Pendant les semaines précédant l'OMC, toutes les inquiétudes sécuritaires étaient tournées du coté des coréens, et selon un rituel désormais bien établi sur les cinq continents dès qu'une manifestation "internationale" approche, médias et officiels rivalisaient de propos alarmants tout en répétant que toutes les dispositions avaient été prises et qu'il n'y avait rien à craindre. Malgré quelques mentions épisodiques d'un supposé danger anarco-altermondialiste censé venir d'Occident - décidemment même au Groenland ou au Pole Sud ils finiront bien un jour par s'inventer un danger teinté de noir - la raison l'emportait et tous les regards étaient tournés vers la seule délégation pouvant effectivement causer quelques problèmes, celle des sud coréens. Présentés comme des Attilas après le passage desquels même le riz ne germe plus, ils sont effectivement venus mais l'herbe est toujours aussi verte, et les hongkongais ont toujours de quoi manger. Pourtant, personne dans la ville n'est prêt de les oublier.
Malgré l'intense
propagande visant à persuader les Hongkongais des bienfaits de l'OMC et du
grand honneur que leur a rendu la
prestigieuse organisation en venant séjourner dans la ville, depuis plusieurs
semaines le seul sujet de conversation qui semblait intéresser les habitants
des lieux était la venue des sud coréens. Nombreux bureaux et écoles fermés ou
tournant au ralenti, consignes de sécurité distribuées, médias déchaînés,
dispositif policier sans précédent, hommes grenouilles plongeant dans les eaux,
hélicoptères, tout le cirque habituel de
toutes les villes de la planète à l'ère du tout médiatico-sécuritaire.
Les manifestants
sud-coréens sont connus, quiconque suit un peu l'actualité coréenne sait que
celle-ci est ponctuée à intervalles assez réguliers de manifestations qui
parfois dégénèrent dans des batailles rangées impressionnantes, et quiconque connait un peu l'histoire et la culture
de ce pays sait également les facteurs qui peuvent plus ou moins expliquer les
raisons et les spécificités de ce phénomène, c'est pourquoi nous essaieront de
nous limiter ici à quelques observations concernant les coréens à Hong Kong et
non les coréens en Corée.
Ils sont venus à
2000 environ, c'est peu, mais cela représentait le plus gros groupe venu de
l'étranger pour ce rassemblement altermondialiste. Il y a deux ans, à Cancun,
les coréens s'étaient déjà déplacés, ils étaient beaucoup moins nombreux qu'à
Hong Kong mais déjà ils s'étaient fait
remarquer par leur tonicité et leur détermination, et le suicide en pleine
manifestation de l'un d'entre eux d'un coup de couteau au coeur est resté dans
toutes les mémoires.
Paysans pour la
plupart, quelques ouvriers aussi, plus d'hommes que de femmes, certains et
certaines assez âgés, un peu intimidés par les lieux mais pas trop, très
sympathiques une fois franchi le cap de leur apparence un peu austère et le
fait que beaucoup d'entre eux ne parlaient que le coréen.
Il est difficile
de rester objectifs face au coréens, alors pour essayer d'équilibrer un peu
avec l'éloge assez subjective qui va suivre, faisons rapidement quelques
critiques. La seule qui vienne vraiment à l'esprit est peut-être leur
organisation, qui n'est pas libertaire, hiérarchisée, avec parfois des cotés un
peu militaires, encore que cela relève souvent d'une apparence assez courante
en Asie et qui ne correspond pas toujours à des réalités moins souples qu'en
Occident. Il y aurait aussi, évidemment, leur violence.Il est clair que les
coréens ne sont pas des non-violents et que la violence fait partie de
l'éventail d'instruments qu'ils s'estiment autorisés à mettre en oeuvre pour
faire entendre leurs revendications.Voilà pour la partie critique.
Austères
disions-nous ? Pas tant que ça, le masque impénétrable cher aux asiatologues du
passé tombe vite, et derrière il y a des hommes et des femmes d'une grande
gentillesse, et qui pour la fête n'ont
guère de leçons a recevoir, avec eux
tout ou presque se passe au son des orchestres paysans, ils en avaient
plusieurs, leurs rythmes hypnotiques accompagnent les défilés, les attaques de
barrages policiers, et, bien sur, les moments de fête et danses collectives.
