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Solvants - De nouveaux obstacles à la reconnaissance des maladies professionnelles

Lu sur Indymédia Paris : "Il y a en France de l’ordre de 4 millions de travailleurs exposés aux solvants (enquête Sumer), et 10 tableaux de maladies professionnelles sont consacrés à ces produits dans le régime général, contre 7 dans le régime agricole. L’écart entre les deux régimes est d’autant moins justifié que l’évolution du travail de l’agriculteur l’a amené à manipuler des pesticides mélangés à de multiples solvants.

Sur ces 10 tableaux du régime général, les trois plus importants sont consacrés :
d’une part, à une majorité des solvants (tableau 84), avec des syndromes ébrieux, des dermites, des eczémas, des conjonctivites et des atteintes du système nerveux central.
d’autre part, au benzène et composés benzéniques (tableaux 4 et 4 bis)
et enfin, aux hydrocarbures aliphatiques halogénés (dont le plus connu est le trichloroéthylène) traités dans le tableau 12.

Alors que les tableaux 12 et 84 avaient déjà été modifiés en 2003, ils viennent d’être à nouveau remaniés par deux décrets [1] et une circulaire [2] consacrée au tableau 12.
Compte tenu que ces deux tableaux représentent plus de 150 reconnaissances par an et de nombreux refus, il est nécessaire de faire le point sur leur apport mais aussi et surtout sur les restrictions de droits qu’apportent ces nouveaux textes.

Nouvelle répartition des pathologies entre les deux tableaux

Le tableau 84 est le plus général en ce qui concerne les produits. Dans la nouvelle rédaction du titre du tableau, il apparaît 22 familles de produits (comme les alcools, cétones, etc.), ou produits particuliers. La principale innovation, à ce niveau, est l’introduction dans le titre de nouveaux produits et en particulier des hydrocarbures aliphatiques halogénés (c’est à dire iodés, bromés, chlorés ou fluorés), alors qu’auparavant ces derniers n’étaient pris en compte que dans le tableau 12. Désormais ces produits, comme par exemple le trichloroéthylène, relèveront des deux tableaux, 12 et 84, avec pour chacun référence à des pathologies différentes.

Mais surtout disparaissent du tableau 84 des solvants très répandus, concernant près de un million de personnes, précédemment retenus, en l’occurrence les hydrocarbures hétérocycliques et aromatiques et leurs mélanges (white spirit et essences spéciales ).Cette disparition ou omission des atteintes du système nerveux central, du syndrome ébrieux, des dermites, conjonctivites, eczéma, dus à ces hydrocarbures est proprement un scandale. La justification d’une telle disparition est un mystère. Désormais ces mélanges sont considérés comme ne pouvant provoquer que des troubles gastro-intestinaux (tableau 4 bis ).
A noter le remplacement, justifié, des hydrocarbures alicycliques (terme abandonné dans la nomenclature) par hydrocarbures cycliques, saturés ou insaturés, ce qui n’inclue pas les aromatiques. A noter également des erreurs et omissions dans le titre du tableau 84 (Voir en PS ), qui méritent d’être corrigés.

Le tableau 84 intègre par ailleurs deux nouvelles pathologies :

-  « la conjonctivite irritative », qui passe ainsi du tableau 12 au tableau 84, avec cependant la suppression du qualificatif de pathologie chronique, ce qui peut avoir des conséquences négatives en terme de reconnaissance, mais nous y reviendrons.

-  les atteintes du système nerveux central (S.N.C.), là encore transférées du tableau 12 au tableau 84, c’est à dire concernant désormais la totalité des solvants et non les seuls hydrocarbures aliphatiques halogénés, ce qui serait positif si cette ouverture ne s’accompagnait de multiples conditions restrictives qui en limiteront fortement la portée en matière de reconnaissance d’une pathologie professionnelle.

Les modifications et les restrictions du nouveau tableau 12

Ce tableau est consacré aux affections professionnelles provoquées par des hydrocarbures aliphatiques halogénés.

Les vingt à trente dernières années ont vu l’apparition d’une quantité de nouveaux solvants halogénés (iodés, bromés, chlorés, fluorés), aussi la liste des produits limitativement énumérés dans le titre inclut non plus 14 mais 29 composés différents.

