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Lu sur Risal : "Le soulèvement de l’Armée Zapatiste de Libération Nationale (AZLN) [1], survenu le 1er janvier 1994, a ébranlé politiquement l’État du Chiapas, secoué la démocratie au Mexique et suscité un engouement à l’échelle planétaire qui a conduit à le qualifier de « premier mouvement symbolique contre la globalisation » [2]. Qu’en est-il aujourd’hui du lien entre le mouvement zapatiste et les sociétés civiles mexicaine et mondiale ? La solidarité entre les Zapatistes et les autres mouvements sociaux est-elle vécue de la même manière aujourd’hui au Mexique qu’elle l’était il y a dix ans ? La radicalité des rebelles séduit-elle toujours ? Quel espace occupe le mouvement zapatiste dans la société civile mexicaine ? La lune de miel avec les Zapatistes est-elle terminée pour les Mexicains ? Voilà les questions qui alimentent cette enquête réalisée à Mexico en janvier 2005. Afin d’apporter une contribution originale à cette question, la présente chronique est divisée en deux parties distinctes : la première présentera brièvement le contexte de l’émergence du mouvement zapatiste, tandis que la seconde sera consacrée à des entrevues effectuées auprès de quelques intellectuels mexicains.
1. Le zapatisme en contexte
C’était la première fois que l’on assistait à une insurrection faite à grand coup de déclarations solennelles [3] et de communiqués de presse ! Fort de sa rhétorique révolutionnaire, Marcos, sous-commandant et porte-parole de l’armée zapatiste, a manifestement marqué les esprits de la société civile du monde entier et contribué à créer un nouvel espace politique. On dénombre environ 45,000 sites Web établis dans vingt-six pays qui sont consacrés au zapatisme [4] et une quantité phénoménale de documentaires et de livres distribués partout dans le monde qui ont su attirer l’attention sur les graves conflits qui sévissent dans ce coin de pays.
De par sa vision du monde et sa manière pacifique de régler les problèmes sociaux locaux, le zapatisme a certainement contribué à rallier beaucoup de citoyens du monde avides de discours où l’exploitation serait abolie. La critique zapatiste du libéralisme pose que cette idéologie défend essentiellement la maximisation du profit, avec le résultat que la richesse se retrouve entre les mains d’un nombre de plus en plus restreint de spéculateurs à l’appétit toujours plus insatiable. La notion de productivité prônée par le libéralisme exclut les facteurs qualitatifs, culturels et sociaux. Comme l’a écrit Jean Ziegler : « La faim, les épidémies, la soif et les conflits locaux dus à la misère, engendré par le système planétaire qui gouverne, détruisent chaque année presque autant d’hommes, d’enfants et de femmes que la Seconde Guerre mondiale pendant six ans » [5] . En ce sens, le discours des Zapatistes inspire le rêve et l’espoir qu’un autre monde est possible [6] et transforme le mouvement en une figure emblématique associée à cet idéal de vie en société. Même leur « silence résonne avec force » [7]. Et pour le moment, entre les archipels de la résistance civile et les rebelles du Chiapas, la lune de miel a tout l’air de perdurer.
Douze jours après le début du soulèvement, en 1994, dans la ville de Mexico, la population mexicaine a manifesté massivement et réclamé la fin des affrontements. Le président Carlos Salinas de Gortari du Parti révolutionnaire institutionnel [8] (PRI) de la droite conservatrice décrète un cessez-le-feu unilatéral. Débutent alors de laborieuses négociations entre le gouvernement et la communauté autochtone. Au terme de ce dialogue, 34 demandes venant des Zapatistes ont été avancées lors d’une première ronde de négociations, en février 1994 [9] . Les deux premières revendications concernaient le pays dans son ensemble, puisqu’il était question de réclamer l’instauration d’un système électoral libre et démocratique. Certes, d’autres éléments politiques doivent être pris en considération pour expliquer l’alternance politique intervenue lors des élections de 2001 et l’arrivée au pouvoir du Parti d’action nationale (PAN) de Vicente Fox, après les 70 années au cours desquelles le PRI avait assumé le pouvoir, mais l’impact du soulèvement fut assez important pour avoir représenté un élément clé de la transition à l’époque.
