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La novlangue du néo-libéralisme : Propriété (privée !)
Sous la rubrique « La novlangue du néo-libéralisme », A Contre Courant se propose de passer régulièrement au filtre les mots clefs de cette langue qui enseigne la soumission volontaire au monde actuel, en le faisant passer pour le meilleur des mondes ou, du moins, le seul monde possible. En espérant ainsi permettre à tous ceux qui subissent ce monde éprouvé comme une prison de se (ré)approprier un langage adéquat à leurs propres intérêts et au combat pour s'en libérer. La première édition de cette rubrique était consacrée au "marché" (ACC n° 184, mai 2005). La deuxième édition, ci-dessous, est consacrée à "la propriété privée".



Propriété (privée !)

Le vaste mouvement social altermondialiste peut d'ores et déjà se targuer d'un certain nombre de victoires. Par l'ampleur et la diversité de ses mobilisations répétées au fil des ans, il est parvenu, entre autres, à tenir en échec le projet d'Accord multilatéral sur l'investissement (AMI) comme à imper dans l'opinion publique européenne le débat sur l'instauration d'une taxe sur les transactions monétaires et financières internationales (taxe «Tobin»). Nous pensons cependant que, sous peine de se trouver rapidement récupéré par l'aile la plus lucide des partisans de l'ordre existant et de décevoir bon nombre de ses membres, il ne peut se contenter de défendre des projets visant seulement à (re)réglementer les échanges désormais mondialisés de marchandises et de capitaux. Car il ne suffit pas de répéter que le monde n'est pas une marchandise, il faut encore comprendre et dénoncer le régime de propriété qui, inéluctablement, tend à tout transformer en marchandises. En un mot, le combat contre le néolibéralisme doit désormais passer à la vitesse supérieure et rouvrir théoriquement et politiquement la question de 1a propriété privée des moyens de production.

Des confusions intéressées

Depuis le XVII le siècle, le droit de propriété constitue l'un des pivots de la pensée politique et juridique occidentale. La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 en fait, en son article 17, « un droit invidable et sacré, (dont) nul ne peut être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique légalement constatée l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité.» C'est là une formulation modérée (que l'on retrouve dans le droit français ultérieur), puisqu'elle pose quand même à ce droit «inviolable» des limites qui ont effectivement été imposées à certains moments de notre histoire. En revanche, à l'instar de la Constitution des Etats-Unis, d'autres constitutions ou ordres juridiques nationaux ont tendu à privilégier l'approche absolue de la propriété défendue par le libéralisme. Celle-ci postule que la propriété des biens ne doit, hormis des strictes exigences d'ordre public, connaître aucune entrave relative à l'usage (usus), à la mise en valeur (fructus) et à (aliénation (abusus).
La sacralisation de la propriété individuelle, aux dépens des différentes formes de la propriété publique et de la propriété sociale (1), repose sur plusieurs confusions grossières. Quant à la nature du bien possédé, en premier lieu : on met en effet sur le même plan à la fois les biens à usage personnel, dont les individus jouissent seuls ou à titre de membre d'un groupe familial ou d'un ménage, et les moyens nécessaires à leur production (terre, immeubles, infrastructures productives, usines et magasins, etc.). A quoi s'ajoute, en second lieu, une confusion bien plus grave encore sur le rapport entre le bien possédé et son possesseur, autrement dit sur le contenu même du rapport de propriété : on met alors sur le même plan la possession individuelle d'un bien (qu'il s'agisse d'un bien de consommation ou d'un outil de travail) qui résulte, à un titre on à un autre, du travail personnel de son propriétaire, et la possession individuelle d'un bien qui résulte, surtout lorsqu'il s'agit d'un moyen de production, de l'appropriation privative de tout ou partie d'un travail social (collectif). Au terme de cette double opération, la possession par un individu d'un logement, fruit de son labeur personnel, est assimilée à la propriété privée de moyens de production - qui peuvent être des systèmes de production ou de communication immenses - résultant de l'accumulation, des décennies durant, des fruits de la coopération de dizaines voire de centaines de milliers de travailleurs salariés. La forme capitaliste de propriété, sous laquelle se réalise la domination et l'exploitation du travail salarié, peut ainsi se donner comme la condition de la liberté personnelle, masquant ainsi son illégitimité fondamentale.
Pareilles confusions masquent mal la formidable contradiction qui gît au caeur de cette appropriation privative du travail socialisé, qui constitue l'essence de la propriété capitaliste. Contradiction que le capitalisme ne cesse de reproduire à une dimension toujours élargie. Le capital socialise le procès de travail, en organisant la coopération des travailleurs à vaste échelle, en divisant les tâches productives entre eux, en accroissant sans cesse la part de travail mort, matérialisé dans les matières et les moyens de travail, par rapport au travail vivant (la dépense immédiate de forces de travail). Si bien que toute marchandise, de la botte de petits pois jusqu'à l'infrastructure productive la plus sophistiquée (une raffinerie pilotée par ordinateur par exemple), est la matérialisation et la sommation d'innombrables actes productifs, répartis dans l'ensemble de l'espace mondial et du temps historique. C'est ce travail socialisé que le capital enferme pourtant dans le cadre de la propriété privée, de sorte que les résultats d'une coopération vaste et complexe sont appropriés par des individus ou des groupes limités.
Cette contradiction est à la racine des crises capitalistes. Celles-ci résultent toujours en dernière instance de ce que trop de travail (travail vivant et travail «mort», cristallisé sous forme d'équipements) a été engagé sous forme de travail privé (d'investissements d'entrepreneurs ou de groupes privés) par rapport à la somme de marchandises que la société peut absorber sous forme de moyens de production et de biens et services de consommation, dans le cadre des rapports capitalistes de propriété et de distribution. Contradiction dont résulte immanquablement à la fois la crise de réalisation (l'impossibilité de vendre tout ce qui a été produit) et la crise de valorisation ((impossibilité de valoriser le capital à un taux suffisant pour permettre et susciter son accumulation continue).

