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L'Eternité par les Astres de Louis-Auguste Blanqui

Lu sur L'archive Louis-Auguste Blanqui : Quelques propos de Walter Benjamin sur Blanqui et L’Éternité par les astres :
« Blanqui qui, au seuil de la mort, sait que le Fort du Taureau est sa dernière prison, et qui écrit ce livre pour se donner de nouvelles portes de cachot » (in Paris, capitale du XIXe siècle, Paris, Cerf, 1989, p. 136).
« Le dernier texte que Blanqui ait écrit dans sa dernière prison est resté, autant que je puis le voir, totalement négligé jusqu’à aujourd’hui. C’est une spéculation cosmologique qui, il est vrai, s’annonce à la première lecture banale et inepte. Les réflexions maladroites d’un autodidacte ne sont toutefois que le prélude à une spéculation qu’on ne pensait pas trouver chez ce révolutionnaire. On peut dire en fait, dans la mesure où l’enfer est un thème théologique, que cette spéculation est de nature théologique. La vision cosmique du monde que Blanqui expose en empruntant ses données à la physique mécaniste de la société bourgeoise, est une vision d’enfer. C’est en même temps un complément à la société dont Blanqui au soir de sa vie avait dû reconnaître la victoire. L’aspect bouleversant de cette ébauche est qu’elle est totalement dépourvue d’ironie. C’est une soumission sans réserve et, en même temps, c’est le réquisitoire le plus terrible qui puisse être prononcé à l’encontre d’une société qui projette dans le ciel cette image cosmique d’elle-même. Le texte, qui est, quant à la langue, d’un relief très marqué, entretient les relations les plus remarquables autant avec Baudelaire qu’avec Nietzsche (Ibid., p. 137). »

 

Résumé de L'Eternité par les Astres par l'auteur, Louis-Auguste Blanqui (1872) :

L'univers tout entier est composé de systèmes stellaires. Pour les créer, la nature n'a que cent corps simples à sa disposition. Malgré le parti prodigieux qu'elle sait tirer de ces ressources et le chiffre incalculable de combinaisons qu'elles permettent à sa fécondité, le résultat est nécessairement un nombre fini, comme celui des éléments eux-mêmes, et pour remplir l'étendue, la nature doit répéter à l'infini chacune de ses combinaisons originales ou types.

Tout astre, quel qu'il soit, existe donc en nombre infini dans le temps et dans l'espace, non pas seulement sous l'un de ses aspects, mais tel qu'il se trouve à chacune des secondes de sa durée, depuis la naissance jusqu'à la mort. Tous les êtres répartis à sa surface, grands ou petits, vivants ou inanimés, partagent le privilège de cette pérennité.
La terre est l'un de ces astres. Tout être humain est donc éternel dans chacune des secondes de son existence. Ce que j'écris en ce moment dans un cachot du fort du Taureau, je l'ai écrit et je l'écrirai pendant l'éternité, sur une table, avec une plume, sous des habits, dans des circonstances toutes semblables. Ainsi de chacun.

Toutes ces terres s'abîment, l'une après l'autre, dans les flammes rénovatrices, pour en renaître et y retomber encore, écoulement monotone d'un sablier qui se retourne et se vide éternellement luimême. C'est du nouveau toujours vieux, et du vieux toujours nouveau.
Les curieux de vie ultra-terrestre pourront cependant sourire à une conclusion mathématique qui leur octroie, non pas seulement l'immortalité, mais l'éternité ? Le nombre de nos sosies est infini dans le temps et dans l'espace. En conscience, on ne peut guère exiger davantage. Ces sosies sont en chair et en os, voire en pantalon et paletot, en crinoline et en chignon. Ce ne sont point là des fantômes, c'est de l'actualité éternisée.

Voici néanmoins un grand défaut : il n'y a pas progrès. Hélas ! Non, ce sont des rééditions vulgaires, des redites. Tels les exemplaires des mondes passés, tels ceux des mondes futurs. Seul, le chapitre des bifurcations reste ouvert à l'espérance. N'oublions pas que tout ce qu'on aurait pu être ici-bas, on l'est quelque part ailleurs.

