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Séquestrations et mise à sac : la classe dangereuse renaît de ses cendres

Lu sur Article XI : "Il y a quelque chose. Un point de rupture. Un basculement. Un changement essentiel de perspectives. Un truc qui donne au saccage de la sous-préfecture de Compiègne par des salariés de Continental une dimension particulière.

Cela reste très vague, pourtant. Pas de quoi agiter le drapeau rouge ou noir de l’insurrection générale, sortir de chez soi pour édifier une barricade ou exhumer du grenier le vieux Lebel que tonton Marcel a caché en 1940. Pas encore.

Alors ? Ce n’est pas seulement une question de degré supplémentaire dans la violence et la colère, des grèves aux séquestrations, des séquestrations à la mise à sac d’une sous-préfecture ; chasseurs, pêcheurs et indépendantistes ont déjà, par le passé, commis de semblables destructions sans que leur portée ne dépasse la simple exaspération ponctuelle. Ce n’est pas seulement - non plus - ce choix instinctif des infrastructures de l’État comme cible : la sous-préfecture a beau symboliser parfaitement l’autorité d’un régime impuissant à protéger les salariés de Continental de la crise autant qu’il l’avait été à atténuer l’étau du néo-libéralisme (depuis la fin des années 1990, mise en concurrence mondiale des usines du groupe, pression constante sur les salariés, retour sur les acquis sociaux au prétexte de la compétitivité…), il est probable que la colère et le désarroi des futurs chômeurs se seraient exprimés de façon aussi violente en quelques lieux qu’ils aient appris la mauvaise nouvelle du jugement du tribunal de Sarreguemines.

Non, il faut d’abord voir dans le "coup de sang" des salariés de Continental l’affirmation d’un phénomène sociologique discrètement à l’œuvre depuis la fin des années 1980 : le grand retour de la classe dangereuse. Celle-là même qui effarouchait tant les bourgeois et les puissants à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Et qui les a tellement effrayé qu’ils ont fini par lui concéder des acquis et des droits - de 1936 à 1981, en passant par le programme du Conseil national de la résistance et les accords de Grenelle de 1968 - , progrès sociaux pour garantir une certaine paix civile.

« Cette double dimension d’amélioration des conditions de vie et de maintien de l’ordre social explique le succès des politiques sociales, renforcé après la Seconde Guerre mondiale par la montée du dirigisme d’Etat, par l’existence d’un mouvement ouvrier fort et structuré, et par la croissance économique encadrée par les gouvernements », remarque ainsi le chercheur Laurent Bonelli, dans un article paru dans Le Monde Diplomatique.

Mais voilà : engoncés dans le confort et la quiétude, confortés par une idéologie libérale si puissante qu’elle a balayé toute crainte des prolétaires et des pauvres, rassurés de constater que l’époque ne cessait de consacrer leur tout-puissance et de légitimer leur position, les privilégiés ont oublié que les moins bien lotis pouvaient être un danger. Ont arrêté de leur refiler quelques miettes, histoire de les apaiser. Ont cru qu’ils avaient désormais toute latitude pour leur ôter le peu de droits et de sécurité qu’ils possédaient. Et ont pensé - enfin - que la peur avait définitivement changé de camp, la hantise du chômage chez les opprimés se substituant ad vitam eternam à la crainte d’un mouvement de révolte chez les possédants.

Les classes supérieures ont ainsi remplacé la carotte par le bâton social (le chômage) et par la matraque sécuritaire, assez idiots pour imaginer qu’ils pourraient refonder sur ces bases biaisées un ersatz de pacte social :

« La crise économique, les mutations du capitalisme postfordiste adossées aux programmes de réforme libérale de l’Etat ont largement redéfini, sans doute sans le vouloir, les conditions de cette discipline, poursuit Laurent Bonelli. Et, de la même manière que les réformateurs sociaux du XIXe siècle essayaient d’asseoir un nouvel ordre social, les réformateurs sécuritaires du début du XXIe siècle recherchent dans l’extension de l’intervention policière, judiciaire et du contrôle, les moyens de contrarier les effets des dérégulations multiples qui affectent les classes populaires. Théorie de la ’vitre brisée’, couvre-feux pour les mineurs, vidéosurveillance, arrêtés antimendicité, mais aussi responsabilisation des parents, ne sont rien d’autre que des exemples de ces nouvelles technologies de gouvernement dont on attend qu’elles garantissent une paix sociale. »

Opprimés : combien de divisions ?

Dans un tel système, il ne saurait être question de laisser les asservis découvrir qu’il partagent un même destin. Au contraire : tout doit être fait pour les diviser, les sectoriser, les pousser à l’affrontement et nier leur communauté d’intérêts. Ceux que Marx réunissait sous le terme "prolétaires" sont devenus des immigrés, des travailleurs pauvres, des jeunes, des habitants de cités, des chômeurs, des fonctionnaires grévistes, des marginaux, des précaires, des licenciés, de "la racaille", des clandestins, etc… Autant de mots pour dire une même exclusion tout en déniant son évidente proximité.
C’est ainsi qu’il faut appréhender la déshérence du terme "ouvrier", lui qui a presque complètement disparu de la circulation, prétendue adaptation à des temps modernes où nous serions tous fournisseurs de services ou entrepreneurs indépendants. On nous serine sur tous les tons que l’industrie n’est plus, quand elle représente encore quatre millions d’emplois en France. Nulle autre ambition, ici, que de nier toute appartenance de classe, tout sentiment de collectif ouvrier.