Les formes contemporaines de dictature de la propriété privée

L'un des buts et des résultats majeurs du processus de libéralisation, de déréglementation et de privatisation des deux dernières décennies - processus encore inachevé pour ceux qui ne lui voient pas de limites - a été d'étendre considérablement la sphère de la propriété privée. La contradiction entre la socialisation du travail et l'appropriation privative de ses fruits s'en trouve encore accrue, mais ce n'est pas là le souci du capital ou de ses défenseurs libéraux. La question de la forme de la propriété des moyens de production, de communication et d'échange est devenue une question taboue pour les dirigeants syndicaux et politiques, comme pour la majorité des intellectuels de gauche. Elle ne l'est pas pour la bourgeoisie mondiale. Pour cette dernière, la propriété a une importance stratégique dont ses différentes rampantes nationales et sectorielles ne font pas mystère. Les grands groupes industriels et financiers, les médias à leur service et les institutions internationales du capitalisme, n'ont eu de cesse de lancer campagne sur campagne contre ce qui reste de la propriété publique. Ils réclament et ils obtiennent des gouvernements le démantèlement et la privatisation de tous les secteurs, notamment dans les services, qui échappent à la valorisation directe du capital, et cela même dans les cas où la propriété publique de services publics clefs, précédemment marqués par un sous-investissement chronique, a servi pendant un demi-siècle de soutiens permanents à l'accumulation du capital. Ils se préoccupent donc vivement de l'extension du champ de la propriété privée, de même qu'ils s'intéressent aux formes qui satisferont le mieux les exigences du capital financier, dont des fonds de pension et de placement financier sont aujourd'hui le coeur.
Depuis dix ans, en effet, on assiste au sein de la sphère même du capital privé (et même dans des entreprises qui sont toujours restées privées), à une transformation profonde de la définition même de la propriété, des «droits» qui lui sont afférents (ceux de l'actionnariat devenu tout puissant) et des attentes que les actionnaires pourraient avoir «légitimement» en terme de rentabilité de leurs parts de propriété. Ici la «contre-révolution conservatrice» néo-libérale prend appui sur la revitalisation contemporaine de cette institution très particulière du capitalisme qu'est le marché secondaire de titres (la Bourse). Cette institution garantit aux actionnaires, en deçà des crises financières graves, la «liquidité» de leurs actions, la possibilité de se défaire à volonté de cette fraction de leur propriété qui a pris la forme des parts de telle ou telle entreprise. Les marchés boursiers sont passés en quelques années du statut de marchés où se négocient des titres à celui de marchés où les entreprises sont négociées, échangées, agglomérées ou démantelées. II y a une quinzaine d'années encore, il était de bon ton d'ironiser sur les «jeux de mécanos» des ministères de l'Industrie. Ils ont été dépassés, et de très, très loin, par ceux des marchés boursiers, aussi bien en dimension qu'en démesure et en gaspillages. La propriété des titres étant devenue liquide, les actionnaires estiment que le capital physique (les moyens de production) et surtout les salariés doivent avoir la même «liquidité», la même flexibilité, avec la possibilité d'être jetés au rebus. Et c'est ainsi que le conseil d'administration d'un fonds de pension, largement anonyme, peut décider du jour au lendemain de la restructuration ou de la fermeture de dizaines d'établissements industriels et, à travers eux, du licenciement de centaines de milliers de travailleurs, dans le seul but de «créer de la valeur» pour l'actionnaire.
Comme si cela n'était pas suffisant, le capital financier multiplie les pressions pour faire main basse sur les différentes formes socialisées du rapport salarial, les différents systèmes de protection sociale sur fonds publics, édifiés au cours de décennies passées, notamment en réponse aux luttes des travailleurs visant à s'assurer des protections collectives contre la propriété capitaliste. La transformation des régimes de retraite par répartition au profit de fonds de pension, tout comme les incitations fiscales à développer des formules d'épargne salariale, fournissent deux exemples parmi d'autres possibles de la tentative de s'approprier, sous forme d'assurances privées, dont la maxime est «à chacun selon ses moyens (contributifs)», la part de la richesse sociale, produit du travail social, jusqu'à présent socialisée (redistribuée) sous formes de fonds publics fonctionnant selon le principe «à chacun selon ses besoins». Tandis que ce que vise l'Accord général sur le commerce des services (Agcs), dont la négociation est à l'ordre du jour à l'Omc, c'est, sous couvert de liberté de l'investissement et de l'offre marchande de services privés, la transformation des services publics (notamment d'enseignement et de santé) en marchés accessibles, comme aux Etats-Unis, uniquement à ceux qui ont les moyens monétaires de satisfaire des besoins versité. C'est sur l'ensemble des conditions tant matérielles qu'intellectuelles du procès de production, couvre du travail historique-social de l'humanité, que le capital entend désormais faire main basse en les livrant à l'appropriation privative marchande. Cet objectif tient à la place prise par la science et la technologie (la connaissance comme «force productive directe») dans !a concurrence capitaliste et il a aussi comme ressort la nécessité pour le capital de trouver continuellement de nouveaux champs de valorisation afin de repousser le moment où les crises éclatent. Mais il correspond aussi à l'une des tendances les plus profondes du capitalisme, qui le distingue de toutes les formes d'organisation sociale qui l'ont précédé, à savoir le mouvement qui le pousse vers une appropriation «totale» de l'ensemble des conditions de la praxis sociale, pour faire de ceux-ci autant de médiations de son mouvement de reproduction et de survie(2)
