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Hommes-femmes, un combat inégal
Les hommes, en toute sincérité, ignorent à quel point le dispositif d'émasculation des filles est imparable, à quel point tout est scrupuleusement organisé pour garantir qu'ils triomphent sans risquer grand-chose, quand ils s'attaquent à des femmes. (Virginie Despentes).

J'AI DÉJÀ LONGUEMENT PARLÉ de Virginie Despentes dans ces colonnes, mais je reviens aujourd'hui sur un sujet qui me semble extrêmement important pour comprendre les inégalités persistantes entre hommes et femmes dans notre société: la violence féminine (qui a fait l'objet d'un débat à la bibliothèque La Rue en décembre 2007).
Dans King Kong Théorie (2006), Virginie Despentes raconte comment elle a été victime d'un viol alors qu'elle avait quinze ans. Elle et une amie. En face: trois types. Combat égal? Elles: « jamais semblables, avec nos corps de femmes » , « du sexe de la peur, de l'humiliation, le sexe étranger » .
Elle avoue ce fait qui peut paraitre surprenant: elle avait dans sa poche un cran d'arrêt dont elle ne s'est pas servie - dont elle n'a même pas pensé à se servir. Dont elle se serait peut-être servi si on avait voulu lui voler son blouson.
La question est posée: pourquoi, en situation d'agression sexuelle, beaucoup de femmes qui pourraient se défendre ne le font pas... provoquant ainsi tous les discours justificatifs du type: elles le voulaient bien, la preuve...
Virginie Despentes donne une explication les femmes ainsi en position de victimes se trouvent renvoyées à leur féminité: « C'est le projet du viol qui refaisait de moi une femme, quelqu'un d'essentiellement vulnérable. » Or il faut avoir vécu ce que vivent les petites filles et les adolescentes, puis les femmes ensuite, pour comprendre cela.
On n'évacue pas d'un coup tous les discours tenus: « Tu es une petite fille, sois sage... »; « Sois douce, ne t'énerve pas » ; « Ne salis pas ta jolie robe ». C'est dès l'enfance, par des discours et des remarques insidieuses, que l'on habitue peu à peu les filles à tenir leur rôle: plaire aux hommes, ne pas se révolter. « Une entreprise politique ancestrale, implacable, apprend aux femmes. à ne pas se défendre. »
Difficile de sortir de cette situation de victime, imposée par l'idéologie dominante « je suis furieuse contre une société qui m'a éduquée sans jamais m'apprendre à blesser un homme s'il m'écarte les cuisses de force, alors que cette même société m'a inculqué l'idée que c'était un crime dont je ne devais pas me remettre. » Et l'auteure de rappeler que « Le viol est un programme politique précis: squelette du capitalisme, il est la représentation crue et directe de l'exercice du pouvoir. » Viol que, pour l'instant, les femmes ne se sont jamais approprié. Le but premier du politique apparaît alors comme former le caractère viril comme « asocial, pulsionnel, brutal » : on nous fait croire que le désir de l'homme serait plus fort que lui; c'est une « croyance politique construite » qui passe pour un fait naturel.Fait également partie de cette construction, héritée du christianisme, un certain masochisme des femmes, dispositif culturel qui « prédestine la sexualité des femmes à jouir de leur propre impuissance » , préférant être prises de force que vues comme des « salopes qui aiment le sexe » .
Et voici ce que conclut l'auteure: « j'aurais préféré, cette nuit-là, être capable de sortir de ce qu'on a inculqué à mon sexe, et de les égorger tous, un par un. Plutôt que vivre en étant cette personne qui n'ose pas se défendre, parce qu'elle est une femme, que la violence n'est pas son territoire, et que l'intégrité physique du corps d'un homme est plus importante que celle d'une femme. »
C'est là un point essentiel sur lequel s'appuie la domination masculine. Et ça marche, puisque nous sommes nombreuses à être convaincues que, parce que femmes, nous sommes plus patientes, plus douces, plus vulnérables, plus... (complétez vous-mêmes). Et que les hommes, on ne les changera pas, à commencer par leurs « désirs irrépressibles », qu'il faut bien subir (nous, les femmes).
Et on a beau avoir acquis l'indépendance financière, le droit d'avorter, on a beau être féministes, la violence féminine reste encore un tabou partagé par beaucoup de femmes.