Pendant de longs
mois précédent le sommet, la police de Hong Kong a étudié les coréens, des
policiers sud-coréens ont été consultés, des pellicules visionnées, les
coutumes décortiquées, les tactiques mises au point. Hong Kong n'aime pas la
violence, il fallait donc à la fois protéger le saint sommet tout en essayant
que la violence, presque inévitable s'agissant des coréens, reste dans
certaines limites, et tout cela avec une police anti-émeute qui n'a jamais vu
une manifestation agitée de sa vie et dont il a fallu certainement intégrer
dans les calculs les prévisibles moments de flottement.
Les manifestants
coréens sont des gens probablement
capables de créer des problèmes à beaucoup de polices du monde, non pas tant à
cause de leur violence , ni même de leur organisation très poussée ou de leurs
tactiques assez particulières, qu'à cause du fait que ce sont des gens qui de
toute évidence pour beaucoup d'entre eux n'ont pas peur de la police et qui
semblent plutôt portés à réagir à des attaques par des contre-attaques que par
des débandades, et aussi qui ont l'habitude d'être confrontés à une police qui
peut être extrêmement violente.
Mais les coréens
sont d'abord des gens qui veulent faire entendre leur cause et qui font tout
leur possible pour que la population, ici honkongaise, leur soit amie et non
ennemie. Du coté des coréens comme de la police, il y avait donc un commun
intérêt à ce que si violence il devait y avoir celle-ci soit plus de l'ordre du
symbolique que de la sanguinolence. Certes cela est plus facile à dire qu'à
réaliser, et malgré des contacts permanents entre la police et les
représentants des coréens, le doute restait permis.
Que l'on ne s'y
trompe pas, il existe un monde entre la Chine du Sud, surtout Hong Kong, et la
Corée du Sud, il n'était donc pas à priori évident que les coréens puissent
comprendre ce qu'il fallait faire, et surtout ne pas faire. Les manifestants
qui s'"adaptent" au pays dans lequel ils se rendent ne sont pas
légion, la tendance est généralement plutôt à la répétition des mêmes pratiques, quelles que soient leur diversité,
qu'à l'adaptation.
La topographie
des lieux et le dispositif de sécurité présentaient quelques particularités. D'abord la réunion
de l'OMC se déroulait en plein centre ville, ensuite le barrage policier était
à à peine 200 mètres de la réunion, et
pour finir les autorités avaient décidé de jouer la carte de la "sérénité"
et aussi de ne pas trop perturber la circulation du centre ville, ce qui fait
qu'il y avait une multitude de point d'accès qui n'étaient pas barrés et que
l'ultime protection était une grille pratiquement collée au bâtiment ou se tenait
la réunion. En gros les autorités avaient misé sur le fait que les coréens, et
les autres aussi, respecteraient du début à la fin le seul parcours autorisé, ce qui fut d'ailleurs le
cas jusqu'à Samedi.
Mardi, première
manifestation. Banderoles, tambours, tout se passe bien, l'étroitesse des rues
hongkongaises empruntées compense un peu la relative "faiblesse" des
effectifs, tout le monde arrive au bon endroit. Un tout petit groupe de coréens
s'avance vers le barrage policier, qui n'est qu'humain, pas de grilles ou
autres installations. Mains nues, aucune protections, la plupart le visage
découvert, il s'en vont tester la solidité du barrage, ils poussent un peu les
policiers, première agitation policière, les ordres fusent, les renforts
arrivent en catastrophe, on sent la fébrilité. En réalité il ne se passe pas
grand chose et le petit groupe de
coréens ne fait que tester à 1 contre 10 la réaction des policiers.La police ,
qui a fini par se mettre en rang avec casques et boucliers, fait usage
d'aérosols irritants. Les coréens ont attendu que le dispositif soit prêt pour compléter le test. Une
certaine hilarité fait surface, en particulier chez les badauds et les
correspondants de presse, lorsqu'il
s'avère que les coups de matraque et les jets d'aérosols distribués par les
deuxièmes et troisièmes rangs policiers tombent pour moitié sur les têtes de
leurs collègues du premier rang.
La Corée est un
pays parfois assez rude, et son cinéma est fait surtout de drames et mélodrames
émouvants, Hong Kong est une ville très pacifique ( à part les triades) et son
cinéma est pour beaucoup à base de fusillades et diverses acrobaties viriles.
