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L'état de la planète : "Nous avions autrefois la stérilisation forcée et les expériences du Dr Mengele, nous avons aujourd'hui la technologie génétique et le libre marché.
Ceux qui rêvent de créer une race supérieure sont de retour.Dans un avenir relativement proche, les avancées de la biotechnologie humaine nous permettront peut-être de déterminer la constitution génétique de nos enfants. Il y a quelques mois, le docteur italien Severino Antinori - un habitué de la une des journaux - prétendait avoir implanté des embryons clonés dans diverses femmes. Nous en sommes déjà aujourd'hui au point où il est possible d'interrompre notre progéniture sur une base sélective, si certains critères génétiques ne paraissent pas satisfaisants. Il sera peut-être bientôt possible de déterminer, et finalement de sélectionner, les traits individuels de notre enfant. C'est là précisément que les promesses de la biotechnologie recoupent l'histoire et les horreurs de l'eugénisme, là où resurgit la quête malsaine d'une "amélioration" biologique axée sur le contrôle de la reproduction.
C'est au scientifique britannique Francis Galton que revient le "mérite" d'avoir, au début 20ème siècle, fabriqué le terme "eugénisme" à partir du grec eugenes, qui signifie "bien né". Par la suite, il distinguera deux principaux types d'eugénisme, le positif et le négatif. L' "eugénisme positif" consiste à procréer selon un système de préférences des "individus supérieurs" afin de parfaire le stock génétique de la race humaine.
L' "eugénisme négatif" consiste à décourager ou interdire légalement la reproduction aux individus dont les gènes sont tenus pour "inférieurs" et ceci "par le conseil ou par la stérilisation volontaire ou forcée"(1). Galton, qui était le cousin de Charles Darwin, décrivait l'eugénisme comme "la science de parfaire le stock (…) afin de donner aux races les plus viables la possibilité de prévaloir rapidement sur les moins viables"(2). Il fonda en 1907 la Société Eugénique afin de "diffuser l'enseignement de l'eugénisme et de placer la parenté humaine sous le signe des idéaux eugéniques"(3).
Un mouvement social populaire défendant ses idées apparut vers la fin du 19ème siècle aux Etats-Unis et en Europe. Ce mouvement connut son apogée dans les années 1930 mais disparut après la Seconde Guerre mondiale lorsque furent révélées les pratiques eugéniques horrifiantes du régime nazi. Pour autant, tout soutien à l'idée d'un contrôle génétique de l'être humain ne disparut pas et une certaine adhésion publique à ces idées persista dans les sociétés occidentales.
La conférence de la Fondation Ciba sur le thème "l'homme et son futur", en 1962, marque un tournant dans l'évolution de cette idéologie. Les participants à cette conférence, parmi lesquels figuraient quelques-uns des plus éminents chercheurs de la biotechnologie, s'accordèrent à dire que la biologie moléculaire permettrait sous peu à l'humanité de se rendre maîtresse de l'évolution. Certains des intervenants expliquèrent que les modifications génétiques destinées à favoriser les traits positifs hérités s'inscriraient logiquement dans une stratégie plus vaste visant à fonder un futur meilleur pour l'humanité (4).
Un rapport de 1980 émanant du Bureau de la prévision technologique de la Commission Européenne donne un autre exemple de ce changement de cap. Voici ce que prédisait crânement ce rapport: "Au cours des prochaines vingt ou trente années interviendront deux changements majeurs: l'informatisation de la société (...) [et] une révolution biologique liée au boom des "technologies du vivant". Dans un futur relativement proche, la biotechnologie pourrait être utilisée dans un certain nombre de secteurs: nous pourrions contrôler le développement de l'embryon et peut-être, d'ici à une trentaine d'années, déterminer son sexe. Nous pourrions également prévenir certains dysfonctionnements"(5).
Depuis cette époque, certaines de ces prévisions ont été réalisées, d'autres dépassées (6). La détermination du sexe est non seulement possible, mais par endroits popularisée - en particulier dans les cultures et nations où les enfants de sexe féminin sont "moins désirables". Le diagnostic prénatal et le diagnostic de préimplantatoire rendent possible la "sélection" de certains embryons avant leur implantation dans la femme (7).
Certains scientifiques et philosophes considèrent que ces techniques constituent un retour évident aux pratiques eugéniques. Le problème, remarquent-ils, c'est que la logique de l'eugénisme - la gestion rationnelle d'une population dans un objectif de supériorité - est une logique facilement adaptable à d'autres projets bien plus sinistres que ceux envisagés par les eugénistes "racistes" et "non-racistes", et peut-être par certains tenants de la nouvelle biotechnologie. L'holocauste apparaît désormais comme une possibilité parmi d'autres.
