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L'En Dehors


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Une institution... renversante
La Chesnaie est une clinique psychiatrique, en milieu ouvert, accueillant une centaine d'hommes et femmes de tous âges, venant principalement des centres urbains. La méthode de soins, de vie, qui y est pratiquée la rend originale et radicale dans le monde de la santé mentale et riche d'enseignements pour le monde dit normal, soulignant justement l'aspect contestable, schématique voire perméable de la frontière qui les séparerait.

Le choc de la Seconde Guerre mondiale, avec ses pratiques eugénistes nazies... mais aussi françaises (1), a certainement déclenché l'apparition de théories et pratiques variées dans les milieux de la psychiatrie. Différentes écoles, issues des courants humanistes et progressistes de la psychanalyse, se virent renforcées par les apports actifs d'intellectuels et d'artistes, par la radicalité des militant-e-s de la Résistance, et tentèrent de combattre les nombreuses formes d'enfermement et d'élimination, de prendre à bras le corps la détresse mais aussi les qualités des "fous". À la sortie du camp de concentration français où l'avait conduit son statut de réfugié, François Tosquelles (1912-1994), psychiatre catalan et ancien responsable des services de santé mentale de l'armée républicaine espagnole durant la guerre civile, rejoint en 1940 l'hôpital de Saint-Alban (Lozère) où il va poursuivre sa pratique psychiatrique innovante.
Ehepital de Saint-Alban devient alors un lieu d'effervescence - d'élaboration entre autres de la psychothérapie institutionnelle - où passeront les psychiatres Lucien Bonnafé, jean Aymé, Roger Gentis, Hélène Chaigneau ou jean Oury qui y est interne en 1947 (2). Jacques Lacan, les philosophes Gilles Deleuze et Georges Ganguilhem, Antonin Artaud, Tristan Tzara, jean Dubuffet, Paul Eluard, d'autres surréalistes..., tous y apportèrent leurs talents et firent preuve d'intérêt et de curiosité (3).
En mars 1953, Jean Oury était médecin chef à Saumery, à l'époque le seul hôpital psychiatrique du Loir-et-Cher. Alors que l'administration reste sourde à ses demandes de travaux de réaménagement, le psychiatre, décidé à partir, refuse d'abandonner la direction de la clinique à son remplaçant insensible et buté. Après avoir averti le Conseil de l'ordre des médecins, son équipe et lui partent à pied sur les routes du département avec trente trois grands malades qui peuvent marcher. D'hôtels en maternité, parfois accueillis et aidés par l'habitant, ils errent pendant deux semaines et finissent par
trouver le vieux château en ruine de La Borde, à Cour Cheverny. Ma guide, Réjane - monitrice (4) - qui est venue à La Chesnaie il y a plus de 3 ans pour découvrir concrètement la prise en charge institutionnelle, connaît cette histoire fondatrice : "Les malades et les médecins, ensemble, expérimentèrent le troc à Saint Alban. Lu, comme plus tard, ils s'apercevront que `les fous' sont moins malades car leur place leur donne des responsabilités".
Réjane, ayant entendu parler de la psychiatrie institutionnelle au cours de ses études, a aussi écouté des ami-e-s qui y furent stagiaires et a volontairement choisi la clinique La Chesnaie, de Chailles. "Ici, tout se passe autour de la rencontre" commence-t-elle.

