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No Pasaran : "Dans sa chasse aux pauvres, Sarkozy n'a pas oublié les prostituées ! Ainsi, dans la dernière mouture de son projet de loi pour la sécurité intérieure, on peut lire : « CHAPITRE VI Dispositions relatives à la tranquillité et à la sécurité publiques - Article 18 - I. - Après l'article 225-10 du code pénal, il est créé un article 225-10-1 ainsi rédigé : "Art. 225-10-1. - Le fait, par tout moyen, y compris par sa tenue vestimentaire ou son attitude, de procéder publiquement au racolage d'autrui en vue de l'inciter à des relations sexuelles en échange d'une rémunération ou d'une promesse de rémunération est puni de six mois d'emprisonnement et de 3 750 € d'amende." ».
L'objet de cette loi est donc le renforcement de la répression étatique. Si auparavant, seul le racolage actif était passible d'emprisonnement et d'amendes, dorénavant le racolage dit passif est lui aussi soumis à sanction. Qu'entend notre cher ministre par racolage passif ? A travers cette loi, on voit que les critères retenus sont : « sa tenue vestimentaire ou son attitude ». Il y a de quoi inquiéter de nombreuses femmes ! En effet, ces critères font appel à la subjectivité des policiers qui seront les seuls juges du caractère « racoleur » de telle ou telle femme. Pourra-t-on encore attendre à un arrêt de bus dans la tenue de notre choix sans risquer la prison ou 3750 € d'amende ? Pourra-t-on inviter une personne inconnue à boire un verre ? Cette loi s'inscrit dans une volonté d'accroître le contrôle social. De manière insidieuse, elle permet la conservation de la domination masculine et de l'ordre moral et l'augmentation des violences subies par les prostituées.
Domination masculine et ordre moral
De prime abord, quand on parle de domination dans le rapport prostitutionnel, on est amené à penser que la femme est dominée par l'homme. En effet, la prostitution (nous parlons dans cet article de prostitution libre) est un métier en majeure partie exercé par des femmes et dans tous les cas, elle est destinée aux hommes. Les rapports de domination liés à la société capitaliste, à savoir l'inégalité des rapports entre hommes et femmes et entre salarié-es et patron-nes se reproduisent à travers la relation entre prostituées et clients. Pourtant les rapports de domination intrinsèques à ses relations sont plus complexes. Qui accepte ou refuse le rapport sexuel ? Qui morcelle la sexualité en ne fournissant que des actes définis ? Qui tarife le rapport sexuel ? « Le client est un loup, mais la prostituée (et je parle là de la prostituée professionnelle, pas de la gamine ou de la toxico), la prostituée en fin de compte a les dents plus longue que lui. » (Pia Covre, entretien, septembre 1986).
Notre propos n'est pas d'idéaliser le rapport prostitutionnel, ni de l'élever au rang de modèle d'émancipation, mais de montrer les contradictions et la complexité de celui-ci. Au delà des questions relatives aux relations entre prostituées et clients, le concept de prostituée est utilisé pour renforcer la domination des hommes sur toutes les femmes. Ce renforcement est dû à la stigmatisation d'une partie des femmes dans la catégorie prostituée.
J.M Beylot et M. Schutz expliquent ce phénomène : « Parce que l'on connaît ou perçoit l'un des attributs d'une personne (un de ses vêtements, une de ses manières, une de ses activités ou un de ses loisirs…) comme différent de soi ou comme étranger à soi, on tend à ranger cette personne dans une catégorie stéréotypée qui fait que l'identité sociale de cette personne n'est définie qu'en fonction de l'attribut repéré. Quand cette catégorie stéréotypée est dévalorisante pour la personne, on peut qualifier ce processus de stigmatisation ». Cette catégorisation opère un tri entre les femmes, celles qui sont stigmatisées comme prostituées et celles qui échappent à cette stigmatisation, la limite n'étant pas toujours franche. Une femme peut très bien être rangée dans la catégorie « pute » du seul fait de sa tenue vestimentaire, de son mode de vie…
Cette vision manichéenne séparant les femmes en deux camps renforce la domination masculine sur toutes les femmes. Elle est utilisée comme moyen de pression où les femmes, si elles veulent échapper à l'étiquette dévalorisante de prostituée, doivent se soumettre aux hommes. « Toutes les femmes ne se sentent pas forcément contrôlées et jugées au même degré. Mais chaque femme, comme chaque homme, a immanquablement appris les critères sociaux de la chasteté féminine dans sa propre culture. […] La menace du stigmate de putain agit comme un fouet qui maintient l'humanité femelle dans un état de pure subordination. Tant que durera la brûlure de ce fouet, la libération des femmes sera en échec. », G. Pheterson.
La loi fonctionne comme une épée de Damoclès sur la tête des prostituées. Elle défend la liberté individuelle mais l'exercice de cette liberté peut-être à tout moment sanctionné. Le caractère sporadique ou incertain de la sanction agit comme une menace - avec le risque qu'elle devienne effective - qui vise au contrôle de l'ensemble des femmes. Le concept de prostitution agit comme un instrument sexiste de contrôle social.
