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Lu sur CMAQ : "La perspective nouvelle d'un réseau libertaire qui pourrait être dynamisante pour le mouvement libertaire et autonome montréalais (et pourquoi pas national et mondial !) habite nos imaginaires radicaux actuels. Pour sortir de nos pratiques groupusculaires et ne pas sombrer dans le centralisme des Partis et des fédérations, le réseau constitue l'alternative. Il nous permettrait de collectiviser nos pratiques et nos luttes à un niveau social plus général. Il faciliterait la constitution d'un mouvement plus cohérent à travers la nécessaire autonomie de nos communautés et de nos groupes particuliers. Le centre de ce réseau serait l'Assemblée générale des anarchistes et autonomes. Cette Assemblée ne serait pas centralisatrice en ce qu'elle ne prendrait aucune décision concernant l'activité des communautés et groupes particuliers. Mais elle permettrait d'agir et de décider pour ce qui nous est commun. Elle articulerait une pratique qui lierait l'action individuelle, de groupe et de communauté à une action plus générale, ce qu'est forcément un mouvement révolutionnaire. Voilà ci-après deux textes très inspirants issus du mouvement autonome espagnol qui j'espère pourra nous aider à élaborer ce réseau.
L’organisation en réseaux
texte paru dans la revue Ekintza Zuzena n°23
Conscients que la structure fermée, verticale et hiérarchique des partis s’avère toujours moins efficace pour articuler la dynamique sociale, les nouveaux mouvements civiques s’organisent de plus en plus conformément au modèle du réseau, qui, comme le signale M. Ferguson, “est l’institution de notre temps : un système ouvert, une structure riche et cohérente, qui se trouve continuellement en état de flux, un équilibre ouvert au réaménagement et à la transformation, continuellement, indéfiniment. Cette forme organique d’organisation sociale est plus adaptable d’un point de vue biologique, elle est plus efficace et plus consciente que les structures hiérarchiques de la civilisation moderne. Le réseau est élastique, flexible. En réalité, chaque membre est le centre du réseau. Les réseaux sont en coopération, pas en compétition. Ils ont un authentique ancrage populaire : ils s’autogénèrent, s’autoorganisent, et parfois aussi s’autodétruisent. Leur existence représente un processus, elle ressemble à un voyage, pas à une structure congelée.”(...)
L’organisation en forme de réseau est particulièrement intuitive, elle se rapproche du modèle organique des êtres vivants. Dans un réseau il n’y a pas de centres caractérisés de pouvoir, il n’y a pas de chef-fe-s défini-e-s qui filtrent l’information ; celle-ci coule librement dans toutes les directions, favorisant la coopération entre les membres du réseau. La logique de domination exige une information unidirectionnelle, alors que la logique de coopération implique la mise en commun, la communication sans restrictions, de l’information que possède chaque membre. L’esprit glacé de l’organisation bureaucratique répond à des critères égoïstes et restrictifs. Chacun accumule les informations pour son propre compte. Mais dans le modèle de réseau ces critères n’ont aucune validité, l’intelligence inspire l’altruisme. De la même manière que cellui qui arrose un arbre a de grandes chances d’en manger les fruits, cellui qui enrichit l’entourage reçoit aussi, tôt ou tard, la récompense d’un retour d’information amplifié. Le principe de synergie - le tout est plus que la somme de ses parties - régit les réseaux, qui tirent leur énergie de l’association, de la combinaison des aptitudes, des instruments, des stratégies, des éléments et des contacts entre leurs membres.
Le modèle d’organisation en réseau n’observe qu’une faible analogie avec celui de la fédération, la fédération de syndicats et de partis, où celle-ci n’est rien de plus qu’un mot derrière lequel on organise des unités clonées, dépendantes d’une hiérarchie centrale. Les membres d’une organisation en réseau partagent bien des contenus idéologiques communs, mais sans porter préjudice aux particularités et aux objectifs de chacun-e, sans aucun lien hiérarchique. Face à un appel à l’action commune proposé par un élément du réseau, chaque groupe agira selon ce qu’il considère opportun, adhérant ou non à l’initiative.
