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Depuis plusieurs années on peut douloureusement constater que les conflits sociaux, pour aussi durs et longs qu’ils soient aboutissent de moins en moins à la satisfaction des revendications et que, de guerre lasse, les mouvements de protestation se terminent sans rien avoir obtenu… ou pas grand-chose.
Cette situation est en passe de devenir le pain quotidien des luttes sociales au point que le citoyen, le salarié ne sait plus très bien « quoi faire » et risque de tomber dans le découragement et l’abandon, ballotté par les éternelles promesses des politiciens démagogues.
UN DURCISSEMENT INEXORABLE
Depuis le 19e siècle, les conquêtes sociales, du moins dans les pays développés ne sont pas négligeables. Tant que les revendications sociales (salaires, protection sociale, conditions de travail,…) ont coïncidé avec des conditions compatibles avec l’intérêt du système marchand, elles ont été plus ou moins satisfaites.
Ces conquêtes n’ont jamais été accordées volontairement par les Etats comme ils essaient de nous le faire croire. Elles ont toujours été le fruit d’âpres luttes entre les salariés et les possesseurs du capital et leurs représentants officiels.
Aujourd’hui cette dynamique de conquêtes sociales est en passe de s’enrayer. Pourquoi ?
Ils ne cèderont plus rien parce qu’ils savent que face à la mondialisation marchande ils ne peuvent plus céder, mais également que le mouvement social avec sa stratégie actuelle est impuissant à leur imposer un rapport de force qui les ferait céder
Ils ne peuvent plus céder parce que la mondialisation marchande impose ses conditions par l’établissement d’un marché mondial et parce qu’il a été fait le choix politique, par les Etats, de s’en remettre à lui et quasi exclusivement à lui pour traiter de la condition de la production et des échanges. L’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) - entre autres - n’est que l’expression institutionnelle de cette volonté.
Ils peuvent ne plus céder parce que le mouvement social est à bout de souffle, de perspectives et d’imagination dans sa manière de poser les problèmes et de lutter…. Ses structures vermoulues, bureaucratisées, collaborationnistes et parfois corrompues entretiennent l’illusion que le dialogue et la négociation sont encore possibles et qu’en toute extrémité on aura recours à des formes de luttes dont on sait qu’elles ne donnent plus rien.
Pourquoi les gestionnaires, de droite comme de gauche du système marchand négocieraient-ils puisqu’ils savent désormais que leurs mesures passeront ?
La porte est donc ouverte pour le système de « récupérer » tout ce qu’il a du concéder au cours des décennies précédentes. Désormais, les conditions économiques mondiales, mais aussi politiques, sont favorables au développement du capital avec le minimum d’entrave. Désormais les conditions sont mures pour liquider l’ensemble des acquis sociaux et revenir sans entraves sociales aux fondamentaux du système marchand : bas salaires, absence de protection sociale, durée de travail illimitée (pour celles et ceux qui en trouvent), concurrence effrénée entre salariés pour avoir un travail,…
Ils savent d’autre part qu’en l’absence de toute alternative politique sérieuse, et avec un système électoral complètement verrouillé ils ne courent aucun risque de se faire éconduire… Si ce n’est pas la Droite qui passe, c’est la Gauche et réciproquement… Rien ne peut changer.
UN MOUVEMENT SOCIAL DESORIENTE
Les vieilles méthodes de contestations sociales héritées du 19e siècle ne marchent plus. Elles ont bien servi, mais aujourd’hui elles ne sont manifestement plus adaptées aux nouvelles conditions géopolitiques de la valorisation du capital et, de manière générale, à la mondialisation marchande.
Le problème c’est que les organisations syndicales ont tout intérêt à cacher cette réalité et à continuer à faire croire qu’elles servent, défendant par là même des, leurs, intérêts bureaucratiques parfaitement compatibles avec le fonctionnement du système marchand. D’ailleurs le système ne s’y trompe pas et souhaite des syndicats « responsables », « intégrés » et « respectés » par leurs adhérents.
Les salariés qui n’avaient jamais très bien compris la division syndicale et doutent de plus en plus de l’efficacité des manifestations, pétitions, délégations et même de la grève, voient aujourd’hui les dégâts d’une telle situation, d’un tel autisme syndical.
