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« Sapere Aude » ou L’économie comme un Etat de tutelle permanent.
--> Sortie de l’économie, Lumières et raison.

« La seule force contre le principe d’Auschwitz serait l’autonomie […], la force de réfléchir, de se déterminer soi-même, de ne pas jouer le jeu »

T. Adorno, Modèles critiques,
Payot, 1984, p. 209.

L’obscurité des temps techno-marchands doit-elle nous faire reprendre la tâche du Sisyphe des Lumières, Emmanuel Kant : sortir de l’économie, « c’est la sortie de l’homme hors de l’état de tutelle dont il est le responsable » ? Kant écrivait déjà :

« Paresse et lâcheté sont les causes qui font qu’un si grand nombre d’hommes, restent cependant volontiers toute leur vie dans un état de tutelle ; et qui font qu’il est si facile à d’autres de se poser comme leurs tuteurs. Il est si commode d’être sous tutelle. Si j’ai un livre qui a de l’entendement à ma place, un directeur de conscience qui a de la conscience à ma place, un médecin qui juge à ma place de mon régime alimentaire, etc., je n’ai alors pas moi-même à fournir d’efforts. Il ne m’est pas nécessaire de penser dès lors que je peux payer. D’autres assumeront bien à ma place cette fastidieuse besogne. Et si la plus grande partie, et de loin, des hommes (et parmi eux le beau sexe tout entier) tient ce pas qui affranchit de la tutelle pour très dangereux et de surcroit très pénible, c’est que s’y emploient ces tuteurs qui, dans leur extrême bienveillance, se chargent de les surveiller. Après avoir d’abord abêti leur bétail et avoir empêché avec sollicitude ces créatures paisibles d’oser faire un pas sans la roulette d’enfant où ils les avaient emprisonnés, ils leur montrent ensuite le danger qui les menace s’ils essaient de marcher seuls. Or ce danger n’est sans doute pas si grand, car après quelques chutes ils finiraient bien par apprendre à marcher » [1] .

Pour pasticher encore cet auteur et à contre-pied de la revendication d’un quelconque « droit à la paresse » (ou pire d’un « revenu d’existence »), on pourrait dire que l’économie est en effet comme une immense accumulation de paresse et de lâcheté organisée par les spécialistes et experts des différents « monopoles radicaux » [2] que nous sommes tous devenus dans chacun de nos créneaux professionnels. Le faire et l’agir propre ont été déréalisés par l’argent. Le « Je peux » de notre corps et de notre subjectivité est désormais la projection même de la puissance de l’argent. Dans la gigantesque accumulation des tâches spécialisées et divisées, chacune des petites abeilles laborieuses que nous sommes est devenue la tutelle de son voisin, lui-même mis en tutelle par les ressorts de la Méga-machine de tutelle alimentaire, scolaire, politique, culturelle, médiatique, technique, médicalisée, etc. « L’éducation écrivait Illich, produit des consommateurs compétitifs, la médecine les maintient en vie dans l’environnement outillé qui leur est désormais indispensable ; et la bureaucratie reflète la nécessité que le corps social exerce son contrôle sur les individus appliqués à un travail insensé » [3].
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Pour autant cette sortie de l’état de tutelle passe-t-elle par l’entendement visant à la maîtrise de la réalité et sa soumission technique aux intentions humaines ? Faut-il reprendre cette symbolique de la modernisation marchande de la vie, les Lumières ? Doit-on rougir parce qu’à l’inverse du reste de nos contemporains, nous refusons de penser que la liberté « s’appuie sur une industrie promue au rang d’outil essentiel de l’épanouissement humain » [4] ? Sommes-nous les ennemis de la Raison ? De quelle Raison ?

