Lu sur
No Pasaran : "Dans le contexte d'une apparente prolifération et médiatisation de discours et d'images à caractère sexuel et dans le cadre de réflexions féministes, nous nous sommes proposé-e-s de tenter une description de la pornographie.
Issu de débats, de lectures (environ 15 livres de pornographes, de pornographie et d'analyses) et de visionnements (une dizaine de films - anciens, " classiques ", lesbiens et amateurs), cet article est le résultat de la collaboration de deux femmes et se propose d'examiner en quoi la pornographie, comme image, peut se faire le vecteur d'une " libération sexuelle " vis-à-vis des tabous et autres formes d'ordre moral hérités en grande partie du christianisme. Remet-il en cause les schémas traditionnels des rapports sociaux de sexe, de l'acte lui-même (positions d'accouplements, question du/des partenaires, jeu érotique .), de représentation du corps ? Et de quelle manière ? Dans quelle mesure la pornographie permet-elle de révolutionner nos pratiques sexuelles ?
POUR UNE INTRO. Alors qu'elle rasait les murs, s'échangeait "sous le manteau", la pornographie éclate désormais au grand jour. Le magazine Playboy naît en 1953, et avec lui la pornographie contemporaine. Depuis, ce commerce du fantasme sexuel a envahi l'ensemble des moyens de communication. Les seins, les culs, les bouches font vendre. Le "X" est devenu chose courante. Rocco Siffredi par exemple fait de la pub pour des vêtements. L'imaginaire pornographique fait partie de nos références culturelles.
Or depuis quelques années, alors que ce domaine était presque exclusivement orchestré par des hommes, il est repris à leur compte - avec succès auprès du public - par des femmes. Catherine Breillat, Catherine Millet, Virginie Despentes, pour ne citer que les plus connues, flirtent plus ou moins avec la pornographie, et parlent cul. Cru. Phénomène social, psychologique et économique complexe, elle met en jeu tant la morale que certains groupes d'intérêts économiques, et pour la plupart, les travaux à son propos se contentent de disserter sur son existence, sans réelle enquête de terrain. Il est en outre très difficile de recueillir des informations touchant au plus intime des personnes. Bref, elle est difficile à cerner. Toutes les sociétés ont produit des images de sexualité, qu'elles soient nobles ou triviales, cachées ou bruyantes : de Lascaux à l'Inde, des textes érotiques de Chine aux chansons grivoises. Toutes ces représentations du sexe n'ont ni la même force, ni la même signification symbolique. Pourtant leur distinction demeure problématique. Par exemple, quel est le critère de l'érotisme, et celui du pornographique ? Certains parlent d'obscénité. Pour éviter la polémique (par l'emploi des termes " obscène ", " vulgaire ", trop connotés moralement pour servir de critère), c'est l' " explicite " qui sert communément aujourd'hui pour distinguer ces deux genres.
A l'occasion de son film Romance, Catherine Breillat notait que les 3 conditions qui font d'un film qu'il est étiqueté X sont un coït, une éjaculation et une fellation.
Cependant, ce qui est valable ici ne l'est pas forcément ailleurs ; les lois en matière de classement sont variables d'un pays à un autre, de même que celles relatives aux contenus et à leurs formes. Au passage, notons que le monde de la pornographie est soumis à des codes et des lois et que tout matériel sexuellement explicite n'émane pas forcément de ce milieu professionnel. Il est ainsi possible, à l'heure du commerce international, de trouver des représentations sexuelles les plus antagonistes possibles. Quant à l'étymologie, elle nous indique que "pornographie" date de 1842, de pornè : la prostituée et graphos : l'écrit ; il s'agirait donc des écrits sur la prostituée, et par suite de toute représentation de la prostituée. (Au passage, profitons-en pour rappeler que la prostitution n'est pas le "plus vieux métier du monde" !)