Les hongkongais détestent la violence mais le plus grand héros de la ville
reste, et restera encore pour longtemps, le défunt Bruce Lee. Les Coréens, qui
aiment aussi Bruce Lee, procèdent alors à une petite démonstration de leurs
talents en balançant des coups de pieds sur les boucliers des policiers.
Inutile de dire que chez les innombrables photographes et cameraman hongkongais
présents, l'enthousiasme est à son comble. Tout se termine très vite, et les
coréens testeurs abandonnent le barrage pour aller rejoindre leurs camarades
assis un peu plus loin. La première journée s'achève ainsi, tout le monde est
très satisfait. Les coréens sont déjà entrés dans la légende de la ville, et on
imagine sans peine que pas mal de photos issues de cette première série iront,
une fois agrandies, décorer les chambres à coucher de quelques jeunes,
peut-être même celles de quelques jeunes policiers.
La deuxième
journée est encore plus captivante puisque les coréens ont décidé de procéder à
un examen plus complet et scientifique du barrage policier. Cette fois les
choses seront légèrement plus sérieuses, les coréens établissent une
chorégraphie rigoureuse, et tout se passe sous la direction d'un metteur en
scène qui, armé de son mégaphone, officie à un mètre des policiers. Moins d'une
centaine de coréens se mettent face aux policiers,et juste derrière eux il y a
l'orchestre paysan, tout de blanc vêtu. Le chef des opérations indique alors que l'attaque va commencer et demande aux innombrables non participants
présents de bien vouloir s'écarter afin de ne pas gêner manifestants et policiers dans
leurs échanges et aussi afin de leur éviter des coups qu'ils n'auraient pas
mérités. Lorsque tout est prêt, les attaques commencent,toutes de courte durée,
entrecoupées de périodes de repos, l’ensemble animé par les paysans musiciens.
Encore une fois les coréens sont à mains nues, pas de protections à part pour quelques-uns des films en plastique
transparent pour leurs yeux. Attaque en poussée de face, en poussée de dos,
attaque accroupis - cuisses entraînées recommandées -, les policiers tiennent
bon, non sans quelques difficultés. Après chaque attaque les coréens indiquent
leurs erreurs aux policiers et réprimandent ceux dont le comportement n'a pas
été jugé satisfaisant. Pendant les attaques l'un des policiers a été extirpé du
rang et s'est effondré par terre au
milieu des coréens, il est immédiatement remis sur pattes par ces derniers et
restitué en parfait état à ces collègues. Quelques coréens sont contusionnés,
mais sans gravité.
Au bout d'un
moment le syndicaliste chorégraphe à mégaphone signale la fin des activités.
Jusque là le but de toutes ces attaques n'était pas entièrement clair, mais le final permet de mieux
comprendre. En effet, pendant les
attaques les coréens ont réussi à dérober quelques grands boucliers, une bonne
douzaine, aux policiers, et une fois les assauts terminés les boucliers sont
rassemblés en un tas à 3 mètres des policiers. Les appareils photos crépitent.
Vient ensuite la scène finale : celle de la restitution des boucliers à leurs
légitimes propriétaires, ils sont passés
un à un par dessus les corps à casque et bouclier du premier rang policier. Un
dernier détail qui à son importance : les coréens avant de s'éloigner du
barrage nettoient toute la chaussée des quelques débris qui s'y sont accumulés
et les rassemblent en un petit tas.
A vrai dire les
coréens auraient presque pu en rester là en ce qui concerne l'effet produit sur
la population locale.
Le lendemain
c'est le coup de grâce. Les coréens ont
décidé de faire toute la manifestation en procession bouddhiste avec
agenouillement tous les trois pas.Communion de l'homme avec la terre. Le principal dirigeant du syndicat paysan,
qui n'a pas loin de 70 ans, vient d'arriver le matin même de Séoul pour y
participer. Malgré certaines pratiques mouvementées qui tranchent
singulièrement avec les habitudes hongkongaises, il devient de plus en plus
difficile de trouver un habitant qui condamne sans appel les paysans coréens. A
l'arrivée le barrage de policiers n'attire aucun coréen,et la soirée, après
quelques discours émouvants, sera toute de danses et de musique, elle culminera
dans des immenses serpents qui se font et se défont au rythme endiablé des
tambours.