Un réseau est intégré par une infinité de collectifs, de toutes sortes et de toutes tailles, qui partagent de l’information. En principe, il n’existe pas d’intérêt totalement commun ; chaque groupe a sa propre idéologie et son propre projet, bien qu’en général on suppose que l’appartenance à un réseau déterminé implique l’existence d’une certaine affinité idéologique. En fait, il suffit qu’une initiative, surgie en l’un des points du réseau à un moment donné, soit assez attractive pour que la majeure partie du réseau l’assume et en relaye l’information. Alors commence un vaste flux de feedbacks, ou retours d’information, qui réalimentent et amplifient l’initiative d’origine. A partir de ce moment-là, le point dont est partie l’initiative se transforme en centre provisoire et temporaire du réseau. Il diffuse son projet, sa méthodologie, ses consignes et son plan des opérations. Et le réseau répond. Chaque point reproduit, amplifie et réinterprète les messages à sa manière. Les affiches, tracts, graffitis, appels dans les radios libres et articles dans les fanzines surgissent comme par enchantement, et débouchent sur des actions spécifiques. Selon l’étendue et la densité du réseau, le résultat de ce processus peut se concrétiser par le boycott d’une multinationale, une campagne d’insoumission, ou une bataille rangée pour empêcher un convoi de déchets radioactifs. Une fois terminée l’action spécifique produite par l’appel, tout ce vaste complexe virtuel d’organisation se dissout, les groupes se détendent, le centre provisoire cesse de l’être, et le réseau retourne à un état de repos.(...)
Au niveau de l’organisation, le réseau offre l’avantage de l’économie d’énergie. Le facteur fondamental de basse consommation d’énergie est défini par les périodes de latence que le réseau traverse. Une fois finalisée l’initiative concrète, l’organisation virtuelle créée pour cette fin se défait, et bien que chaque groupe maintienne sa propre activité, l’organisation générale du réseau entre en état de repos. L’oisiveté est un luxe qu’une organisation fondée sur une structure rigide ne peut se permettre, car elle se trouve obligée de maintenir de façon permanente ses classes et ses hiérarchies, au prix d’une grande consommation d’énergie. L’exemple le plus clair de maintien d’une structure sans objectif spécifique est l’armée, constituée de manière permanente, bien que la nation traverse une longue période de stabilité dans ses relations avec ses voisines frontalières.
(...)
Pour un réseau
Carlos, Jacobo et Miguel, du centre social Laboratorio
Quelques réflexions sur l’institution et sur l’organisation
Le cadre institutionnel est formé de nombreux éléments : il ne s’agit pas seulement des diverses administrations (locales ou étatiques), mais aussi des appareils bureaucratiques qui se chargent de leur gestion (partis, groupes parlementaires, etc.), ainsi que des organismes complexes de gestion partielle de problèmes précis (comme les ONG et les travailleurs sociaux) et des groupes sectaires (comme les églises), sans oublier les mass-media ou les institutions permanentes qui s’occupent des lois et de l’ordre (magistrature et organismes armés).
Toute cette trame, qui n’est pas dépourvue de conflits, malgré tout ce qu’on peut supposer sur ses fins auto-référentielles et auto-conservatrices, se comporte de manière hétérogène dans ses relations avec le social. Ainsi, si certaines de ses ramifications spécialisées ont pour objectif d’exterminer toute dissidence, les autres exécutent la tâche formelle de garantir que la diversité -y compris celle qui s’envisage comme contestataire- puisse s’exprimer à l’intérieur des limites établies par les différents pouvoirs, oeuvrant ainsi dans un rapport d’existence de marges -récupérées dans l’espace de la formalité démocratique-. Aussi, les marginaux et les marginales sont autorisé-e-s à s’organiser, à se manifester, à l’intérieur de canaux pré-établis. Même certaines initiatives qui peuvent avoir un caractère transversal trouvent un financement institutionnel (nous pensons par exemple au réseau complexe Sodepaz-Nodo50 ou aux syndicats étudiants).
