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L'avenir d'une illusion : la famille conjugale
Qu' est-ce que cette économie sexuelle qui s'est mise en place autour d'une panoplie nouvelle de mesures « permissives » ? Qu'est-ce qui s'installe avec la libération progressive. de la contraception, de l'avortement, du divorce, avec l'enseignement sexuel dans les lycées, l'autorisation pour les élèves enceintes de poursuivre leur scolarité dans le cadre des Institutions, avec enfin l'explosion de la pornographie et de la prostitution ?


II a fallu un demi-siècle pour abroger la loi de 1920 contre l'avortement. Plus d'une génération pour institutionnaliser la contraception. Le tout, même dans la demi-mesure, arraché de haute lutte. Mais, au bout du compte, qu'est-ce qui se trouve modifié dans la sexualité du corps social où nous vivons ? Nous sommes en train de passer d'un régime familial à un autre : un nouveau rétrécissement de la cellule familiale au couple conjugal. Et un couple conjugal non plus définitif, mais à répétition, à travers des monogamies successives aménagées par le divorce.
Dans une économie de l'échange marchand aussi mobile que la nôtre, où l'on institutionnalise le recyclage, le changement d'emploi, de région, la cellule de base qu'est la famille doit à son tour se rendre apte au changement. Un corps social où les marchandises circulent de plus en plus, un corps social tout entier stimulé par la consommation incite à son tour à la dépense sexuelle : mais une dépense calquée sur le régime économique, bref une économie sexuelle de contrat, marchande et de spectacle.
Le mariage et l'adultère, la prostitution et la pornographie, demeurent les ressorts majeurs du régime sexuel bourgeois. Là où ! Il y a changement, c'est dans la gestion de ce régime ; une hygiène sexuelle aménageant le maximum d'ouvertures, capable de maintenir en vie le couple conjugal, son plaisir, son bonheur. Le familialisme rigide et puritain s'efface au profit d'une conjugalité tolérante, supportant les à-côtés, à condition de les réglementer. L'homosexualité passe à RTL, dans Marie Claire, ou dans Elle, pourvu qu'elle respecte le couple et la durée.

le rempart conjugal

Mais que recouvre la morale conjugale ? La famille au sens plein s'est vidée de son contenu parce que toute une série de fonctions traditionnelles sont désormais remplies par l'Etat. Le contrôle social passe par d'autres relais : l'instituteur, le médecin, l'assistante sociale, l'avocat, le juge. La gestion proprement dite des enfants n'appartient plus à la famille. C'est l'école qui oriente, qui sélectionne. Mais reprenons l'exemple de l'avortement qui vient d'être légalisé. Les femmes ne sont toujours pas libres de leur décision. Les hôpitaux leur sont-ils ouverts ? Sous réserve que le directeur et le conseil d'administration n'aient pas refusé le principe d'une telle intervention dans leurs locaux. De plus, aucun médecin n'est tenu de pratiquer, et il faut une confirmation écrite de la femme après plusieurs consultations médicales aptes à juger. Toutes ces démarches organisent la discrimination, les liens avec la médecine n'étant pas les mêmes pour tous et se hiérarchisant selon les clauses. L'essentiel est là, le code des décisions institutionnelles maintient clairement le modèle patriarcal que la morale de tolérance peut relâcher : l'affaire de l'hôpital de Rouen où le médecin Duval refuse un avortement parce qu'il obéit à ses yeux à « une convenance personnelle » (janvier à avril 1975) l'indiqua assez. De même l'affaire d'Aix-en-Provence : une apprentie coiffeuse doit avoir recours au MLAC pour un avortement ; elle ne peut s'adresser directement à l'hôpital. Mineure, elle ne dispose pas du consentement de ses parents. Ceux-ci portent plainte (début novembre 1975).
Le couple conjugal est loin d'être un électron libre gravitant autour de son « bonheur privé ». Tout un dispositif de contrôle social le « double » et renforce au besoin les failles du régime patriarcal.
Quel rempart pourtant cette famille conjugale ! Version moderniste du Patriarcat, elle constitue le modèle irremplaçable de l'échange bourgeois (sexuel, social, économique). Cette famille tolérante organise en effet quelque chose d'indispensable : l'apprentissage de la hiérarchie, l'intériorisation des mécanismes de répression, l'incorporation de la mentalité autoritaire., Comment ? A travers les rapports de domination entre les sexes. Ce mécanisme traditionnel est simplement rendu plus subtil. Ecoutez comme Benoîte Groult mesure les effets de ce qui, pour elle, est « une révolution de tous les jours » : les articles de Fanny Deschamps, les émissions de Ménie Grégoire. « Pour la première fois, le catéchisme insinue que la femme n'a pas été créée uniquement pour l'homme et que transmettre la vie ne dispense pas de la vivre. Même la dédier à un homme, fût-il grand, ne justifie pas qu'on renonce à vivre ce don unique, sa propre vie, cette merveille et cette obligation aussi, qu'est une vie » (Ainsi soit-elle, Ed. Grasset).
Le bonheur conjugal est à ce prix. Il maintient en douce le code patriarcal : « dédier sa vie à un homme ».
Et quel est cet homme ? Mieux vaut qu'il soit le père. Voyez le modèle de la sexualité énoncé par l'Encyclopédie Hachette (Manuel d'éducation sexuelle). Quelques conseils aux parents : « il nous a semblé que la meilleure façon de vous aider à répondre à l'enfant était de raconter une histoire . identique à la vôtre. II y apprendra le rôle du père, et surtout l'existence de la relation sexuelle, relation privilégiée qui pour n'être pas toujours un acte de procréation sous-entend bien souvent l'amour d'un petit être futur » (cité par Dony Duvert. Le bon sexe illustré, Ed. Minuit).
De cette manière subtile, l'enfant à qui l'on enseigne la loi du sexe, apprend que c'est pour plus tard et dans la famille que ça va se passer sous la protection paternelle. Une répression sexuelle en douceur qui continue à brancher le plaisir sur le père et la mère. Tout reste intact : la division des tâches, le travail domestique gratuit des femmes, la fonction maternelle d'entretien des enfants et de la famille : une ségrégation sociale primaire, élémentaire de base, qu'on apprend en naissant, en vivant dans sa famille auprès de son père et de sa mère. Tous les mécanismes de l'autorité se mettent en place de cette façon.
A la maison. la femme joue le contremaître. Elle a l'illusion de régner, de détenir un pouvoir parce qu'elle est responsable de la gestion domestique. Mais le vrai maître, c'est le père. L'enfant apprend dès la naissance cette distribution étagée de l'autorité : la petite tyrannie domestique dépendant d'un pouvoir plus distant où le contrôle réel s'exerce (le capital, c'est le père, même si les deux parents travaillent. L'inégalité des salaires masculin et féminin, la dévalorisation du travail des femmes est là pour le rappeler).

