de gauche). Mais ça c'est un autre débat!

Si, comme tu le dis, nous avons avancé sur le plan de la déchristianisation des corps, il reste du chemin à parcourir. Par exemple tu n'évoques pas la question de la mort, du choix face à la mort, de l'euthanasie, du suicide. Existe-t-il, sur ce terrain, une difficulté particulière, qui ferait qu'on « avance » moins vite?

Si j'aborde toutes ces questions - du sperme substance numérique au cadavre substance nationalisable en passant par transgénèse, homoparentalité, génie génétique, suicide, euthanasie, soins palliatifs, greffe de cerveau, etc. dans Féeries anatomiques, un livre dont j'ai écrit qu'il proposait une « bioéthique libertaire » à inscrire dans mon combat pour une « technoscience de gauche ». C'est d'ailleurs parce que dans ce livre j'énonçais la nécessité d'une déchristianisation du corps que j'ai reçu un déluge d'insultes - y compris des menaces de mort - et que je me suis dès lors décidé à enfoncer le clou de l'athéisme d'une manière plus franche encore. D'où le Traité d'athéologie... Le corps encore chrétien avec lequel travaillent les gens de santé n'est pas reçu, perçu comme tel: il faut vraiment entrer dans le détail pour montrer combien les organes sont hiérarchisés en fonction d'une vieille symbolique platonicienne puis chrétienne, comment on pense la chair, la souffrance, la douleur, l'âme, la sexualité, la maladie de manière catholique. Par ailleurs, les acteurs des comités de bioéthique sont la plupart du temps juifs, catholiques, protestants, musulmans, francs-maçons, agnostiques: on y trouve rarement des athées franchement revendiqués... Le contenu de leurs décisions s'en trouve d'autant déterminé. On imagine dans quel sens avec ces gens pour lesquels il est urgent d'attendre, cachés derrière leur principe de précaution!

Déchristianisation des « âmes » (terme pratique, je te l'accorde): est-ce un mouvement historique, qu'il conviendrait d'accompagner, d'accélérer, ou bien est-ce que tout reste à faire?

Tout reste à faire, bien sûr! Il faut commencer par dire que dans tous les domaines il reste une imprégnation judéo-chrétienne. Qu'aucune discipline n'y échappe. Faire d'abord un état des lieux: en quoi nous sommes encore chrétiens. Puis inviter à l'action: encore un effort pour être vraiment post-chrétien... Travailler ensuite avec les gens concernés (médecins,, enseignants, artistes, juristes, etc.) pour élaborer des issues réellement éloignées de la pensée magique de la religion. Contribuer collectivement à constituer l'athéologie comme une discipline active.

Revenons un instant sur ce qui s'est passé dans les banlieues. Bien que ce mouvement ne se soit à aucun moment appuyé sur des revendications religieuses, on a vu les médias justifier en partie la « colère » des jeunes par cette affaire de tir de grenade sur une mosquée, puis certains hommes politiques laisser entendre que les intégristes manipulaient les émeutiers, enfin l'UOIF a qui on n'avait rien demandé, lancer une fatwa contre les violences. Que signifie cette volonté, visiblement partagée, d'« islamiser » une révolte dont les fondements, on le sait, étaient avant tout d'ordre social?

Tout est fait pour qu'on n'aborde pas le problème en terme de politique. Regardez d'ailleurs les commentaires des philosophes ou intellectuels sur cette question: de « la révolte à caractère ethnico-religieux » de Finkielkraut à « l'absence de sacralisé dévastatrice » de Debray en passant par « le tourbillon nihiliste d'une violence sans signification » de BHL, sans oublier l'explication polygamiste (!) d'Hélène Carrère d'Encausse, ou le profond « Nique ta mère » de l'inénarrable Baudrillard, « la flambée nihiliste » de Glucskmann, tous évacuent la lecture politique. Personne n'aborde le problème en face: ce qui a lieu procède de la misère générée par le libéralisme. Ce lumpenprolétariat parle - de manière inchoative, maladroite, inaudible, certes, mais il s'essaie à la parole. À ne pas vouloir entendre cette voix, à lui envoyer les chiens et le couvre-feu, on ne fait que reculer pour mieux sauter dans l'abîme.

Qu'augurent ces nouvelles modalités dans le rapport entre l'État et les religions, du moins leurs représentants? Est-ce' un simple retour en arrière, ou les prémisses d'un nouveau modèle de partage du pouvoir, entendu au sens large?

Je crains que la fin des illusions marxistes-léninistes (avec la chute du mur de Berlin en 1989) couplée à la fin des illusions sociodémocrates (avec le renoncement mitterrandien à la gauche en 1983) initient le désarroi planétaire et national: nous ne disposons plus d'alternative politique porté par une figure, un parti, un mouvement, une sensibilité crédibles et le libéralisme règne sans partage. La religion reste « le soupir de la créature opprimée » selon l'excellente formule de Marx et, en ces temps de décrue du socialisme, ff ne faut pas s'étonner de la crue dés religions qui récupère l'aspiration à changer la vie - mais avec des attendus et des conclusions dramatiques, car viser le paradis post-mortem, c'est s'interdire qu'il existe un tant soit peu ici et maintenant, ce qui fonde pourtant tout idéal de gauche, y compris de gauche libertaire.

Propos recueillis par Fred du groupe libertaire Louise Michel

Le Monde libertaire hors série #29 du 22 décembre 2005 au 12 janvier 2006

Ecrit par libertad, à 22:59 dans la rubrique "Pour comprendre".



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