Durant les onze années qui suivirent l’insurrection, il n’y a pas eu de progrès notables dans les négociations entre le gouvernement et le mouvement zapatiste, que ce soit avec le PRI ou avec le PAN. Toutes les tentatives d’accord ont été perçues par les Zapatistes, « comme un manque de respect à la dignité, à la démocratie, à la négation renouvelée des demandes spécifiques affirmées en matière d’autonomie, d’autodétermination des peuples autochtones et à la reconnaissance de la gestion collective des terres » [10] . L’exemple emblématique est celui des Accords de San Andrès qui font état de l’urgence de mettre fin à la relation de subordination et à la pauvreté dont sont victimes les peuples indigènes [11]. Depuis leur signature, en 1996, les Accords n’ont jamais été appliqués et l’arrivée du PAN au pouvoir n’a rien changé à cet égard, montrant en quoi il s’avérait difficile de modifier « une culture politique aux contours volontairement non arrêtés » [12].
Au niveau économique, le Chiapas est riche en ressources naturelles. Il fournit à lui seul 55% de l’énergie hydroélectrique, 35% du pétrole, près de 50% du gaz naturel et 35% du café du Mexique [13]. Mais, comparé à la moyenne nationale, le Chiapas est très pauvre, puisque près des 2/3 des logements n’ont ni ni eau courante, que 72% des enfants ne dépassent pas la première année de scolarité et que 80% des Chiapanèques n’ont pas accès au système de santé national, une situation qui serait due à la faiblesse des budgets alloués à l’État.
Le conflit est résolument politique et « l’État du Chiapas est au coeur des revendications autonomistes des autochtones au Mexique. Avec une population de 3,3 millions d’habitants, les locuteurs autochtones représentent 24,6 % de la population de cet État. Les statistiques fédérales révèlent que 15 % des habitants de l’État du Chiapas sont bilingues et que 9,6 % ne parlent que leur langue autochtone. Les dispositions adoptées par cet État pourraient avoir une grande signification pour la cause amérindienne. L’article 4 de la Constitution du Chiapas d’octobre 1990 déclare que l’État doit protéger la culture et la langue des principales ethnies » [14] .
2. Les entrevues
Pour la suite de cette chronique, nous donnerons la parole à des intellectuels vivant à Mexico. Leur approche n’est sans doute pas partagée par tous, mais leur opinion permettra de mettre en lumière quelques enjeux intéressants pour saisir la conjoncture politique actuelle au Mexique.
Jean-François Prud’homme est coordonnateur général académique au Colegio de Mexico et un spécialiste de la formation des partis politiques mexicains. Québécois d’origine, il vit à Mexico depuis plus de vingt ans. Sa vision est teintée par sa connaissance et son expérience de ces deux cultures. Voici ce qu’il avait à nous dire sur l’impact du zapatisme : « Bien sûr que l’insurrection a eu un impact important parce que cela a obligé la classe politique à s’asseoir pour négocier des accords... Mais surtout, cela a changé le visage de la démocratie au Mexique. En fait, comme tous les changements, surtout dans le cas du Mexique, les changements se font graduellement et de façon non spectaculaire. Depuis les 20 dernières années au Mexique, il y a eu des réformes (...) et cela a permis que les élections deviennent un instrument fiable de sélection et de formation des gouvernements. (...) Rien de spectaculaire mais c’est une société qui a beaucoup changé au cours des dernières années. »
Et, sur la question de la transition démocratique, Prud’homme nous confiait : « Quand Fox est devenu président, en 2001, cela venait confirmer le processus de changement. En fait, l’arrivée du PAN au pouvoir était l’aboutissement d’un processus de changement plutôt qu’un détonateur du processus. Il y a eu, en 1988, une grande mobilisation sociale contre la fraude et en 1994, cette insurrection des Zapatistes au Chiapas. Est-ce que cela veut dire que nous sommes aujourd’hui dans un système totalement démocratique ? Non ! »
