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John Holloway. : Révolution sans la révolution
--> BENSAÏD Daniel

Lu sur Europe solidaire sans frontières : "Professeur de sociologie à l’institut de Sciences humaines et sociales de l’université de Puebla (Mexique), John Holloway avait publié en collaboration avec Eloina Pelaez, Zapatista ! Reinventing revolution in Mexico (Pluto Press, London, 1998. Il s’est imposé comme une figures théoriques de l’altermondialisme avec la publication en 2002 de Change the World without taking Power (London, Pluto). Ce livre a eu écho important en Amérique latine et dans le monde anglo-saxon. On en retrouve la thématique notamment chez le sociologue uruguayen Raul Zibechi (La Genealogia de la Revuelta, La Plata, Letra libre, 2003), mais aussi chez Florence Aubenas et Miguel Benassayag, Résister c’est créer, Paris, La Découverte 2002.

S’il partage avec Tony Negri et les autonomistes italiens nombre de préoccupations et de références philosophiques (Deleuze et Foucault notamment), Holloway s’en distingue également par son refus de la grande généralisation théorique tentée par Michael Hardt et Tony Negri dans Empire et Multitude. Le revue ContreTemps a publié en français deux textes de John Holloway : Douze thèses sur l’anti-pouvoir (ContreTemps n°6, février 2003) et Conduis ton char et ta charrue sur l’ossuaire des morts (ContreTemps n°8, septembre 2003), ainsi que deux réponses critiques de Daniel Bensaïd dans ces mêmes numéros.


 Thèses
1. Viser plus haut. Retenant comme « nouveauté centrale » de l’expérience zapatiste, le « projet de changer le monde sans prendre le pouvoir », John Holloway récuse toutes les politiques gravitant autour de la question de l’Etat et d’assumer le « dépassement définitif de l’illusion étatiste » qui met l’Etat au centre du changement radical. La grande contribution zapatiste serait donc de « briser le lien entre révolution et contrôle de l’Etat », ou encore de « briser l’identification entre révolution et conquête de l’Etat ». Si les révolutions du XXe siècle ont échoué, ce n’est pas parce qu’elles visaient trop haut, mais parce qu’elles visaient « trop bas » : « leur conception de la révolution était trop limitée » [1].

2. Espérance. Nous ne pouvons plus nous contenter de penser à la vie après le capital. Nous devrions apprendre à la penser contre et au-delà du capital, car l’espérance est nichée dans la vie de tous les jours. L’héritage le plus triste du XXe siècle, c’est « la perte de l’espérance » : « Nous avons rétréci notre horizon et réduit nos attentes. » Mais il serait ridicule de s’accrocher au grand récit illusoire de l’émancipation. Il faut penser désormais en termes de récits particuliers, tels que le combat des femmes, des gays, de noirs, des indigènes, sans rêver à la lutte finale de l’humanité pour l’humanité. L’histoire nous a déçus. Vive donc le présent absolu, le cri au présent, libéré du poids de l’histoire et du souci de l’avenir. Crier « Non » est le premier mot d’une nouvelle grammaire de la révolte.

3. Histoire. « Crache sur l’histoire ! », car l’histoire est « la grande excuse pour ne pas penser ». Et « crache aussi sur le concept de stalinisme » qui nous dispense de nous critiquer nous-mêmes et nous sert à cacher notre propre culpabilité. « Il n’y a rien de plus réactionnaire que le culte du passé ». Cracher sur l’histoire pour s’en libérer, c’est faire du passé table rase.

4. Utopie. « Le problème n’est pas de détruire cette société, mais d’arrêter de la créer ». Si nous cessions de la produire, elle « cesserait d’exister » [2]. Il faut donc concevoir la révolution, non comme la destruction du capital, mais comme le refus de l’engendrer. C’est ce que résume le mot d’ordre jailli en 2001 en Argentine : « Que se vayan todos ! » (« Virons les tous ! »). Et c’est ce qu’illustrent les soulèvements de décembre 2001 en Argentine, d’octobre 2003 en Bolivie, du 1er janvier 1994 au Chiapas. Si la transformation de la société ne peut plus passer par l’Etat, il faut « chercher ailleurs ». Le refus de jouer le jeu de la reproduction du capital se traduit, comme pour Tony Negri, par une politique de l’exil et de l’exode : « S’évader du capital est vital pour nous. Lui échapper est « facile », le vrai problème, c’est de réussir la fuite et « d’éviter d’être repris » [3].

