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L'En Dehors


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L'anarchie avec un grand A
Lu sur Le Trouble : "Aujourd’hui comme hier, le capitalisme se présente comme la nature même de l’humain ou si l’on veut comme le résultat naturel de l’activité humaine. C’est pourquoi les partisanEs bien pensant de ce monde répandent inlassablement leur petite fable mensongère : L’homme est un loup pour l’homme dans un monde aux richesses limitées, et seulEs les plus aptes survivent.

C’est au XIXe siècle, tant en Europe qu’en Amérique, que le développement de l’économie capitaliste détruit le restant des communautés traditionnelles. Le résultat de cette “ croissance ” oblige ceux et celles qui devenaient les ouvrierEs d’alors à entrer dans la compétition pour l’obtention des emplois, à l’exemple de la compétition que se livrent les nouvelles entreprises. Les intellectuels de l’époque (Malthus et Darwin par exemple) vont se lancer dans la tâche, qui est toujours celle des intellos d’aujourd’hui, c’est-à-dire celle d’expliquer que ce qui existe est naturel, bon et existe de toute éternité. De tels propos ne pouvaient rester sans réponses et ils s’attirèrent leur lot de critiques. Le théoricien communiste Karl Marx et les anarchistes Pierre-Joseph Proudhon et Pierre Kropotkine opposèrent des vues fondées sur les principes d’aide mutuelle et d’entraide, selon lesquels l’humain est d’une nature sociable et a toujours vécu en communauté, justement pour s’entraider à la réalisation de projets communs.


De l’origine des espèces bourgeoises :
Le plus apte est le riche!?

Les grossières théories de Malthus sont publiées en 1798 sous le titre pompeux de An Essay on the Principle of Population as It Affects the Future Improvement of Society (Essai sur le principe de la population et comment il affecte la future amélioration de la société) (1). Sommairement, on peut y lire que les ressources d’un endroit donné déterminent le nombre de la population. Malthus soutient que si la population dépasse la proportion viable des ressources, il y aura soit des guerres, des famines, des maladies et une série d’autres cataclysmes qu’il qualifie de positifs. Il déduit de sa propre théorie une série de recommandations politiques et sociales : abstinence sexuelle pour les pauvres qui n’ont pas les moyens de faire vivre d’éventuels enfants (remettre à plus tard les mariages et la vie commune, du moins jusqu’à une situation économiquement viable). Aussi, il insiste pour que les lois de “ charité ” restent suffisamment restrictives pour que les pauvres ne puissent pas se relâcher moralement. D’ailleurs, il possédait bien avant l’élaboration de sa théorie vaseuse sa petite idée au sujet de la pauvreté, car déjà en 1796 il avait écrit une brochure (inédite à l’époque) dans laquelle il soutenait les Poor Laws (lois pour pauvres) anglaises. Il s’agissait de lois qui entre autres choses prescrivaient d’enfermer les pauvres dans des Workhouses (maisons de travail qui ont été des prisons de travaux forcés).

De son côté, Darwin écrit son De l’origine des espèces au moyen de la sélection naturelle ou la lutte pour l’existence dans la nature en 1859 à partir “ d’observations faites dans la nature ”. Pour lui, l’évolution dans la nature est le résultat de la concurrence (comme dans la société bourgeoise) entre les espèces et entre les membres de la même espèce pour obtenir les ressources disponibles. Ceci crée une situation dans laquelle l’adaptation génétique et les caractéristiques individuelles (comme l’individualisme de l’idéologie capitaliste) vont permettre aux plus aptes de survivre. Darwin parlait seulement des animaux, mais ses successeurs (les partisans du darwinisme social) vont appliquer cette théorie aux humains.

Dans le cas de Darwin comme dans celui de Malthus, la limpidité idéologique est telle que personne ne peut l’ignorer de nos jours : “ il faut bien voir que Darwin a projeté dans “ la nature ” des schémas empruntés à Malthus et à l’Angleterre victorienne ”. Il est évident que de telles théories avaient comme objectif, conscient ou non, de soutenir idéologiquement le capitalisme en pleine expansion à cette période. Par ce détour théorique, le mensonge de la légitimation devient miraculeusement vérité absolue et positive, justifiant le laisser faire en matière économique et sociale, ainsi que l’existence des classes sociales.


