Il peut paraître paradoxal que l’enseignement de l’Economie devienne le « parent pauvre » de l’Ecole d’aujourd’hui. En effet, pour un système qui ne jure que par l’
économique, réduire comme peau de chagrin la
connaissance des bases de ce même système a quelque chose de pas très cohérent.
Pourtant à y regarder de plus près, tout s’explique et même
en dit long à la fois sur la conception qu’il à de l’économie et les
intentions des gestionnaires de ce système.
UN
CHOIX PUREMENT IDEOLOGIQUE
Chassez l’idéologique par la porte, il rentrera par la
fenêtre.
Les libéraux se font un devoir de tout
« objectiver », c'est-à-dire de dépouiller de considérant social,
politique, historique, éthique et pour tout dire, idéologique, les phénomènes
économiques qu’ils analysent. Les mécanismes « objectifs » du marché
se suffisant à eux-mêmes, on ne s’en tient qu’à eux…. Tout le reste, échappant
à la science n’est que pure, si j’ose dire, spéculation, donc perte de temps, donc
perte d’argent.
Une telle attitude nécessite un préalable : considérer
l’économique comme un simple mécanisme étranger, extérieur, à la conscience des
hommes, un peu comme les lois de la physique indépendantes de la
conscience et de la volonté humaines.
La longue gestation qui a donné naissance à la science
économique, sous l’influence, à la fois de la pensée rationnelle/rationnaliste,
scientifique et des impératifs de la gestion du Capital a abouti à une
véritable chimère : une science à la fois au cœur, et cœur, de
l’activité des hommes, fondant des mécanismes (les marchés) qui les exclue
totalement. On a assisté, et on assiste, la pensée libérale en étant
le chantre, à un véritable renversement : une science qui s’élabore en
reniant son propre objet : l’activité historique des hommes.
Ce choix qui se targuait d’être purement
« scientifique » et dégagé de toute subjectivité et idéologie est,
paradoxalement, le plus parfait exemple de la démarche idéologique.
Pourquoi ?
Parce que, élaborer un science fondée sur une activité humaine indépendamment de ce que sont les êtres humains, dans leur
complexité, leur subjectivité, leur imprévisibilité, est une escroquerie intellectuelle.
A moins,… à moins, que le choix soit délibéré et motivé par
d’autres raisons que la rigueur scientifique.
UNE
REFORME PUREMENT IDEOLOGIQUE
Aborder la question du chômage, des inégalités,
des fondements structurels de la spéculation,…
bref de tout ce qui, aujourd’hui, « fait problème », « pose
question »,… c’est, si on veut être rigoureux, donc crédible, réinterroger
les fondamentaux du système marchand. Or, de cela, les gestionnaires du
système, MEDEF en tête, ne veulent pas en entendre parler.
S’interroger sur ces questions, c’est raisonner, donc insinuer le doute
sur le bien fondé de ce qu’est ce système,… un peu à l’image des interdits
imposés par l’Eglise au 16e siècle sur les théories de Giordano Bruno – brûlé le 17 février
1600 pour hérésie à Rome - et de Galilée
– condamné en 1633 pour la même raison - qui par leur existence et diffusion remettaient
en question la vision officielle du
monde.
On expurge donc les programmes, on les fait conformes aux
intérêts du système marchand, conforme à ce que les politiciens, serviteurs
zélés du MEDEF, désirent que nous sachions et ignorions…. Le tout, bien
évidemment présenté sous l’aspect d’un allègement des programmes et d’une
liberté de choix d’option… Ben voyons !
L'option de trois heures hebdomadaires en
classe de seconde disparaît. A la place, les élèves auront, au choix, une heure
trente de Sciences Economiques et
Sociales ou de «Principes généraux de l'économie et de la gestion», une nouvelle matière.
C’est finalement moins la réduction horaire, plus ou moins
compensée que la réorientation de
l’enseignement de l’économie qui est significatif…. Et ne nous faisons pas
d’illusions,… ce n’est qu’un début.
Il faut dire qu’il est beaucoup plus important que les
« citoyens en devenir », que sont les jeunes, apprennent « comment
vendre au consommateur un produit à l’utilité douteuse, mais qui peut ouvrir de
nouveaux marchés », que de connaître les « vraies
raisons qui poussent les entreprises, pour conserver les hauts dividendes des
actionnaires, à réduire le nombre de salariés ». De même qu’il est
plus important de décrire la formation des salaires par un ridicule
graphique qui illustre la rencontre entre l’Offre de travail et sa Demande ( ?),
plutôt que de s’interroger sur la perte de pouvoir d’achat et la remise en
question des systèmes de retraites.
Dans le premier cas, c’est de la « science »
( ?). Dans le deuxième ce sont des « questions de société ».
Les premières sont pratiques et rassurantes, les secondes sont troublantes et
angoissantes. Bref les premières sont nobles, les secondes c’est « caca
boudin »
UNE
CITOYENNETE ACULTUREE
On peut ainsi entrevoir le profil du futur citoyen : tout
dans la calculette et l’ordinateur,… rien dans la cervelle.
Mais n’abordera-t-on jamais ces « questions de
société » ? Si probablement mais de manière douce, pas
compromettante, pas dangereuse.
Parfois à l’Ecole, dans les cours de philosophie où l’on
traitera, en faisant référence à de « grands anciens », morts depuis
longtemps et donc silencieux sur leurs propos d’une autre époque, des grandes
questions : la Liberté, l’Egalité, la Fraternité, la Solidarité, … Tout cela
précautionneusement emballé et méthodiquement coupé de la réalité
contemporaine.
A l’ENA, Ecole Nationale d’Administration où les
futurs gestionnaires, directs ou indirects du capital, apprendront, à partir
d’une « question de société », à répondre à une autre question qui
n’a rien à voir avec la première, tout en donnant l’impression d’y répondre…
Voir pour s’en convaincre leurs exploits médiatiques et/ou lors de leurs
interventions télévisées et des campagnes électorales.
Le système marchand s’assure, ou espère s’assurer, ainsi
d’une paix des consciences avec une masse ignare, inculte des vrais
problèmes, incapable de comprendre, ainsi plus facilement manipulable par la
démagogie des politiciens, facilement « paniquable » dans le sens
souhaité et des cadres tout à fait capables d’esquiver les questions des
provocateurs et autres « mauvais esprits » qui voudraient comprendre.
Quand on voit aujourd’hui, le degré abyssal d’inculture qui
règne dans notre société – sans parler de l’Ecole -, on comprend que désormais
l’objectif des dirigeants est d’obtenir une masse manipulable à souhait.
Février 2010 Patrick
MIGNARD
Voir aussi :