5. Aliénation. Sous le règne du capital, notre pouvoir créatif (ou « pouvoir de... ») est confisqué. Mais l’aliénation n’est pas un état, c’est un rapport et une lutte. Si on la comprend comme état de fait, la désaliénation devient une question pour l’avenir. Or, ce n’est pas une question pour demain ou après-demain. C’est la question de savoir, ici et maintenant, « comment nous vivons et comment nous luttons » [4]. C’est pourquoi, nous devons cesser tout de suite de contribuer à l’accumulation du capital, en développant « des niches de refus, de désobéissance, d’insubordination », en opposant « la valeur d’usage à la valeur d’échange ». C’est ainsi que peut se concevoir l’émancipation du faire contre le déjà fait, du flux contre la pétrification. Ce qui implique une notion du temps différente, « une grammaire différente, une intensité de vie différente [5] », en un mot une reconquête de notre créativité.

6. Autonomie. : « Nous avons raisonné avec une conception qui pose comme premier le développement capitaliste, et les travailleurs en second ». La force de la théorie autonomiste, qui revendique une « inversion copernicienne du marxisme » consiste au contraire à « partir du sujet, de la classe ouvrière : alors que le marxisme orthodoxe ferme l’horizon, la poussée autonomiste l’ouvre. Negri a tort cependant, de poser encore sujet et objet, Prolétariat et Capital, en extériorité réciproque. Il fonde ainsi l’autonomie sur « une base ontologique positive et sûre » incompatible avec la dialectique et le rôle du négatif. Pour lui, le moteur du processus historique est forcément positif (c’est la potentia - « pouvoir de... » - opposée à la potestas - « pouvoir sur... » ; le pouvoir constituant face au pouvoir étatique institué). Son modèle du militant communiste n’est autre que Saint François d’Assise. C’est « l’apogée répugnante de la pensée positive » : après le Parti, le Prolétariat, le Militant majuscules, l’image ressuscitée du Pur Sujet, incarnation du Bien absolu contre le mal absolue.

Or, « nous ne sommes pas un pur Sujet, ni Parti, ni Dieu, ni Saint François, mais plutôt Méphisto, l’esprit qui toujours nie. Car sujet et objet, prolétariat et capital, ne sont pas extérieurs l’un à l’autre, mais interdépendants, associés dans une étreinte indissoluble, mais asymétrique. Il s’agit « d’une relation de domination et de dépendance, dans laquelle la domination s’efforce sans cesse d’échapper à la dépendance ». C’est donc le prolétaire, ou l’esclave, qui a l’initiative, le maître se contentant de « fuir sans cesse sa dépendance envers lui » [6]. Le Capital ne saurait donc être le point de départ de la pensée révolutionnaire. Nous ne devons pas céder à son ordre du jour, accepter qu’il soit le seul sujet. Au contraire : il dépend de nous, qui sommes « les seuls créateurs ».

7. Espace. La subordination de l’agir à l’être détermine une spatialité spécifique. L’espace capitaliste est d’abord le résultat d’un travail de séparation et non de connexion. L’Etat retranché dans ses frontières est au centre de cette organisation spatiale. Ses citoyens forment un peuple d’êtres enfermés dans cet espace clos. La domination capitaliste se caractérise pourtant par un espace à deux dimensions : l’espace commandé par l’Etat, et l’espace global de domination du capital sur le travail. Ce sont deux formes antagoniques d’espace et de pouvoir : le flux sans frontières de l’activité sociale, d’une part ; et l’espace linéaire fragmenté de la domination capitaliste, de l’autre. Accepter, comme le fait Lénine dans sa théorie de l’impérialisme et dans son rêve d’indépendance nationale, le concept spatial capitaliste, c’est accepter la défaite avant même d’avoir livré bataille (N40). Le combat pour l’autre monde possible exige au contraire « une affirmation confiante de notre propre spatialité. »

8. Temps. Le capital prétend aussi imposer sa temporalité, celle d’un temps physique linéaire comme mesure abstraite universelle du travail et de la richesse. Quand la révolution prétend délimiter un avant d’un après, elle se soumet à cette temporalité linéaire. Il s’agit donc de « s’attaquer à la durée pour la démystifier » [7]. Le communisme n’apparaît plus alors comme une fin de l’histoire, mais comme une interruption de la continuité historique, un moment si intense « que le temps mécanique de l’horloge en est brisé. ». Il s’agit de se débarrasser de la dictature du réveille-matin, et plus généralement de refuser le calendrier dicté par le capital.

