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L’anarchisme en Allemagne de l’Est
--> Iztok n°2, Septembre 1980, p. 33-42.

Lu sur : La Presse Anarchiste Quand on parle du mouvement anarchiste en Allemagne de l’Ouest (RFA) ou de l’Est (RDA) durant la période d’après-guerre il ne faut pas oublier que de 33 à 45 l’anarchisme fut mis hors la loi : les adhérents des groupes furent arrêtés, assassinés ou condamnés à la mort lente dans les camps de concentration, la presse anarchiste disparut, les livres et les brochures furent brûlés. Il fallait donc en 45 - pour les rares survivants - repartir de zéro, et très vite en Allemagne de l’Est s’implanta un régime totalitaire qui usa à l’égard des anarchistes des mêmes méthodes que le régime hitlérien.

Depuis les années 90 du siècle précédent jusqu’en 1933, l’anarchisme allemand a été divisé en plusieurs courants qui, sauf en de rares circonstances, n’ont jamais pu se fédérer en une organisation fondée sur quelques principes essentiels communs à tous les anarchistes. Indiquons brièvement la nature de ces courants :  

ANARCHISME INDIVIDUALISTE : Inspiré par Stirner, il se développa grâce aux écrits de John-Henry MacKay (le poète-philosophe qui « redécouvrit » Stirner et son oeuvre) et de Tucker. Des associations anarchistes individualistes, des Amis de Stirner, des associations pour la culture individualiste existèrent dans les années 20, surtout à Berlin et à Hambourg. Actuellement la Société John MacKay édite les oeuvres de Mackay, Tucker, etc. ainsi qu’une série d’études anarchistes qui dépassent le cadre de l’individualisme strict.

LE SOCIALISME LIBERTAIRE : Son porte-parole fut Landauer : anti-marxiste, continuateur de Proudhon, il inspira l’action des groupes de l’Union Socialiste pour créer, en dehors du cadre du capitalisme et de l’État, des communautés libres de producteurs : les premières cellules d’une société libertaire. L’influence de Landauer avant 1914 se fit sentir en Autriche, en Suisse et même en France. En Israël, la construction des kibboutz s’inspira des idées de Landauer.  

L’ANARCHISME COMMUNISTE (ou encore communisme libertaire) : il est lié au nom de Johann Most (mort en 1906) et s’inspire un peu de Bakounine et beaucoup de Kropotkine. Mühsam devait reprendre l’oeuvre de Most et fonda à Munich, lors de la révolution de 1918, l’Union des Internationalistes Révolutionnaires et dix ans plus tard l’Union Anarchiste qui entra en concurrence avec la Fédération des Anarchistes Communistes créée par Oestreich. Ces deux organisations luttèrent durant la République de Weimar contre la montée du national-socialisme, avec des tactiques différentes.

L’ANARCHO-SYNDICALISME : En réaction contre le syndicalisme de collaboration de classe et de soumission à l’État, les anarcho-syndicalistes fondèrent en 1919 l’association des Travailleurs Libres d’Allemagne (FAUD) qui sous l’impulsion de Rocker, Souchy et Lehning devint une organisation de masse comptant en 1923 environ 125000 adhérents. La FAUD perdit assez vite son influence et vers 1933 elle ne comptait plus que 25000 à 30000 membres.  

LE LIBERALISME « ANARCHISTE » : Au début du siècle, Gesell avait tenté une fusion des idées du libéralisme économique et de l’anarchisme. Ce mouvement devait se développer après 1919 sous l’influence de Zimmermann : il s’opposait au socialisme autoritaire et à l’anarchisme violent et s’efforçait - sous le nom d’acratie - d’opérer une synthèse entre le libéralisme économique et l’anarchisme individualiste. Ce courant de pensée devait être victime - comme on le verra plus loin - du régime totalitaire de l’Allemagne de l’Est.