Ce champ relationnel entre les marges et l’institution n’est ni univoque ni immobile : il est soumis à des forces, des déviations, des flux de pouvoir... Mais aucune règle ne peut définir ce qui y est préférable : un rapport de force plus équilibré peut cacher un désir du pouvoir d’exterminer l’anomalie. Peut-être qu’une bonne analogie serait celle qui identifie les processus sociaux au système immunologique du corps humain : les défenses ne s’activent de manière agressive que lorsque le corps étranger se manifeste comme un danger ; en attendant, celui-ci peut être toléré. Les réactions allergiques sont le symptôme d’un despotisme politique autoritaire et dictatorial, qui attaque toute anomalie avant qu’elle n’en vienne à exprimer sa dangerosité.
Nous sommes à Madrid en 1999 : l’Etat démocratique s’est rarement montré aussi solide, aussi fort, tellement à l’aise dans l’exécution de ses objectifs stratégiques (contrôle du social afin de mieux accomplir les processus économiques du commandement capitaliste : globalisation, néo-libéralisme, démantèlement de l’Etat-Providence et des acquis sociaux, etc.). Ce que fait le gouvernement aurait pu être considéré à certaines époques comme du para-fascisme, mais son habit “socialiste” a permis de faire passer tout ça pour quelque chose de normal. Les mouvements sociaux vivent une situation critique, de faible incidence, d’impuissance stratégique, de bas niveaux militants : de dangerosité minime. Les secteurs les moins despotiques de l’institution peuvent donc s’autoriser une activité tolérante : quand tout est ligoté et bien ligoté, qu’importe une sorte de hameau d’irréductibles gaulois-es. Seul-e-s les plus absolutistes et les plus réactionnaires s’inquiètent de la survie de nos résistances.
Dans ce scénario, absolument rien ne pourrait ressortir d’un affrontement frontal avec l’Etat, sauf de la frustration et de la douleur. Tous ses revolvers sont pointés sur nous, toutes ses caméras nous contrôlent, et nous, nous sommes moins armé-e-s et moins protégé-e-s que jamais. Et dans ce cadre de fin de siècle, où nous devons essayer de construire un nouvel acteur politique, contestataire et antagoniste, il est évident, et depuis longtemps, qu’un nouveau parti d’avant-garde ne servirait à rien pour organiser la matérialité du conflit, pas plus que des fédérations et des coordinations, ni même un mouvement dans le sens classique. Il faut créer et mettre en pratique de nouvelles formes d’action politique, qui soient enracinées dans la dimension territoriale et locale, et à la fois dans l’horizon de la globalisation, de façon transversale, ouverte, articulée en de multiples plans et niveaux ; aptes à défendre les vieux droits conquis par les luttes de générations entières de travailleuses et de travailleurs, à résister au démantèlement de l’Etat-Providence, de la santé, des services publics, et en même temps à conquérir de nouveaux droits, au sein des contradictions actuelles entre revenu garanti, travail, citoyenneté ; enfin, à préfigurer un monde nouveau, à ouvrir des possibilités multiples, des expérimentations et des alternatives à ce qui existe, sans être tuées dans l’oeuf.
C’est uniquement dans ce cadre-là que la relation entre les mouvements sociaux et les institutions peut être considérée comme une question politique - et non comme une question de principes. C’est seulement dans le cadre du processus complexe de définition des nouveaux conflits sociaux -les conflits qui génèreront de nouveaux acteurs sociaux, au-delà des identités traditionnelles du mouvement ouvrier et des mouvements de caractère symétrique et traditionnel-, c’est seulement là, disons-nous, que peut s’envisager un rapport pas forcément violent avec les institutions -dans le sens où les institutions peuvent ne pas projeter leur violence exterminatrice sur des anomalies, sur des germes qu’elles ne connaissent pas, mais avoir l’attitude tolérante de celle qui n’est pas sûre d’elle-, un rapport avec les institutions qui s’efforce de générer des espaces autonomes (relativement séparés, mais contestataires, dont le développement exprime un conflit à venir), en se réappropriant des espaces que le pouvoir ne peut ou ne veut pas assumer comme étant les siens, en s’installant dans l’entrebâillement des garanties démocratiques, dans les interstices d’une mosaïque de rapports sociaux apparemment intégrés.