Le progrès n'est ici-bas que pour nos neveux. Ils ont plus de chance que nous. Toutes les belles choses que verra notre globe, nos futurs descendants les ont déjà vues, les voient en ce moment et les verront toujours, bien entendu, sous la forme de sosies qui les ont précédés et qui les suivront. Fils d'une humanité meilleure, ils nous ont déjà bien bafoués et bien conspués sur les terres mortes, en y passant après nous. Ils continuent à nous fustiger sur les terres vivantes d'où nous avons disparu, et nous poursuivront à jamais de leur mépris sur les terres à naître.

Eux et nous, et tous les hôtes de notre planète, nous renaissons prisonniers du moment et du lieu que les destins nous assignent dans la série de ses avatars. Notre pérennité est un appendice de la sienne. Nous ne sommes que des phénomènes partiels de ses résurrections. Hommes du XIXème siècle, l'heure de nos apparitions est fixée à jamais, et nous ramène toujours les mêmes, tout au plus avec la perspective de variantes heureuses. Rien là pour flatter beaucoup la soif du mieux. Qu'y faire ? Je n'ai point cherché mon plaisir, j'ai cherché la vérité. Il n'y a ici ni révélation, ni prophète, mais une simple déduction de l'analyse spectrale et de la cosmogonie de Laplace. Ces deux découvertes nous font éternels. Est-ce une aubaine ? Profitons-en. Est-ce une mystification ? Résignons-nous.

Mais n'est-ce point une consolation de se savoir constamment, sur des milliards de terres, en compagnie des personnes aimées qui ne sont plus aujourd'hui pour nous qu'un souvenir ? En est-ce une autre, en revanche, de penser qu'on a goûté et qu'on goûtera éternellement ce bonheur, sous la figure d'un sosie, de milliards de sosies ? C'est pourtant bien nous. Pour beaucoup de petits esprits, ces félicités par substitution manquent un peu d'ivresse. Ils préféreraient à tous les duplicata de l'infini trois ou quatre années de supplément dans l'édition courante. On est âpre au cramponnement, dans notre siècle de désillusions et de scepticisme.

Au fond, elle est mélancolique cette éternité de l'homme par les astres, et plus triste encore cette séquestration des mondes-frères par l'inexorable barrière de l'espace. Tant de populations identiques qui passent sans avoir soupçonné leur mutuelle existence ! Si, bien. On la découvre enfin au XIXème siècle. Mais qui voudra y croire ?

Et puis, jusqu'ici, le passé pour nous représentait la barbarie, et l'avenir signifiait progrès, science, bonheur, illusion ! Ce passé a vu sur tous nos globes-sosies les plus brillantes civilisations disparaître, sans laisser une trace, et elles disparaîtront encore sans en laisser davantage. L'avenir reverra sur des milliards de terres les ignorances, les sottises, les cruautés de nos vieux âges !

A l'heure présente, la vie entière de notre planète, depuis la naissance jusqu'à la mort, se détaille, jour par jour, sur des myriades d'astres-frères, avec tous ses crimes et ses malheurs. Ce que nous appelons le progrès est claquemuré sur chaque terre, et s'évanouit avec elle. Toujours et partout, dans le camp terrestre, le même drame, le même décor, sur la même scène étroite, une humanité bruyante, infatuée de sa grandeur, se croyant l'univers et vivant dans sa prison comme dans une immensité, pour sombrer bientôt avec le globe qui a porté dans le plus profond dédain, le fardeau de son orgueil. Même monotonie, même immobilisme dans les astres étrangers. L'univers se répète sans fin et piaffe sur place. L'éternité joue imperturbablement dans l'infini les mêmes représentations.

Ecrit par Cercamon, à 01:27 dans la rubrique "Pour comprendre".

Commentaires :

  Anonyme
22-09-04
à 22:14

On ne peut pas etre meilleur que Blanqui

"Je n'ai point cherché mon plaisir, j'ai cherché la vérité."


Voila qui résume bien toute la démarche. A un tel niveau de profondeur d'ame, dans l'abandon total à cette société, il n'a vu que solitude, mais une solitude telle qu'il l'a sans aucun doute nommée "lucidité". Voila bien un homme qui ne s'est jamais laissé divisé ; cela lui a couté le dénument total, l'humilité devant tout ce qui est.

Jeunes gens, préservez vos forces, ne jettez pas tout d'un coup dans une seule bataille : voyez ci-dessus le genre de vie d'un homme qui est aller se briser contre l'autorité. Sa dignité, du fond de son cachot, fut de rester entier, solidaire du tout. Quel sacrifice !
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