La transformation commerciale
Eu égard à son mode de fabrication et de commercialisation, la pornographie relève de l'industrie (une anecdote au passage : certaines cassettes qui se vendent mal retournent à l'usine où on en change titre et jaquette avant de repartir dans les réseaux de vente ). Cela dit, le marché de la pornographie n'est pas (encore) coté en bourse, il ne procure donc pas des bénéfices comparables aux multinationales du pétrole, par exemple. En ce sens, son chiffre d'affaires annuel en France est énorme, dans sa catégorie.(2)
Fonctionnant comme source de revenu et comme commerce, la pornographie s'est donc transformée pour répondre aux exigences de l'industrie contemporaine et de la banque. Explication : pour que le profit soit le plus élevé, elle doit toucher le plus grand nombre ; les marchands de X ont donc dû découvrir le dénominateur commun le plus fruste et réduire en même temps les dépenses de fabrication : d'où cette répétition, ce peu de soin (absence de jeu d'acteur, négligence des lumières, pauvreté des décors) qui la caractérise. Une vendeuse de sex-shop, citée plus loin, dénonce la censure de toute parution de qualité vers 1970, au profit du plus nul.
Une époque de grande qualité d'expression pornographique a-t-elle jamais existé ? Néanmoins il semble que la nôtre organise un piètre et médiocre spectacle de sa sexualité, avec, on peut le croire, quelques effets sur l'exercice même de la sexualité. Pour qui serait sceptique quant aux répercussions de la pornographie sur ses spectateurs-trices, voici une amorce de réponse : "Hypocrisie ! Comment des gens qui investissent des sommes considérables et beaucoup de talent dans des spots publicitaires de 30 à 60 secondes, persuadés, à juste titre, de leur impact sur les masses, pour vanter un homme politique ou une nouvelle marque de bière, peuvent-ils affirmer n'avoir aucune influence sur ce même public avec un film de 120 minutes ?"(3)
On peut se dire aussi que pour gagner plus d'argent, il faut toujours étendre les terrains du profit. D'où une diversification des genres pour toucher un maximum de particularismes (sado-maso, lesbien, gay, hétéro, crade, bientôt féministe, pédophile, scato, zoophile.). Due aux " évolutions " techniques et technologiques, la pornographie, qui n'a pas vraiment changé d'images, a changé de mode de production (et par conséquent de mode de consommation). L'image pornographique s'est multipliée, elle a envahi tous les compartiments de la vie sociale. Elle s'étale en tout lieu, se sert de tous les média. Elle s'impose à toutes les classes sociales, nul n'échappe aux couvertures de magazines (de voiture ou autre), aux pubs (pour tout et n'importe quoi) reprenant l'imagerie du X ou à l' "affichage pornographique illégal" (4).
Star système
Du fait que les femmes sont le matériau des films porno, il ne sera ici question que d'elles et de leur image.
Les hardeuses fidélisent aujourd'hui une clientèle, ce qui n'était pas possible il y a encore peu, alors que personne ne revendiquait voir ou faire de la porno ou du moins alors qu'on ne leur donnait pas la parole. Aujourd'hui, où se tiennent des festivals, des salons de l'érotisme, où se remettent des prix, on assiste à l'édification d'un star-système. Mode importée des U.S.A., les hardeuses européennes sont de plus en plus nombreuses à porter un nom et un prénom et non plus un court pseudo ou un seul prénom. Cependant identifier un visage ne donne que l'illusion de reconnaître une personne. La starification du porno ne modifie en rien l'image que l'on a des actrices, l'image de femme qu'elles donnent. La femme que joue la hardeuse (tout comme la prostituée) est une pure construction, une image. Baudry dira même qu' "elle est faite, fabriquée pour être une image qui réalise, bien plus qu'en vrai, toute la peur masculine du féminin". (5)
La preuve d'une telle fabrication est qu'une fille peut apparaître plusieurs fois dans une revue avec des pseudos différents sans qu'on la reconnaisse.