Pour sa part, Juan Pedro Viqueira est historien et il est rattaché au Centre des études historiques du Colegio de Mexico. Depuis plus de trente ans, ses recherches portent sur le Chiapas. Il a écrit de nombreux articles et dirigé un volumineux collectif intitulé Los rumbos de Chiapas [15]. De plus, il a habité au Chiapas, à San Cristobal de Las Casas entre 1986 et 1998, période de grand bouillonnement zapatiste. Il nous a confié ceci : « Le zapatisme a bouleversé complètement la situation (politique) en 1994. On ne s’attendait pas à une guérilla et, d’une certaine façon, cela a précipité grandement la transition démocratique. » Luis Hernandez Navarro, journaliste à La Jornada, un journal populaire de gauche, a écrit plusieurs articles sur les événements au Chiapas [16] . Il suit de près l’évolution du mouvement, non seulement à l’intérieur des frontières, mais aussi à l’extérieur, au sein de la communauté internationale :
« L’irruption des Zapatistes sur la scène politique a fasciné nombre de militants. Elle allait bientôt déclencher un mouvement planétaire, celui de l’altermondialisation. (...) Il y a une chose qui s’est passée dans les pays d’Amérique latine : une décomposition de la classe politique de toutes les tendances : gauche et droite... Alors, les Zapatistes, la situation leur étant très propice, ont obtenu un grand capital moral. Ils ont bousculé le système politique. Tous les changements politiques survenus par la suite sont, pour partie, le résultat du soulèvement zapatiste. »
Est-ce qu’on a cru pour autant que les Zapatistes allaient se constituer en un parti politique, créant ainsi une force politique de gauche dans le pays ? Jean-François Prud’homme croit que : « Le zapatisme a essayé de créer un mouvement politique en 1994 et n’a pas obtenu le succès que l’on aurait pu croire et escompter. Cela est très important, ça risquait de changer la dynamique. En particulier, ça ne plaisait pas beaucoup au Parti de la révolution démocratique (PRD) de centre gauche, parce que ce parti représentait « la » gauche et qu’il redoutait la concurrence. Le zapatisme n’est pas devenu un parti politique. »
À cette époque, il y a eu des bouleversements politiques importants et on a assisté à une remontée de la gauche. Comme l’explique Viqueira : « Ce qui a changé beaucoup la situation, ce sont les élections de l’an 2000 au fédéral, mais surtout dans l’État du Chiapas : le PRI a perdu. Il y a eu une coalition de l’opposition et ils ont gagné l’élection ; les organisations paysannes qui étaient des alliées du zapatisme ont pris parti pour Pablo Salazar, candidat de l’alliance des partis d’opposition. M. Salazar a donné des postes importants aux dirigeants de ces organisations paysannes et ça a créé un conflit avec les Zapatistes. » Le mouvement zapatiste lui-même est divisé en deux factions, l’une ne voulant pas s’associer avec le gouvernement, les partis ou le pouvoir en place, tandis que l’autre croit au contraire que la collaboration avec les instances gouvernementales peut seule permettre de transformer les conditions de vie des autochtones.
Selon Jean-François Prud’homme, le zapatisme s’est affaibli et « cela a contribué à miner la force du zapatisme. On peut donc difficilement parler du zapatisme comme d’une force nationale au Mexique. C’est une force politique locale qui a d’ailleurs permis d’élire un candidat d’opposition au poste de gouverneur au Chiapas. »
Au départ, en 1994, lorsque les Zapatistes ont avancé des revendications à l’échelle nationale à propos du système électoral fédéral, l’opinion publique a vu en lui un mouvement national. En revanche, à partir du moment où il a choisi de concentrer son action et ses revendications sur des problèmes locaux, à commencer par la question de la pauvreté des indigènes, l’opinion a vu en lui un mouvement local.
À quoi peut-on imputer ce revirement ? À la faiblesse du zapatisme et à son incapacité à obtenir l’attention du gouvernement ? À un désengagement moral ou politique de la part de la société civile mexicaine à l’endroit du zapatisme ? Si oui, quelle est l’origine de cette déception ? En d’autres mots, qu’en est-il aujourd’hui de l’impact de ce mouvement ?