C’est seulement dans ce cadre qu’il est envisageable que les mouvements sociaux contestataires non seulement acceptent, mais aussi promeuvent une relation ouverte avec tout type d’institution : l’important n’est pas les gens avec qui on a des contacts (parfois, l’ennemi) mais les choses qu’on peut obtenir de l’ambiguïté de ces contacts, en termes d’espaces de socialisation autonome, d’espaces embusqués, qui génèrent une opposition derrière leur apparence inoffensive : des espaces qui ne se laissent pas capturer par la logique de l’affrontement, qui ne se laissent pas exterminer - le cas des zapatistes est extrêmement révélateur, mais aussi ceux de certains espaces autonomes néerlandais, allemands, ilaliens, ou celui du mouvement des “sans-papiers” en France ; d’autres cas traversent des moments critiques, comme ceux de l’Irlande ou du Pays Basque, ou ont été ouvertement vaincus, comme les restes de 68 en Europe et des années 70 en Italie.
Ne fixons donc a priori aucune limite dans les rapports avec les différentes institutions, officielles ou non. Assumons le risque d’être neutralisé-e-s, récupéré-e-s, étouffé-e-s, mais en gardant à l’esprit qu’il existe d’autres risques dans d’autres options. Evoluons dans cette tension permanente, avec pour objectif de générer, par l’action directe (qu’est-ce que ça veut dire, voilà une autre paire de manches), sans médiation, des moments de réappropriation de l’administration, et de création d’espaces publics autonomes, de nouveaux droits de citoyenneté non régulés par l’Etat, ou alors produits du conflit entre notre puissance et sa capacité d’écrasement.
C’est dans ce scénario que nous situons toute discussion sur le type d’organisation que nous voulons : une organisation pour quels objectifs, avec quelles alliances possibles. Nous proposons une organisation consciente de ses limites, mais sans savoir jusqu’où peuvent s’étirer ces limites ; pariant sur ce que peut être l’avenir, sans prétendre ni le déterminer d’avance ni le connaître de science sûre ; ne sachant pas non plus qui (et quand) peut l’intégrer. Une organisation travaillant dans le conflit de la différence avant de prétendre étouffer le conflit à travers l’identité centraliste démocratique, qui aplanit toute variante -y compris les anarcho-léninistes-. Une organisation envisagée comme une machine de lutte, qui développe une analyse commune mais qui agit en fonction des différences que cette analyse met en évidence, dans différentes directions s’il y a différentes directions , en une seule s’il n’y en a qu’une seule. Une organisation qui conjugue immédiatement (“sans médiation”) l’action politique locale, enracinée dans un territoire, avec la dimension de la globalité ; qui n’essaye pas d’étouffer ou d’occulter les différences, mais qui les fasse agir dans toute leur puissance. Qui n’agisse pas seulement contre ce à quoi il faut résister, mais avant tout sur ce qui se génère, ce qui se libère dans son propre devenir, dans sa propre lutte, non pas contre le pouvoir, mais comme un ou des contre-pouvoir(s). Une organisation qui ne se développe pas en fonction de l’affrontement avec les délégués du pouvoir, mais qui tend vers la libération des énergies de ceux et de celles qui se délivrent de tout, qui manifestent leur singularité, leurs désirs, la puissance irréductible de leur volonté de vivre sous le signe de l’exceptionnel.
