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Lu sur Indymédia Paris : "Cancun, Mexique, jeudi 11 septembre. CAMBODGE. La journée s'achève par une déclaration qui fait du bruit : dans son discours officiel d'accession à l'OMC, le Ministre cambodgien du Commerce, mon ami Cham Prasidt, a décrit l'épreuve que furent les négociations d'adhésion. Il a conclu en invitant toutes les délégations des pays en développement à "lire de la première à la dernière page le rapport d'Oxfam sur l'adhésion du Cambodge." Une vraie gifle à tous ceux qui racontent que l'OMC est une institution soucieuse des pays les plus pauvres, mais une sacrée gifle aussi aux pays comme l'Australie, les Etats-Unis, l'Union européenne et le Japon, principaux donateurs au Cambodge, qui ont usé et abusé de leur influence pour exiger l'inacceptable. J'ai décidé d'ajouter un chapitre au livre que je prépare sur le double langage européen et j'y raconterai le comportement de la Commission pendant ces négociations. Rien à voir avec ce que raconte Pascal Lamy.
QUATRE CANCUN
Je me rends compte qu'il y a quatre Cancun.
Il y a celui de la zone sécurisée, autour du Centre des Conventions où se tient la conférence et où se trouve le centre de presse. Il est situé au milieu des hôtels où sont logés les délégations officielles et une partie d'entre nous.
Il y a celui des ONG accréditées, dont Oxfam. Nous évoluons dans cette zone que nous ne quittons pratiquement pas. Nous organisons de multiples rencontres sur les différents thèmes en négociation, analysant les politiques menées et proposant des alternatives. Nous rencontrons les délégations du Nord comme du Sud. Nous expliquons aux journalistes nos analyses et, chaque fois que cela s'impose, nous essayons de les libérer de l'idéologie dominante.
Dans ces deux Cancun, les Mexicains que nous rencontrons sont tous employés soit par la conférence, soit dans les hôtels, les restaurants, les bars et les boutiques qui accueillent d'habitude la clientèle dorée du Mexique et des Etats-Unis. Rares sont ceux qui vivent dans cette zone. Même ceux qui portent un uniforme, et il y en a beaucoup, déploient des trésors de gentillesse. Je n'oublierai pas cette chaleureuse hospitalité de celles et ceux qu'on a mis au service de cette conférence et de tout ce qui l'entoure.
Il y a le Cancun des ONG et de tous les militants hostiles à la marchandisation de la planète qui ne sont pas accrédités. Ils n'ont pas accès à la zone hôtelière. Ils organisent eux aussi de multiples forums ainsi que des manifestations quasi quotidiennes. Ils se trouvent dans la ville même de Cancun, coupée de la zone sécurisée par cette barrière sur laquelle s'est immolé Monsieur Lee.
Enfin, - mais n'est-ce pas le plus important ? - il y a la ville même de Cancun et ses habitants. La vie. Enfermé dans cette zone où se scelle le sort de l'humanité, j'ignore tout de cette réalité.
Quelle représentation de l'ordre du monde offrons-nous donc ici ?
NIHIL NOVO SUB SOLE
Ainsi parlaient les Latins pour dire qu'il n'y a rien de neuf. Et ici, sous un soleil de plomb, la formule prend tout son sens. Alors que se vident les salles de réunion du Centre des Conférences, aucun mouvement n'est enregistré dans les négociations.
Dans chacun des cinq groupes de travail, on procède au même constat : chaque pays ou groupe de pays campe sur ses positions. Rien n'a changé depuis les discussions préparatoires à Genève. On a même le sentiment que l'arrogance americano-européenne a davantage cristallisé les points de vue. Reprenons les dossiers les plus importants.
AGRICULTURE
On annonce que le président du groupe de travail va tenter d'élaborer un texte susceptible de rapprocher des points de vue qui restent diamétralement opposés. Il apparaît de plus en plus que le sort de cette conférence va dépendre des résultats qui interviendront sur le dossier agricole. Le texte USA-UE présenté comme base pour la négociation est refusé par un très grand nombre de délégations.
De nombreux témoignages circulent, de la part de membres de délégations officielles de pays du Groupe des 21 (qui représente plus de 52% de la population mondiale) sur les pressions exercées par les délégations européennes (il y a une répartition des taches entre la délégation de la Commission et certaines délégations d'Etats membres) et américaine.
Des journalistes, peu soucieux de la protection des sources, voudraient que nous fournissions des noms de pays, des noms de délégués, le détail des pressions. Il ne peut en être question. Mais la réalité des pressions n'est pas contestable pour autant.
NOUVELLES MATIERES ( le retour de l'AMI)
En marge du groupe de travail, les Ministres représentant 70 pays ont publié une déclaration signifiant qu'il n'y a aucun "consensus explicite" pour décider de commencer des négociations sur l'investissement, la concurrence, les marchés publics et la facilitation des échanges.