Certains partisans défendent ces technologies sous prétexte que, selon eux, les gens sont libres de les choisir ou de les ignorer. David King, l'éditeur de la revue londonienne GenEthics News, assimile cette attitude à l'émergence d'un nouveau "laissez-faire" eugénique. Les patients reçoivent des conseils génétiques "non directifs" ou ont l'occasion de se soumettre ou de soumettre leurs enfants à un éventail de tests génétiques destinés à détecter des maladies. Mais, ainsi que le fait remarquer King, ce type de conseil est "eugénique tant dans son principe que dans sa visée, dans la mesure où le but est clairement de réduire le nombre de naissances d'enfants affectés de désordres génétiques et congénitaux". En 1997, des chercheurs ont établi à l'occasion d'une enquête publiée dans le Journal of Contemporary Health Law and Policy, que 13 % des généticiens anglais, 50 % des généticiens d'Europe de l'Est et du Sud et la totalité des généticiens chinois et indiens étaient d'accord pour dire que "l'un des buts importants du conseil génétique est de réduire le nombre de gènes délétères dans la population".
Ces méthodes nouvelles visant à éliminer différentes formes de maladies débilitantes et d'invalidités héréditaires posent des questions fondamentales d'éthique. Personne ou presque ne s'oppose au dépistage sur les embryons de désordres génétiques majeurs tels que la maladie de Tay Sachs. Mais accepter la logique de l'eugénisme c'est ouvrir la porte à des pratiques autrement plus controversées: par exemple, les parents pourraient-ils sonder l'embryon afin de déterminer des traits cosmétiques tels que la couleur des yeux? Que penser par ailleurs des modifications génétiques héréditaires qui forceraient les générations à venir à vivre avec des altérations génétiques déterminées par leur ascendance?
De plus, la capacité de pouvoir reconnaître - dans le but de les éliminer - ceux qui risquent de naître avec un handicap a des conséquences néfastes au niveau de la vie sociale. "Les mouvements représentatifs de personnes handicapées signalent avec chaque jour plus de vigueur que ce type de recherches génétiques et de tests créent un climat d'intolérance envers les personnes handicapées", signale le groupe canadien ETC (Advocacy Group on Erosion, Technology and Concentration).
Une étude portant sur l'industrie publiée en 2001 dans Nature répertoriait 361 entreprises biotechnologiques dont plus des trois-quarts étaient installées aux Etats-Unis. Par définition, la stratégie de ces entreprises est dictée par les résultats financiers. Or, si le développement des technologies génétiques est défini par les seules considérations financières, nous serons rapidement confrontés à la généralisation du laissez-faire eugénique.
Maintenant déjà l'industrie s'intéresse à la santé et au bien-être de ceux qui peuvent payer ses services plutôt que de faire appel aux dizaines de millions de dollars qu'alloue l'Etat au développement de la recherche fondamentale. De plus, les lobbies de ce secteur industriel travaillent d'arrache-pied à la suppression de toute régulation gouvernementale. En décembre 2001, au lendemain d'un intense travail de lobbying, le parlement européen vota massivement (316 votes contre 37) contre l'imposition de restrictions plus sévères dans les domaines génétique et biotechnologique.
Un débat public sur les implications sociales des biotechnologies pour l'humanité devrait être organisé de toute urgence. Hélas, rares sont les gouvernements et les agences internationales qui semblent vouloir prendre l'initiative d'un tel débat: pour ainsi dire aucun des ces acteurs n'a appelé à un renforcement du contrôle et des restrictions. Bien que deux de ses quatre fonctions soient de "donner au monde une ligne de conduite dans le domaine de la santé" et de "développer et de transférer les technologies, l'information et les standards de santé appropriés", l'OMS a peu œuvré en faveur de la création d'une régulation internationale de la biotechnologie. L'assemblée générale de l'ONU a bien lancé un processus visant à obtenir une interdiction générale du clonage humain reproductif, mais son acceptation est loin d'être gagnée.
Loin de menacer le progrès scientifique, comme le prétendent certains groupes industriels, l'imposition d'un moratoire ou d'interdictions visant quelques-unes des pratiques les plus dangereuses de la nouvelle technologie génétique humaine pourrait assurer à long terme la viabilité de la recherche médicale et biotechnologique en obligeant les chercheurs à tenir compte des implications sociales et morales de leurs recherches, et à s'en inspirer dans leurs travaux.