Par delà théories et pratiques, la vie

La Chesnaie est l'une des rares cliniques institutionnelles en France. Pour des raisons historiques, mais aussi d'amitié entre leurs directeurs, elles sont concentrées en région Centre, avec la clinique de Saumery, celle de la Borde (à Cour Cheverny) et la clinique de Freschines. Seul le Centre psychothérapique de Saint-Martin de Vignogoul est dans l'Hérault.
Ce qui frappe dès l'approche de cette clinique ouverte en juillet 1956, c'est l'absence des signes fabriqués et extérieurs... de la maladie mentale. Pas de signalétique aperçue en venant (croix rouge ou autres) mais de discrets panneaux conduisant, comme à une simple ferme, vers ce château et ses bâtiments hétéroclites cachés dans la forêt de Russy. Une fois arrivé, pas de murs, de grilles ou d'enceinte, ni de blouses blanches. "Soigner les gens sans soigner l'hôpital, c'est de l'imposture" écrit justement le psychiatre jean Oury. Il ne s'agit surtout pas de détruire l'institution ou de donner, comme avec l'ami-psychiatrie, à la seule société et à ses structures d'organisation sociale la responsabilité de fabriquer des fous mais bien de rendre ce système humain, vivant, libre et autogéré pour que l'essentielle médiation par la parole et la responsabilité curative par l'action, soient encouragées, et la singularité de chacun-e respectée.
"l'institution n'est pas indemne de créer elle-même ses propres enfermements. Soigner l'institution n'est pas plus une figure de style qu'un luxe. C'est une obligation, la condition pour s'autoriser à s'occuper des affaires des autres" précise encore le docteur Jean-Louis Place, actuel directeur de La Chesnaie (5). Ainsi, cette absence de différenciation par l'uniforme, de définition par le grade rejoint la lutte contre les marquages sinueux qui imposent les masques, fixent les rôles, attribuent les territoires et finalement enferment les soignés comme les soignants dans des relations qui "stigmatisent" les premiers et "insensibilisent" les seconds. Cela rend au moins visible voire ne serait-ce que possible ces tentatives - heureusement vaines car toujours à recommencer vers l'égalité et l'échange entre soignants et soignés.
Quatre-vingts personnes, comprenant les techniciens et les personnels associatifs, sont rassemblées dans l'effectif global des soignants. Seuls la pharmacie (contrainte légale), le secrétariat, le bureau du médecin (confidentialité) et la cuisine (risques de fringale !) sont fermés. Les pensionnaires disent juste où ils vont avant de vadrouiller dans les lieux ou de se promener alentour. "L'institution n'a pas de limite géographique ; ce sont les personnes qui travaillent et qui se soignent ensemble qui la constituent à la condition que ces personnes se causent, fassent cause commune". Un service dit de suite maintient les contacts avec les anciens pensionnaires et s'intéresse à leur devenir.
Lors de rencontres, de réunions ou de fêtes, les vieux soignants et les vieux pensionnaires transmettent la mémoire et l'esprit du lieu. C'est ainsi la limite du temps qui est repoussée. Le lien entre les espaces, les passerelles entre les mondes, l'ouverture vers l'intérieur comme le ressourcement de l'extérieur (et inversement), la libre circulation des corps permettant l'éclosion de l'agir et le déroulement de la parole sont à harmoniser afin de garantir aussi un espace de protection et de reconstruction.
Beaucoup de tâches sont tournantes. Tous les quatre mois, sur la base du volontariat, les habitant-e-s de La Chesnaie permutent les responsabilités.
Les soignés participent à l'élaboration artistique de la saison du Boissier, ce Club de la Chesnaie qui est une salle de spectacles de 140 places reconnue scène nationale et régionale. Et cette participation volontaire concerne tout autant l'accueil et le bar, la technique (son, lumière, balances) que l'affichage en ville et dans les environs. Le bureau exécutif du Club comprend à parité des soignants et des soignés. Les ateliers, les choix de voyages et d'activités, la cantine vivent aussi cette rotation et cette orientation collectives. Et n'oublions pas "le remplacement d'un chef du personnel par des commissions élues démocratiquement responsables de l'embauche et de la gestion de l'emploi du temps, l'importance que représente 1a liberté de paroles dans les réunions, l'existence de réunions de constellation où la situation d'un pensionnaire peut être abordée par un groupe de soignants ou parfois par un groupe mixte de soignants et de soignés (invités par le/Ia pensionnaire concernée) ". Soulignons enfin que tout cela est non seulement soignant mais offre encore, à tous, une formation riche et permanente.