Dominance, domination sexuelle
Les acteurs principaux des films porno, à quelques exceptions près, sont des morceaux de femmes et des pénis. Le cadrage d'une scène de pénétration montre rarement autre chose de l'homme que son sexe. Les corps de femmes sont filmés sous toutes les coutures, pas les corps d'hommes : par exemple tous les films hétérosexuels présentent au minimum une scène de lesbianisme et jamais une scène entre hommes. Qui cela dérangerait-il ? ... La pornographie est faite pour les hommes ... Ils s'y voient, dans leur puissance et la réalisation de leurs fantasmes, et ils y voient l'objet de leur fantasme "Ce qui compte [...], c'est le spectacle que donne l'actrice du spectacle à quoi elle assiste. C'est elle qui s'observe surtout et dont on apprécie les talents et le professionnalisme. C'est moins l'érection qui se regarde que le résultat d'une fellation, ou moins l'éjaculation proprement dite que sa capacité masturbatoire ou que sa bouche." (6)
Au plan symbolique, le spectacle pornographique se présente comme culte du Phallus. Il est la puissance et par corrélat, tout ce qui l'entoure lui est soumis. A l'image, l'accent est mis sur l'érection masculine, sur l'homme figé dans son érection (pas d'image du sexe avant érection, ni après éjaculation), et dont le corps apparaît comme inintéressant, peu important pour le désir. On affirme aux femmes qu'elles ne peuvent connaître le plaisir que grâce au sexe de l'homme, qu'elles n'ont qu'une seule envie : celle du pénis, c'est ce que réaffirme la pornographie. Mais que les femmes ne s'intéressent chez les hommes qu'à leur sexe, est un fantasme d'homme, d'ailleurs très destructeur pour beaucoup d'hommes : "la queue, il faut qu'elle ait au moins 30 cm. Autrement, ça ne compte pas. Et cela est un mensonge. Et ce mensonge traumatise les hommes" .(7)
Il ne faut pas croire qu'aucune femme ne regarde de film X, (8) mais elles doivent les regarder avec des yeux, des intérêts masculins (les films sont faits par et pour des hommes, ils nient une quelconque différence, spécificité ou existence de désirs, d'intérêts sexuellement féminins). Sans toucher à la question d'éventuelles différences de désir entre genre masculin et féminin (réelles, imaginaires, construites, innées ?), la pornographie " classique " porte intérêt aux fesses d'une femme et pas à celles d'un homme. Par ailleurs, nombre de producteurs n'ont pas de charte et permettent à des haineux, des misogynes de tourner des films qui combinent viols, humiliation, réification. Parmi l'écrasante majorité de femmes qui ne vivent pas leurs sexualités dans le masochisme, combien s'identifieront aux victimes, aux esclaves, aux femmes (8 bis) ? Si elles s'identifient à partir de la reconnaissance visuelle de leur sexe, elles se projetteront en dominées. Et si elles vivent l'identification la plus courante, au beau rôle, elles se mettront dans la peau d'un homme : sachant qu'il ne s'agit pas de film d'aventure, c'est au travers d'un sexe masculin qu'elles se vivront. On pourrait nous objecter que tous les films porno ne poussent pas à l'identification. Admettons. Il n'en reste pas moins que l'on est forcément " chatouillé-e- dans le bas-ventre " à la vue de scènes pornographiques, et qu'il n'est pas certain que tout le monde soit apte à assumer le désaccord entre son excitation sexuelle et son refus, son dégoût à l'égard du spectacle de domination présenté.
Quant à la question des plaisirs, leur représentation est inexistante. De même pour la joie, il faut qu'il y ait "présence" d'alcool pour que l'on y entende des rires. En revanche, on assiste, après chaque scène de pénétration, à la masturbation du protagoniste et à son éjaculation sur le corps de la protagoniste. Il s'agit de rendre visible, spectaculaire, l'orgasme masculin. On voit cet orgasme sans l'entendre. L'homme "est impartial, il est maître de lui comme de l'univers, refermé dans ses songes alors que tout homme (ou presque) crie ou geint au moment de la jouissance. Ici c'est tout à fait inutile, puisqu'il donne à voir ce jaillissement de sperme face à /sur la femme émerveillée. »(9) On peut noter au passage qu'en réalité, beaucoup d'hommes se sont déjà depuis longtemps identifiés au même modèle que montrent ces acteurs : ils se taisent de peur de montrer une quelconque dépendance, et ce faisant refusent à leur partenaire le plaisir de faire plaisir : celui de la tendresse.