De la nature sociable de l’humain :
L’entraide

Au contraire des soi-disant scientifiques qui peignent la nature et celle de l’humain sous les traits du capitalisme de l’époque, les socialistes en général définissent l’humain comme s’aidant naturellement (2). Cette critique prend différentes formes dépendamment des théoricienNEs qui l’élaborent, car les façons d’aborder différentes questions sociales varient selon que l’on soit marxiste ou anarchiste.


La critique de Marx est foncièrement économique et matérialiste, on s’en doute. Pour lui, la situation décrite par Malthus et Darwin est réelle, mais elle est un corollaire de la société de classe. C’est l’économie capitaliste qui génère cette situation. L’accaparement des richesses par la bourgeoisie fait en sorte que le prolétariat est dans le besoin. C’est l’appropriation des surplus de la production par les capitalistes et enfin la spéculation qui crée une “ rareté ”. La manière appropriée de régler ces problèmes (issus des contradictions même de l’édifice social), c’est une réponse collective. Par là, il entendait que seule une action collective du prolétariat pourrait mettre fin à l’égoïsme économique en abolissant les classes sociales. Cette réponse, bien que pertinente, ne répond pas de manière directe au défi posé par les deux scientifiques, soit celui de définir la nature humaine.

Une autre manière d’aborder la question nous est proposée par le théoricien anarchiste Proudhon. Pour ce dernier, la notion de travail collectif est cruciale. Il remarque que le capitalisme se fonde sur la notion d’un travail collectif et non pas individuel comme les idéologues bourgeois le prétendent. Par exemple, un capitaliste qui voudrait faire planter une énorme poutre sur son terrain, même s’il réunissait la somme des salaires de tous les ouvriers nécessaires pour réaliser ce projet et qu’il les remettait à un seul ouvrier, ce dernier ne pourrait pas planter la poutre. C’est donc la nécessité qui pousse les humains à s’aider mutuellement et c’est sur ce même principe que les capitalistes réunissent une main d’œuvre nombreuse. La réponse est intéressante et l’observation est véridique; mais encore une fois, elle est partielle et n’offre pas beaucoup d’exemples. D’ailleurs, les idées théoriques de Proudhon et leurs applications pratiques ont beaucoup plus influencé le coopératisme qu’une réelle pratique révolutionnaire fondée sur l’entraide.

Inspiré par les idées de Proudhon et par sa volonté de répondre aux socio-darwinistes, Kropotkine a essayé d’établir un fondement scientifique aux valeurs anarchistes. C’est dans ce but qu’il a écrit L’entraide, un facteur d’évolution en 1902; un livre qu’il considère comme son œuvre majeure. Cet ouvrage a pour objectif de démontrer que l’entraide est ancrée dans la nature même de l’homme. Kropotkine fait reposer son argumentation sur plusieurs exemples, qui n’ont rien à envier à l’anthropologie et à la sociologie d’aujourd’hui, tirés des diverses périodes historiques qu’a vécues l’humanité. Pour lui, l’éthique (la morale) n’est pas un élément purement idéologique ou philosophique; elle a un fondement naturel qui peut s’expliquer scientifiquement.

Kropotkine commence son argumentation en insistant sur le fait que l’entraide n’est pas purement humaine et qu’on peut l’observer chez les animaux. En effet, il montre certains exemples où les animaux se sont aidés les uns les autres. C’est simplement que, selon lui, l’entraide découle directement de l’instinct de survie des espèces et il écrit : “ dans toutes ces scènes de la vie animale […] je vis l’entraide et l’appui mutuel pratiqués dans des proportions qui me donnèrent à penser que c’était un trait de la plus haute importance pour le maintien de la vie, pour la conservation de chaque espèce, et pour son évolution ultérieure ”. Convaincu que l’entraide est visible chez les espèces animales, Kropotkine va étudier l’histoire pour en retrouver les fondements et les mécanismes chez les humains.

