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V. Roudine : L'art pour le peuple ? (Le cinéma calomniateur) - 1913
--> Source : La Bataille Syndicaliste, 18 janvier 1913.

Lu sur Pelloutier.net :
Lorsque je vois la foule se presser le soir à l’entrée des théâtres-cinématographes, qui se multiplient chaque jour d’avantage dans tous les quartiers, dans tous les coins de la ville, je songe aux rêves déchus de Richard Wagner.

Musicien d’immense génie, esprit tourmenté par un irrésistible désir de réformes sociales, celui-ci conçut un grandiose projet de rénover le peuple par l’art.

Il voulait ériger, en pleins champs, des temples artistiques pour y faire interpréter son œuvre par une élite d’artistes désintéressés. Le peuple, qu’il voyait affluer en masses, devait ennoblir son âme, élever son esprit, se plonger dans la beauté à ces auditions esthétiques, pareilles aux antiques mystères. Les partitions, une fois qu’elles auraient servi, devaient être détruites, afin qu’aucune main profane n’eût pu les exécuter en dehors de ces fêtes suprêmes.

Comment se sont réalisés ces rêves ? Un grand théâtre fut construit en effet dans une petite ville de Bavière : on y interprète périodiquement les drames musicaux de Wagner. Des Américains, des Anglais, des « snobs » du monde entier, en habits et hauts-de-forme, y promènent leurs personnes blasées ; parfois on y rencontre quelques musiciens…

L’entrée à chacune de ces « auditions gratuites » coûte 25 francs.

La fièvre de lucre s’empare de toute la ville bien avant les fêtes : les hôtels triplent les prix de leurs chambres, les restaurants préparent des menus royaux, les vitrines de tous les magasins s’emplissent ; on attend l’arrivée des richissimes visiteurs.

Et l’ouvrier de cette ville qui, sorti de l’atelier, meurtri par le travail, voit de loin sur une colline la silhouette du théâtre, ne se doute guère que c’est là où devait s’accomplir la « rénovation » du peuple par l’art. Tandis que le riche capitaliste s’y fait déposer par son automobile, lui, s’il veut et peut se divertir, s’en va au Cinéma…

 

Ce pauvre Wagner comptait sans la réalité. Comme le reste, la bourgeoisie a accaparé les richesses artistiques. Et le régime capitaliste a fait naître pour les besoins du « peuple » un art tout spécial.

Rien de plus compréhensible que le succès du cinéma. La vie moderne use de plus en plus les muscles et les nerfs de la population active. Comment voulez-vous qu’un spectacle qui ne demande aucune attention soutenue, qui est compris par toutes les intelligences de toutes les nationalités dont se compose la population d’une grande ville ; qui agit à la fois sur les deux sentiments les plus développés de notre époque : la sentimentalité et la brutalité – comment voulez-vous qu’un pareil spectacle ne recueille tous les suffrages ?

Mais la bourgeoisie ne s’est pas contentée de donner le cinéma au peuple. Elle veut en faire un usage particulier, l’utiliser dans ses buts, comme un moyen d’éducation. Elle y est parvenue. Tels qu’ils sont à l’heure actuelle, les films menacent de devenir un véritable poison, une arme terrible apte à orienter et à corrompre l’opinion publique.

L’exaltation des sentiments chauvins, le triomphe et l’honnêteté de la police et des détectives, la générosité de l’inévitable jeune fille du patron qui sauve le non moins inévitable ingénieur roulé par son père, etc., etc., combien sont-ils les films qui gravent dans la mémoire du spectateur l’empreinte d’une fausse conception de la société ?

L’autre jour, j’ai vu de mes propres yeux une scène tellement écoeurante et dangereuse à la fois que je ne peux m’empêcher de la raconter à nos camarades.

 

Le film porte un titre suggestif : Le Renard.

C’est un épisode de grève. On y voit des grévistes tenir leurs réunions non pas à la Bourse comme pourrait le croire un naïf, mais dans un bistro. Le vin coule ; les grévistes dépensent leur argent sans compter.

Survient un renard. Lui, il n’est point alcoolique ; c’est au contraire un ouvrier admirable, plein d’ardeur pour son métier. Naturellement, son enfant tombe malade juste au moment de la déclaration de la grève et c’est pourquoi il travaille.

Il passe alors devant l’estaminet où siègent les grévistes ivres. En pleurant, il expose sa situation, mais il est assommé, battu à coups de pieds, les vêtements lui sont arrachés et, à moitié mort, on l’enferme dans un cabanon de l’arrière-boutique.

La femme du « renard », apprenant l’événement, arrive au cabaret. Elle tombe à genoux devant les grévistes, de plus en plus ivres, car le vin coule toujours, et les supplie de lui rendre son mari.

Les ouvriers la repoussent, la femme insiste et une scène de sauvagerie inouïe se déroule devant les spectateurs.

La femme est rouée de coups, traînée par terre et, toute sanglante, est jetée dehors.

Alors une autre femme, celle d’un gréviste, prend sa défense. Elle convoque les femmes des grévistes, toutes hostiles à la grève ; elles accourent dans le cabaret, où les grévistes continuent de délibérer, afin de délivrer le « renard ».

On sort celui-ci de son cachot, en lambeaux, méconnaissable, meurtri, ne pouvant plus marcher sans soutien. Une collecte pour son enfant malade termine la scène…

 

Et voilà ! Le public applaudissait, visiblement ému par les souffrances du « renard ». Je me disais : « Allez réclamer à l’opinion publique, « travaillée » préalablement d’une façon si odieuse, de soutenir la cause ouvrière en cas de grève ! ».

Je me disais encore : « Nous ne laissons pas la presse quotidienne nous calomnier sans protester. La propagande anti-ouvrière par le cinéma est plus dangereuse que celle des journaux et, cependant, nous nous taisons ».

Tant que les cinémas ne changeront pas ces films empoisonneurs, leur boycottage s’impose à la classe ouvrière.

Est-ce trop demander à notre indifférence bien connue ?

 

Victor Roudine, 1913

Ecrit par Cercamon, à 17:08 dans la rubrique "Culture".



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