Bien que nous ne souhaitions aucunement définir une forme d’organisation déterminée ou élaborer des dogmes organisatifs, nous pensons que le futur modèle d’organisation doit répondre à la question d’organiser quoi, pourquoi et comment. Nous voulons dessiner un projet d’organisation de la capacité et du désir d’autonomie dans la société : l’autonomie en tant que libération de la surdétermination verticale des pouvoirs, l’autonomie contre la domination, l’autonomie contre la représentation, l’autonomie contre le contrôle, l’autonomie comme processus de recomposition des relations sociales. Organiser quoi ? Les ilôts d’autonomie, les îles en réseau, mais aussi les nouveaux espaces de conflit qui peuvent engendrer de nouveaux espaces d’autonomie, les nouvelles institutions sociales qui naissent ou que nous faisons naître de ces processus, les luttes auxquelles ils donnent lieu. La tentation d’organiser de manière linéaire les ilôts d’autonomie - les petits espaces auto-référentiels de nos collectifs auto-définis comme autonomes - est grande, elle permet de neutraliser certaines insécurités, de combattre l’horreur du vide, et bien sûr de reconnaître plus confortablement l’autre-identique, ce qui facilite l’être ou l’agir en différents lieux tout en étant un même (une politique unifiée sur la diversité des territoires, sur l’immédiateté du désert médiatico-social et sur la médiation de plate-formes-coordinations-cocktails d’organisations). Mais le social est têtu et contradictoire, il ne se laisse pas attraper ni déterminer, et il en résulte qu’il n’y a pas de solution linéaire à la question de l’auto-organisation sociale.
Une critique radicale du concept classique d’autonomie devient urgente : il faut cesser de croire en la soi-disant efficacité des solutions identitaires, cesser de croire qu’en créant une espèce de mini-parti de l’autonomie et en réunissant tant de faiblesses nous pouvons réussir à être fort-e-s : il faut oublier enfin le bloc autonome, éviter par tous les moyens les médiations politiques, la délégation et la représentation, et mettre au premier plan l’expérimentation de notre existence comme étant immédiate, il faut intensifier la vie et la volonté de vivre plus que de survivre dans la réalité du consensus. La convergence, la coordination, n’est pas garantie par des réunions périodiques, mais par le travail et l’analyse collectifs - théorique et pratique - de nos propres parcours. Nous devons délimiter les champs d’intervention de la zone autonome et nous retrouver dans ces espaces, il apparaîtra peut-être que nous n’avons pas besoin de nous coordonner séparément (bien que nous ne nous y opposions pas non plus), parce que nous serons déjà coordonné-e-s de fait. Vue sous cet angle, la question fondamentale à laquelle il faut répondre est où situer la lutte pour l’autonomie : dans l’organisation des collectifs militants, dans l’organisation des luttes sociales, ou dans les deux si elles peuvent être réalisées en même temps, c’est-à-dire si le déplacement de la lutte autonome depuis les conflits vers l’organisation ne supposera pas une médiation qui mettra en péril l’autonomie des conflits, l’autonomie du social. Si nous voulons organiser les ilôts d’autonomie par eux-mêmes c’est parce que les ilôts d’autonomie ne s’organisent pas dans les luttes sociales, parce qu’ils ne se retrouvent pas en elles, et si nous ne coïncidons pas, c’est parce que le diagnostic de l’espace de conflit n’est pas commun, ou au moins n’est pas communiqué. Tisser un réseau de luttes autonomes est différent, et même à l’opposé, de créer une coordination, une plate-forme ou une fédération de groupes autonomes. L’espace d’intervention des groupes autonomes n’est pas -et ne doit pas être- dans le propre groupe ou entre voisin-e-s (la bande), mais dans le social, c’est-à-dire dans le tissu de luttes que nous voulons mener à bien. Converger, mettre en commun, n’est pas agir de façon unifiée, mais communiquer, et ensuite agir de manière autonome dans les espaces d’intervention, pas seulement dans les confortables petites affaires du même, mais dans les conflictuels espaces du multiple. Il faut créer des espaces de communication et de débat -celui dans lequel nous sommes en est déjà un- et en même temps dépasser définitivement et radicalement toute instance centralisatrice (la centralisation et l’unitarisme sont les deux derniers restes de la forme-parti) ; tisser des relations, des projets, des initiatives de lutte et de coopération différente entre acteurs, actrices, collectifs, et territoires différents ; préfigurer, là où c’est possible, à partir de la dimension locale, les éléments d’auto-gouvernement, de démocratie locale, d’appropriation par le bas de l’administration ; conditionner les administrations locales à travers le conflit et les rapports de force, pour conquérir des droits, des espaces de meilleures qualités de vie, pour construire et diffuser, au-delà de toute limite et de toute frontière, les réseaux de contre-pouvoirs et de soutien mutuel ; arracher, morceau par morceau, territoire par territoire, ville par ville, des conquêtes concrètes, bien que partielles, de nouveaux droits de citoyenneté, de dignes conditions de vie pour tou-te-s, contre le racisme et l’exclusion...