La «protection de la propriété industrielle» est au coeur de la question du prix - expression de leur position de monopole collectif - que les grands groupes pharmaceutiques occidentaux ont voulu imposer aux pays pauvres, dont l'Afrique du Sud, pour l'accès aux thérapies contre le sida, en même temps qu'ils engageaient des procédures pour à obtenir que l'Inde et le Brésil se voient interdire la production et la vente, même chez eux, des produits génériques combattant les effets de la pandémie. Une vaste campagne internationale a été menée, qui s'est ensuite prolongée dans la conférence de l'OMC à Doha. Les groupes pharmaceutiques ont fait de petites concessions, mais la «protection de la protection industrielle» et le régime des brevets n'ont pas été mis en cause, pas plus que leur extension au vivant. I! faut donc en parler ici.
Chaque fois qu'un groupe transnational pharmaceutique appose son brevet sur un médicament, il s'approprie, pour en faire un élément de renforcement d'une position monopoliste et la base d'un flux correspondant de profits et de redevances de royalties de licences, des connaissances scientifiques produites socialement et financées publiquement(3). Le produit breveté est toujours la conséquence à la fois d'une longue accumulation générale de savoirs faire indépendamment du groupe qui brevète et le résultat de travaux précis de chercheurs qui travaillent, sur financement étatique, dans les laboratoires publics et universitaires d'un ou souvent de plusieurs pays, ou alors dans de petites firmes. Le brevet organise et défend juridiquement ce processus de d'expropriation des chercheurs et des pays qui les financent - ou au mieux de paiement de leur contribution à vil prix ou, pour ceux qui sont prêts à se laisser acheter, avec la nouvelle monnaie de singe que sont les stock options. Ce brevet permet ensuite aux groupes oligopolistiques de transformer le savoir social ainsi privatisé en mécanisme d'extraction de flux de rentes et en instrument de domination sociale et politique. En 1942, il n'existait ni aux Etats-Unis ni dans l'écrasante majorité des pays du globe, de brevetage des médicaments(4). La production de la pénicilline inventée par Fleming a pu donc se diffuser très vite et à faible coût et sauver très vite des dizaines de milliers de vies humaines. Cinquante ans plus tard, en revanche, au moment où se finalise le Traité de Marrakech, les Etats-Unis ont pris la tête du lobby des groupes pharmaceutiques pour imposer à l'ensemble des pays membres de l'OMC, quels que soient leurs ressources ou leur niveau de développement, l'adoption dans des délais très courts du droit de la protection de la propriété intellectuelle auxquels même les pays de l'OCDE ne s'étaient ralliés qu'avec énormément de lenteur et de réticences.
Le brevet est l'une des formes de la propriété privée capitaliste dont la légitimité parait la plus contestable, voire inexistante, aux yeux des centaines de milliers de femmes et d'hommes qui sont attentifs de par le monde aux positions du mouvement social contre la mondialisation libérale. II faut en désigner le sens sans faire de concession. D'autant plus que l'extension internationale actuelle de la protection industrielle aux gènes ou aux séquences de gènes des végétaux et des animaux, dont ceux de l'espèce humaine, heurte les principes juridiques et éthiques et suscite une très forte résistance dans de très nombreux pays. Que représente en effet le brevetage systématique du vivant, si ce n'est une appropriation privative des mécanismes de production et de reproduction biologique qui sont et devrait rester le patrimoine de l'humanité tout entière ? L'UNESCO protège à juste titre des villes et des sites des ravages de la privatisation. Le patrimoine biologique devrait-il être traité différemment sous prétexte que son appropriation privative est potentiellement source d'énormes profits oligopolistiques ? Le processus de soumission au droit de la «protection de la propriété industrielle», donc la privatisation des molécules et des gènes récoltés par les équipes des groupes pharmaceutiques et agro-chimiques dans les pays tropicaux, a pu être été caractérisé comme une «nouvelle étape des enclosures» (Vandana Shiva). Parallèlement le développement d'organismes génétiquement modifiés (OGM), leur substitution plus ou moins forcée aux plants traditionnels dans l'agriculture, traduit un processus analogue, parachevant l'expropriation des producteurs, ici les agriculteurs, à l'égard de la possession et de la maîtrise de leurs propres moyens de production et, partant, de leurs conditions d'existence.