En mettant l’accent sur ce qui les divisait plutôt que sur ce qui les unissait, les anarchistes ne pouvaient arriver à une coordination fraternelle des divers courants de la pensée anarchiste. Il y eut cependant un court moment où tous ces courants collaborèrent : dans la première et courte phase de la République des conseils de Bavière en 1919, avant la prise du pouvoir par les communistes, suivie peu après par la dictature de la soldatesque. Gesell, Landauer, Mühsam et les anarcho-syndicalistes figurèrent côte à côte dans le conseil de la République Bavaroise. La preuve était faite que la nécessité l’emportait sur les querelles de tendance, mais cette union des anarchistes fut sans lendemain.


Hambourg avait été, jusqu’en 1933, un centre d’activités anarchistes : une forte section de la FAUD, plusieurs journaux anarchistes ou semi-anarchistes et parmi ces derniers l’ « Unionist », organe de l’organisation unitaire « Union Générale des Travailleurs ». Un autre hebdomadaire, le « Proletarischer Zeitgeist » (l’esprit prolétarien) - édité à Zwickau (Saxe) de 22 à mars 1933 - était anti-autoritaire et proche des anarchistes. Il était diffusé par Otto Reimers, puis soutenu par Otto Rühle qui arrivèrent à constituer le « Bloc des Révolutionnaires anti-autoritaires » qui organisa à Hambourg des cycles de conférences suivies par un public nombreux (Rocker y exposa les idées maîtresses de son ouvrage « Nationalisme et Culture »). Ce sont les survivants de ce noyau qui furent en 1945 les premiers artisans de la renaissance de l’anarchisme : quatre seulement dont Otto Reimers. Avant même l’annonce de la mort d’Hitler, Reimers diffusa des tracts dénonçant les atrocités des camps de Buchenwald et Belsen et appelait à la vengeance. Dès le 4 mai 1945, Reimers s’adressa aux communistes de Hambourg, rescapés de la dictature nazie : devant la situation tragique du mouvement ouvrier, il préconisait la création d’un mouvement révolutionnaire unitaire englobant les social-démocrates, les communistes et les anarchistes, mouvement à la fois antifasciste et anticapitaliste. Ce rapprochement, auquel les dirigeants communistes étaient hostiles, ne put être réalisé en dépit des efforts de Reimers. Ce fut seulement en mars 1947 que les autorités anglaises d’occupation autorisèrent la constitution d’une « Fédération Culturelle », réclamée par Reimers et par Langer, un autre militant de l’anarchisme d’avant-guerre. L’organisation prit le titre de « Fédération Culturelle des Socialistes Libres et Antimilitaristes ». La fédération disposa d’un local, diffusa onze circulaires imprimées au cours de l’année 47, créa des liaisons dans cinq villes et entretint des correspondances avec des camarades de 17 pays. Mais que se passait-il durant ces deux si dures années dans la zone d’occupation russe ? Le mouvement anarchiste pouvait-il renaître dans cette partie de l’Allemagne soumise à l’autorité militaire russe et à la police stalinienne ?


