Joueb.com
Envie de créer un weblog ?
Soutenez le Secours populaire
ViaBloga
Le nec plus ultra pour créer un site web.
Débarrassez vous de cette publicité : participez ! :O)

L'En Dehors


Quotidien anarchiste individualiste





Crée le 18 mai 2002

Pour nous contacter : endehors(a)no-log.org



D'où venons-nous ?


Nos références
( archives par thèmes )


Vous pouvez nous soutenir en commandant nos brochures :

Les éditions de L'En Dehors



Index des rubriques

Les collaborateurs et collaboratrices de l'En Dehors

Liens

A noter

Recherche

Archive : tous les articles

Session
Nom d'utilisateur
Mot de passe

Mot de passe oublié ?

1994-1999 "Autogestion dans une mine du pays de Galles"
lu sur le Monde diplomatique : "Après un dernier virage sur la route d’Aberdare à Hirwaun, au nord de Cardiff, nous arrivons au but : « Tower Colliery, dernière mine profonde du pays de Galles », annonce l’enseigne surplombant un paysage de prairies vallonnées. De l’autre côté de la route, de rares terrils nous ont signalé l’entrée dans l’ancien pays minier du Royaume-Uni, la « Cynon Valley » qui, au sud du pays de Galles, formait une poche de résistance aux politiques thatchériennes. Tower Colliery est non seulement la dernière mine de ce qui fut la principale industrie britannique, elle est aussi la seule mine au Royaume-Uni, en Europe et probablement dans le monde entier, qui ait été rachetée par les mineurs et dégage des bénéfices.

A l’entrée, aucun gardien ne demande les papiers d’identité. Cette mine se trouve en pays d’amis. Elle est la fierté des gens de la région qui, par leur soutien aux mineurs lockoutés en 1993, ont contribué au succès de cette histoire fabuleuse. Actuellement l’entreprise le leur rend bien en parrainant d’innombrables activités municipales et régionales, de la fanfare à l’équipe de rugby, de l’école équestre pour handicapés aux orphelinats.

Au bout du chemin s’élèvent les chevalets de la mine. La première « gueule noire » que nous croisons nous conduit dans le bureau du directeur. Un homme à la carrure d’ancien rugbyman se lève derrière un bureau surchargé. Tignasse blonde, menton volontaire, M. Tyrone O’Sullivan, cinquante- quatre ans, respire la bonhomie. Reconverti en président-directeur général de la SARL Tower Colliery, cet ancien secrétaire du syndicat des mineurs local est un homme comblé. Fier de mettre en pratique un idéal social avec ses camarades, devenus actionnaires de leur mine cogérée avec succès depuis quatre ans. « Nous démontrons au monde entier que les ouvriers sont capables de prendre en mains leurs propres affaires et que le socialisme peut fonctionner », nous explique l’ancien mineur, électricien de formation, dont le père et le grand-père sont morts dans la mine. « Nous avons piégé le système capitaliste en appliquant ses règles à notre façon. » Les profits sont réinvestis pour améliorer les conditions de travail et développer la mine.

Car profit il y a. Contrairement à toutes les prévisions des tories sur la non-rentabilité du charbon, les quatre cents mineurs-actionnaires de Tower Colliery démontrent que le charbon, même non subventionné et vendu au prix du marché mondial, reste compétitif. « Nous en exportons même 30 % en France, Belgique, Irlande », assure M. O’Sullivan, avant de raconter, comme il le fait inlassablement depuis quatre ans, l’histoire du rachat de la mine par des mineurs licenciés. L’histoire a bien tourné pour les quatre cents rescapés. Mais, pour tous les autres, elle évoque une lutte des classes sans merci qui s’est soldée par l’anéantissement de toute une branche industrielle et par la perte de centaines de milliers d’emplois.

L’histoire commence avec la longue grève de 1972 à 1974, ce bras de fer engagé par le syndicat national des mineurs contre le gouvernement conservateur de M. Edward Heath. L’approvisionnement en électricité de la Grande-Bretagne provenait encore à 80 % du charbon domestique, ce qui donnait un pouvoir redoutable au NUM, le syndicat national des mineurs. Perturbant l’ensemble de l’industrie britannique, l’interminable grève entraîne la chute du gouvernement de M. Heath.