Le mouvement social, revendicatif, va d’échec en échec avec des défaites d’une ampleur inégalée et inestimable : retraites, protection sociale, service public, emploi, droit du travail. Les salariés ne sont plus vaincus sur des revendications catégorielles, mais sur les fondements même de leur statut et la remise en question des fondements historiques de leurs acquis sociaux.
Ce ne sont plus quelques batailles que nous perdons, mais carrément la guerre.
Le discours des bureaucraties syndicales qui essayent d’atténuer l’amertume en déclarant « victoires » des « défaites », ou en faisant croire que « le combat continue » malgré la « reprise du travail », passe de moins en moins.
La désyndicalisation, l’abattement gagnent les troupes. Les taux de participations aux grèves de moins en moins efficaces sont en chute libre.
L’impression est entrain de dominer qu’ « ils ne cèderont plus rien » et que l’on n’a pas/plus les moyens de les faire céder… le temps de la « démerde » individuelle est arrivé.
QUE FAIRE ?
Certainement pas continuer à fonctionner comme jusqu’à présent…
Ne pas sortir de cet impasse c’est à terme courir à la catastrophe, à l’accroissement des inégalités, de l’exclusion avec toutes les dérives sociales et politiques qui peuvent s’ensuivre. C’est de situations identiques qu’ont surgit l’état fort, le fascisme, car devant l’accroissement de la tension sociale et l’impossibilité de dépasser la situation, le système marchand ne reculera devant rien, comme il l’a déjà fait dans le passé, pour assurer sa pérennité. La réaction du système craignant pour sa survie avec l’aide d’un état fort sur un corps social politiquement affaibli est la porte ouverte aux pires aventures.(voir l’article « LA TENTATION DU PIRE »)
Certes l’Histoire ne se répète pas, les conditions n’étant jamais les mêmes, mais le manque de perspective, le blocage d’une situation, une révolte sociale aux multiples aspects qui gronde ne peuvent ouvrir à terme que sur des évènements dramatiques… et ce ne sont évidemment pas les prochaines échéances électorales qui peuvent constituer une issue, au contraire, elles peuvent être le début de la dégringolade…
Il s’agit donc de repenser l’action politique de fond en comble. L’issue n’est certainement pas dans une solution bien ficelée et qui plus est serait apportée par une quelconque organisation ou homme/femme providentiel-le… comme beaucoup le croient encore.
L’engagement citoyen ne doit plus être une figure de style ou se résumer à une simple intention de vote. On n’en est plus là… si tant est que l’on y fut un jour.
L’engagement doit être concret, dans la volonté exprimée de luttes pour sauvegarder les acquis, mais aussi dans la volonté de changer les rapports sociaux. La « pensée unique » en matière de contestation sociale, car il y en a une garantie par la Gauche et les syndicats, doit être dépassée… par la remise en question des évidences.
Pour ce qui est des luttes, repenser la manière d’agir, adapter la forme aux conditions nouvelles de fonctionnement du capital. Faire d’une lutte non seulement l’affaire des salariés concernés mais du reste de la population.(salariés-usagers-clients même combat !). Toute lutte est un tout qui ne peut laisser indifférent les autres secteurs et usagers. – voir l’article « LES FORMES DE LUTTES EN PERIODE DE DECADENCE ».
Pour ce qui est de la volonté de changement des rapports sociaux, il faut bien prendre conscience qu’ils ne changeront pas tout seuls et que ce ne sont pas les gestionnaires, de gauche comme de droite, du capital au pouvoir qui le feront. Il s’agit donc de prendre des initiatives, dans les domaines où elles peuvent être prises et d’en étendre peu à peu le champ. – voir l’article « SUR LES STRUCTURES ALTERNATIVES ».
Nous savons désormais à quoi nous en tenir en matière de revendication.
Nous savons également à quoi nous en tenir en matière de « changement ».
Ne pas réagir c’est sombrer dans l’individualisme qui nous livrera pied et poings liés au exigences du système.
Réagir c’est aller à l’encontre d’un certain nombre d’évidences, de vieux réflexes transmis et acquis, d’institutions, d’organisations qui nous apparaissent encore comme vénérables mais qui sont de véritables « miroir aux alouettes », des pièges à naïfs.
Réagir c’est cesser de croire à la fable des « élections-moyen de changement ».
Réagir, c’est faire preuve d’une inventivité dans les luttes et dans la pratique sociale comme l’ont fait nos prédécesseurs au 19 e siècle.
Réagir c’est se dépasser et jeter les bases de relations sociales nouvelles.
Patrick MIGNARD