Les femmes, elles, on les fait gémir, jouir dans les 10 premières secondes après la pénétration. La montée souvent sinueuse, capricieuse du plaisir est complètement escamotée dans les films pornos, et c'est peut-être là que le film X travestit le plus profondément le désir féminin. De ce que nous avons vu, dans les films dits classiques, il est rarement question d'orgasme, pour les femmes ; elles geignent, et à tous les coups. Ce qui peut être interprété comme : - vous voyez, n'ayez pas peur, la femme, c'est fait pour jouir et, en effet, ça jouit ; et en même temps le contraire : - si vous ne l'avez pas assez gros ou habile, il faut au moins vous taire dans le plaisir pour garder la domination. Même interprétation pour les scènes de viols qui commencent par des cris de douleur et finissent par des cris de plaisir.
Les matériaux sexuels de l'extrême
Les snuff movies ne sont pas la conséquence de "la" pornographie mais d'une société de violences qui se fascine et se repêt devant son propre spectacle. "De plus en plus d'images de plus en plus violentes". Ainsi en était-il y a 30 ans, ainsi en est-il aujourd'hui. (Dans un livre de 1978, il est -déjà- question des snuff movies. Il y a 2 ans, une revue de droite titrait "attention, la nouvelle porno arrive" désignant les snuff movies.)
Le fait est que la socialisation à l'érotisme du côté masculin se fait très jeune devant du matériel sexuellement explicite. La majorité des garçons ont leur premier émoi sexuel devant une image de femme, c'est-à-dire une femme dont on a et ne se fait qu'une représentation.
Des émissions qui font le choix d'alarmer sur les rayonnages "viols" de certains magazins de vidéos X sont des émissions qui font le choix de ne pas parler d'autres contenus de vidéo porno, féministes par exemple, pas plus marginaux. Les émissions qui mettent en relation des tournantes avec une consommation de pornos de la part des agresseurs sont en même temps des émissions qui n'aborderont jamais les autres facteurs d'un tel crime. Peu relaient le concept critique de "publisexisme" par exemple.
Zoophilie, meutre, pédophilie... sont les dignes enfants d'une société qui a évacué l'humain dans ses relations sociales. Qu'attendre d'autre d'une société qui désormais réifie tout ce qui est humain, qui détruit jusqu'à l'idée d'autrui et qui finalement fait de chaque être un pur moyen, objet pour les autres et pour lui-même.
Misère de la représentation
Naguère encore (c'est-à-dire il y a encore peu de temps) l'ordre moral cherchait à contrôler les corps par les interdits. Nous savons bien ce que le négatif ("Ne fais pas") a finalement d'inefficace, et il fallait une situation sociale ou morale, psychologique, bien particulière pour s'y conformer : car dans la réalité, la plupart savait bien ne mettre ni Dieu (Allah, etc.), ni le pape, ni le maire dans son lit. Aujourd'hui, les tabous ont changé de sens, de cadres. Le contrôle social des corps s'opère par une libération limitée, hiérarchisée et commercialisée, positivement donc, c'est-à-dire en montrant, en imposant visuellement ce qui est à désirer et à penser. Et c'est une minorité de pensées, d'idées, d'actes et d'actions que l'on valorise. De nos jours, on se demande en quoi la pornographie (légale) dérangerait puisqu'elle fait corps avec cette idéologie dominante de la "positivité".