« C’est certain qu’il y a une très forte conscience de classe chez les plus riches et qu’elle a été totalement détruite chez les plus pauvres. Il y a un énorme déséquilibre, expliquait récemment Mona Chollet en un entretien accordé à Article11. Dans le miroir, les riches ont droit à un reflet ultra valorisant ; par contre, dans ce même miroir, les classes populaires ou moyennes ne voient plus rien, ou alors une sorte de reflet brouillé. On leur agite des modèles de réussite trompeurs qui débouchent sur la culpabilisation et l’oubli de leur identité. L’enjeu serait de retrouver des images plus valorisantes. »

 [1]

Mieux : pour bien faire comprendre à la caste des opprimés qu’elle ne saurait se réunir sous un même drapeau, on a érigé ses membres les plus désespérés en repoussoirs. Les chômeurs ? Des profiteurs, gens qui ne veulent pas travailler. Les jeunes exclus des cités ? Des casseurs sans foi ni loi, de "la racaille". Les grévistes du secteur public ? Des "preneurs d’otage" ne se souciant que d’eux-mêmes et de leurs intérêts catégoriels. Les activistes ? Des "terroristes", qu’il faut traiter comme tels, avec pour dernier avatar les "anarcho-autonomes". Autant de sous-genres qui ont eu pour fonction, médiatique et politique, de discréditer toute idée de combat commun.

C’est cette illusion-là qui est aujourd’hui en train de se dissiper. La multiplication des séquestrations et de rudes moyens d’action ne dit pas seulement la colère, elle démontre aussi que la radicalité n’est pas œuvre de marginaux, qu’elle n’est pas le fait de quelques excités peu représentatifs. Que des travailleurs de longue date, gens souvent parfaitement intégrés et consciencieux, aient recours à ces moyens de pression montre qu’il ne faudrait pas grand chose pour que Pierre-Paul-Jacques et Madame Michu se donnent la main et édifient des barricades en bas de chez eux. En s’attaquant à la sous-préfecture de Compiègne, c’est le mythe du casseur idiot et asocial, figure patiemment construite par le régime, que mettent à bas les ouvriers de Continental. Et le Premier ministre, François Fillon, a beau pointer des « violences inacceptables », s’en prendre à « cette petite minorité qui rend les choses très difficiles » - ce que conteste un article de Rue89 - et annoncer des poursuites judiciaires, il sait bien qu’il a déjà perdu la partie. La fiction d’une frange radicale a vécu, monsieur-et-madame-tout-le-monde sont désormais susceptibles de basculer du côté obscur de l’insurrection. C’est cela le grand retour de "la classe dangereuse".

Répression ? Ils vont en chier…

Dès lors, les choses s’annoncent coton pour un régime qui ne peut plus se permettre de réprimer à tout-va et d’embastiller en masse. Pas question de faire intervenir l’armée et d’instaurer l’état de siège, ainsi que ça avait été la cas lors des émeutes des banlieues de 2005. Pas question - non plus - d’emprisonner au mépris du respect des règles de droit quelques individus, comme ça été fait contre les prétendus meneurs de "la mouvance anarcho-autonome". Pas question - même - de rameuter les forces de l’ordre en masse et de lâcher les CRS en leur donnant quartier libre, à l’image de ce qui s’est produit récemment à Strasbourg. Logique : les agressions contre des ouvriers licenciés et désespérés ne seront plus perçues comme des opérations de basse-police dont la majorité du pays se fiche, mais comme une façon de faire taire ceux qui souffrent et sont victimes, cette vaste classe des opprimés qui est en passe de s’affirmer comme telle.

Le pouvoir l’a bien saisi, lui qui ne veut surtout pas mettre le feu aux poudres. Et si Sarkozy s’indigne faussement - « Qu’est-ce que c’est que cette histoire d’aller séquestrer les gens ? On est dans un Etat de droit, je ne laisserai pas faire les choses comme ça ! » - , tout le monde a compris que, pour l’instant, il s’en tiendra à ces rodomontades.

Il faut ici exhumer Georges Sorel et ses Réflexions sur la violence :

Une des choses qui me paraissent avoir le plus étonné les travailleurs, au cours de ces dernières années, a été la timidité de la force publique en présence de l’émeute : les magistrats qui ont le droit de requérir l’emploi de la troupe n’osent pas se servir de leur pouvoir jusqu’au bout et les officiers acceptent d’être injuriés et frappés avec une patience qu’on ne leur connaissait pas jadis. Il est devenu évident, par une expérience qui ne cesse de s’affirmer, que la violence ouvrière possède une efficacité extraordinaire dans les grèves : les préfets, redoutant d’être amenés à faire agir la force légale contre la violence insurrectionnelle, pèsent sur les patrons pour les forcer à céder ; la sécurité des usines est, maintenant, considérée comme une faveur dont le préfet peut disposer à son gré ; en conséquence, il dose l’emploi de sa police pour intimider les deux parties et les amener adroitement à un accord.

(…)

Que l’on approuve ou que l’on condamne ce qu’on appelle la « méthode directe et révolutionnaire », il est évident qu’elle n’est pas près de disparaître ; dans un pays aussi belliqueux que la France, il y a des raisons profondes qui assureraient à cette méthode une sérieuse popularité, alors même que tant d’exemples ne montreraient pas sa prodigieuse efficacité. C’est le grand fait social de l’heure actuelle et il faut chercher à en comprendre la portée.

D’un siècle à l’autre, les choses ne changent guère (Réflexions sur la violence a été publié en 1908). Pis : tout est à recommencer. Reconstruire un rapport de force. Susciter à nouveau la peur et la crainte chez les privilégiés. Redevenir une classe dangereuse, une vraie, homogène et combative. Se faire lion, enfin. Mordre.

par JBB

Notes

[1] Image piquée sur l’excellent blog du peintre et dessinateur Mathieu Colloghan. Je ne lui ai rien demandé, mais j’escompte bien qu’il me pardonnera.






Ecrit par libertad, à 09:30 dans la rubrique "Actualité".



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