Aujourd’hui, voilà ce qu’il semble de plus en plus évident à nombreux de nos contemporains. La raison instrumentale et capitaliste notamment a poussé si loin la réduction du monde à un espace unidimensionnel, à la mise hors-jeu de la sensibilité de l’entendement scientifique autorisé [5], mais aussi au manipulable [6], à l’écrasement des différences, à l’effacement de « l’outil convivial » au profit du méga-outillage industriel [7], que c’est son rejet qui semble la seule attitude rationnelle. Quand on regarde « la banalité monstrueuse de la fin en soi capitaliste […] qui consiste dans l’accumulation insensée de valeur, au sens économique du terme, il ne s’agit pas là de raison, mais d’un non-sens supérieur – et ce qui brille est l’éclat d’une absurdité qui fait mal et qui aveugle » [8]. Ainsi, depuis plus de deux siècles de « Progrès » scientifique, technique et économique, à l’heure de la présente « paix perpétuelle » orchestrée par les drones de la Police et le reste du « Nanomonde », il faut reconnaître que la soumission des phénomènes et du monde vécu au nouveau intellect inventé par la révolution galiléenne au XVIIe siècle, a toujours débouché sur la domination renforcée sur les hommes. Dans un même mouvement, ici comme désormais partout sur la terre, la domination sur la nature s’est accompagnée de la domination de la société sur les hommes : les fétiches des « primitifs » se regardent toujours dans la glace du totémisme techno-marchand. C’est par une énième « ruse de la raison » - et bien avant la transformation taylorienne des modes de travail industriel -, qu’une rationalisation instrumentale illimitée pénétrait déjà tout le tissu social notamment dans l’encadrement du travail [9], de l’habitat, de la santé, de l’hygiène, jusqu’à « l’invention du social » par l’Etat au XIXe siècle comme son instrument politique de soumission et de pacification de la société [10].

Il nous parait aussi que l’on ne peut plus être aussi confiant dans les vertus du savoir et de sa diffusion, car « l’allée des marronniers » (comme allégorie de l’intelligence créatrice et organisatrice de la matière) peinte par Denis Diderot dans la Promenade du sceptique, a aussi débouché sur la société hitlérienne et la possibilité de l’auto-anéantissement de l’humanité dans la bombe atomique. Car on peut penser contre beaucoup d’idées reçues - y compris colportées par des manuels scolaires -, que le totalitarisme ne se réduit pas à un retour à l’irrationnel et au dogmatisme de nouveaux barbares en chemises noires et brunes comme a voulu le faire penser dès le départ un antifascisme primaire : à l’encontre de tous ces historiens qui tentent de montrer que le totalitarisme a un lien avec l’idée de Révolution, on peut très bien argumenter l’idée que les Lumières sont complices de leur propre effondrement comme l’avaient vu Adorno et Horkheimer. On peut ainsi voir dans le totalitarisme, la « guerre totale » et le Génocide [11], la réalisation la plus achevée bien qu’involontaire des Lumières et de leur idéal d’indépendance absolue : lorsque le sujet réifié n’est plus lié par des valeurs et des attachements, les seules normes qui survivent sont celles de la puissance charismatique, de l’efficacité, de l’organisation, de la systématicité dans la soumission du monde et la domination de la vie, alors visées pour elles-mêmes. C’est finalement à cela qu’a abouti « l’entendement non dirigé par un autre ». Jacques Ellul lui aussi démontrait de manière clairvoyante qu’en obligeant le monde à mettre en branle un gigantesque complexe organisationnel (la Big Science, la mobilisation totale, la culture de guerre [12]), et malgré sa cuisante défaite militaire, Hitler gagnait en 1945 une « victoire politique » complète [13] : le monde passait à la fin de la guerre un seuil important, pour se réduire terriblement à l’unique dimension de la raison instrumentale.

Faut-il défendre la raison ? Quel lien entre la raison, les Lumières de l’émancipation et la sortie de l’économie ?

La rationalité instrumentale ne définit pas le tout de la raison, car la science n’a pas le monopole de la raison. S’il faut d’abord lui crever les yeux après l’avoir mise en face de ses propres résultats inquiétants, contre le poids de cette raison organisationnelle il faut lui opposer la conception de la personne et du vivant comme autonome et solidaire, le refus d’une vie aliénée car mutilée, la « démocratie » au sens de Castoriadis. Non pas compenser ou rééquilibrer le projet des Lumières comme l’écrit Habermas (comme d’autres à la suite de Polanyi, pensent « réenchasser l’économie » ou « (re)pensent la technique » et privilégient une « modernité réfléchie »), mais lui opposer un « contre-réalisme » (Kurz) en le vidant de l’ensemble de ses nuisances et éléments désastreux : car l’idée d’une société autonome et émancipée reste un horizon.

