Lu sur
Libertad : "Michel Onfray est aujourd'hui bien connu des milieux anarchistes.
On lui doit d'abord la résurrection de l'oeuvre de Georges Palante, philosophe pessimiste libertaire du début du XXème siècle qui voyait dans la société une terrible machine à broyer les individus. Dans la même lignée, les livres de Michel Onfray sont autant de pamphlets pour la défense et l'exaltation du particulier contre le triomphe de l'esprit grégaire. De La Sculpture de soi à Politique du rebelle, il développe une pensée à la fois hédoniste et libertaire qui sait toujours trouver ses références et reconnaître les siens. Son dernier ouvrage intitulé « Théorie du corps amoureux », se présente comme une tentative de réhabilitation du libertinage, défini comme « l'art de rester soi dans sa relation à autrui » ; une urgence pour l'auteur de « L'Art de jouir » qui constate les conséquences néfastes de plusieurs siècles de tradition judéo-chrétienne dans l'usage du corps. « Les deux millénaires chrétiens n'ont produit que haine de la vie et indexation de l'existence sur le renoncement, la retenue, la modération, la prudence, l'économie de soi et la suspicion généralisée à l'endroit d'autrui ». Il s'agit donc de déchristianiser la morale avant de pouvoir espérer trouver un mode de relation autre que le conflit permanent et en finir avec le modèle social du couple fusionnel.
Fermement opposé au culte de la famille et à celui de la procréation, Onfray aurait pu citer Libertad déclarant « le mariage c'est la prostitution légale » ou le retentissant « Familles, je vous hais ! » de Gide. On s'attendrait aussi à retrouver Wilhem Reich sous la plume de ce philosophe convaincu de la connivence entre sexualité et politique. Mais, Michel Onfray préfère s'en tenir aux seuls penseurs de l'Antiquité pour détruire l'idéal amoureux classique décliné sur les modes du désir, de la culpabilité, du manque et de la frustration. Il convoque Démocrite, Diogène, Epicure, Lucrèce et leurs animaux totems : le poisson masturbateur, le pourceau épicurien, la hyène lubrique, et le hérisson célibataire, pour combattre l'influence funeste de théoriciens du mépris de soi comme Platon, Saint-Paul ou Saint-Augustin dont les figures sont le carrelet platonicien, l'éléphant monogame et l'abeille grégaire. On a les animaux familiers qu'on mérite.
CARPE DIEM
Pour libérer les corps du carcan platonicien, il faut réduire à néant sa conception de l'amour, dénoncé ici comme la quête de ce qui n'existe pas. Le désir ne relève pas d'une catégorie du manque mais de celle de l'excès. Il s'agit d'associer le désir au plaisir que l'on peut éprouver à sa satisfaction, en refusant tout sentiment de culpabilité. Savoir jouir de l'instant présent sans souci du lendemain. La formule de cet épicurisme antique est bien connue : Carpe diem.
Le bonheur est donc possible et il faut chercher à l'atteindre, non pas comme un idéal éloigné, utopique, mais au quotidien, en sachant saisir les opportunités qui s'offrent à nous. Pourtant, tout ne va pas pour le mieux dans le meilleur des mondes. Le système social abrutissant que dénonçait Georges Palante en son temps s'est nettement perfectionné. Qui en doute encore est soit un parfait crétin, soit complétement abruti par ce système. Et, si l'on peut être attiré par un mode de vie moins misérable que le sacro-saint métro-boulot-dodo, il faudrait manquer totalement de lucidité pour vouloir mettre un enfant au monde dans de telles conditions. « Quel adulte assez cruel destinera dès la naissance ses enfants au labeur, à la discipline, à l'obéissance, à la soumission, à la frustration que lui préparent la crèche, l'école, le collège, le lycée, naguère la caserne puis l'usine, l'atelier, l'entreprise, le bureau ? ».
Le philosophe renouvelle là les théories néo-malthusiennes, jadis en vogue dans les milieux anarchistes et dont on trouve le souvenir dans une bande dessinée récente de Tardi d'après une histoire de Didier Daeninckx : « Le Der des ders » où l'on peut voir un militant de la ligue des antipropriétaires de Georges Cochon peindre sur une banderole : « Les ouvriers chargés d'enfants sont traités comme des malfaiteurs. Ne faites plus d'enfants ». Mais alors que cette propagande pour l'avortement et la contraception relevaient avant tout de préoccupations sociales, Michel Onfray, fidèle à un individualisme radical, ne préconise la stérilité que par pur souci de soi.
La grande qualité des oeuvres de Michel Onfray est de toujours inviter le lecteur à une vie plus heureuse, affranchie des conventions sociales qui empoisonnent son existence : « Pour ma part, je ne me satisfais pas d'une philosophie de pure recherche (...) Je préfère envisager, à l'autre extrémité de la chaîne réflexive, la somme des affirmations et des résolutions utiles à la conduite d'une existence lancée à pleine vitesse entre deux néants ».
A lire : Michel Onfray, « Théorie du corps amoureux. Pour une érotique solaire », éd. Grasset, 304 p., 118 F.