Nombre d'amateurs tiennent la loi de 1973 sur le "Xage" des films pour responsable d'un certain appauvrissement de la pornographie. Pour Zaza Delmas, il s'agissait même d'une volonté : "à une époque, certains sex-shops vendaient de bons livres. J'avais des romans très beaux, bien écrits, publiés par (.) Desforges, Losfeld, Pauvert. Ensuite, la répression s'est déclenchée. C'est très simple : on a étouffé tout ce qui était de qualité (.). Je pense que le gouvernement a voulu, de propos délibéré, privilégier la laideur." (10)
Que dire de la différence entre les parutions actuelles et les fabliaux du Moyen-Age, dont on peut extraire plus de 300 métaphores pour exprimer la sexualité !(11) L'allégorie ne sert pas tant à cacher la réalité qu'à la dire. On éprouve un plaisir extrême à approcher une réalité qui se dérobe toujours. Aujourd'hui, point d'allégorie mais une approche de la sexualité en termes consumériste, en termes de propriété : "je ne l'ai pas eue", "je me le suis fait" par exemple.
Dans la représentation, il faut noter aussi le primat, la quasi exclusivité accordés à la vue. La pornographie méprise tous les sens autres que la vue. Il y a bien une petite collection de bruits, dans les films, une misère. Et pour le reste rien, aucun sens n'est évoqué, ni goût, ni odorat (etc.), seule l'image est là, quelques mots qui sont des bruits, soit une part infime et faible de la fête sexuelle.
Misère sexuelle, Consommation sexuelle
La misère sexuelle recouvre plusieurs choses, dont le non-épanouissement sexuel, la méconnaissance de sa propre sexualité et de celle des autres, la méconnaissance de son corps, du corps des autres.
"Misère" sexuelle ce n'est pas avant tout la pénurie quantitative, mais le fait de concevoir les relations sexuelles comme le lieu d'assouvissement d'un besoin de consommation. On aborde le moment sexuel en tant que moment de la stricte et pure jouissance. Nombre de médias expliquent "comment jouir", "comment faire durer l'orgasme". Autrui n'est qu'un moyen, l'orgasme n'est qu'un but. On nous proclame qu'on a besoin de jouissance (pour nous vanter le magazine qui révèle les "trucs" de tel-le expert, docteur, etc.) comme on nous proclame que l'on a besoin de vitamine C pour nous inciter à acheter des fraises. Concevoir les relations sexuelles en terme de besoin individuel et sanitaire, en terme de performance, de course à l'orgasme, c'est évacuer la question d'une rencontre, relation ("lien" ?), entre êtres humains. C'est réduire les relations sexuelles à des actes. C'est se donner les moyens d'enterrer une quelconque prétention à un épanouissement des personnes.
Nous parlions ici du développement d'une idéologie nécessaire et propre à notre société de consommation. D'autres idéologies, si ce n'est toute idéologie, impliquent également une conception aliénante de La Sexualité. Parce qu'elle est en chacun-e de nous, parce qu'elle peut être une force ( de création comme de destruction), parce qu'elle peut agir le psychique, le physique, le devenir, la sexualité est codifiée, orientée et par conséquent, réduite. Dans le contexte français du xxème siècle, Viviane Forester ouvre ainsi une porte : " le territoire de la libido n'est pas limité à celui de la sexualité officielle ( qu'elle soit dite normale ou perverse). C'est un territoire immense, inexploré, qui est celui de la liberté des gens. Le pouvoir le tient donc pour très dangereux. Et décide de l'interdire, le circonscrire, de le contrôler. Comment s'y prend-il, le pouvoir ? Il prélève dans cette vaste géographie de la libido, une île, et il dit : "regardez, c'est là que tout se passe. Ailleurs, c'est sans importance, nul. Si vous ne vous intéressez pas à cette seule petite île - le coït, le plaisir strictement sexuel - , c'est que vous êtes frigide ou folle ; vous êtes annulée et vous n'existez plus sexuellement" (12)
Eros en balade dans la cité
Le désir n'est plus ni sacré, ni secret. Sans fièvre et sans mystère nous entrons dans le temps d'un sexe sans qualité. La pornographie, en soi, participe à créer son temps en mettant "en scène l'équivalence généralisée : 2 partenaires ou 10, des femmes ou des hommes, devant, derrière ou de côté, être ou ne pas être, questions futiles pour cet art déconcertant, cet art qui nous introduit dans un univers plat comme un trottoir de rue (.), peut-être à un entre deux de la vie et de la mort." (13)
En aparté, on peut se demander si l'on n'est pas quelque part sur le chemin d'une cyber-sexualité, où le virtuel sera vanté comme mille fois préférable au réel car plus sécurisant, facile, immédiat, satisfaisant...sans nécessité de compromission ... ?
