Il faut «COM-MU-NI-QUER»! . Véritable leitmotiv de tout ce qui compte, ou plutôt croit compter, en politique. Le «déficit de communication», comme ils disent, est en passe de remplacer le «désaccord» ou la «divergence»
Si l’«
on n’est pas d’accord» avec un décision officielle, c’est que forcément «
on a été mal informé», ou que l’«
on a mal compris» ou que l’«
on nous a mal expliqué». Ce qui veut dire qu’en aucun cas on n’envisage une quelconque divergence.
LA RAISON
DU PLUS FORT…
Il est un fait acquis et sur lequel il est inutile,
voire indécent, pour le système marchand, de revenir, c’est que la raison est
une et se doit d’être partagée par toutes et tous. La
vérité, c’est bien
connu, est la chose la mieux partagée au monde….
C’est probablement un
des aspects les plus dangereux du système qui est souligné ici: cette volonté
«totalisante» et même «totalitaire» de la certitude de la vérité. et du bon
droit (voir l’article «
LE TOTALITARISME MARCHAND»). «
Comment se pourrait-il
que le système ai tord tellement il est évident qu’il a raison dans ses
principes?»… ainsi peut se résumer la problématique posée. Notons qu’il
n’innove pas en la matière… l’Eglise a largement usé et abusé de ce procédé… la
«
vérité» était, il est vrai, d’une autre nature.
Une fois acquise
cette certitude il ne reste plus qu’à convaincre, à faire comprendre à des gens
qui «
forcément n’ont pas compris»… pas qui ne sont pas d’accord, mais qui
n’ont pas compris comment cela doit se passer, comment cela doit être. Il faut
donc être avec eux pédagogues… leur montrer ce qu’ils n’ont pas vu…. Et que
«
ça peut arriver à tout le monde»… et que l’«
on est là pour leur
expliquer»…
Une telle conception établi un rapport hiérarchique
particulièrement pervers qui infantilise l’autre, le met et le reconnaît en
situation d’infériorité, qui fonde la divergence sur un simple malentendu, une
incompréhension…. sous entendu, c’est l’opposant qui a «mal entendu»… qui n’a
pas ou mal compris… il n’est pas pensable qu’il ne change pas d’avis et,
n’adopte une vision «juste» des choses… «
On va se donner le temps de lui
expliquer»…
Le système a raison parce qu’il ne peut pas avoir tord…
et pourquoi ne peut-il pas avoir tord? Simplement parce qu’il
est et
qu’il n’y a pas d’autre réalité en dehors de lui. CQFD. Les «experts»,… les
fameux «experts», nous le confirment.
UNE NOUVELLE FORME DE
«DEMOCRATIE»
L’ère de la communication inaugure une nouvelle ère
de «démocratie».
Le conflit change de nature. «
Etre en conflit»
n’a plus le sens d’autrefois. Par exemple il n’y a plus de «
conflit
d’intérêt», à fortiori de conflit entre les catégories sociales, les classes
sociales…d’ailleurs la «
lutte des classes» n’est-elle pas morte? On est
«
engagé sur le même bateau» Il suffit simplement d’échange, de se
concerter… et pour cela quoi de mieux que la communication. Qu’il y ait des
riches et des pauvres n’est pas le problème, l’essentiel étant que tous soient
informés de la situation de chacun. «
Nous avons communiqué sur les situations
respectives… conclusion: il n’y a plus de problème… les choses sont claires
entre nous »… Ben voyons.
Tout conflit potentiel est un malentendu
regrettable, voire l’expression de la mauvaise foi de celle ou celui qui ne veut
pas entendre raison. L’opposant alors relève de la psychiatrie s’il n’arrive pas
à comprendre, de la répression s’il est de mauvaise fois.
Le Pouvoir
change même de nature, du moins en apparence. Un pouvoir qui communique est
forcément un pouvoir démocratique, proche des gens, qui n’a rien à cacher,
qui«
joue le jeu de la démocratie» «
qui joue le jeu de la
transparence». Que peut-on reprocher à un pouvoir qui communique… ou du
moins qui dit qu’il communique. S’il communique c’est «
qu’il n’a rien à
cacher», «
n’a aucune arrière pensée»… Ben voyons
Communiquer
devient une
fin en soi, un instrument de gouvernement et de gestion, une
manière de dire
«l’important ce n’est pas le problème et sa solution»
mais le fait de dire «
on sait qu’il existe, on le dit et donc on ne peut que
nous faire confiance». La communication devient le support d’un discours
politique vide, qui n’a de sens que dans la forme qu’il prend et que par la
manière dont cette forme agit sur l’opinion publique. La communication devient
la mise en forme spectaculaire d’une pensée éteinte. Peu importe ce qui est dit,
l’important c’est que l’«
on sache que l’on a dit»… Il suffit d’analyser
le vide du discours politique.
La communication devient alors une vaste
entreprise de manipulation. Elle devient aussi le support de la
désinformation.