Le banal et l'extraordinaire

Avant de visiter les lieux, nous avons discuté longtemps avec Réjane dans Le Restaurant du Train Vert, l'un de ces anciens wagons SNCF aménagés. Ils constituent un des satellites, un des espaces particuliers formant la mosaïque d'abris, le puzzle d'habitats et de champs sociaux qui constituent la clinique de la Chesnaie, pas loin de Chailles. Superposés, entrecroisés, organisés comme un chevauchement perpendiculaire d'allumettes, un mikado à la fois aléatoire et précis, cette construction a été élevée entre 1979 et 1984 par l'architecte Boiscuyer (directeur à l'époque de l'école d'architecture Paris-Montparnasse), ses étudiants et les habitants de la clinique (soignants et soignés). Le Club de la Chesnaie, dit Le Boissier, fut construit en 1976, en suivant des principes communs et tout à fait différents. Plus "baroque", il introduit aussi des matériaux usagés (jantes de camions formant des piliers) et organise nombre de recoins ; autant de refuges, d'alcôves, de nids et de points de vue. Ces bâtiments sont classés monuments historiques. Cette description des architectures accompagne et résonne avec ces mots d'une soignante, croisée rapidement à l'accueil : "Ici, on travaille sur les symptômes. On accueille de tout, il n'y a pas de spécialisation et de plan fixe pour le traitement standard de telle ou telle maladie. Il faut sortir du schéma des deux grandes familles pathologiques type, les psychotiques et les névrotiques" (6).
Les wagons, c'est un restaurant. "Il y a dix pensionnaires en contrat qui se sont engagés volontairement à faire fonctionner le resto. Le restaurant est signalé dans les environs, les convives sont du lieu et de l'extérieur, il y a aussi les artistes en résidence. Il est ouvert les soirs de concert au Boissier, tous les midis de la semaine et pour les rencontres du lundi" m'explique Réjane. D'autres wagons sont des logements pour les moniteurs, pour les résidences d'artistes ou leur hébergement. "Pas loin du restaurant, il y a une salle de réunion qui est prêtée gratuitement aux associations de Blois, à des éducateurs de rue, par exemple ou d'ailleurs, une amicale d'anciens ou une petite asso de Chailles" complète-t-elle.
Au Boissier, les concerts et spectacles programmée par le Club de la Chesnaie sont de grands moments institutionnels (dit-elle) où des gens de l'extérieur et de l'intérieur sont rassemblés autour des artistes (7). Cette imbrication du médical et du social, cette toile d'arts et de travaux, ces liens entre l'humain et l'environnement (naturel ou architectural) précise encore les transversalités recherchées pour que l'institution - la société - soit un organisme vivant. "Le traitement consiste à transformer la pyramide en une forme asymétrique, non visualisable globalement, en une forme constituée par des scènes où les acteurs changent de statut et de prérogative, des espaces où par l'intermédiaire du jeu démocratique, le pouvoir se délègue (...) des espaces non techniques où sont présents les soignants, ou non médicalisés où sont présents les patients (... ) ".
EEpic (École de psychiatrie institutionnelle de la Chesnaie) est une association loi 1901 créée sur place en 1971. Forte d'une centaine d'adhérents, internes ou externes à la clinique, elle permet la formation et le perfectionnement du personnel, publie une revue et organise rencontres, colloques et débats. Chaque lundi soir, de 21h à 23h00, se déroule le séminaire de l'Epic (entrée et participation gratuites, adhésion de 5 à 75 € pour l'année). La programmation est éclectique, la production de textes par ses membres y est encouragée.
Et on trouve à la Chesnaie bien d'autres choses encore ! La crèche Petit à Petit, créée en 1988 et fonctionnant depuis 1990, s'adresse aux parents salariés de la clinique et aux parents d'enfants des communes avoisinantes. La crèche parentale reçoit des enfants à partir de la fin du congé postnatal et jusqu'à trois ans (7 places). Une halte-garderie accueille des enfants de 2 mois 1/2 à 5 ans (3 places). La confection des repas est assurée par l'association Le train vert.
Et puis les associations Aux berges du Beuvron ou Le chêne et la rose qui se définit comme une "petite association fantaisiste et paresseuse qui se donne pour objet
célébrer la beauté des choses qui poussent sur la terre, dont le plus bel arbre, le chêne, et la plus belle fleur, la rose". Celle-ci a contribué à la création d'une roseraie et organise "quand ça lui prend" les Automnales de la Chesnaie. Il y a une AMAP (8) qui se met en place mais qui n'est pas reliée au reste de cette... institution.
"Accepter de s'interroger sur les procédures d'enfermement et leur conséquence est un véritable travail de recherche active. (...) C'est un acte politique car la dimension de citoyenneté, de démocratie, de responsabilité collective et individuelle est toujours présente. Nous faisons l'hypothèse que la clinique de la Chesnaie, comme quelques autres qui se sont regroupées dans l'association EPPI, représente une certaine idée du soin qui dépasse le domaine de la santé et s'adresse à une certaine idée de la chose publique, mais ce n'est qu'une hypothèse de travail !"