Pour Navarro, l’explication est simple : « Imaginez un mariage de 11 années ; la lune de miel et la passion sont passées ! Il reste la vie quotidienne, ses problèmes à résoudre chaque jour, et c’est un mariage très compliqué et complexe. Peut-on envisager le divorce ? Non, on l’a vu lors de la convocation à la marche sur Mexico en 2001... Les Mexicains y étaient. »
En effet, le temps passe. Les événements sont moins spectaculaires, mais le mouvement n’en continue pas moins de perdurer dans les territoires rebelles. Et ceci nous amène au coeur même des communautés. Là où se construit la résistance et l’organisation des alternatives communautaires en santé, en éducation et en matière de justice, entre autres. Le défi est important. Il s’agit de construire et d’inclure dans un système démocratique la pluralité des opinions et des visions des communautés autochtones, tout en étant en butte au cafouillage politique issu d’un gouvernement qui n’a jamais établi de politiques claires et de programmes d’aides respectant les besoins et la culture des autochtones eux-mêmes. La démarche en est une d’édification d’une autonomie revendiquée et assumée [17]. La formule de Marcos est claire à ce sujet : « Il ne s’agit pas de conquérir le monde et le pouvoir, il s’agit de le refaire ». C’est donc désormais au niveau local que l’impact du zapatisme est le plus déterminant, comme le montrent les extraits suivants d’entrevues et d’articles de Gloria Munoz Ramirez, une journaliste qui a travaillé pour plusieurs journaux mexicains, dont Punto, La Opinion et La Jornada. En 1997, Mme Munoz Ramirez part vivre avec les communautés rebelles dans la Selva Lacandona au Chiapas. Pour marquer le dixième anniversaire du mouvement zapatiste, elle a écrit un livre [18] et rédigé un article : Chiapas. La resistencia, [19] dont voici quelques extraits :
« Dans l’AZLN, il y a les bases d’appui, hommes, femmes et enfants qui vivent dans la communauté et qui font partie de l’organisation politique. Ils ont une vie communautaire et, parallèlement, ils vivent la lutte de l’organisation. Cela signifie qu’ils s’organisent pour la construction de leur système d’éducation, de santé, de commerce, etc. Il y a aussi le corps politico-militaire de l’AZLN, les insurgés. Ceux-ci vivent dans les montagnes du Chiapas, dans des campements. Ce sont deux types de vie très différents entre les insurgés des montagnes et les Indiens des bases d’appui dans les villages. « Sans doute que la faim n’est pas moins présente qu’auparavant, la situation est difficile sur ces terres de la forêt, mais un tour de reconnaissance dans cette zone permet de voir et de sentir quelque chose qui, il y a dix ans, lorsque nous, reporters, pénétrâmes pour la première fois dans ce territoire, n’existait tout simplement pas. Le coeur de la lutte zapatiste se trouve dans les communautés zapatistes. »
« Depuis 1994, les mesures gouvernementales envers les Indiens n’ont absolument pas changé. Bien au contraire, à chaque fois, le gouvernement militarise de plus en plus les zones peuplées par les Indiens et essaie de résoudre les problèmes des Indiens avec des mesures d’assistanat, qui ne correspondent pas aux droits et aux coutumes des Indiens. Cela, c’est clair, n’a pas changé. [20] »
Concernant la question très épineuse des programmes de la défense nationale au Chiapas, du nombre de soldats, les réponses contradictoires et évasives surgissent. Selon Viquéira : « Il ne faut pas se fier aux ONG. Elles disent que plus de la moitié de l’armée est là. En 2001, Fox a retiré beaucoup de campements et barrages militaires. Et ils ont construit d’autres casernes militaires qui n’existaient pas avant. Le gouvernement dit que c’est pour protéger les frontières, mais en fait c’est parce qu’ils craignent encore qu’il y ait quelque chose avec le zapatisme. »
Les chiffres concernant la présence militaire au Chiapas vont de 8 000 à 70 000 soldats selon les sources consultées ! Pour Miguel Picard, chercheur au Centro de Investigaciones Económicas y Políticas de Acción Comunitaria (CIEPAC) à San Cristobal de Las Casas : « Il est impossible de le savoir. Pourtant on devrait avoir de la transparence à ce niveau, mais c’est très difficile. Ça fait partie du problème. »
À part les enjeux militaires, il faut aussi rappeler que des postes importants dans la direction des affaires de l’État ont été confiés à des dirigeants d’organisations paysannes et que cela a créé un conflit intercommunautaire dans les villages zapatistes. Selon Viquéira, « Il est assez rare de trouver une communauté dans la forêt Lacandone qui soit entièrement zapatiste et on en trouve où il n’y a pas de zapatistes. Mais ce qui est un peu inquiétant pour l’avenir du mouvement, c’est qu’il y a des communautés où il y a deux groupes zapatistes qui sont en mauvaise relation entre eux. » Cette situation n’est pas sans créer des problèmes très épineux et elle donne prise à l’idée que certains conflits armés aient pu avoir une origine inter communautaire.