Zwickau est une ville industrielle de Saxe, non loin de Chemnitz et de la frontière tchécoslovaque : usines métallurgiques, filatures et mines de houille dans le voisinage. C’est à Zwickau qu’était édité le « Proletarischer Zeitgeist » qui était en même temps l’organe de l’Union Générale des Travailleurs. En mai 1945 l’Union ne comptait à Zwickau que six survivants : 27 membres avaient été victimes de la Gestapo. Un des rescapés, Willi Jelinek, avait pu conserver la liste des abonnés du « Zeitgeist » et adressa aux plus surs d’entre eux des lettres détaillées en vue de faire revivre l’organisation. Comme les autorités russes s’employaient à réaliser une fusion des éléments du SPD et du KPD pour créer le Parti Socialiste Unifié (SED) qui n’était que le camouflage du parti communiste, Jelinek dénonçait cette manoeuvre : « le parti communiste joue le rôle du renard qui veut vaincre la peur du lièvre en faisant semblant d’être devenu végétarien ». Dans une autre lettre aux anarchistes (février 46), Jelinek combat toute participation des anarchistes à un bloc social-communiste et sur ce point il se distingue de la position de Reimers à Hambourg. Il pensait - et là il se trompait - que l’union SPD-KPD serait de courte durée et qu’alors sonnerait l’heure des anarchistes. D’où la nécessité pour ces derniers de s’organiser. En juin 46, le cercle de Zwickau reformé des anciens lecteurs du « Zeitgeist » et de syndicalistes, était constitué et adressa des circulaires d’information à des anarchistes de la zone russe (la SBZ) et de l’Allemagne de l’Ouest. En Saxe, 5 ou 6 groupes furent créés, de même en Thuringe. Jelinek entretenait des relations avec les anarchistes d’Hambourg, Mulheim (dans la Ruhr), Kiel, etc.

Dans l’usine où il travaillait, Jelinek avait été élu par 95% des ouvriers comme président du conseil d’entreprise et il adhéra à la centrale syndicale FDGB de la zone russe afin d’étendre son action. Les communistes, qui connaissaient Jelinek depuis longtemps, avaient pensé que ses opinions s’étaient modifiées. Dès les premières réunions du conseil d’entreprise ils furent détrompés et engagèrent la lutte contre Jelinek. Lorsque le parti unifié SED fut fondé, les cmmunistes sommèrent Jelinek de quitter la présidence : il refusa et devint dès lors l’homme à abattre. Le Cercle de Zwickau fonda un « Bureau d’Information » et adressa des circulaires qui exposaient les problèmes pratiques insurmontables en zone russe : création légale d’une organisation anarchiste, édition d’un journal, utilisation d’une ronéo. Il décida de poursuivre ses activités malgré les difficultés matérielles toujours croissantes. Il renonça à l’idée de "récupérer" les anciens anarchistes qui avaient rejoint le SED : ce qui importait, c’était de gagner de nouveaux camarades aux idées anti-autoritaires. En septembre 47 le cercle fut obligé de reconnaître le peu d’empressement des jeunes générations à venir grossir ses rangs et aussi le manque de publications à diffuser. Il fallait avant tout s’adresser aux ouvriers et leurs montrer les falsifications que les communistes du SED avaient fait subir au marxisme (Jelinek était parfaitement au courant de la littérature marxiste). Fin 1947, Jelinek travailla à une brochure qui ne put jamais être publiée : il dénonçait la dictature du prolétariat « qui signifiait l’autorité de chefs. Là où on obéit, il y a des chefs qui commandent ». Toute dictature signifie le gouvernement d’une minorité. On devine que la diffusion des circulaires et des lettres devenait de plus en plus difficile. Policiers et mouchards surveillaient Jelinek qui, en cas d’arrestation, prit la précaution de transmettre la liste des anciens abonnés au « Zeitgeist » au compagnon Willy Huppertz (de Mulheim). Ce vieil anarchiste des années 20. ce franc-tireur des luttes ouvrières qui n’appartint à aucun groupe, ni même à la FAUD, ce rescapé du camp de concentration d’Oranenburg assura pendant 25 ans à partir de mars 48 la rédaction, l’impression et la diffusion de la revue mensuelle « Befreiung ». Dans cette revue, Huppertz se chargeait de l’édition des circulaires et de leur transmission aux camarades de la zone russe.