9. Pouvoir. « Nous voulons faire un monde nouveau, nous ne voulons pas prendre le pouvoir ». Mais où est le pouvoir ? Le capital prétend asservir « pouvoir de » (la capacité de faire) au « pouvoir sur » (la contrainte exercée), du faire au tout fait. « Qualitativement différent » du pouvoir du capital, « notre pouvoir est partout » [8]. Il est un « anti-pouvoir », car le terme de « contre-pouvoir » maintient la possibilité qu’il s’agisse d’un pouvoir symétrique encore à celui du capital. La crise du capital favorise-t-elle l’émergence de cet anti-pouvoir et de son espace autonome ? A cette question, « la réponse est probablement contradictoire » [9].

10. Etat. Etant donné que « toutes les tentatives de changer le monde par le moyen de l’Etat ont échoué », il est urgent d’inventer un marxisme anti-étatique. La conquête du pouvoir d’Etat débouche inéluctablement sur une politique bureaucratique, hiérarchique, aliénante, puisque « l’Etat est une forme d’organisation sociale qui s’oppose à l’autodétermination ». Il existe cependant de mauvais Etats, et d’autres pires encore, de mauvais gouvernements et de bien pires. Il est donc « inévitable que nous soyons impliqués par l’Etat, mais l’important est de ne pas reproduire à travers cette implication la logique et les formes d’organisation de l’Etat. » [10]. Le mouvement accéléré du capital tend à accroître, et non à réduire, le besoin de protéger les rapports sociaux capitalistes. C’est pourquoi « la déterritorialisation croissante s’accompagne d’une extension, et non d’une diminution, de l’étaticité » [11]. Il n’en demeure pas moins que le zapatisme dépasse « l’illusion étatiste ». Il part du présupposé que la transformation de la société ne saurait passer par l’Etat, car l’Etat n’est ni un lieu de pouvoir, ni une chose. C’est un processus de séparation permanente entre privé et public, national et étranger.

11. Propriété. La propriété n’est pas une chose, « le procès quotidiennement répété d’appropriation du produit de notre faire », la transformation en chose (la chosification) du produit de notre action. Elle est la limite imposée à notre autodétermination. Comment, dès lors, aller de l’avant ? « Possiblement, en défétichisant la propriété [12]. »

12. Révolution. L’apport des zapatistes, c’est d’avoir « brisé le rapport entre la révolution et le contrôle de l’Etat ». Ce ne sont pas pour autant des « réformistes armés », car « le cheminement lui-même est la révolution ; la dignité elle-même est la révolution » [13]. Si ce mot de révolution semble démodé, il n’en demeure pas moins important. Certes, Marcos a pu dire que les zapatistes étaient des rebelles et non des révolutionnaires, et il a pu critiquer à juste titre « le vieux concept de révolution », « l’idée de prise du pouvoir ». Pourtant, « révolte et rébellion ne peuvent subsister sans aboutir à la révolution ». Forcer tel ou tel président à démissionner, c’est bien ; mais c’est insuffisant. La Révolution n’est donc pas synonyme de prise du pouvoir. Elle signifie un accès direct à la socialité du faire, enracinée dans la vie quotidienne, dans l’amitié, la solidarité, l’amour, et dans des milliers de formes coopératives.

