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Pourquoi je n’ai pas participé aux manifestations contre les premiers champs d’OGM en Ardèche
Lu sur Rebellyon : "Cela devait arriver tôt ou tard : les OGM arrivent en Ardèche. La machine militante se met en route : toute une série de manifestations a ainsi été organisée par les militants anti-OGM locaux. Tout un chacun est donc placé au pied du mur car maintenant, il faut choisir. J’ai décidé de ne pa s participer aux manifestations organisées par le collectif anti-OGM. Ce n’est pas de gaieté de cœur et le doute m’assaille toujours. La possibilité de faire une erreur, de me tromper, me fait trembler au regard de la taille de l’enjeu.
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Le point de vue ici présenté va certainement paraître rude à certains. Mais il ne s’agit plus de convaincre qui que ce soit en essayant d’être diplomate. Nous ne sommes pas au supermarché des idées. L’analyse ne peut pas s’accommoder de ces stratégies de boutiquiers qui essayent de ménager la chèvre et le chou pour ne choquer personne. Nous n’en sommes malheureusement plus là : l’irréparable est en train d’être commis. Il faudra bien que tôt ou tard, les pseudo-citoyens de notre régime oligarchique [1] acceptent d’écouter des idées qui leur déplaisent et de considérer que ce n’est pas parce qu’elles leur déplaisent qu’elles sont fausses.

En tant qu’ancien militant écologiste et ancien salarié de la FRAPNA (Fédération Rhône-Alpes de Protection de la Nature) , ce texte sonne aussi comme une auto-critique. Je vais beaucoup utiliser le terme de petite-bourgeoisie. Je sais que cette expression hérisse de nombreuses personnes. Elle est effectivement problématique. Mais comment caractériser cette classe urbanisée au comportement si particulier ? “ Classe moyenne” est gênant dans la mesure où le processus d’embourgeoisement du monde passe à la trappe. Or c’est justement la base du problème. Nous utiliserons donc petite-bourgeoisie.

Alors pourquoi ne suis-je pas allé aux manifestations anti-OGM organisées du 24 au 26 juillet [2] ? Parce que je sens que ce combat ainsi mené fait le lit de la technonature [3] que la mégamachine industrialo-étatique est en train d’installer sur la planète. Parce que je sens que sous couvert de traiter l’urgence à court terme, on sacrifie le long terme. Parce que je sens que les catégories de la domination sont présentes au sein même de ces luttes. Parce que les organisations qui prétendent s’opposer à la transgénèse dans le cadre du collectif anti-OGM participent par ailleurs au mouvement d’artificialisation du monde promu par l’élite, montrant par là que les enjeux globaux sont mal compris, ou plutôt que les logiques de classes dépassent les conclusions de leurs réflexions parcellisées.

La novlangue communicationnelle

Tout dans le mouvement anti-OGM tel qu’il s’est organisé en Ardèche à cette occasion montre que les enjeux de notre époque ne sont pas compris. Quel meilleur exemple de cela que le tract diffusé par les anti-OGM ! D’ailleurs, ça ne m’étonnerait pas que, vu où en sont les choses, cette appellation d’ « anti-OGM » soit condamnée car pas assez « communicationnelle ». Dans la novlangue de ceux qui ont choisi le jeu médiatique, il ne faut jamais s’opposer. Ce tract donc s’intitule : « Marche pour défendre la qualité du territoire ardéchois ». Ce seul titre annonce l’ampleur du décervelage de notre époque : mélange de vocabulaire commercial (« défendre la qualité ») et des concepts de la géographie [4] (« territoire ardéchois ». Le terme territoire signifie terre fonctionnalisée), le tout tenant sous l’égide de la pensée positive.

