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E. Armand : Profils de Précurseurs et Figures de Rêve, Chapitre IV
--> Tolstoï, chrétien slave

Un à un disparaissent de la scène du monde les hommes dont les livres furent des jalons dans le chemin de l’évolution de certains d’entre nous. Après Herbert Spencer, après Elisée Reclus, voici que Tolstoï a payé son tribut à la nature. Il ne m’appartient pas de chercher quelle place il occupera parmi les écrivains dont l’œuvre surnage à travers les siècles et j’estime que c’est la puérilité pure. Si personne plus que lui n’a soulevé les critiques et provoqué les louanges, bien peu ont connu la mauvaise fortune qui fut sienne d’être en butte à l’admiration de nombre d’hommes qui ne surent que le mécomprendre, alors même qu’ils n’exploitèrent pas sa renommée. Ses critiques, eux, venaient des côtés opposés de l’horizon : croyants et moralistes lui reprochaient d’être un athée et un immoral, révolutionnaires et matérialistes lui en voulaient de répudier la violence et de nier les joies charnelles.

Je fais allusion bien entendu aux critiques sérieuses, non à celles nées d’une mauvaise foi insigne. Nous avons connu de ces batteurs d’estrade, à l’affût de la réclame, qui se dressaient contre Tolstoï pour se tailler à ses dépens on ne sait quelle popularité de mauvais aloi. A l’affût du fait social quotidien pour en tirer prétexte à de soi disant conférences dont la variété n’a d’égale que le superficiel, nous les avons vus, dis-je, invectiver le grand penseur russe, le traiter de « chiqueur », eux dont la vie d‘agitateur (?) n’a été qu’un perpétuel « chiqué ». Il y a quelque vingt ans que je m’en entretenais avec Elisée Reclus, un savant dont la science « vraie » s’appariait à une modestie aussi réelle. Se tenant à égale distance de Nietzsche et de Tolstoï, sa critique abondait en objections dont j’ai par la suite reconnu le bien-fondé. Il me disait donc, faisant allusion à ces professionnels des réunions publiques, que tous les grands mouvements ont connu de ces mouches du coche qui s’imaginent jouer un rôle important, alors qu’au total leur activité se résout en un grand nombre de gesticulations oratoires. Ces critiques-là font un peu l’effet de la bave que les limaces laissent derrière elles quand elles se promènent sur le granit.

– o –

Je crois que pour apprécier un grand écrivain à sa valeur, il convient de ne pas le séparer de son origine, de son environnement. Pour universels que soient devenus un Montaigne, un Molière, un Pascal, un Voltaire ou même un Alexandre Dumas, leur œuvre conserve un goût de terroir qu’aucune traduction digne de ce nom ne saurait atténuer sans enlever à leur œuvre son originalité. Mirabeau n’est point Pitt, pas plus que Balzac n’est Dickens, ou que Talleyrand n’est Machiavel. Alighieri, Pétrarque, Savonarole sont des italiens d’abord ; Shakespeare, Cromwell, John Wesley, des Anglais. Tolstoï est un russe, et non un russe de Saint-Pétersbourg où les influences allemande et française étaient si fortes, si envahissantes. Il est né au sud de Moscou, en pleine Grande-Russie.

Qu’on se représente l’immense plaine qu’est la Russie, sans une montagne, sans même une colline qui dépasse trois ou quatre cents mètres. Du pays plat et encore et toujours à perte de vue du pays plat. Des forêts immenses. Des fleuves lents et majestueux qui parcourent des milliers de kilomètres avant de s’aller achever en quelque mer intérieure. Comment isoler les habitats de cette vaste contrée, de leur environnement ? Les écrivains, de la race à laquelle ils appartiennent ? Le russe sera donc contemplateur, fuyant et un peu mystérieux comme la steppe dont les contours mal définis s’évanouissent dans un vague lointain. Il aimera la terre. Il sera fataliste, ayant appris que rien ne sert de regimber contre les saisons mauvaises et qu’il faut accepter le temps comme il vient. Il observera la nature autour de lui ; il vivra parmi les fleurs, les récoltes, les arbres, les animaux, d’une vie peut-être aussi désespérément dépourvue de relief que le sol natal.