13. Stratégie. « Nous devons admettre que nous n’avons pas de réponse ». Nous avançons en nous interrogeant (« preguntando caminamos »). Nous devons cependant être impatients. Car le procès de destruction de l’humanité va vite. Dire « Non », refuser, c’est exprimer une impatience, une volonté de « briser le temps » et de « briser l’histoire » [14]. Mais les zapatistes disent aussi : « Ne courrons pas, marchons, car nous allons loin ». Il s’agit de construire une temporalité alternative. Ce qui est décisif désormais, ce n’est plus « la confrontation, mais la construction de notre propre monde » [15]. Nous devons prendre l’initiative, dicter notre agenda au capital : « Nous ne pouvons pas être autonomes dans une société capitaliste », mais nous pouvons « pousser l’autonomie le plus loin possible ».

Si nous concevons le rapport entre l’Etat et le Capital comme un rapport entre le Capital global (la société globale) et l’Etat national, alors les Etats ne sont plus la clef de voûte du système comme le supposaient les théories stato-centrées, celle révolutionnaire de Rosa Luxemburg, comme celle réformiste d’Edouard Bernstein. Une grève de masse globale anéantirait la domination du capital, mais les conditions d’une telle grève n’existent pas. La seule façon de concevoir la révolution, c’est donc « pour le moment » en termes de « fissures », où le capital ne règne plus, qui se propagent dans l’édifice social. Il est difficile d’imaginer une pratique émancipée autrement que sous des formes « interstitielles », de résistance à l’aliénation du travail et d’efforts pour lier ces expériences différentes « dans-contre-au-delà du capital » [16].

14. Parti. Le cri des zapatistes, « Ya basta ! » (« Maintenant, ça suffit ! ») ne s’adresse pas seulement au Capital, mais aussi à toute une gauche aliénée et aliénante. Il signifie aussi bien le rejet du réformisme étatiste, que celui de l’avant-gardisme révolutionnaire. C’est ce que signifie le mot d’ordre dialectique du « mandar obedeciendo » (« diriger en obéissant »). Il s’agit donc de rejeter les variantes de la forme parti au profit d’un conseillisme ressuscité ; de privilégier l’horizontal (le rhizome, le réseau), au détriment du vertical. De renouer des liens communautaires à partir de toutes sortes d’expériences : centres sociaux, cafés alternatifs, regroupements affinitaires informels. Ainsi, derrière le fameux passe-montagne qui protège l’anonymat, les zapatistes, ce n’est pas « eux », mais « nous », nous tous.

15. Transition. « Il est courant de prétendre que la transition du capitalisme au communisme, à la différence de ce qui s’est passé entre féodalisme et capitalisme, ne peut pas être interstitielle, et que le communisme ne peut pas croître dans le cadre du capitalisme ». La représentation de la révolution comme un Grand Evénement » et celle du Parti comme le guide de ce Grand Evénement en découlent. Nous ne pouvons pas imposer au capital de disparaître simplement en nous emparant du pouvoir d’Etat, que ce soit par la voie parlementaire ou par la violence. Le cri « Que se vayan todos ! » doit conduire à la construction de formes de sociabilité alternatives. Renverser le règne du capital, c’est cela : développer des formes alternatives de relations sociales », car toute confrontation directe nous forcerait à « adopter des formes de rapports inhérentes au capital » et à nous couler dans « l’image inversée de notre ennemi ». Rien ne ressemble plus à une armée qu’une autre armée.

16. Démocratie. La montée de l’abstentionnisme électoral révèle la crise de la représentation. Il existe en effet deux conceptions de la démocratie : celle des dominants et celle de la résistance. La représentation exclut au lieu d’inclure. Elle produit un monde politique coupé de la vie quotidienne. Elle est partie prenante du procès général de séparation capitaliste qui atomise les individus et coupe les représentants de représentés. Ce ne sont donc pas les dirigeants qui trahissent, comme on l’entend souvent : « La trahison, c’est la forme électorale elle-même. [17] » Peut-on éviter tout contact avec la forme représentative ? Certainement pas, mais il importe de ne pas confondre formes de domination et formes de résistance. Elles sont inconciliables : « Notre démocratie ne peut être conçue comme partie prenante de l’Etat, car elle est la dissolution même de l’Etat [18]. » Le mérite des zapatistes, c’est d’avoir dit clairement dès le début que « le but de l’armée, c’est de disparaître. »

Pour lire les antithèses de Daniel Bensaïd cliquer ici

Ecrit par libertad, à 13:01 dans la rubrique "Pour comprendre".



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