Arrêter une fuite en avant désastreuse

La propriété privée et les droits qu'elle confère sont au coeur de la crise écologique. Celle-ci s'enracine dans le fait que la valeur d'usage, ici celle des ressources naturelles du globe et la biosphère, n'intéresse le capitalisme que pour autant qu'elle peut servir de support à la valorisation marchande en vue du profit. Elle est la conséquence du productivisme aveugle et à horizon court dont la recherche du profit est porteur et que la domination des investisseurs financiers aggravent encore. C'est la propriété privée du sol, du sous-sol et de leurs ressources qui est le fondement de leur exploitation débridée. Ce sont pourtant des extensions ou des applications de l'appropriation privée qui sont prônées comme offrant la solution à la crise écologique. Ainsi la Convention de Rio (1992) généralement présentée comme une étape importante dans la protection de l'écologie planétaire est en fait un vecteur du renforcement des droits du capital sur la nature. Elle reconnaît certes que les paysans et les communautés ont utilisé et conservé les ressources génétiques depuis des temps immémoriaux, mais elle ne leur accorde aucun droit de gestion ou de propriété sur ces ressources. Sous la pression des Etats-Unis, la Convention exclut une partie décisive de ces ressources localisées dans les banques nationales et internationales de gènes, source de profits pour les groupes alimentaires qui vendent les semences. La philosophie de cette approche a été donnée par l'OCDE : «La préservation des ressources de la biodiversité serait mieux assurés si elles étaient privatisées, plutôt que soumises à un régime de libre accès, dans lequel les utilisateurs pratiqueraient une exploitation à court terme selon le principe un "premier arrivé, premier servi'.. C'est dans ce cadre de «régulation par la privatisation», qu'il faut situer les discussions au sein de l'OMC, dont une préfiguration se trouve dans les conséquences sociales et environnementales désastreuses de l'exemple de l'Accord de Libre-échange Nord-Américain (ALENA) (6).
Les derniers rapports de la commission scientifique des Nations unies établissent que la dégradation de la biosphère a atteint un point tel qu'il est devenu prévisible que pour certaines régions et communautés qui y vivent, situées dans des pays du «Sud» ou de l'ancien «Est», les conditions physiques de la reproduction de la vie en société sont désormais menacées à court terme (entre une et trois générations). Les gouvernements des pays capitalistes développés et les institutions internationales n'en considèrent pas moins que c'est toujours en termes de droits de propriété et de marchés où ces «droits» se négocieraient qu'il faut raisonner. C'est à cela qu'ont abouti en effet les négociations tenues en Allemagne puis aux Pays-Bas consécutives à l'accord de Kyoto (1997). L'émission et la négociation marchande de «droits à polluer», qui ouvriront un nouveau champ à la spéculation financière, ne traduisent pas simplement le choix des Etats-Unis. Le choix de ce qui est présenté comme un simple «outil technique» vient réaffirmer le caractère intangible de la propriété privée ainsi que des droits qu'elle confère de destruction des conditions sociales de reproduction de certaines parties du monde, afin de défendre les privilèges des autres et de faire perdurer un mode de développement dont la filière pétroautomobile est la cheville ouvrière.