MaB

Clinique de Chailles, la Chesnaie, 41120 Chailles, tel : 02 54 79 48 27, wwwchesnaie.com

(1) Le Français Alexis Carrel, prix Nobel de médecine en 1912, est l' auteur d'un livre qui eut un rayonnement considérable, Lhomme, cet inconnu publié en 1935, où il affirmait que "les maladies de l'esprit deviennent menaçantes. Elles sont plus dangereuses que la tuberculose, le cancer (...). Le danger ne vient pas seulement de ce qu'elles augmentent le nombre de criminels. Mais surtout de ce qu'elles détériorent de plus en plus les coûts des prisons et des asiles d'aliénés, de la protection du public contre les bandits et les fous (...) Un effort naïf est fait par les nations civilisées pour la conservation d'êtres inutiles et nuisibles". Lire Le Train des fous, Pierre Durand, préface de Lucien Bonnafé, Editions Syllepse, Paris, 2001, "roman" sur l'asile psychiatrique de Clermont-de-l'Oise pendant la guerre 1939-45.
(2) Son frère, Fernand Oury, sera un des principaux acteurs de la Pédagogie institutionnelle, une théorie pratique éducative, combinée avec la psychanalyse, "proche" de celle de Freinet.
(3)Sur la pertinence et la vivacité de cet héritage, lire "hart en difficultés : Psychiatrie, prisons, quelles actions artistiques ?" Cassandre/Horschamp, 278 p., Paris , 2007.
(4)Un petit lexique institutionnel e Moniteur/trice est une dénomination qui rassetr personnel médical et associatif, on parle de soif et de soignés et la petite communauté s'interpell vent par les prénoms.
(5)Extrait d'un texte clair et instructif du Place remis à la fin de notre rapide entrevue. les citations sans mention en sont tirées.
(6)Psychotique (contact altéré avec la réalité) et névrotiques (contact conservé). Des schizophrénies, des psychoses maniaco-dépressives, des dépressions, des phobies... frappent les pensionnaires de La Chesnaie.
(7)Tel le sensible et formidable musicien - l'insoumis et militant anticolonialiste aussi -, Daniel Waro qui se réapproprie le maloya, musique aux origines africaine, malgache et indienne interdite par les colons. Batarsité chez Pires, J.-L. Rosely, 190, chemin Morin, 97440 Saint-André, Ile de la Réunion.
(8)AMAP : association pour le maintien de l'agriculture paysanne, voir présentation dans S!lence n°342, janvier 2007.

S!lence #348 été 2007
Ecrit par libertad, à 16:48 dans la rubrique "Pour comprendre".



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