Jelinek nourrissait encore quelques illusions : il espérait un adoucissement du régime de dictature en zone russe, qui permettrait d’imprimer un journal et il écrivait même que sous Hitler les anarchistes n’auraient pas pu discuter comme sous Ulbricht ! Mais déjà le filet de la police se refermait sur Jelinek. Une lettre adressée à Reimers tomba aux mains de la censure Le 10 novembre 48, Jelinek fut arrêté par deux officiers russes accompagnés d’un interprète et d’un fonctionnaire allemand de la police criminelle. Perquisition et arrestation de la femme de Jelinek et de son gendre qui disparut sans laisser de traces. La femme de Jelinek fut longuement interrogée au sujet de Reimers et d’Huppertz : relachée, elle trouva son logement vide de tout mobilier et réquisitionné. D’autre part un mouchard, se faisant passer pour un anarchiste mandaté, se fit remettre par Huppertz la liste des abonnés confiée par Jelinek : ceux-ci furent convoqués à une prétendue réunion à Leipzig et arrêtés. Quant à Jelinek il fut transféré à Dresde et de là à l’ancien camp de concentration nazi de Sachsenhausen où étaient parqués les opposants au régime communiste. Jelinek était inculpé « d’activités fascistes et militaristes » ! La vague d’arrestations de novembre 48 fit 45 victimes (au total 25 années de prison). Seconde vague au printemps 49 avec l’arrestation de nombreux anarchistes (100, seulement à Dresde !). Ce qui n’empêcha pas la diffusion d’un tract en « République Démocratique Allemande » (le 7 octobre 1949 cette « république » prenait la succession de la zone d’occupation russe) au début de 1950.

A Sachsenhausen, Jelinek retrouva plusieurs de ses camarades et les groupa en un petit cercle clandestin. Il essaya de renouer des relations avec Reimers. Le travail lui ayant été refusé, sa ration alimentaire était très réduite. En raison de ses relations avec ses camarades détenus il fut transféré dans le camp de Bautzen. Là, on eut l’illusion d’une amélioration des conditions d’internement en raison de la fondation de la RDA. Il y eut simplement le remplacement des surveillants russes par des allemands, tous membres du SED. Les détenus souffraient de la faim, beaucoup mouraient de tuberculose. Le 13 mars 50, une révolte désespérée éclata et une commission composée d’officiers russes et d’officiers de la « police populaire » allemande promit des améliorations. Au lieu de cela, les conditions de détention furent encore aggravées. D’où une nouvelle révolte le 30 mars qui fut férocement réprimée. Jelinek parvint à informer l’ Allemagne de l’Ouest de la situation misérable des milliers de détenus de Bautzen, Torgau etc. Le 15 mai 1950, l’ « Hamburger Echo » publiait cet appel désespéré adressé « à la Croix Rouge, à la Ligue des Droits de l’Homme, à tous les démocrates, à tous les hommes du monde libre ». On peut supposer que la publication d’un tel appel valut à Jelinek un régime plus dur. Le temps passa... Au début de 1952, deux anarchistes de Bautzen moururent de la tuberculose. Jelinek , le 20 mars 52, était en bonne santé, lors d’une visite de sa fille. Et le 24 mars il mourait, dans des conditions qui sont toujours restées inconnues. Peut-être assassiné comme l’avait été Mühsam dans les camps nazis. La petite revue de Huppertz, « Befreiung » (mai 52) publia un article annonçant la mort de Jelinek et rapportant son action exemplaire pour l’anarchisme.