Quelques fils conducteurs pour orienter la discussion

De quelque côté qu'on se tourne, l'institution de la propriété privée, dont le libéralisme a accru et continue à étendre l'emprise, aiguise la contradiction entre le caractère social des moyens de production et des ressources naturelles et les effets directs et indirects socialement et écologiquement de plus en plus désastreux de leur appropriation privative. Celle-ci ne fait pas que stériliser le développement des capacités productives des femmes et des hommes qui composent la société - au plan matériel, politique et psychique - mais conduit encore à l'involution de ces capacités en autant de forces destructrices. Ainsi une part très importante de la recherche scientifique et technologique est-elle orientée vers des objectifs militaires ou dirigée vers l'appropriation-expropriation du vivant. Mais c'est aussi la vie quotidienne qui est contaminée. C'est parce que les individus se trouvent prisonniers d'un processus de privatisation poussé à ses extrêmes conséquences, donc privés de toute insertion dans un ordre symbolique collectif, dans un «habitat» imaginaire commun, qu'un nombre grandissant d'entre eux peinent à construire, maintenir et développer leur identité personnelle et, partant, à communiquer avec les autres comme à participer activement à l'appropriation (ou la réappropriation) de leurs conditions d'existence, sous la forme d'un combat politique. Comme aux autres niveaux de manifestation de la contradiction, la privatisation (le repli individualiste) stérilise ici les forces productives (en l'occurrence symboliques et imaginaires) développées et les potentialités de création individuelle et collective ouvertes par la socialisation.
Compte tenu de ces multiples facettes de la question de la propriété, le mouvement contre la mondialisation libérale doit, comme premier pas, lancer dans le respect de ses nombreuses composantes et sensibilités, une discussion collective qui doit s'inspirer des principes suivants.
La Terre et l'ensemble de ses richesses, qu'elles soient minérales, végétales ou animales, doivent âtre tenues comme le patrimoine commun et indivise de l'humanité tout entière, présente et à venir. Toute appropriation privative de ces richesses, en tout ou seulement en partie, est fondamentalement illégitime. II ne peut être reconnu tout au plus à toute partie de l'humanité (individu ou collectivité) qu'un droit d'usage sur une partie de ces richesses; droit assorti de l'expresse condition que cet usage ne soit pas préjudiciable au restant de l'humanité, présente ou future. Il faut donc montrer l'illégitimité de la grande propriété privée foncière, dont l'effet est soit de stériliser les terres en interdisant leur occupation (c'est ta cas de grandes parties du Brésil), soit d'en détruire à vive allure les ressources (c'est le cas de la forêt amazonienne). II faut donc aussi appuyer les luttes paysannes visant à se réapproprier la terre. A fortiori faut-il continuer, plus que jamais, à s'opposer à toute tentative d'appropriation privative des -mécanismes de reproduction biologique, à travers le brevetage de séquences du génome des organismes vivants ou la production d'OGM) ; de même qu'à l'établissement d'un marché des droits à polluer. Du côté de ceux qui combattent aujourd'hui la mondialisation libérale, on constate simultanément une forte conscience de l'existence d'un lien entre ces dégradations et la libéralisation et la déréglementation qui mettent le pouvoir économique effectif entre les mains des «marchés», mais aussi une réticence à directement mettre en cause les formes dominantes de la propriété des moyens de production, de communication et d'échange.