Prenons les mots au sérieux. L’expression « qualité du territoire ardéchois » renvoie à l’idée de produit, comme le confirme la présence d’entreprises dans le mouvement de contestation, entreprises ayant fait le choix d’une démarche « qualité » pour leurs produits. La terre est donc jugée à l’aune de ses productions marchandisées. L’association du mot territoire à l’idée de produit est tout à fait cohérente avec le projet politique sous-jacent à la gouvernance [5] : la marchandisation généralisée de l’espace fonctionnalisé. Ainsi, il ne s’agit pas de s’opposer à l’imposition d’une technonature exploitable par les entreprises mais de défendre une certaine idée de la marchandisation des terres, marchandisation qui, dans le cas de l’Ardèche, se veut respectueuse de la nature.

L’alternative pour les militants se résume comme suit : d’un coté les entreprises, avec Limagrain et son maïs transgénique, de l’autre, les entreprises avec "Régal Viande" ou encore "Gouttez l’Ardèche" qui sont des labels soutenus par l’industrie touristique (celle-là même qui met à sac l’Ardèche en détruisant l’environnement et en exploitant jusqu’au trognon une main d’œuvre souvent jeune et ignorante de la situation comme de ses propres droits), le Parc naturel régional des monts d’Ardèche qui est une structure de gouvernance locale, ou encore la Chambre de commerce et d’industrie de l’Ardèche méridionale.

Nous nous trouvons face à une critique appauvrie des OGM dans la mesure où la question de la transgénèse n’est visiblement pas réfléchie dans le mouvement global d’artificialisation de la vie qu’entraînent les mutations du capitalisme dans les sociétés bourgeoises. Le message qui est implicitement passé dans le mouvement anti-OGM de cet été en Ardèche est que les entreprises ne sont pas le problème en elles-mêmes mais bien plutôt que le problème tient à certaines entreprises peu respectueuses de ce qui serait un développement sain. Il y a là une suite logique de la stratégie étatique consistant, à travers la gouvernance, à transformer les institutions et le monde sur le modèle de la structure des entreprises.

Grosz - Les piliers de la société (1926)La question de la transgénèse est totalement liée à celle qu’il est de bon ton de nier actuellement, en particulier dans les associations écologistes, toutes spécialisées qu’elles sont dans les questions environnementales : la question de la guerre sociale (certains diraient lutte des classes mais n’y a-t-il pas lutte uniquement lorsque les adversaires savent de quoi il retourne ? Or actuellement, en particulier dans les associations qui se sont appropriées le terme d’écologistes, cette conscience n’existe pas.), inséparable des enjeux écologiques. La mise en place d’une technonature exploitable n’est qu’un pas supplémentaire dans l’exploitation totale du monde par une élite dominant les peuples. Il est absolument ahurissant de constater qu’alors que la société française et le monde en général font face aux plus grandes inégalités de richesse de l’histoire de l’humanité, l’idée de la fin des classes sociales est désormais confortablement installée dans les esprits. Mais les faits sont têtus : malgré le refus des écologistes (entre autres) de considérer que nous sommes dans une société de classe, les logiques de classes restent à l’œuvre. Un détour par la pensée de Pierre Bourdieu s’avère nécessaire tant elle a renouvelé de manière fondamentale l’approche marxiste des classes sociales à travers le prisme de la distinction.

La distinction

Le fait est que l’analyse bourdieusienne n’est pas tendre avec la petite-bourgeoisie et ses émanations que sont les associations [6]. Le terrain politique est idéal pour observer sa soumission éthique aux valeurs de la classe dominante, trahissant par là le sentiment typiquement petit-bourgeois de ne pas être reconnu à sa juste valeur. Ainsi, la stratégie qui consiste à retourner contre l’ordre établi les principes même de cet ordre ne sonne-t-elle pas comme une reconnaissance implicite de ces derniers ? La dénonciation de l’hypocrisie, « source de tous les scandales », qui empêche la réalisation de ces principes en toute honnêteté dénote le perpétuel regret du petit-bourgeois de ne pas voir ses propres luttes reconnues comme elles le mériteraient.