Alors que la liste des travaux est indicative, à chacune des huit pathologies retenues correspond une liste limitative de produits, 14 produits pour la première pathologie, (troubles cardiaques), 11 pour les hépatites, 6 pour les atteintes rénales, 3 pour les atteintes du système nerveux périphérique et 1 produit pour chacune des quatre dernières pathologies.

Il est positif que trois pathologies nouvelles soient inscrites (anémies, aplasies et manifestation d’intoxication par l’oxyde de carbone issu d’un solvant chloré), chacune pour un seul produit. Mais pourquoi les atteintes aux fonctions reproductives sont-elles toujours ignorées ? Au minimum azoospermie et oligospermie devrait apparaître pour une substance comme le 1,2-dibromo-3-chloropropane (DMCP), mais ce n’est qu’un exemple.

La rédaction du texte sur les atteintes du système nerveux périphérique (les névrites et polynévrites) indique : « poly neuropathies ou neuropathies trigéminales », formulation peu connue, ambiguë qui va poser problème, indépendamment du fait qu’il n’y a pas que trois solvants en cause.

Une caractéristique du nouveau tableau 12 est le rejet des pathologies chroniques. Ce caractère de chronicité, maintes fois observé et aujourd’hui rejeté, était retenu pour trois pathologies (troubles neurologiques, conjonctivite, dermo-épidermite). A l’inverse, pour deux pathologies, (troubles cardiaques, atteintes rénales), le nouveau tableau insiste sur leur disparition ou leur régression après arrêt de l’exposition, d’où des difficultés supplémentaires pour les victimes, les caisses se considérant en droit de classer rapidement le dossier après une décision de consolidation.

Disparaît également - on se demande pourquoi - l’œdème pulmonaire comme complication des atteintes cardiaques !

Enfin, deux substances, (le chloroprène et le chloropropylène) disparaissent de la liste des produits sous prétexte que ce ne sont pas des solvants mais des monomères. Or, le terme de solvant ne figure ni dans le titre du tableau, ni dans la colonne des travaux. Il n’y avait donc aucune justification à enlever ces produits de la liste des « hydrocarbures aliphatiques halogénés »

Au final, le caractère ultra limitatif au niveau des produits incriminés pour chaque pathologie va conduire à une situation de sous-reconnaissance des maladies professionnelles, identique à celle qui prévaut pour le tableau 15 ter où les cancers de la vessie ne sont reconnus que pour l’exposition à quelques amines aromatiques, d’où la sous déclaration et la sous reconnaissance en maladie professionnelle de ce type de cancer.

En fait, l’introduction de ces listes limitatives de produits représente une nette régression par rapport à la situation antérieure, si l’on excepte le cas des quatre pathologies dues à un seul produit. Pour les six autres pathologies, il n’y a aucune certitude qu’elles soient dues à un nombre très limité d’hydrocarbures aliphatiques halogénés. Par exemple le 1,1,2,2-tétrachloroéthane est un remarquable toxique pour le foie, mais il n’est pas retenu dans la liste limitative correspondant aux hépatites. Chacune de ces listes mériterait d’être revue ou alors -ce qui serait plus logique- il serait nécessaire de remettre en cause les listes limitatives de substances pour chaque pathologie, avec peut-être quelques exceptions

Dernière difficulté liée à ces listes limitatives de produits, celle liée à la pureté des produits. En fabrication, dans la chimie et la pétrochimie, les travailleurs respirent, en mélange, tout un ensemble de produits, certains connus, d’autres inconnus. Et en métallurgie ou dans le nettoyage, les solvants sont fréquemment des mélanges où - au mieux - n’est indiqué que le produit dominant. D’où de nouvelles difficultés pour les victimes devant identifier l’ensemble des produits halogénés auxquels ils auront été exposés.

Tableau 12 : une circulaire partisane

Le caractère très limitatif de la liste des produits correspondant à chaque pathologie - dans une liste des travaux globale, dite « indicative » - ne pourrait faire au mieux que refléter les observations publiées à la date de rédaction du tableau ; et encore ! Chacun sait qu’il y aura évolution des connaissances et qu’il faudra compléter, pour chaque pathologie, la liste des produits en cause.
Aussi, la circulaire d’application aurait-elle dû attirer l’attention des C.R.R.M.P. sur la nécessaire ouverture d’esprit face à une pathologie inscrite dans le tableau, mais avec une exposition à un ou plusieurs solvants halogénés non inscrits dans la liste limitative correspondante. Or, c’est l’inverse que l’on constate.Dans une telle situation l’existence d’une liste indicative, mais avec une liste limitative de substances pose problème par rapport au code de la Sécurité Sociale . La reconnaissance de la maladie relève alors d’un CRRMP mais en se référant à quel alinéa de l’article L-461-1 du Code de la Sécurité sociale ?