COMMUNICATION ET MANIPULATION
On
comprend dès lors que la communication devienne un élément essentiel de
gouvernance…. Surtout pour un système, le système marchand, qui n’a plus rien à
proposer, à négocier et qui est entré en décadence (voir l’article
«
DECADENCE»).
La communication est entrain de faire de l’information une
arme de démobilisation à l’égard des contestataires du système. En effet,
concrétiser un rapport de force par un conflit, c’est rompre la communication,
l’échange avec la partie adverse… or ça c’est mal.
Celle ou celui qui
refuse la communication, ou met en doute son pouvoir déclaré «apaisant» et
«régulateur» est forcément un provocateur, un personnage de mauvaise foi.
Dès lors, la communication sert à s’adresser non plus à l’autre partie
mais aux autres, aux tiers, aux spectateurs que l’on prend à témoins, aux
«
usagers pris en otage par les grévistes».«
aux gens de bonne volonté
qui souhaitent dialoguer» «
à celles et ceux qui ne se laissent pas
emporter par la passion»…
Le communicateur retombe toujours sur ses
pieds… il a toujours quelqu’un à qui s’adresser… à délivrer un message qui
«
prouve sa bonne volonté», même, et surtout s’il n’a rien à dire
d’essentiel, même et surtout si ce qu’il va dire est faux. La communication
tient lieu de moyen d’existence politique On existe non plus par l’information
que l’on délivre, par la
praxis mais par l’image que l’on donne de soi.
La communication devient un instrument de
séduction. La mystification est
complète.
La communication est d’autant plus importante que l’on n’a rien
à dire, rien à proposer. Communiquer permet de ne jamais répondre à la question
posée, au problème ou au conflit présent… tout en donnant l’impression d’être
attentif. On communique, on dialogue, on maintien l’échange… pendant ce temps le
problème demeure… Et si l’on a un peu de chance, la communication permet de
faire dévier la question initiale. On «joue la montre», au point d’exaspérer son
interlocuteur qui rompt la communication… ce qui lui est immédiatement reproché
et la question vient sur son «
manque d’esprit démocratique», «
manque
d’esprit de concertation», «
il cède à ses tendances belliqueuses»,.…
La communication arrête le temps, permet d’établir un espèce de
consensus mou, ou les positions sont en demi teinte et peuvent donner l’illusion
de la convergence voire de l’accord. Au point souvent que lorsque l’accord est
conclu il est immédiatement entaché de suspicion, de mésentente: «
Ce n’est
pas cela que l’on voulait dire», «
Ca a été mal interprété»,
‘«
C’est sorti de son contexte»…
La communication devient ce dont
pouvait s’attendre, une non communication. Qui donne l’impression de l’écoute et
de l’ouverture d’esprit… une pure manipulation.
OUTILS DE LA
COMMUNICATION, OUTILS DU POUVOIR
Détenir les moyens de la
communication ou tout au moins les contrôler est devenu un élément essentiel de
la gouvernance. Tout homme ou femme politique travaille ses techniques de
communication, a son conseiller en communication. L’apparence prime sur
l’essence… car l’importance n’est pas l’idée mais la manière de la faire passer,
voire de donner l’illusion que l’on en a… des idées. Ce n’est pas nouveau… tout
pouvoir a procédé ainsi. Ce qui marque aujourd’hui c’est la puissance de ces
moyens sans commune mesure avec ceux du passé.
De plus, et c’est un
élément essentiel, les moyens de communication sont devenus de véritables
industries, autrement dit des parties du système marchand lui-même. La
communication est devenue une activité lucrative, mise au service de la
valorisation du capital qui s’y investi (aspect économique) et mis au service de
la justification de celui-ci (aspect idéologique). Une entreprise de
communication est une entreprise comme une autre… il faut que l’activité
rapporte, et ce, si j’ose dire, à n’importe quel prix. Ainsi, «service de
communication», «chargés de communication», sont devenus des outils
indispensables de la gouvernance et de la gestion.
La communication se
vend et s’achète. Ce n’est plus un mode de relation c’est une marchandise qui
comme toute marchandise a son prix et sa valeur d’usage, cette dernière étant
adaptée aux besoins de celui qui l’achète. On a d’autant plus les moyens de
communiquer que l’on peux se les payer. Celui qui communique le plus, à défaut
de mieux, n’est pas celui qui a à dire, c’est celui qui peut payer. Or celui qui
détient la richesse aujourd’hui c’est celui qui a intérêt à défendre le système…
on voit tout de suite ce que peut devenir la communication entre ses mains.
Cette «société de communication» que l’on nous vante tant, comme
l’on nous avait vanté la «société de consommation» ne transcende pas les
rapports sociaux ou ne «modernise pas la démocratie» comme l’on voudrait nous le
faire croire. Elle ne permet pas plus de rapprochement entre les individus, plus
de reconnaissance et de solidarité. Au contraire elle participe à la
manipulation de l’information au conditionnement et à l’asservissement. C’est en
se ressaisissant de l’outil de l’information que l’on pourra le mettre au
service de relations solidaires et humaines. Le système marchand a fait de la
communication un instrument supplémentaire de domination et de sa propre
reproduction.
Patrick
MIGNARD