Au cours d'une conférence de presse, le Bangladesh qui s'exprimait au nom des PMA, la Jamaïque qui s'exprimait au nom de la Communauté des pays des Caraïbes, le Botswana, la Chine, Cuba, l'Egypte, l'Inde, l'Indonésie, le Kenya, la Malaisie, le Nigeria, les Philippines, la Tanzanie, le Venezuela, la Zambie et le Zimbabwe ont tous redit leur refus du lancement d'une négociation sur ces matières. Il n'y a pas, comme exigé par la Déclaration de Doha, de "consensus explicite"pour un tel lancement. Et ce G 70 refuse toute forme de marchandage entre ces quatre matières et d'autres questions à l'ordre du jour de la conférence.
Quelques pays ont exprimé un point de vue différent : le Chili, la Colombie, le Pérou ont fait savoir qu'ils accepteraient l'ouverture de négociations s'il y avait des progrès sur d'autres dossiers, en particulier le dossier agricole. Le Maroc a annoncé son appui à l'ouverture de négociations.
NAMA
La négociation n'a pu commencer faute d'accord sur la méthode de travail. Les travaux se sont transformés en contacts bilatéraux.
DEVELOPPEMENT
Présidé par le Kenya, ce groupe a arrêté une sorte de liste des matières à traiter : le traitement spécial et différencié (T&D), la mise en oeuvre, les pays les moins avancés et quelques autres questions plus techniques. La discussion s'est concentrée essentiellement sur le T&D, mais sans déboucher sur des progrès.
DIVERS
Le président de ce 5e groupe a identifié deux questions : l'environnement et les indications géographiques (la protection des labels d'origine, comme notre AOC). Le Venezuela a demandé que l'on débatte également des services, mais la présidence a renvoyé la discussion sur ce point à des contacts bilatéraux entre les pays qui le souhaitent. On y reviendra, car le projet de déclaration ministérielle comporte sur l'AGCS des engagements qui auront pour effet d'accélérer et d'étendre la mise en oeuvre de cet accord démocraticide.
COTON
Le Bénin, le Burkina Faso, le Mali et le Tchad demandent que les subventions sur le coton soient éliminées là où elles sont pratiquées (surtout aux USA). Ces subventions menacent directement les pays d'Afrique du Centre et de l'Ouest où la culture du coton représente 80% des recettes d'exportation.
Cette demande a pris des proportions très grandes dès l'ouverture de la conférence vu son caractère éminemment symbolique : les quatre pays ne demandent pas de traitement préférentiel ; ils demandent, conformément aux règles de l'OMC, qu'il soit mis fin à des distorsions. C'est ce qu'a relevé le directeur général de l'OMC qui a pris le dossier en charge dans un groupe de travail distinct.
La délégation américaine a répondu en appelant ces pays à diversifier leurs activités économiques. L'Union européenne a exprimé avec condescendance "sa sympathie" pour les quatre pays.
L'Afrique du Sud, l'Australie, l'Argentine, le Bangladesh, le Cameroun, le Canada, l'Inde et le Sénégal ont exprimé leur soutien à la demande des quatre pays africains.
UNE COMMISSION QUI FAIT HONTE AUX EUROPEENS
Si, tout simplement, on croit à certaines valeurs, si les idéaux des Lumières et ceux de 1789 ont un sens, si la construction d'un espace commun aux peuples d'Europe où la solidarité s'organise dans la liberté est un projet pertinent, si on est convaincu que la puissance publique démocratiquement contrôlée doit garder des fonctions de redistribution et de régulation nécessaires à la réalisation des droits fondamentaux, si on rêve d'une Europe vraiment porteuse d'un message digne des valeurs qui sont nées sur son sol, alors on ne peut qu'être honteux.
Honteux d'être Européen, honteux d'être représenté, dans une enceinte comme l'OMC, par des gens aussi arrogants, aussi cyniques, aussi menteurs que Pascal Lamy et Franz Fischler. Ces gens qui sont, en vertu des traités, l'image de l'Europe offrent au monde un visage égoïste, prétentieux, fourbe. Ils tiennent des propos et posent des actes à l'égard de ceux qui ne se courbent pas devant leurs exigences qui sont la négation des idéaux que l'Europe prétend promouvoir. Ces gens qui ne sont pas soumis au contrôle direct des citoyens, que nous ne pouvons chasser au terme d'un scrutin démocratique, parlent et agissent pourtant en notre nom. Combien de temps allons-nous encore tolérer cela ?
Madame Mary Robinson est une de ces authentiques autorités morales comme l'Europe en compte trop peu. Elle fut présidente de la République d'Irlande. Elle fut Haut-Commissaire de l'ONU pour les Droits Humains. Elle a décidé de consacrer une partie de son temps à la présidence d'Oxfam International. Présente à Cancun, elle vient d'exprimer sa désapprobation devant les propos méprisants tenus par Lamy et Fichsler à l'égard des pays et des peuples du Sud : "la vérité, a-t-elle observé, c'est que les pays riches ont jusqu'à présent renié leur engagement de Doha de mettre le développement au cœur du cycle des négociations commerciales. Critiquer les pays en développement parce qu'ils deviennent plus déterminés en présence d'une telle inertie ne résoudra rien."
Raoul Marc JENNAR
Chercheur auprès d'Oxfam Solidarité (Bruxelles) et de l'URFIG (Paris-Mosset)
Tél. à Cancun : 00 52 998 120 95 21