Voilà un aspect du caractère russe qui ressort nettement de la lecture de ses poètes et de ses romanciers les plus célèbres. Qu’à cela on ajoute – trait caractéristique – que les russes constituent un peuple jeune, dont le véritable tempérament, en tant que race, ne s’est dégagé que très tard – qui a rejeté le joug asiatique depuis très peu de siècles, comparativement parlant, et qui n’est somme toute qu’à son début dans la vie mondiale : race jeune, elle est portée aux extrêmes dans un sens comme dans l’autre. Elle oscille entre l’autocratie et le nihilisme, car le marxisme, d’importation germanique, n’a d’abord recruté la majorité de ses adhérents en Russie que parmi les Juifs – des non-assimilés. Les Russes vont à l’extrême aussi bien dans ce qu’on est convenu d’appeler le vice, la cruauté, la corruption, la débauche que dans ce qu’on a coutume de dénommer héroïsme, générosité, dévouement. Comme les jeunes donc, ils iront facilement vers l’absolu : absolu d’en bas ou absolu d’en haut, ils seront mystiques raffinés ou grossiers jouisseurs.

Si on ne connaît pas tant soit peu le tempérament russe, on est à notre avis mal placé pour parler de Tolstoï. Surtout de Tolstoï moraliste. Car dans les œuvres qu’il composa dans la seconde partie de sa vie c’est surtout comme moraliste que Tolstoï apparaît au monde. Le message qu’il lui a apporté, c’est un message d’ordre moral, c’est un appel à l’action individuelle. Tandis que l’évolution moderne et surtout contemporaine indique à l’homme souffrant et inquiet, que sa guérison et son bonheur dépendent des circonstances externes, d’un régime parlementaire, d’un gouvernement meilleur, d’une répartition équitable de la production parmi les consommateurs, de la civilisation poussée à outrance : Tolstoï, lui, a crié que le salut était en nous, dans un ressaisissement de l’être individuel, dans le retour à une sorte de naturisme, mystique si on veut, puisque tendant à détacher le vivant de la vie de la société.

*
* *

Tolstoï avait commencé par se faire de la morale à lui-même. Il ne s’est jamais pardonné, je crois bien, d’être né noble et d’avoir mené joyeuse vie dans sa jeunesse. Son premier et grand tourment, c’est d’appartenir à une classe autre que le vulgaire, c’est plus tard de s’être trouvé contraint d’y demeurer. Lorsque, le mois dernier, il s’enfuit de chez les siens heureux de respirer un peu d’air libre, je suppose que c’est avec délices qu’il monta dans le compartiment de troisième classe, ouvert à tous les vents, mais où il se trouvait en compagnie de ces moujiks, dont il avait voulu être le congénère intellectuel. Peut-être eut-il la sensation que son rêve allait se réaliser ; ce rêve qu’il avait jadis ébauché lorsqu’il fabriquait ses bottes, conduisait sa charrue ou fauchait son blé : le voici enfin devenu un moujik parmi les moujiks, pour de vrai cette fois –ci et non plus au milieu d’un confortable luxueux ou de convives amenés des quatre coins de l’Europe par des trains princiers.

Du froid le vieillard n’avait cure et c’est presque avec irritation, j’imagine, qu’il repoussa le cheminot qui la main à la casquette plate, l’invitait à prendre place dans de deuxième classe : « Je ne suis pas plus que les autres » - au diable l’importun ! Et Tolstoï continua à vivre son rêve, insoucieux de la congestion qui menaçait le poumon et dont il ne se releva pas, tout taillé qu’il fût pour vivre centenaire. Et l’obsession d’être traité autrement qu’un autre le poursuivit jusqu’à la fin. Ce n’est pas à l’avenir du tolstoïsme, - Tolstoï n’a jamais voulu en entendre parler – ni à ce qui resterait de ses œuvres, qu’il s’intéressa jusqu’au dernier moment. Apercevant plusieurs médecins à son chevet, on se rappelle qu’il demanda pourquoi on s’occupait tellement de lui, alors que tant d’autres existaient dont on s’occupait si peu.

*
* *

La civilisation n’avait pas suscité chez Tolstoï le regret des années dépensées, selon lui, en pure perte. De là, peut-être, son horreur pour elle. Ce n’est point un ennemi irraisonné de la science. Non pas. La civilisation ne profite qu’à un petit nombre,à une minorité de dominateurs et d’exploiteurs, tandis que le plus grand nombre vit misérablement et envie, dans sa misère, le sort de ceux qui vivent à ses dépens. La civilisation, c’est aussi l’organisation sociale, c’est l’Etat, c’est l’armée, c’est le mercantilisme, c’est la prostitution, c’est le clinquant, le trompe-l’œil. C’est par la violence, la force brutale, qu’elle s’est développée et qu’elle s’est imposée. Mieux vaut, au pis aller, dédaigner l’acquis scientifique puisque la preuve est palpable, qu’il n’a fait qu’empirer le mal. Ce qui est nécessaire aux travailleurs de la terre, après tout, c’est de la bonne terre, des engrais, des moyens d’irrigation, du soleil, de la pluie, des bois, de bonnes récoltes, et des instruments aratoires peu compliqués, susceptibles d’être fabriqués sur les lieux mêmes.