Michael Dorsey est professeur titulaire (bourse Thurgood Marshall) résident au Collège de Darthmouth (New Hampshire) et membre du comité directeur du Sierra Club.
Notes
1. A. Rogers et D. de Bousingen, Bioethics in Europe, Strasbourg, Presses du Conseil de l'Europe, 1995, p. 17. Voir également D. Kevles, In the Name of Eugenics, Cambridge, Cambridge University Press, 1995.
2. Francis Galton, Inquiries Into Human Faculty and Its Development, Londres, Macmillan, 1883, p. 25.
3.Francis Galton, Memories of My Life, Londres, Editions Melhuen, 1908, p. 10.
4. G. Wolstenholme éd., Man and His Future Boston, Little Brown, 1963.
5. Commission de la Communauté Européenne, dossier européen. Tomorrow's Bio-society, Bruxelles, Bureau de prévision technologique de la CEE, 1980.
6. Time, 11 janvier, 1999, "Special Issue: The Future of Medicine: The Biotech Century."
7. Rogers et de Bousingen, op.cit., p 17.
La décision Buck v. Bell de 1927 portant sur Emma Buck, sa fille Carrie et la fille de Carrie, Vivian (le mémoire de la Cour Suprême dont un extrait est reproduit ci-contre a été rédigé par Oliver Wendell Holmes Jr.). Les deux premières étaient considérées comme des femmes de mauvaise vie ; Vivian était née du viol de Carrie ; les trois femmes étaient jugées faibles d'esprit et citées en exemple afin de justifier en 1924 la promulgation de la loi de stérilisation eugénique en Virginie. Un des experts de l'Etat affirma que les Buck appartenaient "à la classe la plus paresseuse, ignorante et inutile des blancs anti-sociaux du Sud". Durant sa scolarité, Vivian obtint cependant le tableau d'honneur. Plus de 7'000 personnes furent stérilisées en Virginie entre 1924 et 1979 dans le cadre de ce programme. En mai 2002, cet Etat fut le premier des 30 Etats ayant engagé des programme eugéniques à présenter des excuses pour les stérilisations forcées.
Nous avions autrefois la stérilisation forcée et les expériences du Dr Mengele, nous avons aujourd'hui la technologie génétique et le libre marché. Ceux qui rêvent de créer une race supérieure sont de retour
Par Michael Dorsey
Traduction Alexandre Friederich
Dans un avenir relativement proche, les avancées de la biotechnologie humaine nous permettront peut-être de déterminer la constitution génétique de nos enfants. Il y a quelques mois, le docteur italien Severino Antinori - un habitué de la une des journaux - prétendait avoir implanté des embryons clonés dans diverses femmes. Nous en sommes déjà aujourd'hui au point où il est possible d'interrompre notre progéniture sur une base sélective, si certains critères génétiques ne paraissent pas satisfaisants. Il sera peut-être bientôt possible de déterminer, et finalement de sélectionner, les traits individuels de notre enfant. C'est là précisément que les promesses de la biotechnologie recoupent l'histoire et les horreurs de l'eugénisme, là où resurgit la quête malsaine d'une "amélioration" biologique axée sur le contrôle de la reproduction.
C'est au scientifique britannique Francis Galton que revient le "mérite" d'avoir, au début 20ème siècle, fabriqué le terme "eugénisme" à partir du grec eugenes, qui signifie "bien né". Par la suite, il distinguera deux principaux types d'eugénisme, le positif et le négatif. L' "eugénisme positif" consiste à procréer selon un système de préférences des "individus supérieurs" afin de parfaire le stock génétique de la race humaine.
L' "eugénisme négatif" consiste à décourager ou interdire légalement la reproduction aux individus dont les gènes sont tenus pour "inférieurs" et ceci "par le conseil ou par la stérilisation volontaire ou forcée"(1). Galton, qui était le cousin de Charles Darwin, décrivait l'eugénisme comme "la science de parfaire le stock (…) afin de donner aux races les plus viables la possibilité de prévaloir rapidement sur les moins viables"(2). Il fonda en 1907 la Société Eugénique afin de "diffuser l'enseignement de l'eugénisme et de placer la parenté humaine sous le signe des idéaux eugéniques"(3).