La journée de
Vendredi est calme. A la ruse hongkongaise de mettre de jolies policières en
tenue ordinaire au barrage, les coréens répondent par la ruse d'envoyer un
petit groupe de leurs paysans les plus âgés, quelques vieux monsieurs aux
cheveux blancs iront s'installer assis devant les jeunes filles,ils se lèveront
pour pousser quelques secondes sur les policières avant de se rasseoir .
Pendant ce temps là devant le consulat de Corée, un groupe de paysannes
coréennes,une vingtaine,bouscule un peu le cordon de policiers présent, les
collègues de ces derniers rappliquent pour faire face à la menace, et les
paysans qui s'étaient tenus à l'écart de l'action menée par leurs camarades
féminines en profitent pour s'enfiler à toute vitesse dans le bâtiment soudain
dépourvu de protection, ils y resteront plusieurs heures.
Jeudi et Vendredi
quelques plaintes se font entendre, ce sont des alters d'autres pays qui
estiment que les coréens sont trop mis en vedette, et que cela nuit à la cause
et ne rend pas justice aux autres nationalités présentes. Ces plaintes ne sont
pas, à notre avis, très justifiées, dans la mesure ou en réalité toutes les
activités des anti-OMC font parler d'elles, y compris les cortèges qui, à part
peut-être celui du Dimanche 18, sont
montrés dans toutes leurs composantes. Si les coréens font quand même un peu
plus la une que les autres c'est parce qu'ils sont les plus nombreux et aussi
parce que ce sont ceux qui sont les plus dynamiques, y compris et surtout dans
la non-violence. Lorsque plus d'une centaine d'entre eux ont plongé dans la mer
de Chine pour tenter un assaut symbolique à la nage, ils ont effectivement fait
sensation, mais pourquoi les autres ont-ils eu si rarement d'idées -tout à fait
non-violentes- semblables ? Pourquoi les coréens étaient-ils les seuls devant
le bâtiment de l'OMC à faire de grandes danses collectives longtemps après que
la quasi-totalité des autres manifestants soit repartie ? Lorsque par exemple
un petit groupe de chinois décida d'entamer une grève de la faim au bord de la
mer, ils ont aussi été filmés et interviewés à répétition, or la plupart des
autres participants concentraient leurs activités hors défilés dans le grand
parc ou les tentes s'étaient érigées, heureusement pour eux ce parc est situé
en plein milieu de la ville et beaucoup de hongkongais sont venus voir ce qui
s'y passait.
Pendant ce temps
le jeu entre les autorités de la ville et les paysans coréens continue, à coup
de déclarations dans les médias. Les coréens, parfaitement conscients de
l'attention dont ils sont l'objet, soufflent le chaud et le froid aux
journalistes qui viennent les interviewer. La police de son coté semble
relativement satisfaite des journées écoulées.
Samedi, avant
dernière journée du sommet de l'OMC.
Le cortège
s'élance. Encore une fois tout le monde tourne au bon endroit, la journée va
donc être calme à part quelques agitations du coté du barrage officiel. Le
barrage en question a été considérablement renforcé avec des grilles et des
blocs de pierre, les journalistes s'entassent sur les cotés de la fortification
dans l'attente des bons clichés. La police n'a laissé qu'une ouverture
d'environ trois mètres de large derrière laquelle peuvent en quelques secondes
s'entasser plus de mille policiers, rien à craindre de ce coté là. Rien à
craindre sauf que si tout le cortège a effectivement tourné au bon endroit, une
nationalité n'a pas encore défilé, ce sont évidemment les coréens, ils sont
très loin derrière et mettront plus d'une demi-heure à apparaître après le
passage du dernier manifestant du tronçon non coréen. Il y a évidemment du
louche là-dessous, et ce qui est curieux c'est que la police ne donne pas signe
de l'avoir compris, à moins que ce ne soit une tactique, mais dont il est
difficile de voir à quoi elle pourrait bien correspondre.