Lorsque Mme Margaret Thatcher accède au pouvoir en 1979, elle n’a qu’une hantise : prendre sa revanche sur les mineurs et leur syndicat qui passe pour le plus radical du royaume. Comment ? En réduisant à néant l’industrie minière et en la remplaçant par le gaz et par l’énergie nucléaire. Peu importe si le prix du gaz est 30 % plus élevé que celui du charbon et si l’investissement dans le nucléaire engloutit des sommes gigantesques. La bataille est politique plutôt qu’économique : Mme Thatcher la gagnera (1).

En 1984- 1985, la longue grève des mineurs se solde en effet par leur échec. Aucun moyen ne fut épargné par le gouvernement conservateur, utilisant à la fois le déchaînement de la presse de M. Rupert Murdoch et l’acharnement des services secrets britanniques (2). Entre 1983 et 1990, les fermetures des mines se succèdent ; le nombre des mineurs passe de 181 000 à 65 000.

Le gouvernement de M. John Major poursuit le programme de fermeture des puits. En octobre 1992, M. Michael Heseltine, ministre de l’industrie, annonce que 31 des 50 dernières mines de l’entreprise nationale British Coal seront fermées et 30 000 mineurs licenciés d’un coup (3). L’heure avait donc sonné pour Tower Colliery, dernière mine encore en activité au sud du pays de Galles.

Mais les travailleurs se mobilisent, marchent jusqu’à Londres pour protester contre la fermeture de leur puits. Les femmes aussi entrent en lutte. Mme Ann Jones, femme d’un mineur de Tower Colliery, se montre l’une des activistes les plus virulentes. Dans toutes les vallées des environs, la population organise des collectes pour les mineurs dont les fonds syndicaux sont bloqués pour « action illégale ». Pour combattre les syndicats, le gouvernement de Mme Thatcher avait en effet obtenu du Parlement le vote de multiples clauses restrictives du droit de grève. Ainsi, toute action - occupation, franchissement des piquets en cas de lock-out, etc. - devenait illégale. La députée locale, Mme Ann Clwyd, a beau occuper symboliquement la mine, le gouvernement demeure intraitable.

Pour arriver à leurs fins, les tories ont recours au « diviser pour régner ». En avril 1994, ils font l’offre suivante : tous les mineurs qui acceptent la fermeture de leur puits dans un délai de deux jours se verront offrir la somme de 9 000 livres (environ 90 000 francs) en plus des indemnités de licenciement régulières. Soit un total de 18 000 livres, somme alléchante pour un mineur endetté.

Avec d’autres responsables syndicaux, M. Tyrone O’Sullivan essaie de mobiliser ses camarades contre cette offre. Mais seuls trente d’entre eux la refusent. « Nous étions en minorité et il ne me restait qu’à pleurer sur notre défaite », se souvient-il. La fermeture du puits est signée le 19 avril 1994. Ce soir-là, amers, MM. Ken Davis, Glyn Roberts, Phil White et trois autres irréductibles se retrouvent entre camarades au Full Moon, un pub d’Aberdare. L’un d’eux suggère alors : et si l’on rachetait notre mine ? L’idée les mobilise.

Mais il reste à convaincre les autres de réinvestir environ la moitié de toutes leurs indemnités de licenciement dans cette aventure. D’emblée, 180 mineurs adhèrent au projet. Plus tard, ils seront 239. En quelques jours, une somme appréciable est réunie dans la caisse commune.

Toutefois, les mineurs ne savaient pas comment faire une offre de rachat économiquement crédible. « C’est là que j’ai eu l’idée de ma vie », raconte M. Tyrone O’Sullivan. Il s’adresse à Price Waterhouse, le cabinet de conseil qui avait recommandé au gouvernement de bloquer les fonds du syndicat. Ce cabinet acceptera de travailler pour les mineurs pour la somme (modeste) de 40 000 livres, mais à condition qu’en cas de succès de leur offre, ces derniers paient une fois et demie le coût escompté de l’étude. « Au bout de quatre mois, Price Waterhouse avait tellement dépensé qu’ils souhaitaient encore plus que nous que l’offre aboutisse », se souvient M. O’Sullivan.

Le 31 décembre 1994, M. Michael Heseltine annonce la nouvelle à la radio : « Le rêve des mineurs devient réalité. » Quelques jours plus tard, la SARL Tower Colliery réalise un bénéfice de 90 000 livres, contredisant toutes les « études » qui prévoyaient la non-rentabilité de la mine. Car l’anthracite se vend bien : les carnets de commandes sont pleins. Pendant les trois premières années, les profits atteignent 20 % du chiffre d’affaires. Et la production passe de 440 000 tonnes en 1995 à 600 000 tonnes en 1998. Quant aux 239 salariés du départ, ils sont aujourd’hui plus de 400.