Les réflexions de l’Ecole de Francfort nous semblent ici très précieuses pour avancer. La raison comme sortie de l’économie ne peut consister que dans ce qui a été appelé par ces penseurs « l’auto-réflexion », une réflexion au second degré, mais qui consiste aussi à changer de raison en adoptant notamment celle qui permet l’élucidation par soi-même du sujet par lequel on accède à l’autonomie. On ne peut se laisser aveugler par les Lumières, il faut leur appliquer, à elles comme à leur monde, le principe qu’elles ont appliqué à la pensée et au monde de leur époque : « Sapere aude ! Aie le courage de te servir de ton propre entendement ». Le télos de la raison doit être désormais la libération de la vie et son intensification toujours plus grande dans son auto-accroissement souverain. « Ce n’est pas dans les sciences de la nature notait Horkheimer, fondées sur la mathématique présentée comme Logos éternel, que l’homme peut apprendre à se connaître lui-même ; c’est dans une théorie critique de la société telle qu’elle est, inspirée et dominée par le souci d’établir un ordre conforme à la raison » [14] . La raison fait donc partie d’un bricolage autoréflexif critique lié à l’émancipation [15]. Et dans nos bricolages de réflexion et de pratique alternative, dans leur tentative de justification et d’argumentation les plus banals, par lesquels nous cherchons à exprimer des raisons de croire à tel ou telle chose ou d’agir de telle ou telle manière, en recherchant la participation et l’adhésion d’autrui, se dessine un mode d’organisation du savoir et de l’agir irréductible et même opposé à la visée instrumentale que nous combattons. « L’authentique bricolage écrivait Pierre Sansot, sous-entend une manière fondamentale d’exister, de se poser au monde. En ce sens, un homme bricole de la même manière les pensées, les mots, ses relations de voisinage. Bricoler signifie alors à la fois trafiquer et se disperser. On trafique pour échapper à la norme, parce qu’il y a de la perversion à mésuser de ce qui nous est offert et que l’on frôle […]. Se disperser, c’est inachever tout ce que l’on entreprend et, au premier chef, son existence ; ne pas endosser un métier, préférer les petits boulots qui laissent beaucoup de temps libre pour rêver, mégoter, rendre visite aux copains » [16] . Ici, nous défendrons donc l’auto-réflexivité, à travers une auto-analyse de pratiques alternatives que nous permet le « travail à côté ».

Diggers

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[1] Emmanuel Kant, Qu’est-ce que les Lumières ?, GF, Flammarion, 1991, p. 43-44.

[2] « Par monopole radical, j’entends un type de domination par un produit qui va bien au-delà de ce que l’on désigne ainsi à l’habitude. On entend généralement par monopole le contrôle exclusif par une firme des moyens de production ou de vente d’un bien ou d’un service. On dira que Coca-Cola prend le monopole des boissons non-alcoolisées au Nicaragua […]. Un homme assoiffé peut désirer une boisson non-alcoolisée, fraîche et gazeuse, et se trouver limité au choix d’une seule marque, mais il reste libre d’étancher sa soif en buvant de la bière ou de l’eau. C’est seulement si et lorsque sa soif se traduit sans autre possibilité dans le besoin compulsif, l’achat obligatoire d’une petite bouteille d’une quelconque boisson, que s’installe le monopole radical. Par ce terme, j’entends la domination d’un type de produit plutôt que celle d’une marque. […] Les transports peuvent ainsi prendre le monopole de la circulation. Les voitures peuvent façonner une ville, éliminant pratiquement les déplacements à pied ou à bicyclette, comme à Los Angeles. […] Que les gens deviennent impuissants à circuler sans moteur, voilà le monopole radical », dans Ivan Illich, La convivialité, Seuil, 1973, p. 80-81.

[3] Ivan Illich, op. cit,, p. 73.

[4] Voir la profession de foi (encore) saint-simonienne de Philippe Dugot, dans la réédition de Michel Chevalier, Système de la Méditerranée (1832), Mille et une nuits, 2006, p. 71.

[5] Voir en particulier sur cette question, Michel Henry, La Barbarie, Puf, 2005 (1987).

[6] « La Raison se comporte à l’égard des choses comme un dictateur à l’égard des hommes : il les connaît dans la mesure où il peut les manipuler. […] La nature des choses se révèle [être] toujours la même : le substrat de la domination », in Theodor Adorno, Dialectique négative, Payot, 1978, p. 27.

