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Du "politiquement correct" au puritanisme
Lu sur Courant alternatif : "Dans nos sociétés occidentales, le « politiquement correct » est en train de devenir une arme idéologique qui accompagne le renforcement totalitaire de l’Etat. Souvent mis en place par ceux qui réclament un retour à l’Etat-providence des « trente glorieuses » et qui considèrent à tort que la mondialisation a entraîné un affaiblissement de l’Etat, il est devenu un prêt-à-penser idéologique, ce qui, en feignant d’entériner certains acquis de décennies de luttes, lui confère une auréole progressiste acceptable par le bon peuple de gauche. Il est le fruit à la fois de luttes particulières et identitaires, rétrécies au point d’être privées de projet global, et du retour du religieux, qui donne du monde et de l’Histoire une vision dans laquelle le mal le dispute au bien.



Si le « politiquement correct » a pu si facilement s’installer comme instrument de contrôle social et comme élément des nouveaux moralismes, c’est qu’il est pour partie issu d’une légitime exigence d’adéquation entre le « dire » et le « faire », entre les « idées » politiques et les comportements quotidiens. Qu’il s’agisse des rapports au travail, entre les femmes et les hommes, les enfants et les adultes, à la sexualité, au racisme et autres joyeusetés, nous avons connu, et approuvons toujours, ces tentatives de ne pas cantonner le « politique » à une sphère particulière et restreinte, mais de lui faire embrasser tous les aspects de la vie et plus particulièrement ce qui touche à la domination et à la hiérarchie.
Cette exigence implique sans doute que s’exerce sur les individus une « pression », que l’on pourrait qualifier de morale, afin qu’ils se plient aux exigences comportementales et symboliques découlant des idées émises, adoptées et élaborées par tel ou tel groupe, telle ou telle société (1). Il serait par exemple souhaitable qu’une antispéciste ne mange pas de viande, qu’un antisexiste ne batte pas sa femme, qu’un anarchiste ne deviennen ni cadre ni patron (même petit), et qu’une révolutionnaire ne passe pas devant le curé ou le maire pour s’accoupler en toute légalité. Cela signifie que l’on ne peut être rouge ici, blanc là, noir encore ailleurs. Cette exigence, en opposition évidente avec les fondements du monde politique, des affaires des Eglises et de l’établissement, se range de fait dans le camp de la contestation de l’ordre établi.
Pendant longtemps, cette « pression morale » s’est exercée essentiellement, certes parfois de manière critiquable (2), sans réelle médiation institutionnelle, à un niveau « militant », d’individu à individu ou de groupe à groupe. Le modèle auquel il fallait se conformer dans son comportement et ses dires avait été élaboré du bas de la société et n’était pas encore récupéré par le haut. Cela restait essentiellement une tentative plus ou moins collective d’exister différemment dans une société qui, à l’inverse, cultivait les inadéquations, les hypocrisies, le « Faites ce que je dis, pas ce que je fais ».
Progressivement, ces pressions ne se sont plus exercées seulement entre « égaux », au sein et dans le bas de la « société civile », mais par la loi et donc par l’Etat. D’une situation où des dominés tentaient de changer le monde, le politiquement correct est intervenu pour transformer cette exigence en une arme des puissants pour le conserver. C’est devenu une affaire d’Etat. Revendications et exigences ont été vidées de leur contenu premier et fondamental, de leur substance subversive et créatrice, pour devenir une simple poudre aux yeux, une substance morte, éteinte, froide comme l’Etat.
En moins de deux décennies, un certain nombre d’éléments constitutifs d’une identité politique à caractère rupturiste ont été en partie ossifiés au point que celles et ceux qui en furent les accompagnateurs sont parfois soupçonnés de ne pas être ce qu’ils prétendaient être.
Il s’agit de ce qui touche au racisme, à l’oppression des femmes, à l’homosexualité, à l’éducation des enfants et à l’art.
C’est parce que l’antisexisme n’avait nul besoin, pour s’affirmer, d’une justification scientifique ou d’un quelconque débat sur la « nature des choses » qu’il se situait sur le terrain du « désir » et non sur celui de la « raison ». Parce que notre féminisme se foutait du tiers comme du quart de voir des femmes accéder aux pouvoirs qu’il était subversif. Parce que notre antifascisme n’avait de sens que comme conséquence de la barbarie capitaliste et ne nous fermait les yeux ni sur le « fascisme rouge » ni sur les éléments qui laissaient prévoir bien d’autres barbaries futures, quel que soit leur nom, qu’il était créateur et non passéiste. Parce que la liberté de penser et de dire ne souffrait, à nos yeux, aucune exception et que le slogan « Pas de liberté pour les ennemis de la liberté » (promu jadis par des maos devenus « nouveaux philosophes » et à présent prêtres néopuritains du citoyennisme) n’était selon nous qu’un projet terrifiant, par le totalitarisme qu’il contenait, que nous nous situions dans la veine libertaire.