Mais on peut dire qu’à la fin de 1949, la vague d’arrestation avait brisé les groupes anarchistes dans la zone russe et décimé les meilleurs militants. Toute action politique ou collective était impossible : seuls, dans l’ombre, quelques individus isolés ne désespéraient pas de l’anarchisme. Ils furent présent lorsque les ouvriers de Berlin-Est et des principaux centres industriels de la RDA se soulevèrent, les 16 et 17 juin 1953, contre la dictature du parti SED et contre le régime d’oppression policière qui les exploitaient au nom du « socialisme ». On sait comment les troupes et les blindés russes écrasèrent l’insurrection et quelle fut ensuite la répression. Peu après les anarchistes de Darmstadt firent paraître aux éditions « Die Freie Gesellschaft » (La Société Libre) une brochure destinée à être diffusée en Allemagne de l’Est : « Tagebach eines Namenlosen » (Journal d’un Anonyme). Les anarchistes avaient le choix entre trois solutions en RDA : la lutte, la capitulation, la fuite. Il fallait choisir la lutte. Il faut conquérir le soutien actif de l’élite des ouvriers : l’appui passif ne suffit pas. Chaque individu isolé doit agir : « le problème de la résistance n’est pas essentiellement un problème d’organisation, mais un problème de moral et de courage personnel ». La lutte à mener nécessite la collaboration avec les ouvriers russes, ukrainiens, polonais : se limiter à changer la structure de la RDA conduirait à l’échec Aux actions violentes doit succéder une résistance passive en tenant compte des courants d’opposition qui pourraient se manifester à l’intérieur des partis communistes. L’avenir devait montrer que le SED, s’appuyant sur la police populaire et l’armée, instituant une législation de plus en plus répressive, gardait son caractère stalinien et étouffait les oppositions en emprisonnant ou expulsant les éléments non-conformistes. En 1980 la RDA militariste, nationaliste, totalitaire, reste le bastion du stalinisme.


Les anarchistes « libéraux », bien qu’opposés à toute action violente, allaient tomber sous les coups des occupants russes. N’étaient-ils-pas, en effet, opposés au marxisme autoritaire et étatique ? Un congrès international devait réunir en 1948, à Bâle, les économistes libéraux. Une jeune fille de 19 ans, Hannelore Klein, secrétaire du groupe de la jeunesse communiste (FDJ) de son entreprise, avait reçu une invitation et s’était rendue à Karlshorst pour obtenir des autorités son permis de voyage. On la pria d’attendre quelques minutes et on l’arrêta. Devant le tribunal militaire russe, elle fut accusée d’actes hostiles aux institutions socialistes ; elle affirma sa conviction que ce régime « socialiste » n’était qu’un régime de contrainte et d’oppression. Son attitude sans faiblesse lui valut - pour elle et pour deux autres camarades également arrêtés - une condamnation à huit ans de détention. Hannelore, dans le camp de Bautzen, continua sa propagande parmi ses co-détenus.


Les communistes - qu’ils appartiennent à l’URSS, à la RDA ou à tout autre pays - ont toujours considéré les anarchistes, ou les individus suspectés d’anarchisme, comme leurs pires ennemis. Contre eux, tout est licite : la duplicité comme l’arbitraire policier. Le cas de Zensl Mühsam, femme d’Erich Mühsam, est particulièrement édifiant. Erich mourut le 10 juillet 1934, assassiné dans le camp de concentration de Sachsenhausen. Sa veuve se réfugia aussitôt le 16 juillet en Tchécoslovaquie. Elle n’avait appartenu à aucune organisation anarchiste, mais jugeait de son devoir de faire connaître au monde le sort tragique de son mari et, si possible, de faire éditer ses oeuvres, et les nombreux manuscrits encore inédits. Elle écrivit une brochure « Le calvaire d’Erich Mühsam », voulut en confier la publication aux syndicalistes hollandais, mais - n’ayant pas eu de réponse rapide - elle eut le tort d’accepter la proposition de la vieille militante bolchevique Helena Stassova : éditer la brochure à Moscou. Comme Zensl l’écrivit à Rocker, ce fut avec répugnance, car elle n’avait en aucun cas l’intention d’entrer dans le parti communiste ! Stassova l’invita ensuite à venir se reposer quelques mois en URSS. Zensl pensa naïvement que là-bas elle serait indépendante, trouverait quelques ressources de l’édition des oeuvres d’Erich et n’aurait aucune obligation à l’égard des autorités de l’URSS. Cependant on lui fit exposer dans quelques réunions les conditions atroces des camps de concentration nazis. Et brusquement, le 13 avril 1936, elle fut arrêtée. Rocker alerta différents organismes qui s’occupaient des prisonniers politiques. André Gide obtint sa mise en liberté vers août 1937. Elle demanda l’autorisation de partir pour les États-Unis... et fut arrêtée en pleine nuit (1939) et condamnée à huit ans de travaux forcés. Après la prison de Butirki (Moscou), on la déporta au camp de Karaganda. Elle en revint en 1947 couverte d’ulcères. Les anarchistes allemands essayèrent d’obtenir des renseignements sur son sort passé et présent. On ne tira du SED et de Wilhelm Pieck que des réponses dilatoires ou des témoignages fabriqués de toute pièce. Seulement en 1955, Zensl fut autorisée à se fixer dans Berlin-Est et ne put entrer en relation avec Rocker, ni avec les syndicalistes suédois. Coupée du reste du monde, elle mourut en RDA dans le courant de 1962. De 1934 à 1962 ! Un calvaire de 28 ans pour avoir eu la faiblesse de faire un jour confiance aux bolcheviks !