Caroline
Commission Femmes

Le Monde libertaire #1507 du 6 mars 2008
Ecrit par libertad, à 17:09 dans la rubrique "Le privé est politique".

Commentaires :

  libertad
06-04-08
à 18:09

Je voudrais revenir dans ce commentaire sur la fin de l'article de Caroline : "la violence féminine reste encore un tabou partagé par beaucoup de femmes"
Je partage complètement cette phrase et le tabou de la violence fémine devient même actuellement un tabou social comme je l'ai montré dans un article : L'infanticide en série : un crime politiquement correct ?
Or je pense qu'il est de l'intérêt des femmes de réintégrer leur part de violence et non de la nier. Certes dans le viol les femmes subissent la violence des hommes mais dans d'autres occasions, comme dans les rapports avec les enfants, les femmes sont elles aussi capables de violence.
Lorsque la tabou de la femme "éternelle victime" sera tombé, que les femmes comme les hommes accepteront leur part de violence, les rapports hommes-femmes auront fait un progès considérable et les hommes dans les rapports avec les femmes n'auront plus dans la tête cet archétype de la femme soumise et non violente.
Un récent fait divers divers nous montre d'ailleurs les limites du "statut" de victime : le jugement du couple Fourniret-Olivier. Fourniret tueur en série concentre en lui tous les ingrédients de la domination patriarcale et ne peut trouver aucune excuse à ses crimes. Mais Olivier a-t-elle l'excuse de la "dominée" ? Le pacte criminel qui la liait à Fourniret a-t-il l'excuse de la situation de femme battue qu'elle aurait été dans son couple précédent ?
En effet on se demande bien ce qui l'a obligée à correspondre avec un individu emprisonné pour plusieurs agressions sexuelles ( fait qu'elle n'ignorait pas ) ?
Alors qu'elle n'a jamais subi de violences de la part de Fourniret, qu'est ce qui l'obligeait à faire une fellation au tueur en série, pour lui permettre de violer l'une des victimes ?
Qu'est-ce qui l'obligeait à vérifier la virginité des victimes avant chaque viol de Fourniret ?
Et Monique Olivier n'est pas un cas isolé, souvenons nous de Myriam Badaoui dans l'affaire d'Outreau.
Je pense que la majorité des hommes acceptent aujourd'hui d'intégrer le fait qu'une minorité d'entre eux sont violents et ne cherchent pas à leur trouver d'excuses.
Dans une perspective anti-sexiste il serait utile que les femmes fassent de même et ne nient pas systématiquement leur part de violence en se drapant dans leur statut de victimes car ce "statut" peut se retourner contre les femmes et c'est bien ce qui se passe actuellement à propos des violences conjugales et des viols.
Sur les violences conjugales, la vision manichéenne développée actuellement et qui ne prend en compte qu'une partie du phénomène ( en niant la participation des femmes aux violences ), le nombre de femmes ayant subi des violences graves maintient de fait la situation et se retourne contre les femmes.
Il serait urgent de mener une enquête sérieuse et impartiale sur les violences conjointes dans les couples, en interrogeant les femmes et les hommes ( et non pas seulement les femmes ) comme celà a été fait au Québec, voir Denis Laroche : Contexte et conséquences de la violence conjugale envers les hommes et les femmes au Canada en 2004
Cette étude montre bien la participation des femmes aux violences et montre également les conséquences plus graves des violences pour les femmes mais ce n'est pas en niant une partie de la réalité que l'on avancera ni en niant les facteurs aggravant des violences comme l'alcool et en mettant tout sur la question de la domination masculine qui n'est qu'un facteur parmi d'autres.
Il serait temps aussi de protester contre la banalisation dans la publicité des violences féminines, banalisation qui la rend invisible, normale : j'ai en tête deux spots, celui ou un homme donne un coup de pied dans le pneu de la voiture neuve de sa copine, en réponse celle-ci lui donne un coup de pied dans le tibia et l'autre ou un mec "mate" une nana sur la plage et par deux fois sa copine lui flanque une giffle. J'ose imaginer les réactions en sens inverse !
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