Un espace de fermeture

Or, à présent, l’émergence du « politiquement correct », destiné à réintégrer ces exigences subversives en éléments constitutif du républicanisme, c’est-à-dire en éléments propres et lisses, aptes à figurer dans les manuels scolaires, nous transformerait, pour peu que l’on n’y prenne pas garde, en antisémites, en homophobes, en zélateurs du patriarcat, en fascistes potentiels ou réels aux yeux de nos nouveaux prélats. C’est que, pour ces derniers, hors l’église républicaine point de salut, les revendications précitées n’ayant de valeur que vidées de leur contenu antiétatique, autrement dit réduites à pas grand-chose.
Le « politiquement correct », avec toutes les inclinaisons « bien-pensantes » qu’il contient, est devenu un espace de fermeture destiné à éviter tout débat réel, ou du moins à le circonscrire puis à le transformer au plus vite, quand cela devient nécessaire, en un débat virtuel, réservé aux élites et aux institutions. Un débat qui devient alors un pur spectacle qui s’aboutit et se dissout dans le législatif. Le « politiquement correct » a besoin de s’acoquiner avec le législateur afin que le droit n’apparaisse plus pour ce qu’il est : l’établissement d’un rapport de forces, et la conséquence de luttes (ou alors que ces luttes soient fort anciennes et que l’on les célèbre comme une messe), mais comme une évidence que l’Etat appuie en apparaissant une nouvelle fois comme le garant de la protection des faibles.
Sa fonction est alors de susciter la crainte. Crainte de ne pas être dans le droit chemin, d’être montré du doigt, voire puni sévèrement. Crainte de paraître homophobe pour qui n’est pas pour le mariage homosexuel, crainte de paraître antisémite pour qui fustige l’Etat d’Israël, de paraître sexiste si on se fout du pourcentage de femmes cadres ou ministres, d’être traité de fasciste pour avoir relu le Voyage au bout de la nuit ou pour avoir considéré que la défense de la démocratie parlementaire ne valait pas un clou, même face à Le Pen.
Derrière le « politiquement correct » se cache la volonté que les pouvoirs ont toujours eue d’exercer une censure vis-à-vis de ce qui échappe au savoir officiel (ce dernier pouvant varier en fonction des intérêts en et des rapports de forces).
Le « politiquement correct » a ses nouveaux puritains. Ils sont là pour veiller à ce que les principes s’appliquent à la lettre, du moins sous leur aspect le plus apparent, voire le plus médiatique. Ils privilégient la forme, évitant de comprendre et d’aborder le fond. Ce qui compte pour eux n’est pas ce qui encombre les cerveaux mais ce que la langue laisse échapper. Les tartufe d’aujourd’hui, de l’extrême gauche à l’UMP, se dotent d’une panoplie de ligues de vertu qui rivalisent d’hypocrisie (Licra, Chiennes de garde, SOS-racisme, Ni putes ni soumises, Ligue de protection des enfants...), traquent le Mal partout et, tels les anciens inquisiteurs, sont amenées à le provoquer pour justifier leur pitoyable existence.