Les socialistes anti-autoritaires, proches des anarchistes, furent aussi les victimes de la police et de la justice « populaires » de la RDA. A cet égard, le cas d’Alfred Weiland est exemplaire. Weiland avait combattu les nazis avant 33 et d’août 33 à l’automne 35 il fut détenu dans un camp de concentration. Libéré, il continua la lutte illégale et pendant la guerre s’engagea dans l’armée : au front il était plus à l’abri de la Gestapo qu’à l’arrière ! Après la guerre, il reprit son activité militante et se qualifia « socialiste libertaire ». Il préconisa l’union de toutes les branches du socialisme anti-autoritaire : anarchistes et communistes-conseillistes. Il appartenait à l’aile des communistes de conseil, dont les théoriciens étaient, en plus de Rühle, les hollandais Pannekoek, Henriette Roland- Holst et Gorter. En mars 1947 il fonda la revue « Neues Beginnen » (Nouveau Commencement), organe théorique des anti-autoritaires où le régime russe était sévèrement critiqué et qui défendit la conception de la gestion de l’économie par les conseils ouvriers conception opposée à la fois au capitalisme des pays occidentaux et au capitalisme d’État camouflé sous le nom de dictature du prolétariat. Les conseils ouvriers se substitueraient aux partis traditionnels et l’arme des ouvriers devait être la grève sauvage. Au printemps 1950 « Der Funke » (L’Etincelle) succéda à « Neues Beginnen ».

Berlin était le centre des activités de Weiland. Dans les premiêres années de l’après-guerre, il travaillait à la Direction Centrale d’Éducation Populaire de Berlin-Est, puis à l’Institut de Journalisme. Membre du conseil d’entreprise de cet institut, il devint vite suspect à ses collègues membres du SED et fut brutalement licencié : il eut six minutes pour quitter son emploi ! Devenu professeur dans une « Volkshochschule » (École Supérieure Populaire) de Berlin-Ouest, il fit une propagande active contre le KPD et la dictature du SED. En raison des nombreux amis qu’il avait à Berlin-Est et en RDA, il était un individu dangereux pour le régime de dictature communiste. Il fut à deux reprises victime d’agressions dont il se tira heureusement. Mais le 11 novembre 1950, par une matinée de pluie et de brouillard, tandis qu’il achetait le journal dans un kiosque à 8h, il fut enlevé dans le meilleur style gangster. On le fit monter dans une auto après l’avoir matraqué et, malgré sa résistance et ses cris, il fut traîné au Ministère de la Sécurité d’État, livré aux russes et traduit devant un tribunal militaire sous l’inculpatjon de haute trahison, d’espionnage et de sabotage. Devant le néant de l’accusation, ce tribunal le relaxa... mais le remit à ceux qui l’avaient enlevé ! Un tribunal « populaire » de la RDA reprit les mêmes accusations et condamna Weiland à 15 ans de détention. Il refusa de faire « amende honorable », fit 7 fois la grève de la faim, ne put donner des nouvelles à sa famille qu’après deux ans. Une campagne en sa faveur fut menée par diverses organisations de l’Allemagne de l’Ouest, dont la « Ligue des Victimes du Régime Nazi ». Au bout de huit ans, il fut rendu à la liberté.