Un mouvement social populaire défendant ses idées apparut vers la fin du 19ème siècle aux Etats-Unis et en Europe. Ce mouvement connut son apogée dans les années 1930 mais disparut après la Seconde Guerre mondiale lorsque furent révélées les pratiques eugéniques horrifiantes du régime nazi. Pour autant, tout soutien à l'idée d'un contrôle génétique de l'être humain ne disparut pas et une certaine adhésion publique à ces idées persista dans les sociétés occidentales.
La conférence de la Fondation Ciba sur le thème "l'homme et son futur", en 1962, marque un tournant dans l'évolution de cette idéologie. Les participants à cette conférence, parmi lesquels figuraient quelques-uns des plus éminents chercheurs de la biotechnologie, s'accordèrent à dire que la biologie moléculaire permettrait sous peu à l'humanité de se rendre maîtresse de l'évolution. Certains des intervenants expliquèrent que les modifications génétiques destinées à favoriser les traits positifs hérités s'inscriraient logiquement dans une stratégie plus vaste visant à fonder un futur meilleur pour l'humanité (4).
Un rapport de 1980 émanant du Bureau de la prévision technologique de la Commission Européenne donne un autre exemple de ce changement de cap. Voici ce que prédisait crânement ce rapport: "Au cours des prochaines vingt ou trente années interviendront deux changements majeurs: l'informatisation de la société (...) [et] une révolution biologique liée au boom des "technologies du vivant". Dans un futur relativement proche, la biotechnologie pourrait être utilisée dans un certain nombre de secteurs: nous pourrions contrôler le développement de l'embryon et peut-être, d'ici à une trentaine d'années, déterminer son sexe. Nous pourrions également prévenir certains dysfonctionnements"(5).
Depuis cette époque, certaines de ces prévisions ont été réalisées, d'autres dépassées (6). La détermination du sexe est non seulement possible, mais par endroits popularisée - en particulier dans les cultures et nations où les enfants de sexe féminin sont "moins désirables". Le diagnostic prénatal et le diagnostic de préimplantatoire rendent possible la "sélection" de certains embryons avant leur implantation dans la femme (7).
Certains scientifiques et philosophes considèrent que ces techniques constituent un retour évident aux pratiques eugéniques. Le problème, remarquent-ils, c'est que la logique de l'eugénisme - la gestion rationnelle d'une population dans un objectif de supériorité - est une logique facilement adaptable à d'autres projets bien plus sinistres que ceux envisagés par les eugénistes "racistes" et "non-racistes", et peut-être par certains tenants de la nouvelle biotechnologie. L'holocauste apparaît désormais comme une possibilité parmi d'autres.
Certains partisans défendent ces technologies sous prétexte que, selon eux, les gens sont libres de les choisir ou de les ignorer. David King, l'éditeur de la revue londonienne GenEthics News, assimile cette attitude à l'émergence d'un nouveau "laissez-faire" eugénique. Les patients reçoivent des conseils génétiques "non directifs" ou ont l'occasion de se soumettre ou de soumettre leurs enfants à un éventail de tests génétiques destinés à détecter des maladies. Mais, ainsi que le fait remarquer King, ce type de conseil est "eugénique tant dans son principe que dans sa visée, dans la mesure où le but est clairement de réduire le nombre de naissances d'enfants affectés de désordres génétiques et congénitaux". En 1997, des chercheurs ont établi à l'occasion d'une enquête publiée dans le Journal of Contemporary Health Law and Policy, que 13 % des généticiens anglais, 50 % des généticiens d'Europe de l'Est et du Sud et la totalité des généticiens chinois et indiens étaient d'accord pour dire que "l'un des buts importants du conseil génétique est de réduire le nombre de gènes délétères dans la population".
Ces méthodes nouvelles visant à éliminer différentes formes de maladies débilitantes et d'invalidités héréditaires posent des questions fondamentales d'éthique. Personne ou presque ne s'oppose au dépistage sur les embryons de désordres génétiques majeurs tels que la maladie de Tay Sachs. Mais accepter la logique de l'eugénisme c'est ouvrir la porte à des pratiques autrement plus controversées: par exemple, les parents pourraient-ils sonder l'embryon afin de déterminer des traits cosmétiques tels que la couleur des yeux? Que penser par ailleurs des modifications génétiques héréditaires qui forceraient les générations à venir à vivre avec des altérations génétiques déterminées par leur ascendance?
De plus, la capacité de pouvoir reconnaître - dans le but de les éliminer - ceux qui risquent de naître avec un handicap a des conséquences néfastes au niveau de la vie sociale. "Les mouvements représentatifs de personnes handicapées signalent avec chaque jour plus de vigueur que ce type de recherches génétiques et de tests créent un climat d'intolérance envers les personnes handicapées", signale le groupe canadien ETC (Advocacy Group on Erosion, Technology and Concentration).