La pornographie faite pour la vue (vision, visualisation) reste coincée dans la prévalence du regard sur l'odorat, le goût, le toucher, l'ouïe, entraîne un appauvrissement des relations corporelles et contribue à désincarner la sexualité. A partir du moment où le regard domine, le corps perd de sa chair et le sexuel devient affaire d'organes bien circonscrits et séparables du lieu où ils s'assemblent en un tout vivant,. une personne existante. De plus en plus de films montrent des scènes de sexe "en vrai". Mais il faut noter la distinction radicale entre ces scènes et des scènes de porno. Une actrice ne fera jamais une fellation comme une hardeuse : (14) "ce qui est excitant, dans la vidéo porno, ou ce qui compte véritablement dans cette excitation, c'est le mime excité d'une excitation". Cela dit, il faudra bien un jour se poser la question de savoir quelle place on veut donner aux sexualités et à leurs représentations ; quels spectacles de quelles sexualités et pourquoi, pour quoi ?
Le spectacle de la sexualité sur les affiches bordant les routes et les rues délivre un certain nombre de messages dont le premier touche à la façon même d'envisager la sexualité : pour les femmes, c'est toujours l'incitation à être voyeuse, à être baisée mais pas à baiser.
Créer une norme c'est avant tout créer de l'anormal. La pornographie impose des modèles en ce que d'une part elle scinde en catégories (normal : hétéro, homo, et anormal (scato, zoophile.) et que d'autre part au sein des catégories normales, en filigrane est contenue l'idée que ne pas prendre de plaisir à tel acte ou telle position tient de l'anormal. De la même façon, on va trouver normal pour un homme de bander des heures entières, d'avoir un pénis de 30 cm et de mal vivre le contraire.
"J'espère qu'il y a des hommes capables d'avoir du plaisir par d'autres caresses que par celles représentées invariablement dans ces films et particulièrement limitées au branlage et au suçage" (15)
Le préservatif, noud du spectacle
Dans la mesure où il s'agit d'un travail (un employeur, des salaires, une production) et pas d'un loisir, des "conditions de travail" (c'est-à-dire des mesures garantissant la sécurité des employé-e-s) sont à penser et mettre en place. De même que le port du casque est obligatoire sur un chantier, le port du préservatif devrait l'être sur un plateau de tournage. Pourquoi cela n'est-il pas le cas ? "l'utilisation du préservatif ne gêne-t-elle pas l'acteur, voire ne contrecarre-t-elle pas le but du film porno ?" (16)
En effet, nous avons vu plus haut que la véritable star du porno, c'est l'éjaculation. Ce serait donc supprimer l'essentiel que de rendre moins spectaculaire cet " événement ". Cela dit, une attitude progressiste permettrait d'en tirer profit, en affirmant que c'est un moyen nécessaire au déplacement des intérêts portés au porno : si le sperme ne jaillit plus de tous les côtés (voire sur toutes les faces), la caméra devra mettre l'accent sur d'autres "événements" tels que les frissons occasionnés par le désir ou les tremblements consécutifs aux jouissances.
Mais cela est-il possible ? Les spectatrices/teurs de porno ne se tourneront-elles/ils pas vers des productions importées de pays ne légiférant pas sur la question du préservatif ? Qu'en est-il de la question de l'éjaculation intra ou extra vaginale ? De la construction sociale des intérêts portés au speclacle ? De l'application, la signification d'une loi sur le préservatif à l'écran ?