En août 1946 à Londres, sept anarchistes anglais, militants antimilitaristes, décidaient de fonder le « Groupe International Bakounine » qui se proposait d’étendre sa future propagande à divers pays, et tout particulièrement à l’Allemagne et l’Italie. Il y avait encore en Angleterre de nombreux prisonniers de guerre allemands et italiens et il fut possible, à l’intérieur des camps, d’introduire des journaux et brochures anarchistes et de créer des « noyaux ». En septembre 1946, se tint dans le Shropshire une conférence à laquelle participèrent des prisonniers de guerre. La rééducation morale et démocratique, préconisée par les Alliés, permit la venue de conférenciers dans les camps, anarchistes pour la plupart. Une conférence tenue en juin 1947 permit de constater la multiplication de ces noyaux anarchistes. La libération des prisonniers étant imminente, il fallait songer à perpétuer l’action de ces noyaux dans les quatre zones d’ occupation en Allemagne et en particulier dans la zone russe, d’où étaient originaires la majorité des prisonniers. On adopta la constitution de groupes de trois camarades, chacun d’eux pouvant à son tour recruter les éléments d’un nouveau groupe et une section allemande du Groupe International Bakounine fut créée. Le responsable de cette section fut le prisonnier John Olday : inconnu des vieux anarchistes et d’identité incertaine, sans doute né à Londres de père allemand et de mère anglaise.

Il existait en décembre 1947 environ 30 groupes en Allemagne et 6 groupes de prisonniers de guerre en Angleterre. Le groupe Bakounine et le journal anarchiste anglais « Freedom » soutenaient la publication des « Mitteilungen Deutscher Anarchisten » que Olday diffusait en Allemagne. Une vive polémique devait opposer à Rocker Olday qui s’ inspirait des écrits de Mühsam pour combattre Rocker et le suédois Rüdiger. Olday se prononçait de plus en plus pour une lutte violente tendant à la destruction de l’État (avec une influence certaine de Bakounine). Il entra en désaccord avec le groupe International Bakounine et fonda des groupes « Spartacus » qui devaient réunir anarchistes et commmistes-conseillistes (1948), mais les anarchistes y furent en minorité, à la suite d’une scission.

Entre temps les noyaux anarchistes en Allemagne de l’Est avaient disparu et Olday s’orienta de plus en plus dans la voie qu’il qualifia « anarchisme de conseil ». Ce fut la rupture avec le « Groupe International » et Olday ne se consacra plus qu’aux groupes Spartacus. Les « Mitteilungen » devinrent le « Räte-Anarchist » qui cessa de paraître en automne 48. Et Olday disparut de la scène politique : il avait lancé pas mal d’idées, renouvelé le mot d’ordre « tout le pouvoir aux conseils », mais, à part quelques agitations en Rhénanie, les noyaux de trois camarades avaient échoué et leur action dans la zone russe fut insignifiante.


1945-1955 : Durant ces dix années, on peut dire que le régime communiste (URSS ou RDA) a achevé de liquider les anarchistes qui avaient survécus au nazisme. Non seulement les anarchistes, mais encore les socialistes anti-autoritaires ou les communistes opposants qui prétendaient défendre le « vrai » marxisme.

Jean BARRUE 

Note de l’auteur : Cette étude rapide et certainement incomplète a pu être rédigée grâce au tome l de l’ouvrage de Günter Bartsch : « Anarchismus in Deutschland » (Hannover, Fackelhager- verlag - 1972)

La Presse Anarchiste

Ecrit par Mirobir, à 01:40 dans la rubrique "Pour comprendre".



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