Dans les quartiers, cette pression sociale est très forte. Ainsi dans les procès pour viol collectif, on peut entendre des propos du type : « C'est une pute…Elle traînait le soir…Elle croyait quoi à nous suivre… ».
La stigmatisation des femmes et la pression sociale qui s'ensuit renforce la domination masculine, mais aussi permet de maintenir l'ordre moral établi. La prostitution est dans la loi et les mentalités associée à la notion de crime, de fléau social. Les mouvements organisés de prostituées revendiquent la reconnaissance de la prostitution comme un travail à part entière. Ils définissent la prostitution comme un échange économico-sexuel, c'est-à-dire un échange d'une prestation sexuelle contre une compensation financière. Le refus de l'état de considérer la prostitution comme un travail est lié d'une part à des intérêts économiques et d'autre part à des intérêts économiques et d'autre part à la volonté de conserver l'ordre moral. La criminalisation de la prostitution préserve la vision hétérosexuelle traditionnelle de la société. En sacralisant le rapport sexuel, le mythe de l'amour éternel, de l'idéal du mariage perdure. Or on peut légitimement s'interroger sur le mariage : ne serait-il pas une forme de prostitution ? Comme seule réponse nous citerons une Malaya (prostituée de Nairobi) : « A malaya is a wife that doesn't clean for her husband. »
Il ne s'agit pas de revendiquer l'acte prostitutionnel comme moyen de libération des femmes, de luttes contre la société patriarcale, mais de lui reconnaître (ce qui peut légitimement être accordé), le statut de travail avec les droits qui en découlent (sécurité sociale, retraite, chômage…) Toutefois, cette reconnaissance ne doit pas empêcher une lutte (des femmes) contre le travail salarié et les rapports marchands.
Mise en danger des prostituees
Le renforcement de la stigmatisation des prostituées a pour conséquence leur mise en danger. En effet, cela accroît les violences subies par les prostituées qu'il s'agisse de violences individuelles ou de violences institutionnelles. Les violences individuelles sont généralement le fait d'hommes (clients, souteneurs, passants…). Ces violences quotidiennes vont de l'agression verbale à l'agression physique : insultes, jets de projectiles en tous genres (pierres, eau de javel, œufs, tomates, crachats…), menaces et intimidations à l'aide d'une arme (couteau, automobile…), coups, blessures et viols. Les violences à l'encontre des prostituées se manifestent le plus souvent d'individu à individu mais elle n'est pas le fruit du hasard, elle est rendue possible par l'organisation de notre société (domination masculine et despotisme étatique).
Contrairement à ce que l'on essaye de nous faire croire, les violences subies par les prostituées ne sont pas une fatalité ni « les risques du métier ». Ces violences sont à rapprocher de celles qui peuvent être subies par de nombreuses femmes sur leur lieu de travail ou à leur domicile. (Il convient de rappeler que la plupart des violences subies par les femmes se font dans le cadre conjugal.) Les violences physiques sont favorisées par les violences institutionnelles que l'on appelle également violences symboliques. Elles se situent à tous les niveaux : social, politique, économique.
Socialement, les prostituées ne parviennent pas à faire valoir leurs droits car les intervenant-es sociaux les classent dans la catégorie de prostituées et non comme des individu-es. Elles sont exclues du seul fait de leur statut social. Cette exclusion perdure même si celui-ci évolue. Du point de vue économique, l'Etat ne reconnaît pas la prostitution comme un travail mais veut bien en tirer profit. Un certain nombre de prostituées payent des impôts. De même, quand un souteneur est arrêté et condamné, on lui réclame l'argent qu'il a gagné sur le dos des prostituées mais celle-ci n'en récupère pas un centime.
Quant aux politiques publiques en matière de prostitution, le moins que l'on puisse dire est qu'elles ont toujours été paradoxales. Entre répression et tolérance, mon cœur balance ! La prostitution fait partie des libertés individuelles mais la dignité humaine ne permet pas l'utilisation du corps pour une forme de sexualité « vénale ». Le cœur de Sarkozy penche vers la répression.
Les prostituées subissaient déjà par le passé un fort contrôle policier. Ce contrôle aboutit malgré une interdiction, à un fichage de leur identité (avec photos à l'appui). Sarkozy entend punir le racolage actif et mettre ainsi les prostituées à la merci des policiers qui pourront circonscrire les lieux de l'exercice de la prostitution. Ils contrôleront de cette façon la mobilité des prostituées. Et les hommes, dans tout ça, va-t-on les arrêter pour racolage actif, ce que l'on appelle communément la drague ? Quelle femme ne s'est pas vu proposer, contre rétribution ou non, une partie de jambes en l'air par un parfait inconnu ?
Si la prostitution est une rupture radicale avec les relations traditionnelles entre hommes et femmes telles celles découlant du mariage (la femme passant du statut d'objet à celui de femme effectuant un service), cette rupture ne propose pas une relation égalitaire entre hommes et femmes, telles que les libertaires féministes le rêvent. Il reste que des femmes (pour la majeure partie) sont privées de leurs droits fondamentaux et se retrouvent exclues de toutes parts.
Aglaée et Sidonie"
à 12:43