Répondre à cette question est difficile, parce qu’elle renvoie à deux domaines complexes : la connaissance de l’Histoire et la place de l’Homme dans la « construction » de l’Histoire.
En
vérité, nous ne savons pas ce qu’est construire une alternative, c'est-à-dire
un passage radical d’un mode de production et de distribution des richesses, à
un autre et comment s’y prendre… mais nous refusons de nous l’avouer.
Si
l’on regarde l’Histoire, on ne peut que constater qu’il n’y a jamais eu de
stratégie véritable en vue d’une alternative à un système et ce pour une raison
simple : il n’y avait pas une connaissance de ce qu’est l’Histoire. Les actions entreprises tout
au long des siècles n’étaient, en terme d’action, que de simples opportunités…
y compris le passage l’Ancien Régime au capitalisme en Europe.
MECONNAISSANCE
DE L’HISTOIRE ET OPPORTUNISME POLITIQUE
La
tentative de compréhension de la dynamique des évènements historiques,
de la recherche d’une logique dans le déroulement de l’Histoire, d’essayer de
donner un sens à cette dernière, est tout à fait récente et peut-être
datée du 19e siècle. Démarche héritière du Siècle des Lumières,
elle se fonde sur la conception qui fait de l’Homme l’acteur de sa
propre Histoire.
De
fait, avant le 19e siècle, il n’y a aucune interprétation de
l’Histoire qui, si j’ose dire, est laissée entre les mains de Dieu. C’est Dieu,
ou les dieux, qui, pour nos ancêtres, fait/font l’Histoire. Conception, bien
sûr, défendue par les possesseurs du pouvoir et les tenants des religions.
Cette conception ayant l’avantage inestimable de prêcher, au sens propre, comme
au sens figuré, la pérennité du système existant.
La
plupart des changements politiques et sociaux, les vrais, ceux qui changent la
nature des rapports sociaux, pas les évènements montés en épingle par
l’Histoire officielle et qui n’ont vu que le triomphe d’arrivistes, assoiffés
du pouvoir, ces changements radicaux donc, permettant de passer d’un mode de
production à un autre, se sont fait sans plans, sans modèles, sans véritable
volonté fondée sur une « science de l’Histoire ». De ce point de vue
on peut dire, d’une certaine manière que l’Histoire s’est faite sans l’Homme-sujet,
acteur de son Histoire.
De
ce nouveau rôle, il a tout à apprendre et/ou à réapprendre, en ce début de 21e
siècle, il se doit impérativement de faire le bilan de ces presque deux siècles
d’erreurs.
Aujourd’hui,
et jusqu’à aujourd’hui, on peut dire que l’Homme a été incapable d’assumer ce
qu’il avait lui-même déclaré : être acteur de son Histoire. Il n’a
maîtrisé ni le progrès technique issu de son cerveau – voir les questions
d’environnement, les conditions de travail, -, ni l’organisation sociale qui
devait être fondée sur une éthique respectueuse de toutes et tous présents et à
venir,… et qui plus est fondée justement sur ce progrès technique.
Constat
excessif diront certains. Pas du tout,… regardez le bilan du 20e
siècle et ce que nous promet le 21e… et évaluez, l’efficacité et le
résultat des stratégies de changements au siècle dernier et celles qui,
aujourd’hui, existent.
Dans
le premier cas, tout a échoué,…citez une seule expérience de dépassement du
capitalisme qui ai réussi !...
Dans
le second, « on ne sait plus comment s’y prendre »… les
formations politiques qui ont la prétention de conduire le changement ne
ressortent mécaniquement que les vieilles formules qui ont fait faillite.