En second lieu, la propriété privée ( l'appropriation privative) de moyens sociaux de production (moyens produits par un travail socialisés et ne pouvant être mis en oeuvre que par un travail socialisé) doit également âtre tenu pour fondamentalement illégitime. La propriété de pareils moyens appartient à la société (potentiellement l'humanité dans son ensemble), les travailleurs qui les mettent en oeuvre n'ayant pour leur part qu'un droit d'usage subordonné à cette propriété sociale. Un premier pas consisterait à affirmer la supériorité du droit des travailleurs sur celui des propriétaires-actionnaires et des managers, notamment pour tout ce qui concerne les décisions affectant directement leurs conditions de travail et d'existence. Mais il faut aussi défendre le principe que les questions relatives à la production et à l'usage de ces moyens - les lieux de leur implantation, les choix technologiques pour leur développement - relèvent d'abord de la décision de la société toute entière, et ensuite de celle du travailleur collectif qui en a l'usage productif. La prise des décisions à leur sujet devant emprunter des formes démocratiques renouvelées.(8)
A fortiori, l'appropriation privée de moyens sociaux (publics ou socialisés) de consommation - les équipements collectifs, les services publics, les fonds socialisés de protection sociale doit elle être tenue pour fondamentalement illégitime. La propriété de pareils biens et services est l'oeuvre inaliénable des communautés socio-politiques (communes, régions, nations, groupes de nations) qui les ont historiquement constitués et auxquelles seules, sous la forme de la délibération et de la décision démocratiques, doit revenir le pouvoir de les diriger et de les administrer.
Deux idées à méditer pour finir. La richesse sociale produite aujourd'hui est le résultat non seulement d'un travail vivant largement socialisé, mais encore du travail antérieurement accumulé sous forme de connaissances scientifiques et de moyens de production qui sont le produit de l'humanité passée tout entière. A ce titre, tout individu a droit à une part de cette richesse. La concrétisation de cette idée peut prendre des formes multiples, concrétisant le vieil adage, « de chacun selon ses possibilités, à chacun selon ses besoins». De ce fait, la totalité du savoir humain, comme plus largement du patrimoine culturel de l'humanité, doit être considérée comme la propriété commune et indivisible de l'humanité. Tout homme et femme doit donc jouir du droit inaliénable à l'usage de ce savoir et de cette culture. Aucun obstacle économique ou politique, ne saurait être dressé sur la voie de cet usage, à l'expresse condition qu'il ne nuise pas au restant de l'humanité. II importe au contraire que tout le savoir humain et ses instruments de production et de diffusion (y compris électroniques) soient versés dans le domaine public et mis gratuitement à la portée de tous. C'est ce qui fonde l'opposition à tous les projets de privatisation du savoir ou de ses modes de diffusion du type qui est en discussion à l'OMC, ainsi que l'exigence de repenser les conditions de la démocratisation de l'enseignement.