La circulaire tranche le problème de façon abusive, en optant pour les conditions les plus défavorables pour la victime. L’article L 461-1 du C.S.S. prévoit en effet référence au troisième alinéa si la liste des travaux est limitative... Mais ici, elle est indicative ! Ou référence au quatrième alinéa si la pathologie n’est pas « désignée dans un tableau ... » Mais ici elle l’est ! Donc la situation crée par le double caractère de la liste, à la fois indicative et limitative ne correspond à aucune des situations retenues par le Code.

La conclusion est que les listes indicatives de travaux, mais avec liste limitative de produits (3 tableaux sont concernés, le 12, le 15 ter et le 65) ne sont pas conformes à la loi, et qu’il serait nécessaire de prévoir, dans le cas d’une victime, un recours en Conseil d’Etat.

Mais nous n’en sommes pas là, et la circulaire tranche en faveur d’une instruction du dossier au titre du quatrième alinéa, ce qui implique une incapacité permanente d’au moins 25% et la preuve que la maladie est essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime. Autant de conditions qui garantissent l’échec. Merci la C.N.A.M. ! Un tel choix peut-il être attaqué devant un tribunal ?

Par ailleurs, la circulaire aurait dû signaler que certains de ces hydrocarbures halogénés sont classés en catégorie 2 A ou en 2 B dans la liste des cancérogènes établie par le C.I.R.C., (par exemple, le 1-2 dibromo éthane) et que les mêmes ou d’autres sont des toxiques pour la reproduction. Signalements nécessaires pour alerter les C.R.R.M.P. et les Tribunaux des Affaires de Sécurité Sociale. Mais il n’y a pas un mot en ce sens dans ladite circulaire. Quelles instances discutent donc du contenu des circulaires consacrées aux tableaux de maladie professionnelle ?

Les dispositions restrictives du nouveau tableau 84.

Outre la disparition des hydrocarbures aromatiques, le premier changement qui frappe dans la rédaction de ce tableau est sa division en deux parties avec pour objectif de restreindre la liste limitative des travaux correspondant aux troubles du système nerveux central (encéphalopathies).

La liste des travaux avec « préparation, emploi, manipulation des solvants » pour la première partie du tableau, correspondant aux pathologies les moins graves, (syndrome ébrieux, dermite, conjonctivite, eczéma), couvre l’essentiel des situations à risque, bien qu’elle n’inclue pas, par exemple, les travaux de maintenance dans des ateliers où l’air est fortement pollué. Mais ces termes étaient encore trop généraux, aux yeux des représentants des employeurs, pour caractériser des travaux provoquant des encéphalopathies. Dans ce second cas, ne sont plus cités que des travaux particuliers, tel le « traitement de résines » et quelque autres.

Il est évident qu’une telle limitation dans la liste des travaux vise seulement à l’exclusion de la reconnaissance en maladie professionnelle du maximum de victimes atteintes des pathologies les plus lourdes, donc les plus coûteuses pour les employeurs.

Mais ce n’est là qu’une première atteinte à la reconnaissance de ces encéphalopathies. Il en est bien d’autres dans le nouveau tableau :

-  « le diagnostic d’encéphalopathie sera établi par des tests psychométriques », tests qui ne relèvent pas d’experts médicaux, mais paramédicaux (neuropsychologues), sans garantie de remboursement par la Sécurité Sociale, même s’il y a une ordonnance médicale.

-  Ces tests devront être confirmés par leur répétition 6 mois plus tard et après au moins 6 mois sans exposition au risque, les altérations des fonctions cognitives ne devant pas s’aggraver après cessation de l’exposition.

Cet ensemble de conditions va, à coup sûr, interdire la reconnaissance en maladie professionnelle de la majorité des cas. Il implique en effet que les troubles, (équilibre, mémoire, vigilance) soient tout d’abord constatés chez le travailleur en activité, puis que ces troubles obligent le travailleur à se soustraire au risque, le plus probablement en perdant son emploi, puis que 6 mois plus tard il obtienne les résultats de nouveaux tests prouvant la permanence de ces troubles mais sans aggravation.