Il ne suffit plus de se définir comme communistes/autonomes/anarchistes, parce qu’en réalité il y a de tout dans ces termes... du sectarisme, de la merde et de la bêtise, mais aussi des choses dignes, belles. Cependant nous voyons quelque chose de neuf dans ce processus, par rapport aux essais antérieurs de convergence : la conscience que quelque chose doit changer... qu’il est absolument nécessaire de réenvisager la recomposition de la subjectivité autonome pour recommencer à réfléchir avec notre propre tête dans l’essai de compréhension de nouvelles trajectoires. Nous en sommes au point, semble-t-il, où presque tout le monde est convaincu qu’il en est ainsi. Mais, même en étant convaincu-e-s, rien ne nous garantit que nous ne nous tromperons pas, les choses qui valent le coup portent toujours sur le dos une dose de danger... Quoi qu’il en soit, il serait imbécile de notre part de ne pas nous rendre compte qu’il y a des espaces où coïncident fondamentalement les collectifs autonomes, qu’il y a des langages et des politiques qui n’affectent que les collectifs du “milieu de l’autonomie”. Il y a, par conséquent, des espaces exclusifs du commun : des espaces qu’il faut analyser et discuter, pour libérer l’autonomie dans la société. Organiser cela est indispensable, parce que la possibilité d’autonomie dépend en grande partie de la potentialisation de ces espaces exclusifs. Organiser : régulariser l’analyse, le diagnostic, l’information, “vivre” ce qui est commun, ce qui affectera parfois certains groupes et d’autres fois certains autres, et d’autres fois encore tous les groupes et même plus. Comment envisager, par exemple, des luttes sur le terrain de la critique du travail sans compter sur des groupes comme CAES, CGT, SO, et d’autres (ou pourquoi le faire par étapes : d’abord on se coordonne et on s’unifie entre nous, puis avec les autres, puis on agit...). Faisons un bilan des champs d’action et nous trouverons des tonnes d’exemples. La dispersion et l’atomisation de ces luttes peuvent être résolues uniquement en créant des connexions diverses entre elles : des réseaux qui se connaissent, qui se savent différents, et qui sont disposés à coopérer dans l’organisation de nouveaux réseaux qui prolifèrent, se composent et se dissolvent pour se recomposer à nouveau.
Le processus sera lent, parce que nous devrons déterminer petit à petit un cadre d’action stratégique qui aille au-delà du petit rythme particulier et quotidien de chacun-e. C’est un processus sans fin, qui passe parfois par des rencontres périodiques (bimensuelles ?), par la favorisation des espaces de communication qui sont déjà en marche (UPA, revue ContraPoder, sindominio, CDA...), ou par la création de nouveaux espaces de communication (nous n’entendons pas la communication comme un simple échange d’informations, mais comme un parcours de recomposition des initiatives et des dynamiques sociales de lutte ; la communication est de fait un tissu de connexion de ces luttes). Ce processus s’accomplira en analysant et en vérifiant ensemble des formes stables au sein desquelles chacun-e valorisera “l’autre”, parfois ensemble et parfois séparément, en respectant vraiment les chemins différents et en souhaitant pour les autres que les choses se passent bien.