Le massacre d’Acteal en est un exemple. Durant les fêtes de Noël, en 1997, dans l’église de ce petit village, 19 femmes dont 4 femmes enceintes, 8 hommes, 14 fillettes, 4 garçons furent brutalement assassinés, et 25 personnes blessées. Les versions les plus contradictoires sur l’origine de ce massacre circulent depuis lors et l’impunité la plus totale règne en maître. Certains prétendent que ce sont des Zapatistes divisés qui se sont entretués, d’autres condamnent des communautés alliées du PRI qui auraient agi avec un armement utilisé exclusivement par l’armée et avec des uniformes de l’armée, tandis que d’autres, enfin, accusent l’armée elle-même. « Cette brutale offensive contre la population civile, en totalité indigène, s’est inscrite dans un contexte de guerre irrégulière préparée par le Secrétaire de la défense nationale, conçue par le général de division Miguel Angel Godinez Bravo, ordonnée par le président d’alors, Ernesto Zedillo, le 9 février 1995 et exécutée par le général de division Mario Renan Castillo. [21] » Mais quoi qu’il en soit de ces interprétations parfaitement incompatibles, il n’en reste pas moins que les assassins courent toujours.
Conclusion
Le problème de la pauvreté au Chiapas perdure toujours. Les conflits avec le gouvernement sont loin d’être résolus. En attendant, le désintérêt ou de la déception de l’opinion mexicaine vis-à-vis du mouvement zapatiste repose probablement sur le fait que, depuis onze ans, les Zapatistes n’ont jamais choisi de conquérir le pouvoir pour changer les lois et les programmes et, ce faisant, d’avoir un impact sur une portion importante de la population mexicaine qui vit une pauvreté tout aussi grande un peu partout dans le pays. Pour le moment, l’impact du mouvement zapatiste, de sa résistance et de sa philosophie communautariste se sont fait sentir essentiellement au niveau local. Or la gouvernance néolibérale qui domine le pays et qui appauvrit la population n’est pas circonscrite au Chiapas. C’est pourquoi, si les Zapatistes représentent encore et toujours la voix de millions d’exclus et de laissés-pour- compte à travers le monde, la pratique politique issue du zapatisme a, quant à elle, une portée fort limitée pour le moment. Elle se vit dans les villages et au coeur des communautés autochtones.
Le 20 juin dernier, une alerte rouge a été déclenchée dans le Chiapas. Il y avait longtemps que les Zapatistes n’avaient pris la parole pour s’adresser au monde. Faut-il voir dans cette initiative un retournement de conjoncture et le signal d’un passage à un plan politique plus vaste ? La déclaration de Marcos apparaissait en effet pour le moins dramatique : "Nous sommes en train de consulter notre coeur pour savoir si nous allons dire et faire autre chose. Si la majorité dit que oui, alors nous allons faire le maximum pour y parvenir. Tout, jusqu’à mourir si c’est nécessaire" [22] . Le gouvernement de Vicente Fox a réagi très rapidement et il a immédiatement cherché à calmer le jeu. À une année des élections présidentielles au Mexique, il se pourrait alors que les voix venues de la forêt lacandone en profitent pour se faire entendre à nouveau et, si c’était le cas, le zapatisme pourrait alors réémerger sur la scène nationale.
[1] L’armée zapatiste a été formée le 17 novembre 1983.