Dans cette entreprise singulière, on ne peut travailler qu’à condition d’acheter une action de 8 000 livres. Pour cela, il faut souvent emprunter l’argent à la banque : dans cette région pauvre, où le taux de chômage dépasse les 20 %, rares sont ceux qui disposent d’une telle somme. Afin de limiter les risques de spéculation et de limiter l’influence de l’extérieur, le « collectif du rachat » (4) a décidé qu’une action ne pouvait être vendue qu’aux salariés de la mine. Un retraité peut conserver son action, mais il perd son droit de vote aux quatre assemblées annuelles des actionnaires qui, entre autres, élisent les six directeurs.

Cette SARL constituée par les travailleurs-actionnaires n’accrédite-t-elle pas l’idée chère à Margaret Thatcher d’un « capitalisme populaire » ? M. O’Sullivan réfute l’objection. « Nous démontrons seulement que les travailleurs sont mieux à même de gérer leur puits que l’entreprise nationale d’autrefois et les capitalistes d’aujourd’hui. Notre expérience devrait faire école. »

Le réinvestissement des bénéfices dans l’amélioration des conditions de travail n’est évidemment pas de mise dans les quelques mines privatisées des environs. M. Bryan Amos en sait quelque chose. Il y a travaillé pendant cinq ans avant de réussir à se faire embaucher à Tower Colliery. « Le travail est payé à la pièce, c’est- à-dire par wagonnet, qu’il faut remplir de charbon. Un wagonnet est payé entre 10 et 15 livres. A deux, on arrive à faire 15 à 18 wagonnets par semaine. Et si le prix du charbon baisse, les patrons répercutent cette baisse sur les salaires. » Pour un salaire de 700 à 900 francs par semaine, les mineurs travaillent dans des conditions qui rappellent celles du XIXe siècle. Souvent des poneys - à la place des machines - tirent les wagonnets. La charpente en bois menace de s’écrouler. Les inondations et les accidents mortels sont fréquents. Cinq des mines dans lesquelles M. Amos a travaillé ont dû être fermées pour cause d’insécurité.

Capitalistes en herbe ?POUR autant, tout n’est pas idéal à Tower Colliery. Certes, les salaires sont bons, les conditions de travail aussi, l’écart entre la rémunération d’un directeur et celle d’un mineur (12 000 francs par mois) n’est que de 1 à 2, on compte trente-six jours de congés payés par an, le salaire continue à être versé en cas d’arrêt de maladie, le taux d’absentéisme est quasiment nul. Mais des conflits surgissent, comme dans toute collectivité (5).

« Les disputes les plus sérieuses se produisent à propos des heures supplémentaires. Certains - même parmi les directeurs - cherchent à en faire le plus possible pour augmenter leur revenu », explique M. David Davis qui préside le syndicat des mineurs de Tower Colliery. La vie syndicale reste vivace. Les salariés disposent même de trois organisations pour défendre leurs intérêts catégoriels : celle des mineurs, celle des cadres moyens et celle des cadres supérieurs. « Les mineurs se sont toujours bagarrés. C’est seulement par la lutte qu’ils ont obtenu des conditions de vie décentes, explique M. Davis, ils continuent donc à défendre leurs intérêts. Mais, cette fois, nous sommes tous dans le même bateau, et nous avons intérêt à nous mettre d’accord. Car on nous regarde. Et il y en a qui ricaneraient s’ils nous voyaient échouer. »

Pour M. John Davis, le plus jeune des directeurs, trente-six ans, il faudrait recruter davantage de jeunes qui, espère-t-il, seraient plus préoccupés par l’emploi que par un revenu confortable. « Jusqu’en 1994, on s’est battu contre l’ennemi de classe, mais maintenant il s’agit de faire preuve d’un esprit d’équipe. Or cette action que les salariés détiennent dans Tower Colliery en fait des capitalistes en herbe qui ne pensent plus qu’à l’argent. » M. Davis est hanté par la crainte qu’une multinationale offre un jour un prix fabuleux pour racheter l’entreprise. Combien de mineurs résisteraient à l’appât du gain ? Seraient-ils à nouveau minoritaires comme en avril 1994 ?

