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Réfractions : "C’était le 1er avril 1935. Le quotidien parisien le Matin titrait en première page : « Une extraordinaire affaire de stérilisation à Bordeaux. – Une quinzaine d’individus à tendance libertaire se sont soumis à une mutilation volontaire qui fut opérée par un médecin étranger d’origine autrichienne, croit-on, qui a pris la fuite. Trois “stérilisés” ont été arrêtés, d’autres arrestations sont imminentes. Quel était le but poursuivi par l’étrange praticien si dangereusement entreprenant ? »
Ainsi commençait une affaire qu’on qualifierait aujourd’hui d’abracadabrantesque : la France, frappée en dessous de la ceinture, défendue par des policiers et des magistrats en mal d’avancement et des pisse-copie à l’affût du scoop. À part l’audiovisuel en plus, les mœurs n’ont pas tellement changé.
Le journaliste du Matin, sans complexe, n’y allait pas avec le dos de la cuillère :
« En elle-même, elle [l’affaire] comporte déjà, pour l’instant, des éléments si fantastiques, si exceptionnels qu’elle apparaît comme un défi à la raison puisqu'elle nous ramène brutalement vers la constatation de mœurs sauvages que l’on pouvait croire disparues de notre monde civilisé. »
Et allez donc ! Il paraît qu’aujourd’hui encore on rémunère de tels valets de plume ! Il faut noter que ses patrons en ont eu pour leur argent :
« On se demande si on ne se trouve pas en présence de “chargés de mission” d’un genre particulier, ayant appliqué un plan conçu hors de nos frontières et mandatés pour importer sur notre territoire des rites subversifs capables d’amoindrir notre race ou, pour le moins, de répandre de nouveaux germes de désagrégation. »
Le médecin autrichien Bartosek ne pouvait être, de toute évidence, qu’un agent de l’Autrichien Adolf Hitler.
À partir du 2 avril, ce fut la curée dans toute la presse quotidienne, la « grande » presse et même... l’Humanité qui se mettait à regretter que « les travailleurs anarchistes soient détournés par leurs dirigeants, au profit de pareilles billevesées, de la lutte contre leurs exploiteurs. »
Seul, dans l’œuvre, Guy de La Fouchardière se payait de temps en temps une bonne tranche de rigolade à la santé de ses confrères délirants. Que le quotidien de Marcel Déat soit quasiment le seul à garder les pieds sur terre dans cette affaire, c’est un comble !
Il y avait eu dénonciation.
La rumeur ayant voulu faire croire qu’il s’agissait d’un copain. Dans la Révolte du 10 juillet 1935, Aristide Lapeyre remettait les pendules à l’heure :
« Je me plais à constater et à faire connaître aux amis de partout que la délation n’est pas venue de nos milieux, mais d’un ami d’enfance de Prévôtel, malade nerveux, opéré par pitié, n’ayant aucun rapport avec nos groupements. »
Aristide Lapeyre, Andrée et André Prévôtel avaient été arrêtés à Bordeaux les 30 et 31 mars. Norbert Bartosek le fut à Bruxelles le 1er avril. Louis Harel à Neuilly le 4 avril. Andrée Prévôtel fut mise en liberté provisoire le 11 avril ; A. Lapeyre et André Prévôtel le 6 juillet. Bartosek fut extradé de Belgique le 4 décembre. Lapeyre et Andrée Prévôtel bénéficièrent d’un non-lieu le 4 avril 1936. Après l’audience du 30 avril, le tribunal correctionnel de Bordeaux rendit son verdict le 2 mai. Jean Baëza, étant en fuite, fut condamné à deux ans fermes, les trois autres accusés écopèrent de trois ans pour Bartosek, de six mois pour Harel et Prévôtel. L’audience de la cour d’appel eut lieu le 1er juillet. Dans son arrêt du 8 juillet, elle confirma les motifs de la condamnation, mais diminua les peines, ramenant notamment celle de Bartosek à un an ferme, ce qui le fit libérer immédiatement.
Polyglotte, il se mit au service de la solidarité envers les camarades espagnols dès juillet. Le 8 août, de Paris, il écrit à ses amis Prévôtel :
« Je me trouve chaque jour au Libertaire pour faire les traductions nécessaires. Solidarité pour l’Espagne ! il faut le crier partout, l’organiser partout, la pratiquer chaque jour, [...]. Harel va partir ce soir pour Barcelone comme conducteur d’une camionnette chargée de médicaments pour la CNT et la FAI [...]. Excusez-moi, je n’ai plus le temps de philosopher et je néglige même l’amour. »
Quand j’ai découvert cette lettre, il y a une quinzaine d’années, dans les archives de mes parents, je n’ai pu m’empêcher d’avoir une pensée émue pour les gentils allumés de 1968 qui croyaient que l’on pouvait en même temps faire la révolution et l’amour. Dans la réalité, c’est plus difficile que dans le rêve !
Le 1er juillet 1937, la chambre criminelle de la cour de cassation rendit un arrêt confirmant celui de la cour d’appel. La vasectomie était assimilée à des coups et blessures faits volontairement, avec préméditation, et « le fait que les victimes auraient consenti aux violences n’est pas exclusif de la préméditation ».
Comme elle n’est ni interdite ni autorisée, la vasectomie aujourd’hui en France tombe toujours sous le coup de cette jurisprudence obsolète et franchement ridicule qui, heureusement, n’est pas appliquée.
Marc Prévôtel
& G. Hardy, la Question de la population et le problème sexuel, contenant un étude sur l’avortement, 1913.