A propos de
l'énorme trou que les coréens ont laissé entre eux et les autres, il est
important de signaler que du début à la fin de ce contre sommet les coréens
prendront le plus grand soin à ce que leurs actions n'aient pas de conséquences
négatives pour les autres. Ils assument et contrôlent ce qu'ils font et ne cherchent en aucune
façon à impliquer les non-violents dans leurs actions. Par ailleurs ils ne
lancent pas de projectiles sur la police, et ne se fondent pas dans une masse
qui les protégeraient et les rendrait anonymes à la première charge, leur façon
de faire est presque à l'opposé de certaines pratiques hélas encore assez
courantes sous d'autres cieux ou l'on
voit les durs à cuire se barrer en
courant et se volatiliser à la première charge en laissant les naïfs derrière
se faire massacrer. Revenons aux coréens, les voilà qui arrivent, les
orchestres sont en pleine forme. Il font une pause devant le premier petit
barrage policier, ils ne semblent pas vouloir tourner au bon endroit. La pause
est brève ils passent "en force", d'un coup. Les policiers
s'écartent. Au croisement suivant la police a eu le temps de s'organiser en
catastrophe et évite le désastre en plaçant des véhicules en travers de la
route. Les coréens tentent de renverser le véhicule le plus gênant tout en se
livrant à quelques corps à corps -toujours à main nues et crânes découverts -
sur les quelques interstices qui restent. Ca ne marche pas. Mais derrière les
coréens continuent d'arriver, et ceux-ci ont remarqué qu'une rue partant dans
une direction presque opposée à celle du bâtiment ou se réunit l'OMC n'est
presque pas gardée. Barrières métalliques renversées, policiers écartés, tout
va très vite.
Nous l'avons déjà
dit, mais il n'est pas inutile de le redire, à aucun moment les coréens ne s'en prennent aux policiers
"en tant que policiers", pas un coréen ne touche les policiers qui se
sont écartés pour les laisser passer.Du coté policier il n'y a pas eu une seule
de ces scènes si fréquentes dans certains pays de manifestants massacrés à 3 ou
5 contre un après avoir été isolés. Certes les choses se jouent souvent sur le
fil d'un rasoir.
Pour des raisons
assez mystérieuses les autorités de la ville ont décidé ce samedi de faire
comme les autres jours et donc de ne pas bloquer les rues principales du centre
ville. En quelques dizaines de minutes les coréens arrivent donc aux portes de
l'OMC. A cet endroit là le périmètre est très difficile à défendre pour la
police car il lui faut s'étirer sur de grandes distances. La nuit est tombée.
Des centaines de policiers rappliquent de toute part en grande tenue. Les
coréens prennent leur temps. Certains d'entre eux rassemblent des barrières
métalliques pour construire,
méticuleusement, un bélier. D'autres encore testent un peu la police sur les
cotés, d'autres sont assis devant la police à d'autres endroits. Les orchestres
paysans redoublent de vigueur.Des centaines de journalistes et de badauds
circulent d'un point à l'autre. Quelques assauts sont lancés. Un groupe a
déniché de grandes perches d'un bois très flexible pour un assaut à la
japonaise. Le chef de la police de Hong Kong apparaît à la télévision pour dire
que tout va bien et que la situation est parfaitement sous contrôle. La réalité
est peut-être quelque peu différente car des indiscrétions filtrent et les
grands de l'OMC semblent ne pas en mener très large. En fait à l'intérieur du
bâtiment on est pas très loin de la panique. Quelques lacrymos commencent à
pleuvoir. Les coréens, soit par méconnaissance des lieux, soit par tactique
délibérée, ne profitent pas de leur avantage en tentant une percée tous ensemble. La police finit par décider
d'attaquer, elle fait usage d'une violence très raisonnable par comparaison aux
pratiques de certaines autres polices. Encore une fois il est difficile de
distinguer le réel de la mise en scène. Quoiqu'il en soit les coréens semblent
assez satisfaits de leur journée, toutes les actions cessent pratiquement d'un
coup et les manifestants sont maintenant répartis en deux grands groupes, ceux
qui ont choisi le pont et les autres. Ceux qui n'ont pas pris le pont, et qui
sont un peu plus de mille, se rassemblent, c'est l'heure des discours, des chants,
des danses,et de manger aussi car les paysans coréens sont intransigeants sur
l'heure des repas. L'ambiance est des plus joyeuses. Le bilan total sera d'à
peine plus d'une centaine de blessés, tous légers.