Les préservatifs feront prochainement l'objet d'un article, le noeud ne sera pas défait ici.
La place du corps
Il a beaucoup été question ces 2 dernières années dans la presse (de tout bord) de pornographie. Et aussi de sexe, d'érotisme, de corps, de travail sur ce corps. - L'attention toute particulière et accrue dont notre corps est l'objet (radio-sexualité, magazine-régime-tatouage, télé-coloration) conduit en fait à le fabriquer. Sous une apparence de libération (vis-à-vis des tabous et des carcans, à savoir, liberté de se faire tatouer, percer, teinter, raser, modifier, gonfler), loin de s'exempter des normes, il est soumis non seulement à d'autres normes, mais aussi à des normes plus astreignantes, en ce qu'elles le concernent en davantage de points. A mesure qu'il devient plus difficile d'assumer son corps singulier, il devient plus facile d'afficher toutes sortes d'extravagances communes. Qui dénote ? La jeune fille poilue ou celle au nombril percé ?
Le corps n'est encensé que dans certains de ses aspects : à la sur-valorisation de l'apparaître correspond la sous-évaluation du " se sentir ", par exemple. Le primat du corps porteur de l'apparaître dévalorise le corps porteur du devenir, du penser, de l'être.
Un autre porno ?
Peut-on imaginer une autre création pornographique, qui se propose, outre l'excitation suscitée chez le spectateur, de ra-con-ter une histoire, d'inventer, de s'amuser, de fêter le corps et ses jeux dans sa totalité et dans le respect de chaque personne, de chaque sexe, de diversifier la mise en scène, de s'attacher à des corps et personnages variés, de dépasser le point de vue hégémonique hétéro-masculin ?
Ils sont certes ultra minoritaires et peu accessibles, mais des films de ce type existent. Pour des références et descriptions d'une dizaine de ces films, vous reporter au chapitre "Portraits de femmes pornographes et autres féministes pro-pornographie", Ovidie, Porno Manifesto, Flammarion, 2002, p.103 à 154.
Cependant, il faut souligner que si ces films n'intègrent pas les autoroutes de la distribution, c'est qu'ils sortent des diktats du porno-business. Penser que des matériaux pornographiques, dans leur ensemble, devrait transparaître une éthique, c'est faire abstraction du monde comme système commercial, comme système de violences, c'est croire que la demande crée l'offre ou que la demande consumériste peut contenir une éthique.
La pornographie a les moyens de toucher les ghettos sexuels qui sont au fond de chacun/e de nous, sachant qu'elle peut représenter les particularités sexuelles que la société réprime, ces marges de la sexualité, par ex. l'homosexualité, le sadisme ou telle autre conduite.
Libération sexuelle
Qui aurait imaginé que c'était en faisant passer le sexe dans un circuit intégral de fric (on se loue pour faire un film, on achète la revue...) que l'on se débarrasserait des tabous et normes ? Eh bien si, c'est comme ça. Et même, vous ne le savez peut-être pas, mais dire que la prostitution (sous toutes ses formes) est une entrave à l'émancipation féminine tient d'un fascisme. Oui, oui. Attention, il ne faut pas entendre que les prostituées se louent toutes librement ou par libre choix, mais que se joint aux libertés des femmes la liberté de se vendre, le droit de se louer. (Au passage, ce sont des niais qui luttent contre la marchandisation du vivant, car comment saurions-nous autrement ce qui a de la valeur et ce qui n'en a pas ?). Bien entendu, le fric n'a aucun rapport, ni direct, ni symbolique avec une quelconque forme de pouvoir, il ne fait jamais, au grand jamais, autorité. C'est un simple échange de service, d'égal-e-s à égal-e-s, auquel se livrent prostitué-e-s, hardeurs-ses, client-e-s. Trêve de second degré, quelques puristes pourraient me rétorquer que je me prostitue également en louant mes mains à la grande distribution en travaillant dans un commerce. Certes, mais je n'irai jamais cacher mes incohérences en prétendant œuvrer à l'émancipation féminine par le biais d'une exploitation égale à celle que subissent les hommes.