[7] Notamment grâce au développement de l’abstractification astronomique : les mesures de longueurs basées sur les parties du corps humains (pied, pouce, etc.), et aussi différenciées et multiples que le sont les cultures humaines locales, furent remplacées par la mesure physique abstraite du mètre, censé correspondre au quarante millionième de la circonférence de la Terre. Sur le plan de la temporalité, se fut la même chose avec l’apparition de la montre et de l’horloge – le « moulin du diable » - dans les usines et les chaumières. Désormais la contrainte temporelle dans le travail ne vient plus de la nature (rythme de la mer pour un port, etc.) ou n’est plus définie par un temps « orienté par la tâche » à accomplir, le travail est mesuré en unité de temps, l’horométrie sociale de la nouvelle discipline horaire est née. « Le temps devient ainsi une monnaie d’échange : il n’est plus passé mais dépensé » écrit Thompson. Et le temps mathématique devient le temps du « travail abstrait ». Il faut maintenant synchroniser la main d’œuvre quand celle-ci n’est plus que la projection organique de la machine mathématiquement rythmée. C’est la « domination réelle » du temps de la machine et le temps de l’homme qui disparaît. C’est avec ce temps abstrait détaché du monde vécu et des conditions concrètes, que le capitalisme a pu « prolonger le jour du travail abstrait dans la nuit et grignoter le temps de repos » (Kurz). Et nous n’aurons désormais plus aucun contrôle sur notre vie professionnelle. Sur ces questions voir Edward, P. Thompson, Temps, discipline du travail et capitalisme industriel, La fabrique, 2004.

[8] Robert Kurz, « Les lumières des Lumières. Le symbolisme de la modernité et l’élimination de la nuit », Avis aux naufragés, Lignes et Manifestes, 2005, p. 37.

[9] Pour un bel aperçu des réactions à la perte d’autonomie dans leur travail, qu’organisaient les communautés d’ouvriers-paysans du XIXe siècle, voir Gérard Noiriel, Les ouvriers dans la société du XIXe siècle, Seuil, 1991.

[10] Voir Jacques Donzelot, L’invention du social, Seuil, Points, 1994. Pour cet auteur, l’Etat-Providence (dont rêvent encore les nostalgiques de l’altermondialisme) a spolié les individus de leur citoyenneté authentique en leur faisant croire qu’il allait satisfaire tous leurs besoins. L’invention du rôle social de l’Etat en accompagnant le progrès économique et sa dynamique inégalitaire, a introduit une profonde « réduction des passions politiques ». Car si on sait qu’en 1848 le suffrage universel masculin a été adopté pour « terminer la Révolution » et en finir avec sa logique populaire insurrectionnelle, on sait moins que l’Etat social a été inventé « pour rendre gouvernable une société qui a opté pour le régime démocratique » (p. 181). « La technique assurantielle substitue à l’exigence morale de justice le principe d’une réparation sociale de préjudice par nature aléatoires. Elle oppose, à la pression exercée sur l’Etat en vue d’une réorganisation de la société, ce principe d’une promotion du social, d’une augmentation des chances de chacun par la réduction des risques de tous » (p. 140). Au final, l’Etat social nous a qu’asservis en nous rendant dépendants et revendicateurs de ses aides, et en reproduisant sans cesse les inégalités tout en les masquant. Au nom du « social », la responsabilité des citoyens a été transférée à l’Etat, et aujourd’hui il n’y a plus de vie sociale sans l’intervention de celui-ci et de sa raison organisationnelle (« l’action sociale »). « Conçus au nom du social, l’Etat-Providence s’est développé au dépens de la vie effective de la société » (p. 224). Chacun étant cloîtré dans son individualité et la satisfaction de ses désirs, l’Etat est même obligé de simuler la présence de la démocratie en organisant sur telle ou telle question une « conférence citoyenne » ou mieux un « débat télévisé » sur une chaîne du « service public ». La vie de la société se calcule désormais sur l’échelle des rondes de police des « médiateurs », du « buzz » internet et du sondage d’opinion.