Les autorités de
la ville n'ont hélas pas tellement apprécié les évènements de la journée, et
pendant que les paysans mangent et dansent, de gigantesques cordons de
policiers équipés du crâne aux orteils les encerclent progressivement, ils se
tiennent d'abord à distance, puis se rapprochent, et cela va donner lieu à la
dernière grande cérémonie de ce contre-sommet, celle des arrestations. Elle
sera longue puisque la scène va durer plus de douze heures. Improvisée à la
hâte ce dernier acte semble être ce que les autorités ont trouvé de mieux pour
équilibrer les comptes. Il faut dire que les millions de hongkongais qui ont
assisté à tous ces évènements derrière leur poste de télévision commencent à se
demander ou est leur police. Les coréens ont très vite compris la situation,
ils savent qu'il est dans leur intérêt de collaborer, ils n'ont d'ailleurs plus
tellement le choix. Les autorités font traîner si longtemps la cérémonie du
camps de prisonniers à l'air libre que beaucoup de citoyens commencent à
retrouver de la sympathie pour les coréens, sympathie qui s'était quand même un
peu dissipée lorsque le centre ville était en proie aux foudres paysannes. Et
c'est peut-être un vieux paysan coréen qui, sans vraiment le savoir, donne le
signal de la sympathie retrouvée ; sans se douter qu'il est en direct à la
télévision il s'avance vers un énorme barrage de policiers et indique par une inclinaison de la tête sur
ses mains jointes qu'il est fatigué et qu'il aimerait bien aller se coucher.
Ses voeux ne seront pas exaucés. Les derniers prisonniers seront évacués de la
place le lendemain dimanche vers midi, après plus de 15 heures passées sur le
goudron. Plusieurs orchestres ont été faits prisonniers, dont l'orchestre
féminin, et les coréens en liberté n'auront plus que quelques tambours
masculins pour leur dernier défilé de dimanche.Avant de partir en prison, les
détenus nettoient volontairement la
chaussée. Précisons également que pendant toute cette semaine les coréens n’ont
pas endommagé un seul bâtiment de la
ville,pas une seule vitrine.
Pendant toutes ces
journées plusieurs questions taraudaient l'esprit. La plupart n'ont pas trouvé
de réponse, notamment l'une d'entre-elles : si 10 000 de ces paysans coréens
débarquaient un jour dans une ville comme Paris à l'occasion d'un quelconque
sommet les concernant, seraient-il capables de gagner les coeurs, y compris,
pourquoi pas, quelques coeurs sarkoziens, comme ils ont su le faire ici, et ce
malgré les attitudes prévisibles de la police française et des médias français
? Nous ne le saurons jamais.
Epilogue presque
coréen.
La cérémonie des
arrestations a concerné environ 1100 personnes, y compris les à coté constitués de quelques dizaines
récupérées à la sortie de l'hôpital. En tout 900 coréens plus 200 autres , asiatiques dans leur immense
majorité.
En cette journée
du mardi 20 décembre, presque tous les coréens ont été relâchés. Il n'en reste
qu'une dizaine enfermés plus un taiwanais et un japonais,et quelques
hongkongais ont été relâché en attente de jugement.. Epilogue prévisible. La
loi devait être appliquée dans toute sa rigueur, photos et films à l'appui,
mais il était difficile de faire défiler 500 coréens devant les juges, alors.
Il y a la diplomatie, évidemment, mais surtout il fallait quand même lancer un
message en direction des tous les habitants
de Hong Kong : surtout ne vous avisez pas d'imiter un jour les coréens. Car les
enjeux locaux et nationaux, épineux, sont encore bien plus importants que ceux
internationaux. Lors de la conférence tenue par les autorités policières au
moment ou les coréens protestaient encore à quelques encablures des encravatés
de l'OMC, quelques occidentaux préposés aux conférences n'ont pas manqué de
poser la risible question : avez-vous songé à faire appel à l'armée populaire
de libération ? Combien de ces paysans savaient qu'à 200 mètres de leur émeute
se tient une caserne de l'armée chinoise qui est venue remplacer les troupes
britannico-hongkongaises qui occupaient les lieux jusqu'en 1997 ?
Les premiers
coréens libérés ont été les femmes, les paysannes musiciennes notamment. Puis
les 900 autres ont suivi, à part la dizaine pour l'exemple. Les autorités
tentent de rendre leur départ assez discret, dès fois que trop de hongkongais
auraient l'idée d'aller les saluer une dernière fois, la larme à l'oeil.
rokakpuos
Lire aussi : OMC : la dernière manif
A regarder : une vidéo de la manif du 17 décembre 2005
Une autre vidéo montrant les "poussées" des coréens contre un barrage policier
Une vidéo montrant les coréens avec des barrières métalliques et des perches contre les policiers
à 16:55