Mais il ne faut pas croire que la crainte de perdre ses acquis en essayant d’obtenir ce qui lui a été promis, en particulier à travers le système scolaire, rend complètement compte des stratégies revendicatives mises en œuvre par la petite-bourgeoisie des associations ou des partis politiques. Aux moyens traditionnels de la lutte ouvrière (la grève ou la manifestation) que la petite-bourgeoisie n’envisage qu’en dernier recours, quand la coupe est pleine, sont préférées les stratégies symboliques de l’information, de la sensibilisation, de l’éducation, signifiant par là qu’elle est une classe éclairée pouvant se placer en position d’émetteur de savoir. Cette place auto-attribuée de pédagogue permet d’établir un rapport de domination morale qui trouve sa source au plus profond de l’intérêt de classe petit-bourgeois dans le sens où la conscientisation va être le moyen rêvé de réformer la société sans en toucher les fondements. Il est particulièrement intéressant de revisiter les discours de classe tels que l’éducation à l’environnement, le recyclage des déchets, les petits gestes quotidiens qui vont sauver la planète, ou encore la non-violence, avec l’équipement théorique bourdieusien.

Il faut cependant se garder de moquer l’inculture contenue dans la croyance forcenée au pouvoir magique de la conscientisation alors qu’elle n’a évidement aucune chance d’advenir dans une société de masse. Les effets en sont bien réels, bien qu’ils ne soient pas ceux annoncés. Aussi les associations, regroupement typiquement urbain et petit-bourgeois spécialisé dans une cause, sont-elles le lieu d’une véritable débauche d’énergie qui ne se justifie que par elle-même puisque la petite-bourgeoisie est en état de totale impuissance politique. Les frustrations dues à cette impuissance sont contrebalancées par des compensations en prestige ou en salaires. Ces luttes de classement sont soutenues par l’idéologie charismatique qui personnifie des problèmes structurels ou des actions collectives, comme nous allons le voir plus loin. Conséquence directe : dans les associations, comme dans les partis ou le monde du travail, les rapports humains se dégradent, l’amitié fait place à l’engueulade et à la rancœur. L’énergie ainsi gaspillée laisse indemne les causes de la gigantesque tragédie que nous vivons. C’est dans ce cadre d’impuissance politique qu’il faut comprendre la théorie bourdieusienne :

« L’action strictement “désintéressée”, “propre”, “digne”, franche de toutes les “compromissions” de la “politique”, est en effet la condition de la réussite de l’entreprise d’institutionnalisation, la forme la plus accomplie de reconnaissance sociale, que poursuivent plus ou moins secrètement toutes les associations, mouvements petits-bourgeois par excellence qui, à la différence des partis, procurent les profits de dignité et de respectabilité des entreprises "d’intérêt général", tout en promettant de satisfaire, de manière tout à fait directe, les intérêt particuliers. » [7]

Cet aspect de la théorie bourdieusienne pose la question des fondements mêmes de l’être petit-bourgeois. Ainsi, les petits-bourgeois sont-ils condamnés à développer une critique de la critique qui leur permettra de supporter psychologiquement l’énonciation des contradictions au sein desquelles leur impuissance politique les confine. Évidemment, il ne s’agit pas pour eux de critiquer la critique dans l’idée d’en permettre l’approfondissement mais bien plutôt pour y mettre un terme et trouver l’apaisement. Ceci est tout à fait dans l’ordre des choses et nous rappelle avec force que nous évoluons dans une société de classe : en son sein, les logiques de classe sont plus fortes que l’esprit critique.

Décervelage politique

Revenons à présent au tract et à son en-tête « Marche pour défendre la qualité du territoire ardéchois ». Ce titre et la participation des entreprises ardéchoises ne nous indiquent-ils pas, en accord avec la théorie bourdieusienne, que les valeurs de la classe dominante sont acceptées ? Ne nous indique-t-il pas que la structure principale dans laquelle est contenue l’action dans la société bourgeoise – l’entreprise qui, par l’intermédiaire de la gouvernance, est en train de donner sa forme aux institutions politiques – l’a emporté en tant que structure légitime apte à activer la population transformée, de fait, en main d’œuvre exploitée ? Ne nous indique-t-il pas que l’œuvre de monétarisation des différentes sphères de la vie est acceptée ? Les petits-bourgeois des mouvements associatif, politique et syndical ne tentent-ils pas, par là, d’utiliser les valeurs marchandes de la société bourgeoise contre elle-même en essayant de montrer que l’Ardèche ne peut s’en sortir qu’en étant un territoire de qualité ?