Bien entendu, il n’y aura pas eu d’acceptation de la maladie professionnelle avant que toutes ces conditions soient remplies. La Caisse répondra donc dans les six premiers mois, mais par la négative. Quelles seront les ressources du travailleur pendant les six mois en question ? Comment pourra-t-il payer les examens demandés ? Nul ne le sait.

Et pourquoi les troubles évolueraient-ils toujours selon un schéma immuable, quel que soit le solvant en cause ? Quel que soit l’individu concerné ? Pourquoi n’y aurait-il pas des cas d’aggravation ou de régression des troubles ?
Cet ensemble de conditions ne figurait à ce jour dans aucun tableau. Ce scénario sans fondement clinique ne peut avoir pour conséquence que la quasi disparition des reconnaissances en maladie professionnelle pour ce type de pathologie. A noter, et je l’ai dénoncé il y a plusieurs mois, qu’une sous-commission de la Commission des Maladies Professionnelles, siégeant au Ministère du Travail, a prévu des conditions aussi limitatives à la reconnaissance des mêmes pathologies provoquées par l’exposition au plomb. Nous ne savons pas où en est la réécriture du tableau concerné, le tableau 1, mais il est clair que ce sont les mêmes « experts » qui sont à l’œuvre dans ces remises en cause des droits des victimes.

Dernier obstacle, le tableau, pour ces encéphalopathies, ne prévoit l’ouverture des droits que si la victime peut prouver « une durée d’exposition d’au moins 10 ans ». Là encore, il s’agit d’une nouvelle disposition qui n’existait pas dans l’ancien tableau 12. Qui plus est, elle est contradictoire avec les connaissances acquises sur les pathologies professionnelles car il est connu que des atteintes du système nerveux central avec séquelles peuvent s’obtenir pour des expositions fortes, beaucoup plus courtes.

Au final, ces nouveaux tableaux 12 et 84, et la circulaire consacrée au tableau 12, représentent avant tout de nouveaux obstacles à la reconnaissance des maladies professionnelles, et en particulier des plus invalidantes.

On comprend mal comment le Président de la Commission et les centrales syndicales qui sont représentées dans cette Commission, ont pu accepter l’accumulation, dans les tableaux en cause, de multiples conditions restrictives à la reconnaissance des maladies professionnelles. On est vraiment en droit de poser la question : quand les centrales syndicales se donneront-elles les moyens de défendre réellement les victimes d’atteintes à la santé en milieu de travail ? Certes compte tenu de l’évolution des technologies et de la multiplication de nouveaux produits, il est quasi impossible de demander aux représentants de salariés d’avoir la compétence nécessaire pour faire face à tous les nouveaux problèmes.. N’est-il pas temps d’exiger que les représentants des salariés puissent s’appuyer sur les conclusions de leurs propres experts dont la rémunération devrait être assurée par la Caisse AT-MP ?

par Henri Pezerat
Toxicologue, Directeur de recherche honoraire au CNRS

Mars 2008

PS : Erreurs et omissions dans le titre du tableau 84
Après avis d’André Picot, spécialiste de la toxicité des solvants

Erreurs : diméthylacétamide et non dimétylacétamine
La diméthylsulfone n’a pas sa place dans un tableau consacré à des liquides. C’est un solide qui fond à 109° C

Problèmes d’écriture et omissions :
-  Sont inscrits séparément les éthers aliphatiques et les éthers de glycol. Ecrire : Ethers aliphatiques dont les éthers de glycol
-  De même écrire : Ethers cycliques dont le tétrahydrofurane et le 1-4 dioxane, ce dernier solvant oublié et pourtant dangereux
-  Idem. Ecrire : bases hétérocycliques azotés dont la pyridine et la quinoléine, ce dernier solvant, dangereux...oublié !
-  Idem. Ecrire : Amines aromatiques dont l’ortho toluidine et l’aniline, tous deux oubliés, bien que très dangereux
-  Pourquoi ne pas avoir également intégré l’hexaméthylphosphoramide, solvant cancérogène ?

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[1] Décret n° 2007-457 du 25 mars 2007, pour le tableau 84 ; Décret n° 2007-1083 du 10 juillet 2007, pour le tableau 12

[2] Circulaire C.I.R.-38/2007 du 28 août 2007, relative au nouveau tableau 12

Ecrit par libertad, à 13:25 dans la rubrique "Actualité".



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