Emancipation à l'égard de quoi ?
Il faut bien comprendre de quelle émancipation parlent les hardeuses qui disent développer un féminisme par leur profession : émancipation à l'égard de tout autre tabou que ceux du capitalisme (tout ce qui va contre le libéralisme, et l'individualisme), à l'égard de toute autre valeur, tout autre plaisir que ceux écrits dans les doctrines du monde marchand. Ce n'est pas, en effet, vis-à-vis du capitalisme qu'elles se libèrent, ni vis-à-vis de lui que se tiennent leurs discours. Mais plutôt à l'égard du carcan moral, des normes accompagnant notre choix de partenaire, notre pudeur vestimentaire, comportementale. La chiquenaude qu'elles font au capitalisme est de l'emmener là où une partie de son monde n'a pas envie d'aller, en le radicalisant. Avec un "OK, no problem, je vends tout, même mon cul !", on arrive à l'opposé de l'idéal de la famille bourgeoise !
Liberté de quoi faire ?
La liberté de disposer de son corps, même en terme commercial. Le droit d'acheter des nouveaux seins si ça me plaît.
Le problème n'est pas seulement qu'il y ait à payer pour se faire faire de nouveaux seins : il est que la pulsion qui amène à avoir envie de se faire faire des seins est de type destructrice. Elle relève d'une "obligation", d'une injonction supplémentaire, et sans quoi il n'est plus possible d'être bien. Les délires de transformation du corps ne sont pas délires choisis, vécus comme élan vers, comme élan de vie, mais élan défensif. La liberté invoquée est celle "d'inventer", d'innover dans les voies de la soumission à une exigence sociale.
Pour une conclusion
Comme lieu de la représentation et non de l'action, la porno ne sera jamais qu'un résumé. Aujourd'hui inscrite dans un monde capitaliste et de violences, elle en développe les valeurs. Cela-dit, du fait simple que la majorité des occidentaux sont amené-e-s à croiser les images pornographiques, on pourrait être tenté-e- d'en réclamer/exiger des changements. Mais il ne faudrait pas oublier que les lois de la fabrication du X dépendent des réalités sexuelles, et si l'on se plaint d'un spectacle monotone, misogyne, c'est également d'une sexualité monotone et misogyne dans son ensemble dont on aurait à se plaindre. Quiconque ne va pas concrètement à la rencontre des mondes sexuels ou de différentes sexualités ne comprendra pas, par exemple, ce que veut dire une "femme fontaine", prendra l'éjaculation féminine pour un mythe.
Le chemin de la restauration d'une rencontre humaine sexuelle, en idée, réalité comme en représentation ne peut avoir pour point de départ le virtuel ou l'exigence d'un virtuel correct. Ou pour le dire autrement, sans monde physique, pas de monde psychique.
Klara et Renée
1- Pour la description des étapes de la prostitution cf. Entre autre Le Crapouillot n°10, 1953
2- 500 millions de francs nous dit P. Baudry, p. 29 La pornographie et ses images, Agora, 1997
3- Michael Medved, Hollywood versus America
4- termes de "la Meute" désignant les affiches collées dans des endroits interdits d'affichage, proposant des adresses minitel et internet.
5- p.173, Baudry, cf 2
6- p.170, cf 2
7- p.362, Helen Gary Bishop dans La Pornographie, les Femmes et l'Erotisme, M.F. Hans, G. Lapouge, 1978
8- 30% des films achetés par correspondance le sont par des femmes
8 bis- attention, que les actrices produisent des images de victimes, de dominées, n'implique pas qu'elles soient elles-mêmes des victimes et des dominées aussi bien dans leur vie privée que professionnelle.
9- p.306, cf. 7
10- p.239, cf 7
11- p.125, cf 7
12- p. 77, cf 7
13- p.333, cf 7
14- P.171, cf 2
15- p.172, cf 7