M. John Davis craint d’autant plus pour son emploi que l’exploitation du charbon à Tower Colliery n’est garantie que pour dix ans. C’est pourquoi il appuie les projets de diversification conçus par M. O’Sullivan. Par exemple celui d’une fusion avec l’entreprise Celtic Energy, afin d’exploiter la plus grande réserve de charbon en Europe, à Margham au sud du pays de Galles. British Steel, le producteur national d’acier, situé à quelques kilomètres de là, serait l’acheteur idéal pour ce coke produit à ciel ouvert. M. O’Sullivan caresse aussi l’idée de créer un grand complexe touristique, où les visiteurs pourraient connaître l’histoire d’un secteur industriel en voie de disparition. Mais les actionnaires se montrent inquiets des risques encourus. Appliquée à Tower Colliery lors d’assemblées générales (où le taux d’absentéisme est de plus en plus élevé), la démocratie directe se retourne ainsi contre le directeur de l’entreprise.

« Ce sont des idées de marcheur sur la lune, dit M. Tony Shot, le géologue chargé de réduire les effets polluants de la production du charbon et des recherches pour le développement de la mine. Mieux vaut investir dans l’extension de la mine en cherchant à exploiter d’autres couches. Cela fera embaucher autant de personnel que le projet Margham tout en minimisant les risques financiers. »

Certains mots d’ordre syndicaux restent gravés dans la mémoire. La banderole de l’union locale proclamait : « La vigilance est le prix de la liberté. » M. O’Sullivan en tire argument pour réclamer la présence continue des syndicats dans l’entreprise cogérée. « Ceux d’en haut ont toujours tendance à accaparer pouvoirs et privilèges. C’est ce que montrent toutes les révolutions. Ceux d’en bas doivent donc exercer un contrôle sur les dirigeants. » Lui se propose même de redescendre dans la mine une ou deux fois par semaine pour y rejoindre « ceux d’en bas ». « Rien ne remplace la camaraderie des hommes au travail, c’est là qu’on discute le mieux, d’égal à égal. Certains ne viendront jamais me parler dans mon bureau, malgré la porte ouverte. Il vaut mieux que j’aille vers eux... » Les projets du « marcheur sur la lune » avanceront d’autant plus vite qu’il descendra sous terre. "

Par BRIGITTE PATZOLD, MONDE DIPLOMATIQUE, 1999

(1) Lire Maurice Lemoine, « La longue grève des mineurs britanniques », Le Monde diplomatique, janvier 1985.

(2) Lire Seumas Milne, The Enemy Within. The Secret War Against the Miners, Pan Books, Londres, 1995.

(3) Lire Serge Halimi, « Paysages de récession en Angleterre », Le Monde diplomatique, janvier 1993.

(4) Le TEBO-Team (Tower Employees Buy-Out Team) rassemble six syndicalistes reconvertis, à une exception près, en directeurs-gérants de Tower Colliery.

(5) Au sujet de Tower Colliery, lire Jean-Michel Carré, Charbons ardents, ou la construction d’une utopie (d’après le documentaire programmé par ARTE le 30 avril 1999), ARTE Edition, coédité par Le Serpent à plumes, Paris, 1999, 129 F.

+ vidéo : http://www.youtube.com/watch?v=WA_sXENCjlI&eurl=http%3A%2F%2Fwww%2Ebellaciao%2Eorg%2Ffr%2Fspip%2Ephp%3Farticle89702&feature=player_embedded

Ecrit par CNT63, à 23:50 dans la rubrique "Pour comprendre".

Commentaires :

  kuriakin75
06-08-09
à 13:46

et aujourd'hui ?

Pour compléter cet article vieux de dix ans, précisons que la mine Tower Colliery est désormais fermée (janvier 2008) car le filon est épuisé. Elle a fonctionné treize ans en autogestion. Une partie des salariés seraient rentrés dans une mine remise à flot en 2006, à la structure de gestion classique. Avec un pétrole qui va tendre à se faire rare, les mines de charbon rouvrent petit à petit, avec le soutien financier du gouvernement britannique.

Les mineurs seraient en train de réfléchir à d'autres actions, comme par exemple la création d'un écoparc dans cette région bien touchée par le chômage.

> Une petite analyse et un panorama sur les entreprises récupérées sur le site de la CNT-AIT, ICI
Répondre à ce commentaire



Modèle de mise en page par Milouse - Version  XML   atom