Et dans sa réprobation de la civilisation, Tolstoï englobe l’art et la femme, deux mensonges, deux falsifications, deux produits de la course à l’apparence contemporaine.

Puisque l’organisation sociale, fille de la civilisation, est basée sur la contrainte, toute récolte contre elle, toute résistance au mal qu’elle incarne doit reposer sur la répudiation de la violence. Ainsi conclut logiquement Tolstoï. Ce n’est pas par la révolte collective et brutale qu’on détruira ou annihilera le mal, mais c’est par une opposition individuelle toute morale, mais irréductible. On ne portera pas les armes, on ne paiera pas l’impôt, on ne remplira pas de fonctions publiques, on ne paraîtra pas devant les tribunaux et on n’y assignera personne. Et ainsi de suite.

Tolstoï avait attribué à la lecture des Evangiles son changement de vie. Peut-être y avait-il été préparé par Rousseau. Quoi qu’il en soit, il demeura chrétien mais d’un christianisme tellement émondé et corrigé que de tout e qu’on a attribué à Jésus de Nazareth, il n’avait gardé que le « Sermon sur la Montagne » et encore avait-il réduit celui-ci aux deux préceptes qui recommandent l’amour mutuel et la non-résistance au méchant. Il y avait chez Tolstoï, mêlés, se contredisant et se contrebalançant du panthéisme, du bouddhisme, du confucianisme et on conçoit que le Saint Synode ait fini par excommunier comme athée le moraliste qui traduisait Dieu par des abstractions telles que Raison, Entendement, Amour.

Tolstoï a beaucoup produit. Non pas tant je crois parce qu’il aimait écrire, mais surtout parce que n’ayant pas su ou pu se soustraire aux circonstances de son environnement, il trouvait comme une sorte de revanche et de consolation à dénoncer âprement les méfaits de cette civilisation où il était retenu, où il se sentait emprisonné. Il est hors de doute – j’ai des raisons pour en être convaincu – qu’il eut préféré mille fois la vie parmi les Doukhobors du Canada, à l’existence bourgeoise qu’il menait à Yasnaïa Poliana. Mais il a voulu rester fidèle au principe qu’il avait posé, ne pas résister par la violence, à ce qui lui paraissait le mal. Ne pas opposer un acte de violence personnelle à la pression de son entourage. Un jour est venu où la coupe a débordé. Il s’aperçut que les concessions qu’on fait à son milieu ne servent qu’à celui-ci et qu’il en profite pour river plus fortement les chaînes de qui lui cède. Les siens avaient fini par le considérer pour quelque chose, leur propriété, comme un bon vieillard au cerveau puissant mais tourmenté par une marotte, auquel il ne fallait pas laisser prendre trop de liberté. C’était l’échec de la doctrine qu’il avait défendue contre tant d’ennemis et d’objections.

Ne pas résister ne lui avait servi à rien – qu’à se faire traiter d’inconséquent ou d’hypocrite. Son geste dernier fut un geste de révolte, de libération. Il n’est pas mort en Sibérie, en exil, comme ses détracteurs l’auraient voulu, mais il est venu échouer dans une gare obscure, au fond de la province russe. Il ne s’est pas éteint dans l’apothéose d’un proscrit politique, mais il a fini comme un vagabond, en rupture de foyer familial, après avoir voulu mettre en pratique ce qu’il avait prêché, au rebours de tant d’autres qui commencent par là et finissent en arrivistes, gorgés d’honneurs et gavés de richesses.

E. Armand, Décembre 1910.

Ecrit par Cercamon, à 14:54 dans la rubrique "Culture".