Alain Bihr (ACC) et François Chesnais (Carré Rouge)(9)

1 Voir avec des approches différentes quant au sens exact de ces tomes, Yves Salasse, Réformes et révolution propositions pour une gauche de gauche, Contre-faux, Agone, Marseille, 2001 et Robert Castel dans son dialogue avec Claudine Haroche Propriété privée, propriété sociale, propriété de soi, Fayarol, Pans, 2001.
2 Voir Alain Bihr, La reproduction du capital: prolégomènes à une théorie générale du capitalisme, Cahiers libres, Editions Page deux, Lausanne, 2001.
3 Voir Français Chesnais, La mondialisation du capital, Coll. Alternatives économiques, Syros, Pais, 1997.
4 Voir Mohamed Larbi Bouguerra, Dans «la jungle pharmaceutique », Le Monde Diplomatique, mars 2001.
5 Voir le livre coordonné par Jean-Pierre Berlan et son chapitre sur fa brevetabilité du vivant en particulier, La guerre au vivant: OGM et mystifications scientifiques, Contre-feux, Agone, Marseille, 2000.
6 J. Martinez-Alier Getting Down to Earth : Practical Applications of Ecological Economics, Island Press, Washington, D.C., 1996.
7 Cf Alain Bihr, «Le traumatisme ordinaire » in L actualité d'un archaïsme, Editions Page deux, 1999.
8 Voir sur ce point les propositions de la Fondation Copenic dans sa publication sur l'appropriation sociale.
9 Cet article est une version développée de celui paru sous le titre « A bas la propriété privée» dans Le monde Diplomatique en novembre 2003.

Lire aussi :

A Contre Courant #167 août 2005

Ecrit par libertad, à 22:48 dans la rubrique "Pour comprendre".

Commentaires :

  libertad
21-10-05
à 09:16

Le texte comprend quelques coquilles dues au scannage. Elles seront enlevées dès que possible
Répondre à ce commentaire

  Achille Zapata
21-10-05
à 10:45

Re:

Enlevez le Q de la coquille, et vous obtenez couille, ce qui constitue précisément une coquille !
Répondre à ce commentaire