Une étude portant sur l'industrie publiée en 2001 dans Nature répertoriait 361 entreprises biotechnologiques dont plus des trois-quarts étaient installées aux Etats-Unis. Par définition, la stratégie de ces entreprises est dictée par les résultats financiers. Or, si le développement des technologies génétiques est défini par les seules considérations financières, nous serons rapidement confrontés à la généralisation du laissez-faire eugénique.
Maintenant déjà l'industrie s'intéresse à la santé et au bien-être de ceux qui peuvent payer ses services plutôt que de faire appel aux dizaines de millions de dollars qu'alloue l'Etat au développement de la recherche fondamentale. De plus, les lobbies de ce secteur industriel travaillent d'arrache-pied à la suppression de toute régulation gouvernementale. En décembre 2001, au lendemain d'un intense travail de lobbying, le parlement européen vota massivement (316 votes contre 37) contre l'imposition de restrictions plus sévères dans les domaines génétique et biotechnologique.
Un débat public sur les implications sociales des biotechnologies pour l'humanité devrait être organisé de toute urgence. Hélas, rares sont les gouvernements et les agences internationales qui semblent vouloir prendre l'initiative d'un tel débat: pour ainsi dire aucun des ces acteurs n'a appelé à un renforcement du contrôle et des restrictions. Bien que deux de ses quatre fonctions soient de "donner au monde une ligne de conduite dans le domaine de la santé" et de "développer et de transférer les technologies, l'information et les standards de santé appropriés", l'OMS a peu œuvré en faveur de la création d'une régulation internationale de la biotechnologie. L'assemblée générale de l'ONU a bien lancé un processus visant à obtenir une interdiction générale du clonage humain reproductif, mais son acceptation est loin d'être gagnée.
Loin de menacer le progrès scientifique, comme le prétendent certains groupes industriels, l'imposition d'un moratoire ou d'interdictions visant quelques-unes des pratiques les plus dangereuses de la nouvelle technologie génétique humaine pourrait assurer à long terme la viabilité de la recherche médicale et biotechnologique en obligeant les chercheurs à tenir compte des implications sociales et morales de leurs recherches, et à s'en inspirer dans leurs travaux.
Michael Dorsey est professeur titulaire (bourse Thurgood Marshall) résident au Collège de Darthmouth (New Hampshire) et membre du comité directeur du Sierra Club.
Notes
1. A. Rogers et D. de Bousingen, Bioethics in Europe, Strasbourg, Presses du Conseil de l'Europe, 1995, p. 17. Voir également D. Kevles, In the Name of Eugenics, Cambridge, Cambridge University Press, 1995.
2. Francis Galton, Inquiries Into Human Faculty and Its Development, Londres, Macmillan, 1883, p. 25.
3.Francis Galton, Memories of My Life, Londres, Editions Melhuen, 1908, p. 10.
4. G. Wolstenholme éd., Man and His Future Boston, Little Brown, 1963.
5. Commission de la Communauté Européenne, dossier européen. Tomorrow's Bio-society, Bruxelles, Bureau de prévision technologique de la CEE, 1980.
6. Time, 11 janvier, 1999, "Special Issue: The Future of Medicine: The Biotech Century."
7. Rogers et de Bousingen, op.cit., p 17.
La décision Buck v. Bell de 1927 portant sur Emma Buck, sa fille Carrie et la fille de Carrie, Vivian (le mémoire de la Cour Suprême dont un extrait est reproduit ci-contre a été rédigé par Oliver Wendell Holmes Jr.). Les deux premières étaient considérées comme des femmes de mauvaise vie ; Vivian était née du viol de Carrie ; les trois femmes étaient jugées faibles d'esprit et citées en exemple afin de justifier en 1924 la promulgation de la loi de stérilisation eugénique en Virginie. Un des experts de l'Etat affirma que les Buck appartenaient "à la classe la plus paresseuse, ignorante et inutile des blancs anti-sociaux du Sud". Durant sa scolarité, Vivian obtint cependant le tableau d'honneur. Plus de 7'000 personnes furent stérilisées en Virginie entre 1924 et 1979 dans le cadre de ce programme. En mai 2002, cet Etat fut le premier des 30 Etats ayant engagé des programme eugéniques à présenter des excuses pour les stérilisations forcées.
Par Michael Dorsey
Traduction Alexandre Friederich