Les diverses sociétés humaines qui se sont succédées dans le temps montrent également plusieurs formes et institutions d’entraide. Les premiers chapitres du livre de Kropotkine traitent des sociétés dites primitives et barbares à cette époque. Il montre comment les humains se sont associés en tribus et villages, par exemple pour faciliter leur survie. Ensuite, Kropotkine parle abondamment des citées médiévales, villes libres de toutes tailles, arrachées aux mains des seigneurs par la révolte unanime des citadinEs, presque sur tous les continents. Évidemment, les cités offrent de multiples exemples d’associations populaires et de guildes (associations d’artisanEs de même métier ou également d’artistes). Finalement, il nous parle de la société de son époque avec ses diverses communes paysannes, les associations ouvrières dans les unions et syndicats, ou tout simplement des associations de loisirs de toutes sortes. Bref, il est fondé d’observer avec Kropotkine que le monde dans lequel nous vivons ne se constitue pas de familles isolées ou d’ermites se combattant les uns les autres pour assurer leur survie.

Visiblement, Kropotkine affirme que le facteur déterminant des progrès humains se trouve dans l’aide mutuelle et l’entraide que se portent les humains. Aussi, il déduit de sa théorie particulièrement exemplifiée le principe du communisme anarchiste. C’est l’association humaine dictée par l’instinct de conservation qui sera la source du communisme. Alors que le capitalisme se fonde sur le salariat afin d’accroître la part de profit qui revient aux bourgeois; dans le communisme ce sera les besoins de chacun qui détermineront l’activité humaine. Comme les besoins humains sont variés, écrit-il, l’activité humaine le sera également (tant manuelle qu’intellectuelle ou artistique). Mais, ce n’est pas une évolution qui nous y mènera directement, il faudra une rupture et c’est pourquoi Kropotkine était un partisan d’une éducation riche et variée, de la propagande en discours comme en acte et qu’il soutenait les actes de soulèvement populaire.

L’actualité de l’entraide

De nos jours, il est difficile d’être misES au courant de l’existence de ces théories qui placent l’aide mutuelle et l’entraide au cœur même des valeurs humaines et au centre de la nature humaine : on ne les enseigne pas à quelque niveau scolaire que ce soit, ni on n’en vante les mérites à la télé, surtout lorsque le communisme découle naturellement de discours comme ceux-là. En fait, on nous dit que l’humanité a naturellement trouvé sa forme achevée dans le capitalisme et sa forme institutionnelle dans le parlementarisme. Toutefois, si l’on s’y arrêtait et on en écoutait certains discours, on pourrait constater qu’ils font appel à l’instinct d’entraide pour les détourner vers d’autres fins que le bien commun. On n’a qu’à écouter les politichiens qui détournent de si nobles sentiments vers d’aussi immondes supercheries telles que sont le militarisme, le patriotisme et le nationalisme. On peut voir l’utilisation qu’en fait la gauche caviar et autres alter-mondialistes qui tronquent la logique de l’entraide au profit de l’économie sociale et participative (commerce équitable qui n’a d’équitable que le mot). Il semble qu’ils n’aient pas voulu comprendre le sens concret de l’entraide : ELLE NE SE MONNAIE PAS.


Dans l’idéologie propagée actuellement, et c’était le cas également au XIX et XXe siècles, les propos dominants ne sont que le reflet de l’organisation sociale et des valeurs qu’elle prescrit. Toutefois, parmi le flot continu du verbiage idéologique des soi-disant intellectuelLEs et des universitaires bien pensantEs, il arrive qu’un discours, tout à fait opposé au discours dominant, perce le bruit et laisse entendre qu’au fond, l’humain est un être sociable et d’entraide collective.

(1) traduction libre
(2) Fourrier, Marx et Proudhon sont parmi les socialistes au sens large qui s’opposèrent aux propos de Malthus, tandis que Marx et Kropotkine ont répondu à Darwin et aux partisans du darwinisme social.
(3) Pierre Kropotkine, L’entraide, un facteur d’évolution, Montréal, Les Éditions Écosociété, 2001, p.27.

publié par Journal anarchiste Le Trouble numéro 31 -décembre 2005
Ecrit par didier2, à 21:16 dans la rubrique "Actualité".



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