  Fabrice DANT
21-10-05
à 12:23

en conclusion ce texte mentionne : "II importe au contraire que tout le savoir humain et ses instruments de production et de diffusion (y compris électroniques) soient versés dans le domaine public et mis gratuitement à la portée de tous."
Ce qui est tout aussi central à rappeler, et ce qui distingue un anarchiste proudhonien d'un quelconque socialiste, c'est que pour concevoir ce dit "domaine public", il faut avant tout se détacher de l'Etat.
Juridiquement, l'Etat jouit de la personnalité morale. Ce qui veut dire que l'Etat est reconnu comme une personne et de ce fait, lorsque l'Etat s'approprie quelque chose (des parts en entreprise, des biens immobiliers etc.) Il le fait comme s'Il payait sur son compte. Ce compte est géré exclusivement par une élite (même si le budget est révélé par la suite) et la plupart des dépenses concerne sa propre économie interne (son ménage à l'échelle nationale). Bon, c'est vrai que cela représente une sorte de compte commun, mais bon, les fonctionnaires aussi ne sont pas plus propriétaires de leur travail qu'un autre salarié dans le privé. Le fonctionnement est bureaucratique donc fortement hiérarchisé : il ressemble, dans ses structures, à un ménage bourgeois installé dans une demeure immense.
Bref, on a des incohérences de principe. Or, ce qui est sensé être public, détaché de la personne de l'Etat, c'est ce qui appartient à tout le monde. Cependant, il va sans dire que les locaux publics où travaillent les fonctionnaires ne sont pas des enceintes totalement libre d'accès, dans lesquelles tout le monde pourrait entrer et y fouiller.
De même, faire la distinction de ces locaux publics et privés est de ce fait bien minime et paradoxale. Les locaux publics deviennent donc bel et bien des propriétés privées appartenant à la personne de l'Etat. Cette personne morale, imaginaire, qui est l'Etat, sensé nous représenter, est donc l'individu le plus riche de la nation, au-dessus en pouvoir de tout autre ménage ou foyer particulier. Comme on paye des taxes, l'Etat nous fait bien l'obligeance de nous accueillir dans ses locaux afin qu'on y traite nos dossiers.
Certes, lorsqu'on met au monde un enfant, il faut faire la démarche de le déclarer publiquement pour que chacun puisse certifier de son identité, c'est indispensable afin de faire valoir ses droits. Ensuite, nul n'a le droit de dire des mensonges ou des conneries sur son état civil, pour éviter les cas d'usurpation d'identité. Quant à savoir ce qui légitime l'Etat d'avoir ses démarches trop discrètes dans le traitement de nos dossiers, c'est qu'en fait, celui-ci a avant tout la volonté de nous contraindre à faire les démarches par nous-mêmes pour lui faciliter sa tâche sur son contrôle sur nous. La preuve? : faire les démarches individuelles pour le service militaire obligatoire (reconnaissons qu'on a évolué dans ce domaine puisqu'on n'est plus obligés, nous les hommes, de faire ce fichu service sectaire).
Ce qui a de sûr, c'est qu'on a besoin d'administrations (ou du moins de bureaux, même sans être attachés à un ministère). D'une bureaucratie et d'un Etat, c'est moins sûr.
D'ailleurs, en ayant vu un reportage sur les jurés tirés au sort dans la population pour assister une affaire judiciaire, je me suis dit : et pourquoi on ferait pas pareil en assemblée nationale? On laisserait débattre des représentants d'assoces puis, dans les tribunes, seraient convoqués des quidams tirés au sort, en nombre représentatif, pour voter les projets publics. Ou du moins, de manière plus décentralisée, on pourrait déjà faire cela en assemblées régionales et locales. Ca serait là de la vraie démocratie participative.
Répondre à ce commentaire

  Fabrice DANT
21-10-05
à 12:29

Re:

Ce serait pas mal d'augmenter le "taux de rafraichissement" du personnel assis dans les tribunes de l'assemblée. Comme cela, ces assemblées serait un véritable lieu public où quiconque aurait autant de droit et de chance que tout le monde d'y accéder et d'y participer. Je suis sûr que ça couterait pas plus cher à l'Etat si on supprimait le salaire exclusif du personnel d'élite assis dans les tribunes de l'hémicyle parlementaire pour y mettre des citoyens qui prendraient alors la politique beaucoup plus au sérieux.
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