Cette forme moderne du puritanisme tente de nous replacer dans un système de pensée et d’action bipolaire : à chaque question, à chaque problème, deux réponses et deux seules qui peuvent se résumer ainsi : le Bien et le Mal.
Dans cette affaire, les médias jouent un rôle de relais essentiel. Ce sont eux qui nous expliquent ce qu’il est correct de penser et de faire. Et avec encore plus de force que lorsque cette propagande s’infiltrait essentiellement par le biais de la presse écrite (de ladiffusion des remèdes dits « de bonne femme » à la façon d’éduquer ses enfants, de la propagande patriotique à la manière de traiter ses domestiques, de l’acquisition des bonnes manières à l’hygiène corporelle...), puisque maintenant le vecteur propagandiste principal s’accompagne d’images et pénètre dans les maisons jusqu’à faire partie de votre intimité. Pas une émission, qu’elle se pare d’un semblant de sérieux ou qu’elle se veuille de divertissement, sans qu’un expert en ceci ou en cela ne vous dise que faire, que penser, comment interpréter tel comportement. Au hit parade de la présence cathodique, les plus grandes crapules : les médecins et les « psys » ; suivis de près par les pédagos à la Rufo, les Kinés du télé-achat, les économistes à la B. Guetta, et les experts en ceci ou en cela qui font duo avec les présentateurs, tels Thierry et Jean-Mimi en reprenant la tradition divinatrice de Geneviève Tabouis après la guerre (Attendez-vous à...) quand les Français avaient soif de comprendre (3)...
Ainsi, le « politiquement correct » se mêle de tout, pénètre partout, récupère et détourne, en les réifiant, les moindres révoltes, les moindres remises en question.
Pourtant, il est tout de même une chose que nos puritains « politiquement corrects » laissent de côté, c’est ce qu’il y a de plus obscène au monde, à savoir le commerce, la loi de la valeur, l’argent et le mercantilisme. Et les balivernes sur le « commerce » équitable n’y changeront rien !
S’il n’est pas politiquement correct de dire que Céline est un grand écrivain et Heidegger un philosophe de premier ordre ; s’il n’est pas « artistiquement correct » de priser des artistes de la grande époque stalinienne, cela n’empêche pas qu’au niveau des cloaques de l’économie de marché leur valeur ne fait que grimper chaque jour. Des manuscrits de Céline sont achetés à prix d’or par des bibliothèques tout à fait « correctes ». Le peintre Kandinsky atteint des valeurs énormes malgré son flirt avec les nazis ; Picasso, pourtant reçu par Otto Abetz, n’est nullement atteint.

