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"Qui est-ce qui s’y colle ?" avait demandé le shérif
--> Les décharges de la honte

Lu sur : Radio Air Libre « Pour maîtriser les prisonniers, les Américains, dans certains Etats, ont décidé de leur faire porter une "ceinture immobilisante" particulièrement cruelle.

Enquête

"Qui est-ce qui s’y colle?" avait demandé le shérif.

Le sergent Krist Boldt s’était porté volontaire. Peut-être à cause de son nom, "bolt" signifiant éclair en anglais. Peut-être par simple sens du devoir. Le 18 avril dernier, le shérif du comté de Dane, dans le Wisconsin, a convoqué les médias pour une démonstration du Taser gun, un pistolet capable de lancer des décharges électriques violentes neutralisant les prisonniers trop remuants. Le sergent Boldt devait jouer le rôle de cobaye. Pour amortir le choc d’une chute éventuelle, on avait placé devant lui un matelas en mousse. Tout avait été prévu… sauf la violence de l’arme. Krist Boldt fit un bond en arrière, heurtant sa tête contre le sol. Dix minutes d’évanouissement complet, un transfert à l’hôpital, quatre agrafes au cuir chevelu. Les journalistes présents ont émis quelques doutes sur la nouvelle arme. Le capitaine Brian Wilson, lui, ne s’est pas démonté: l’expérience, a-t-il affirmé, montre pourquoi l’arme ne doit être utilisée que dans les cas extrêmes…

Discrètement mais sûrement, l’Amérique carcérale s’est convertie ces dernières années aux pistolets et ceintures électriques, capables d’immobiliser les individus menaçants ou potentiellement dangereux.

D’autres pays suivent l’exemple: en France, le Raid, le GIGN et le GIPN ont déjà testé le Taser gun et n’attendent que le feu vert de leurs ministères de tutelle pour les utiliser. Et dans beaucoup de pays totalitaires le pistolet électrique est devenu une arme de torture favorite. Mais les Etats-Unis sont le seul pays à avoir généralisé l’arme dans les prisons et les tribunaux, avec des conséquences parfois cauchemardesques.

Dans leur panoplie, le Taser gun n’est pas le pire.

La Stun belt ("ceinture immobilisante") est carrément terrifiante: attachée autour de la taille du détenu, elle peut être activée à distance et envoyer une décharge de 50000 à 70000 volts pendant huit secondes. La victime souffre d’une faiblesse musculaire ou même d’une paralysie qui peuvent durer de trente à quarante-cinq minutes. Les marques de brûlures occasionnées par la décharge mettent plusieurs mois à disparaître.

Dans un comté de Georgie, les prisonniers qu’on équipe de la Stun belt se voient remettre un document les informant que son activation provoquera "1- une immobilisation vous faisant tomber au sol, 2- une possible défécation et 3- une incontinence éventuelle".

Le choc est tel que le PDG de Stun Tech Inc., qui fabrique les ceintures, a lancé cet avertissement: "Nous déconseillons d’équiper quiconque souffrant d’une maladie cardiaque. La raison est simple: s’ils doivent porter cette ceinture pendant huit heures, cela provoque une énorme anxiété, qui élèvera leur pression sanguine aussi sûrement que ne le ferait le choc lui-même."

Dans un rapport de 33 pages publié en 1999 (1), Amnesty International a condamné sans réserve les Stun belts, demandant l’interdiction totale de cet instrument qui, "même lorsqu’il n’est pas activé, constitue un traitement cruel, inhumain ou dégradant".

Quelques comtés ou Etats ont décidé d’interdire (dans l’Indiana) ou de restreindre à l’extrême (en Californie) l’usage des Stun belts. Mais ailleurs l’usage se généralise.

On utilise le Stun shield (bouclier électrique) pour mater un prisonnier qui ne veut pas sortir de sa cellule, le Stun gun pour calmer les détenus trop remuants et la Stun belt pour les transferts à l’hôpital ou les procès.

La plupart des Américains ignorent jusqu’à l’existence de ces joujoux pour une raison simple: ils ne les voient jamais. Même pas dans les tribunaux, où la ceinture est dissimulée sous les vêtements du prévenu. Les juges prennent en effet les plus grandes précautions pour que le jury ignore leur existence et ne soit pas intimidé. Mais, comme le fait remarquer James Rudasill, un avocat, "le fait de porter une Stun belt crée une anxiété considérable qui se reflète dans le témoignage des prévenus". Cette anxiété, affirme-t-il, peut être perçue par les jurés comme un signe de culpabilité.

A l’origine, les Stun belts ont été conçues comme des armes de dernier ressort. Mais évidemment il n’a pas fallu longtemps pour qu’apparaissent les dérapages. On ne parle même pas des activations de Stun belt par erreur, qui ne sont pas rares ("Zut! j’ai poussé le mauvais bouton!").

Une juge, agacée d’être interrompue par un prévenu, a ordonné qu’on lui donne une bonne décharge pour le calmer. Et en août dernier, lorsque John Muhammad, l’un des deux snipers de Washington, a refusé – sans violence – qu’on lui fasse une radio qui n’était pas prévue, le shérif Stoffregen a ordonné qu’on active sa Stun belt à deux reprises. Le shérif s’est défendu en affirmant qu’on avait expliqué à Muhammad ce qu’il allait subir.

A sa… décharge, il faut dire qu’il était en pleine campagne pour se faire réélire shérif. Rien de tel, n’est-ce pas, qu’un bon coup de Stun belt pour électriser les électeurs…

Le shérif Stoffregen a finalement été battu. C’est la seule bonne nouvelle de cette histoire. »

Philippe Boulet-Gercourt

 (1)"Cruelty in Control? The Stun Belt and Other Electro-Shock Equipment in Law Enforcement", disponible (en anglais) à l’adresse suivante

Ecrit par Mirobir, à 16:48 dans la rubrique "Actualité".

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