Commentaires :

  marchal
20-12-04
à 22:09

(Si on ne connaît pas tant soit peu le tempérament russe, on est à notre avis mal placé pour parler de Tolstoï. Surtout de Tolstoï moraliste.)
Là marchal il est emmerdé pour sa causerie du lundi. Elle ne peut-être littéraire parce qu'il fait trop de fautes, de plus, il ne sait pas lire. Seulement un peu entre les lignes... Je ne connais pas le tempérament russe. Tolstoï seulement de nom, alors comme moraliste… Cela ne fait rien : L'indescriptible n'a pas de principe.
(Il me disait donc, faisant allusion à ces professionnels des réunions publiques, que tous les grands mouvements ont connu de ces mouches du coche qui s’imaginent jouer un rôle important, alors qu’au total leur activité se résout en un grand nombre de gesticulations oratoires. Ces critiques-là font un peu l’effet de la bave que les limaces laissent derrière elles quand elles se promènent sur le granit.)
On peut effectivement parler des " professionnels des réunions publiques ", mais n'oublions pas non plus de parler de l'auditoire. Nos petites misères, mais aussi malheureusement pour d'autres, de plus grandes, sont dues à cet auditoire. N'en déplaisent à ceux qui verraient en moi un bourgeois… Ne peut-on évoluer ? Sommes-nous si enraciné à notre milieu ? L'imprégnation se ferait-elle sur les bancs de l'école ? Dans le monde du travail ? Ou plus simplement, nous complaisons-nous dans ce que nous sommes ? « vit misérablement et envie, dans sa misère, le sort de ceux qui vivent à ses dépens. »
(Tolstoï, lui, a crié que le salut était en nous, dans un ressaisissement de l’être individuel) Je ne garderai que cela.
(Tolstoï avait commencé par se faire de la morale à lui-même. Il ne s’est jamais pardonné, je crois bien, d’être né noble et d’avoir mené joyeuse vie dans sa jeunesse. Son premier et grand tourment, c’est d’appartenir à une classe autre que le vulgaire, c’est plus tard de s’être trouvé contraint d’y demeurer.)
Un regard dans une glace ? Qui oserait descendre dans l'abîme sans rappel ? Pas moi ! Lorsque j'y vais c'est avec des mains moites crispées sur la corde. Celle-ci est trop courte, il m'en faut toujours d'autres…
J'en connais depuis longtemps qui ne se pardonnent pas de ne pas en être né, et d'être contraint d'y rester. Ils ne voient dans la vie qu'une " marâtre ". Cela les rend sourds et aveugles. D'autres vocifèrent : « l'Anar chie sur le trône ! » C'est cela… Pendant ce temps là, le système nous chie sur la gueule! D'autres encore, qui s'oppose à ceux qui ne font aucun effort pour sortir des vieilles pensées, des pensées d'un autre : " d'un prédicateur de mort ". Cela les arrange bien. En plus d'empêcher les autres de s'élever, ils peuvent rabaisser la femme. Mais l'autre comment s'oppose t'il ? - En proposant d'exposer celle-ci, comme un quartier de bœuf à l'étalage ! N'en déplaisent à ceux qui verraient en moi un moraliste refoulé !
(« Je ne suis pas plus que les autres ») J'ajouterai : je ne peux pas faire plus sans les autres. Cependant, je ne puis monter dans le train des " moujiks ", tant qu'ils n'auront que ce genre de propos. Je préfère marcher seul, et je marche à grands pas. Si ceux-ci veulent me suivre, ils devront courir, comme je cours souvent derrière d'autres qui marchent encore plus vite…
(Et dans sa réprobation de la civilisation, Tolstoï englobe l’art et la femme, deux mensonges, deux falsifications, deux produits de la course à l’apparence contemporaine.) Je n'arrive plus à suivre ici. Qu'est-ce qu'elle a encore fait la femme ?
(Puisque l’organisation sociale, fille de la civilisation, est basée sur la contrainte, toute révolte contre elle, toute résistance au mal qu’elle incarne doit reposer sur la répudiation de la violence. Ainsi conclut logiquement Tolstoï. Ce n’est pas par la révolte collective et brutale qu’on détruira ou annihilera le mal, mais c’est par une opposition individuelle toute morale, mais irréductible.)
La non violence s'exprime surtout par le fait que la lueur du passé éclaire aujourd'hui. À la lumière de ce que nous voyons, se serait considérer que nous n'avons pas de mémoire si l'on s'entêtait à vouloir recommencer de la même façon pour obtenir un changement. De plus il y a fort à parier qu'il y aurait sûrement un ou plusieurs prétendants dans la mêlée (E. Armand : Profils de Précurseurs et Figures de Rêve, Chapitre II) Cependant, on ne peut être certain que la non violence pourrait à elle seule l'empêcher.
L'indescriptible pensée face à celle de Tolstoï.
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