En guise d’exemple : le mariage homosexuel

Alors que l’institution du mariage semblait sérieusement entamée à la fois par le nombre de plus en plus faible de couples y ayant recours et par un taux d’échecs de plus en plus fort (un divorce sur deux dans les grandes villes, paraît-il), la voilà réhabilitée par une partie des gays.
Ainsi, une bonne partie des affirmations homosexuelles s’est trouvée vidée de tout contenu subversif, du moins pour ce qui regarde la sexualité.
Si vous refusez de répondre par « oui » ou par « non » à la question « Etes-vous pour ou contre ? », mais que vous affirmez qu’il s’agit d’une revendication aussi stupide que la question, vous serez mis dans le camp de celles et ceux qui disent « non ».
« Pour » ou « contre » ? La question n’a pas grand sens. Selon nos critères, elle devrait être posée ainsi : Etes vous pour ou contre l’interdiction faite aux homosexuels de se marier ? » Et, à l’évidence, la réponse est alors « contre ».
Un récent sondage indique soi-disant que plus de 70 % des Français sont pour les mariages homosexuels. On a là une illustration de la prégnance qu’exerce le « politiquement correct » sur les consciences et sur la façon dont s’expriment les gens. Cela signifierait-il que l’homophobie est devenue minoritaire ? Si c’est le cas, tant mieux, mais je crains fort qu’il ne s’agisse majoritairement pas de cela, mais d’une simple réponse de conformité à ce qu’il est convenu de dire sous peine de passer pour... (mais on n’en pense pas moins).
Depuis plus de trente ans, les homosexualités revendiquées et combattantes n’ont été considérées par les milieux de gauche ou d’extrême gauche que sous leur aspect plus ou moins subversif, c’est-à-dire en rupture avec les idéologies normatives et revendiquant le « droit à la différence ».
Volonté de vivre selon sa propre norme, malgré la volonté de diktat exercée par l’idéologie dominante (plus que « droit à la différence »).
Ce qu’il y avait de subversif dans la revendication homosexuelle portait essentiellement sur la sexualité en tant que telle, sur la reconnaissance – ou la découverte – que cette dernière était présente dans la vie des humains de manière beaucoup plus vaste que ce que la société patriarcale autorisait. Or, le mariage est précisément l’inverse de cet élargissement. C’est un encadrement et une restriction du champ de la sexualité permettant un contrôle social étatique sur les individus. C’est ainsi que les pédés sont devenus des gays. Les « enculés » qui faisaient frémir d’horreur (ou de désir rentré) les bien-pensants sont à leur tour devenus des citoyens fondant une famille et accédant ainsi à la reconnaissance institutionnelle. « Gays » directement importés de la patrie américaine du « politiquement correct » ; tandis que les pédés revendiquaient de ne pas être comme les « gens normaux » — puisque la normalité n’a aucun sens ! — (voir les publications des années 70, en particulier la Grande encyclopédie des homosexualités, ou le Rapport contre la normalité du FHAR), les gays d’aujourd’hui revendiquent leur place dans la conformité de l’ordre social. Ce sont, en quelque sorte, des pédés qui ont réussi, qui appartiennent le plus souvent aux classes moyennes plutôt supérieures, ou qui aspirent à en faire partie, au monde du show-biz, de l’art, des élites, mais qui doivent leur position acquise aux luttes de leurs aînés, simples pédés, et qui trop souvent l’oublient.
On pourrait multiplier les exemples de ce genre tant sur l’antiracisme et l’antifascisme que sur les questions palestinienne ou bosniaque, sur l’éducation ou tout ce qui touche à l’Art
Mais le plus grave est à venir en ce que le « politiquement correct » s’inscrit aussi dans un projet implicite de perfection dans tous les domaines. Après l’« économiquement correct », le « sexuellement correct », il y aura immanquablement le « biologiquement correct » qui, malgré les précautions annoncées et les commissions d’éthique, grâce au développement de la médecine génétique, débouchera sur la volonté implicite de l’Homme parfait. Une sorte d’aboutissement : dans un monde achevé, une Histoire achevée, un homme achevé. Cet aboutissement de l’Histoire, c’est la démocratie représentative assortie des droits de l’Homme (et de la femme, et des enfants, pour rester dans le « politiquement correct »).

JPD, novembre 2004


(1) En fait, dans la mesure où cela concerne des personnes directement actrices de ces projets, il s’agit davantage d’éthique que de morale. La première s’applique d’abord à soi-même, la seconde s’adresse en premier aux autres (Faites ce que je dis, pas forcément ce que je fais). La première nie le pouvoir et est laïque ; la seconde est un instrument de pouvoir et implique une transcendance. Nous sommes là en plein cœur du sujet traité ici.
(2) Il y eut, ici ou là, dans les années 70, des cas dans lesquels la pression fut plus que morale pour obliger tel ou telle à être conforme au modèle en vigueur adopté par un groupe.
(3) A cet égard, il nous faut remarquer que l’Université française, qui, depuis des siècles et malgré quelques courtes parenthèses, fut toujours l’adjointe zélée du pouvoir, produit à présent cette fine fleur des nouveaux prêtres qui, par l’intermédiaire des étranges lucarnes, nous expliquent ce qu’il faut faire et penser.
Ecrit par libertad, à 19:14 dans la rubrique "Le privé est politique".



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