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L'amiante: le poison des patrons assassins
LE CAPITALISME, c'est ce système où des gens fabriquent ce qui les tue. Avant la fin de l'année, en France, au moins 3 000 personnes décéderont d'un cancer dû à l'amiante, et on attend, d'ici à vingt ans, 100 000 victimes de plus, selon certaines évaluations médicales. On sait le produit dangereux depuis 1906, cancérigène depuis 1950 et pourtant il a fallu attendre 1997 pour qu'il soit interdit. Qu'est-ce que la maladie de l'amiante à l'origine? Une maladie professionnelle, contractée par les ouvriers, ces victimes appartenant à un groupe social « désuet », que les pouvoirs publics ont laissés exposés, et cela sans fixer, jusqu'à une date récente, de normes sérieuses censées les protéger.


Cette non-assistance à travailleurs en danger, on la doit à un comité fantôme, monté par des industriels du secteur et dans lequel siégeaient des représentants des syndicats et des pouvoirs publics qui considéraient le mal comme « socialement acceptable ». Ce "crime social » emblématique du capitalisme est le lourd prix payé pour l'enrichissement de multinationales et la croissance à tout prix. Mais le scandale de l'amiante n'a pas fini d'estomaquer: alerté il y a plusieurs mois de l'existence d'un document où est décrite noir sur blanc la façon de saboter les demandes d'indemnisation des victimes, le Sénat a gardé le secret, protégeant ainsi le groupe Total, auteur du manuel! Et, aujourd'hui, les industriels n'ont-pas baissé les bras et continuent de vendre leur poison à bon nombre de pays, où souvent les conditions de travail sont quasi médiévales.

Contamination: mode d'emploi

Le travail vous donnait déjà des boutons, sachez que c'est un tueur en série. La dernière enquête Sumer (1), rendue publique par le ministère de l'Emploi, montre que 3,5 millions de salariés en France sont exposés à des substances cancérigènes, mutagènes, et toxiques. L'exposition professionnelle à ces produits est, comme on s'en doute, dangereuse: cancers, stérilité et malformation des enfants, allergies, etc. Au moins 11000 des 280000 cancers qui se déclarent tous les ans seraient dus à l'exposition à des cancérogènes sur le lieu de travail. L'impact sur la santé est un sujet croissant d'inquiétude, et certains spécialistes redoutent déjà une catastrophe sanitaire, tant les carences dans la prévention des risques professionnels sont réelles. C'est près de 90 % des produits chimiques commercialisés dans l'UE qui n'ont jamais été évalués publiquement: on n'en connaît donc pas les effets précis sur la santé et l'environnement En outre, incroyable, mais vrai: c'est aux -salariés contaminés, qui ignorent souvent tout de la dangerosité des produits qu'ils manipulent, de faire la preuve du lien entre leur travail et leur maladie pour espérer un jour la reconnaissance du préjudice et peut-être assigner en justice l'employeur.
Cela rend d'autant plus répugnant le discours sur la nécessité de réduire les dépenses de santé, alors que les industriels ne cessent de provoquer de nouvelles maladies avec les produits qu'ils fabriquent et répandent. La directive européenne appelée « Reach », que les eurodéputés auront à voter cette année et qui vise à établir un système d'enregistrement, d'évaluation et d'autorisation de ces produits - sous la pression du lobby industriel de la chimie surpuissant et farouche adversaire du projet -, pourrait reprendre toutes les exclusions réclamées par ces professionnels. Des quelque 30 000 produits recensés, seuls 10 000 seraient soumis à des tests approfondis. La politique communautaire est en de bonnes mains: à quand un permis de tuer pour les entreprises ?
Le nombre des accidents du travail et des maladies professionnelles est effrayant: le Bureau international du travail (BIT) révèle que le nombre de salariés morts au travail dépasse, par an, les 2 millions de personnes dans le monde. En France, d'ici à la 'fin de l'année, plus de 600 travailleurs seront tués, et au moins 3 000 décéderont de maladie due à l'amiante. Et c'est compter sans les 40 000 qui seront obligés d'arrêter de travailler à cause d'une maladie grave ou invalidante due à leur emploi.
On dispose pourtant en France d'une législation en matière de santé et de sécurité au travail, seulement le droit n'est pas appliqué: l'Inspection du travail souffre d'un sous-effectif chronique, et les inspecteurs n'ont pas les moyens d'infliger des amendes aux employeurs qui mettent en danger les salariés. Côté médecine du travail, un décret discrètement publié cet été a fait grimper de 2 700 à 3 300 le nombre de salariés qu'il revient au médecin d'examiner: la contrepartie, c'est que les employés qui n'exercent pas un métier jugé à risque ne bénéficient plus d'une visite médicale annuelle et sont priés d'être en bonne santé une année sur deux!
Cette souffrance silencieuse des salariés au travail, c'est la redevance versée à la compétitivité et à la mondialisation, une sorte d'« impôt du sang ». Il nous faut sortir au plus tôt de ce système où la vie et la santé de l'individu ne valent pas grand-chose. Il n'y qu'une porte de sortie !

Thierry
groupe de Rouen

1.Sumer: Surveillance médicale des risques professionnels.

Le Monde libertaire #1414 du 3 au 9 novembre 2005
Ecrit par libertad, à 22:20 dans la rubrique "Pour comprendre".



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