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NE VASTE COUR. Bancs et tables scolaires dispersés. Un équipage
en scooter entre à pleine vitesse,fait un arc de cercle
et reprend la route en contrebas,qui longe la rocade traversant
la Zup Centre. « Ils ont le projet de la couvrir avec
une dalle de béton », dit Karima, responsable du centre
social, en montrant du menton
l’autoroute chargée de circulation.
« Pour stocker les gravats, ils vont
détruire l’école. Ils disent qu’ils vont
en reconstruire une autre plus loin.
Espérons qu’elle n’aura que deux
étages, comme celle d’aujourd’hui. »
Ce qui la dérange profondément,
c’est que les habitants des quartiers
sont exclus de toute discussion
sur les transformations des
lieux où ils vivent : « Les 19 et 20
juin,on va faire un forum des habitants », dit-elle en insistant sur ce
dernier mot. « Dans des ateliers, on
discutera voirie, équipements
sociaux, espace culturel. Et puis on
a demandé à un sociologue de venir
pour qu’il parle aux élus. Un universitaire,
ils ne peuvent pas le faire
taire comme lorsque ce sont des
gens d’ici qui parlent. » Elle sourit :
« L’autre fois, il y a une femme qui a
fait une proposition pour le quartier.
Elle aimerait qu’il y ait une
maison d’arrêt de proximité, parce
que traverser toute la ville pour
aller aux Baumettes, c’est vraiment pénible… »
« Dans le plan banlieue, ils causent rénovation ? », demande le chien rouge de CQFD. « Les bâtiments,ce n’est rien tant que n’est pas réglé le problème du chômage. Le compte bancaire, lui, ne change pas », intervient Karima. Saïd, âgé de 27 ans, et Walid, son copain plus jeune, acquiescent. Le premier reprend : « Pourquoi aller à l’école ? On n’a plus confiance en l’avenir. Le deal, ça arrange tout le monde, l’État, les flics, et puis les gens se tapent entre eux. Et puis ça fait vivre du monde aussi. » Le fait que 55 % des jeunes de moins de 25 ans n’ont pas de boulot et que la grande majorité des foyers vit dans la précarité ne freine pas l’activité du supermarché Carrefour installé au centre du quartier.
Pourtant, pour beaucoup les dettes s’accumulent, « des parents n’amènent plus leurs petits au centre social parce qu’ils ne supportent pas de ne pas pouvoir payer ». La crise ? Karima balaie d’un rire : « Ça fait plus de vingt ans que c’est comme ça et l’arrivée de l’euro a encore aggravé les choses. » Walid intervient : « Jamais je quitterai le quartier. Ici, on est une force, avec ce mélange, ces liens forts entre voisins. C’est ici qu’il faut construire. Si on part, on laisse les autres dans la merde. » Daouda, poète du slam et du rap, reprend : « Moi non plus je ne veux pas partir. Il y a des cœurs à rencontrer, des livres à ouvrir, ici. Plein de richesses à développer. Partir, c’est ne penser qu’à soi. Ce quartier est comme un tapis où tout le monde a les cartes en main et où on peut toujours piocher. » Saïd n’est pas d’accord : « Avant, quand tu faisais une connerie, tu te prenais une claque par le premier adulte qui passait. C’étaient presque tous nos parents. Maintenant, c’est un ghetto. Moi, je voudrais partir. J’ai bac + 3. Mais tu vois, j’ai trois problèmes pour trouver un boulot : je suis musulman et il faut sans arrêt que je me justifie, j’habite dans une tour et ça fait peur, et je suis black. Quand j’ai voulu aller jusqu’à bac + 5, un prof m’a dit d’arrêter parce qu’avec mes trois problèmes, c’est déjà pas simple, alors avec un diplôme en plus qui devrait me permettre d’être plus payé, un patron aura encore une raison en plus pour ne pas me prendre… »
« Et le plan banlieue ? », s’échine le clébard carmin. Karima ne fait même plus attention à cette expression venue d’un autre monde. « Les HLM étaient une étape vers la promesse d’accession à la propriété. C’est terminé. Aujourd’hui, dans les quartiers, on est assigné à résidence. » La République ? La France ? Saïd se contracte : « On s’est jamais sentis français. On nous l’a jamais prouvé. » Walid continue : « Il faut que je sorte de France pour me sentir français. »
Quand, plus tard, du côté de Saint-
Louis, le clebs cinabre repose son
harassante question « et le plan banlieue ?
», la réponse d’Ali, animateur,
est directe : « Le nom officiel de ce plan
est très clair, ça s’appelle Espoir
Banlieue, comme pour dire qu’on ne
peut avoir que ça, de l’espoir. » Pour
autant, il précise :« Depuis
les émeutes de 2005, il y a eu un vrai changement d’état d’esprit dans
les banlieues. Pendant longtemps, l’État a pu avoir l’impression qu’il
n’était jamais sanctionné. J’ai l’impression que maintenant les gens
sont dans l’action, de plein de manières différentes. Et pas seulement
dans les quartiers. De toute
façon, quand ça va se soulever, il n’y aura plus de négociation. » Il coupe
son portable qui ne cesse de le harceler : « Les élections ? C’est
de l’individualisme. » Alors ? « Il faut créer un rapport de
forces où l’on puisse dire clairement, et pas forcément violemment
:“Merde ! S’il vous plaît ! ”Et pour cela, c’est important
que nous, les indigènes, on retrouve notre histoire. On
est partout dans la construction de ce pays et nulle part dans
son histoire. C’est comme ça qu’on peut obliger le gouvernement
à nous respecter, et à avoir peur aussi. » Indigènes ?
Histoire ? Karima, la veille, avait été très explicite :« Dans
les quartiers et les banlieues, on a parfois affaire à une gestion
post-coloniale. Des élus politiques voudraient que ceux
qui travaillent avec les gens des quartiers soient des
“bachagas”, ces intermédiaires dociles entre les indigènes et la France
en Algérie. Nos parents ont vécu dans des conditions très dures, ils
ont fait les pires boulots dont personne ne voulait. Maintenant que le
chômage est partout, c’est encore nous qui faisons ce qu’ils imaginent
être le pire boulot, celui d’être avec ces populations qui sont
montrées partout comme terribles et criminelles. C’est le seul domaine
où on trouve du travail. Alors qu’on ne se sente pas français, c’est
normal, non ? » Son rêve : « Une
alliance entre ceux des quartiers populaires et les jeunes des classes
moyennes pour qu’ensemble ils construisent leur propre avenir… On
commence enfin à en entendre parler… », dit-elle dans un sourire.
Article paru dans CQFD n°68, juin 2009.