[11] Avec la « guerre totale » où finalement les démocraties ont été les plus performantes, des « seuils de violence » nouveaux ont été franchis avec le « bombardement stratégique » qui fut décrit voire théorisé avant même d’avoir existé (le principal théoricien fut le général italien Giulio Douhet, La maîtrise de l’air, 1922). Le « tapis de bombes » industriel était né et le martyre des villes entre 1940-1945 serait désormais possible. Dans les guerres du futur écrivait Douhet, les armées de terre et de mer seront confinées à des rôles secondaires. Le sort de la guerre viendra des airs sous la forme de puissantes formations de forteresses volantes qui noieront les grandes agglomérations ennemies sous des bombes incendiaires et chimiques. En février 1942, l’air-marshall Harris prend la tête du « Bomber Command » britannique, il opte non pas pour un bombardement de précisions mais un bombardement « de zone », nocturne, à moyenne altitude, volontairement peu précis, à base de bombes incendiaires. Ses services planifient tranquillement la destruction des 60 plus grandes villes allemandes qui n’ont pas d’intérêt stratégique (on reprochera aux Alliés de n’avoir pas bombardé les réseaux aboutissant aux camps d’extermination). Dès mai 1942, Cologne inaugurait la terrible expérience des « typhons de feu » provoqués par l’éclatement simultané de milliers de bombes incendiaires au phosphore. Au début de 1945, l’arme absolue du bombardement stratégique, les 1000 B29 de la 20th Air Force du général américain Curtis, d’une autonomie de 6000 km, volant à 12000 mètres d’altitude grâce à une cabine pressurisée (et donc complètement inaccessible tant par la chasse que la DCA) entreprirent systématiquement de « traiter » (vocabulaire des stratèges) c’est-à-dire de rayer le Japon de la carte. Le 9 et 10 mars 1945, le bombardement au phosphore de Tokyo fut le plus meurtrier de toute la guerre : 85 000 morts, 200 000 bléssés, un million de sans-abris. L’autonomisation de la technique décrite par J. Ellul, peut aussi se retrouver avec le « Bombing Survey ». Ainsi, alors qu’en 1944 les bombardements massifs britanniques n’ont en rien entamé le moral des populations civiles, tous les rapports montrent leur échec, il ne sont pas arrêtés par Sir Arthur Harris. C’est que « constituant une entreprise note W. G. Sebald, qui avait nécessité un tel investissement matériel et en organisation, et qui […] engloutissait un tiers de la production de guerre britannique, l’offensive aérienne avait acquis une dynamique propre excluant pratiquement une baisse d’activité ou un changement de cap à court terme, qui plus est à un moment où, après trois années de développement intensif des bases et des usines de production, elle était au maximum de son rendement ou, autrement dit, avait atteint sa plus grande capacité de destruction. Le bon sens économique répugnait à laisser en friche ce matériel produit, à maintenir au sol, sur les terrains d’aviation de l’est de l’Angleterre, les appareils et leur précieuses cargaison. […] A voir comment elle s’est déroulée, faisant litière de tout argument fondé sur la raison, on comprend […] que les victimes de guerre ne sont pas des victimes sacrifiées en chemin au nom d’un objectif, quel qu’il soit, mais, au sens exact du terme, qu’elles sont elles-mêmes l’objectif à atteindre », W. G. Sebald, De la destruction comme élément de l’histoire naturelle, Actes Sud, 2004, p. 29-30 (pour une historiographie de cette « transgression morale », voir J.-F. Murraciolle, « Le bombardement stratégique », dans F. Rousseau (dir.), Guerres, paix et sociétés, 1911-1946, Atlande, 2004, pp. 363-375). Il faut aussi considérer la spécificité du Génocide organisé par les nazis à l’aune du triomphe en son sein de la rationalité instrumentale. Si la terreur stalinienne provoquait finalement plus de mort que la terreur nazie, elle ne s’appuyait pas sur une organisation industrielle comme dans le génocide juif. Auschwitz doit être compris comme une usine à fabriquer des cadavres, une usine qui produit de la mort, car le camp est conçu par les ingénieurs SS dans un esprit de parfaite rationalité. Du tri des déportés à la taille des chambres à gaz et à la capacité de « traitement » des fours crématoires en passant par l’organisation des chemins de fer ou par le calcul de la déclivité de la rampe qui mène du quai de la gare à la chambre à gaz (permettant ainsi un écoulement régulier et sans heurt, une véritable chaîne de montage pour la mort), tout est conçu pour permettre le fonctionnement le plus régulier de l’usine (tout cela est développé dans Eugen Kogon, L'Etat SS, Seuil, 1984).

[12] George L. Mosse, De la Grande Guerre au totalitarisme. La brutalisation des sociétés européennes, Hachette, Pluriel, 1999, (1990).

[13] Jacques Ellul, « Victoire d’Hitler ? », journal La Réforme, 23 juin 1945. Reproduit ici : http://forum.decroissance.info/viewtopic.php?t=4483

[14] M. Horkheimer, Théorie traditionnelle et théorie critique, Gallimard, 1974, p. 27-28.

[15] Voir du groupe Oblomoff, La disparition des lucioles. Plate-forme pour une critique de la recherche scientifique, 2008.

[16] Pierre Sansot, Les gens de peu, Puf, 2003, 1991, p. 64.

Ecrit par Diggers, à 13:41 dans la rubrique "Pour comprendre".

Commentaires :

  satya
08-01-09
à 17:02

intéressant, c'est toi qui l'a écrit?
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