[2] Ignacio Ramonet, Marcos, la dignité rebelle, Galilée, Paris, 2001.
[3] Les Déclarations de la Forêt Lacandona -www.ezln.org
[4] Naomi Klein, Journal d’une combattante, Actes sud, 2003.
[5] Jean Ziegler, Les nouveaux maîtres du monde et ceux qui leur résistent, Fayard, Paris, 2002, p.13.
[6] Une phrase popularisée par le mouvement devenue le leitmotiv de la société civile : « UN OTRO MUNDO ES POSIBLE ».
[7] Luis Hernandez Navarro, « La force du silence », La Jornada, 9 juillet 2002.
[8] Le PRI a dominé le pays pendant plus de soixante-dix ans jusqu’en 2000.
[9] Caminando, Spécial Chiapas, Vol.14, no3 juin 1994, CCDHAL.
[10] Rachel Sarrasin, Mouvements sociaux au Mexique, Février 2003, Observatoires des Amériques. En ligne : www.ameriques.uqam.ca
[11] Document relatant les requêtes et les engagements que le gouvernement fédéral et AZLN ont signés le 16 février 1996 (Droits et culture indigènes, Démocratie et justice et Développement et bien-être). www.ezln.org/san_andres/documento_1.htm
[12] Bernard Duterme, « Dix ans de rébellion zapatiste au Chiapas », Le Monde Diplomatique, janvier 2004.
[13] Bilan de l’an 2000.
[14] Citation tirée de : www.tlfq.ulaval.ca/axl/amnord/mexiq...
La suite du texte mérite également d’être citée : « C’est en 1989, dans la mouvance des revendications autochtones, que l’Instituto Nacional Indigenista (Institut
national indigéniste), ou INI, proposa une modification à la
Constitution de 1917 afin que les droits culturels des peuples
autochtones du Mexique soient officiellement reconnus. Cette
modification a été entérinée en 1991 par la Chambre des députés. (...) Cependant,
ces nouvelles dispositions ont une portée juridique générale et
imprécise : elles demeurent forcément limitées dans leur application,
notamment en matière de droits linguistiques. Les dispositions
constitutionnelles n’abordent pas le problème des principes nécessaires
à « l’intégrité des terres des groupes indigènes ».
Répétons-le, la simple mention de l’existence des autochtones ne peut
suffire à effacer du jour au lendemain 500 ans d’exploitation et de
discrimination. Ces mesures constitutionnelles - adoptées dans la
mouvance internationale des demandes autonomistes semblent une
concession, faite sous la pression internationale, aux traditions et
aux langues autochtones, sans offrir de mesures concrètes destinées à
améliorer d’une quelconque manière les conditions de vie des
populations concernées. Étant donné que la reconnaissance
constitutionnelle du caractère multiculturel de la composition ethnique
du Mexique n’a en rien changé la marginalité quotidienne des
autochtones, on comprend mieux pourquoi, quelques années plus tard, est
apparue l’Armée zapatiste de libération nationale (AZLN) ».
[15] Juan Pedro Viqueira, Mario Humberto Ruz. Chiapas, Los Rumbos de otra historia, 1998.
[16] Voir, par exemple : « Chiapas : autonomie sans autorisation », La Jornada, 18 sept. 2004. « L’altermondialiste mexicain », La Jornada, 16 juin 2004. « Que faire après 10 ans de lutte ? » La Jornada, 11 janvier 2004. « EZLN : la force du silence », La Jornada, 9 juillet 2002.
[17] Luis Hernandez Navarro, « Chiapas : autonomie sans autorisation », La Jornada, 7 septembre 2004.
[18] Gloria Muñoz Ramirez, EZLN : 20 et 10, el Fuego y la Palabra, Éditions Nautilus, 2004.
[19] Gloria Muñoz Ramirez. Chiapas, la Resistencia, Supplément spécial 20e anniversaire de La Jornada, México, 19 septembre 2004.
[20] Idem.
[21] Diffusion de l’information sur l’Amérique latine (DIAL), n°2788, du 1 au 15 mars 2005. [->www.dial-infos.org
[22] « Les zapatistes à la recherche d’un second souffle », Le Monde, 24 juin 2005.