UN
FAUX DEPART
Dans
la foulée des progrès de la Science, du développement du Progrès technique et
scientifique, dans tous les domaines, des penseurs de l’Histoire, de l’Economie
et disons, des Sciences Morales et Politiques, ont élaboré des théories, voire
des « modèles scientifiques », ou déclarés comme tel, qui devaient
tracer une bonne fois (foi ?) pour toutes, la manière de s’y prendre,
d’agir, bref qui déterminaient la « juste stratégie » pour dépasser
définitivement, et sans retour possible, le système marchand dominant.
Alliant
la foi dans des valeurs proclamées et une rigueur « scientifique »
empruntée aux sciences exactes, leurs ouvrages sont devenus plus que des
ouvrages de références incontournables, mais carrément des textes sacrés,
dont les adeptes ne pouvaient souffrir, et ne peuvent souffrir, la moindre
critique – toute contestation étant considérée comme hérétique,
antiscientifique ( ?) et pour couronner le tout « petite
bourgeoise » ( ?).
La
stratégie politique qui sort victorieuse de ce débat d’idées et qui se fonde
sur un renversement radical du capitalisme par la classe la plus exploitée,
a dominé, et domine la pensée politique depuis plus d’un siècle. C’est elle qui
a inspiré, sous différentes formes, toutes les actions en vue d’une alternative
au 20e siècle.
Avec
le recul du temps, le bilan des analyses, prédications, et autres actions
entreprises, est totalement négatif : toutes les tentatives ont échoué,…
et pour celles qui avaient ouvert les plus grands espoirs, le retour en force
du capitalisme – en principe définitivement vaincu -, dans sa phase la plus
inhumaine, sonne le glas des théories qui les avaient fondé.
Malgré
cela, et en dépit de toute logique, aucune véritable leçon n’a été tirée et
n’est apparemment en passe de l’être, du moins de la part des organisations qui
croient avoir le privilège du changement… des noms ?.
Les
« théoriciens » et « stratèges », au lieu d’essayer de
comprendre « où est l’erreur ? »… préfèrent triturer les textes
sacrés pour leur faire justifier la situation présente et leur incapacité à
penser une stratégie.
Mythifiant
les expériences passées – et qui ont toutes échoué – ils les intègrent dans les
fastes de leur liturgie politique. … leur redonnant une vie non plus comme
exemple à suivre mais comme symboles de ce à quoi ils ont cru.
Le
constat de l’échec théorique et des pratiques n’a jamais été fait sérieusement,
il a été éludé au nom de la « mémoire » ( ?), du « respect
de celles et ceux qui ont lutté » ( ?), en fait au nom d’une
mythification quasi religieuse du passé. L’erreur commise et qui devrait être un facteur de progrès est devenue
une pièce de musée que l’on refuse d’examiner et qui peu à peu se recouvre de
poussière faisant disparaître ses formes.
La
démarche philosophique qui se voulait à l’origine, critique, a sombré
dans un intégrisme qui ne dit pas son nom mais qui révèle une pseudo pratique qui en dit long sur l’obscurantisme
de la pensée et l’impuissance qu’elle produit. La rhétorique radicale tenant
lieu de prêche incantatoire.
Incontestablement,
et aussi dur que cela puisse être à admettre, la problématique de l’alternative
– on n’employait pas ce mot à l’époque –posée dès le 19e siècle
a été fausse.
Fausse
dans ses prédictions : la classe ouvrière des pays industriels développés,
n’a jamais renversé le capitalisme.
Fausse
dans son application : dans les pays où cette théorie a été appliquée –
essentiellement dans des pays sous développés, c'est-à-dire en contradiction
avec la théorie – l’expérience s’est terminée dans un désastre économique,
social et politique – avec retour au capitalisme.
C’est
donc, à une révision radicale de la « dialectique de l’Histoire »
qu’il faut procéder, et cela sans réticence et sans tabou… au risque, dans le
cas contraire, à reproduire les mêmes erreurs et de se réduire à l’impuissance.
Mars 2008 Patrick
MIGNARD
Voir
aussi :
"MANIFESTE
POUR UNE ALTERNATIVE "