un code privé

Le modèle conjugal constitue ainsi la matrice des rapports sociaux, à partir de la hiérarchie des rapports hommes-femmes, traduite comme rapports père-mère. C'est là où on se familiarise, dès l'enfance, avec un modèle de l'autorité et de la domination, venu de l'entreprise capitaliste. Tout le code social s'apprend là.
Cela va beaucoup plus loin. La brochure Lip au féminin nous indique jusqu'où. Le modèle conjugal fait passer une ligne étanche entre la vie sociale et la vie privée. Les femmes sont la contradiction vivante de cette situation. Les grévistes qui, par exemple, absentes pour une tournée de meetings, reçoivent la sanction d'un bulletin scolaire : mauvais résultats, motif : absence de la mère. Le privé, relayé par l'école, pénalise un rôle non traditionnel de la femme. Les femmes de grévistes à leur tour : Fernande Vittot et Annie Piaget, épouses des deux leaders CFDT de Lip ont été invitées par la commission-femmes. II fallait rompre leur isolement. Tandis que leurs époux leaders stimulaient la popularisation du conflit Lip auprès de l'opinion, leurs femmes restaient à l'écart, et sans aucune information. Débordés par leurs responsabilités, ils n'avaient pas le temps. Elles restaient, elles, immobilisées au foyer par le redoublement des tâches domestiques suscité par leur absence. Le modèle conjugal a, comme on le voit, la vie dure et une efficacité inattendue. II installe partout l'antagonisme privé-social. On a envie de citer Tony Duvert à ce propos : « quand l'honnête travailleur communiste - on pourrait là dire cédétiste -, retour de militer, rejoint sa famille patriarcale et bien soumise, il serait indigné qu'on lui dise que cet ordre au foyer travaille pour le patronat et en assure l'avenir ».

politique et famille

Toute la stratégie révolutionnaire est aveugle sur cette question. Au fond, le seul lieu d'où soit pris en charge la politique de la famille, c'est l'Etat. Le seul lieu qui synthétise toutes ces pratiques, politiques, économiques, sociales, sexuelles, c'est encore l'Etat. D'où sa force.
L'Etat ne se maintient pas seulement par la violence policière, le contrôle administratif et le pouvoir économique. II se maintient aussi parce qu'il s'organise sur des millions de cellules élémentaires qui reproduisent ses rouages : les familles. Mais en famille, les rouages sociaux deviennent privés et prennent un masque.
La question de la famille (de la libération sexuelle) est une question pratique de la politique. Ce n'est pas une question en l'air, abstraite et lointaine. C'est cette pratique politique nouvelle que le mouvement des femmes doit inventer.

Pascale Werner

Politique Hebdo #197 du 13 novembre 1975
Ecrit par libertad, à 23:24 dans la rubrique "Pour comprendre".



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