Le collectif anti-OGM ardéchois a également souvent évoqué un « déni de démocratie ». Les principes de l’ordre établi (c’est-à-dire la démocratie, la république, et tout ce genre d’âneries dont les chefs du collectif ne connaissent pas le sens [8]) seraient donc mal appliqués ? Le schéma bourdieusien présenté plus haut n’en semble que plus juste. Sont ainsi acceptées les valeurs bourgeoises à la base de la marchandisation du monde.

Les termes du tract, et la forme de l’action, sont justifiés par les membres du collectif anti-OGM par deux arguments : impliquer les politiciens et contrer la stratégie du pourvoir central consistant à diviser les agriculteurs. Louable intention, certes, sauf que là encore, les enjeux globaux ne sont pas compris, comme nous allons le voir.

Modernité, petite-bourgeoisie et acculturation

Essayons de comprendre en quoi ce tract et la stratégie qu’il sert sont emblématiques du devenir de l’écologie. Comment les enjeux globaux liés aux OGM pourraient-ils être compris quand certains membres du collectifs, tel la FRAPNA, les Verts ou la Confédération Paysanne (quoique son cas soit plus compliqué que les deux autres qui sont vraiment des caricatures), ont fait le choix de la collaboration avec le pouvoir central ? Une nouvelle fois, les logiques de classes sont plus fortes que la réflexion et la position de classe des petits-bourgeois de la FRAPNA, par exemple, qui gagnent des salaires et/ou du prestige en participant à l’inacceptable (en accompagnant l’urbanisation des paysage et des modes de vie), et qui ne peuvent donc pas remettre en cause les bases même du système qui les fait vivre et sur lequel leur propre mode de vie et de pensée est basé.

C’est à cette aune qu’il faut analyser la volonté de réunir les agriculteurs avec un slogan et de faire participer les entreprises à l’action militante. Est ainsi oublié le fait que le fossé qui s’est creusé entre les agriculteurs et les militants est dû à un système qui désorganise et dépossède les premiers tout en créant une population acculturée par l’urbanisation dont sont issus la plupart des seconds. Le capitalisme a mis un terme à la société paysanne composée de petites unités de production autonomes pour transformer la population en main d’œuvre dépossédée. C’est de ce mouvement de dépossession et d’exploitation que naissent la petite-bourgeoisie, la société de masse et le totalitarisme. Nous sommes au cœur du problème de la Modernité.

Or c’est ici que les paradoxes s’accumulent : alors que la FRAPNA s’oppose aux OGM, elle participe par ailleurs à des programmes européens qui appliquent sur le terrain des mesures dites « écologiques » (à l’image de celles menées dans le cadre de Natura 2000 ) mais qui, en réalité, ne font que déposséder les agriculteurs de leur terre par un système d’évaluations et de subventions qui entérine la fin du mode de vie paysan, celui-là même qui avait permis aux anciens de transmettre siècles après siècles une terre en bon état aux générations suivantes. Les écologistes participent donc du mouvement de pénétration des institutions dans tous les interstices de la vie, signifiant l’oubli de la question de l’autonomie dans la Modernité. Par conséquent, les catastrophes qu’engendre la colonisation du monde vécu par l’hétéronomie [9] vont être réglées par plus d’hétéronomie. Or le monde paysan sent que ce mouvement d’hétéronomisation est en train de le détruire et le combat d’ailleurs depuis mille ans. Dans ce contexte, les écologistes, citadins, sont les épouvantails de ce mouvement (alors qu’ils n’en sont que les petits soldats) tandis que les entreprises font entrevoir une possible survie aux agriculteurs (alors qu’elles sont les principaux artisans de leur destruction).

Mais plus encore, il y a là un effet de l’amnésie collective relative à ce qu’étaient les sociétés traditionnelles. Il ne s’agit pas de rentrer dans le débat du “est-ce que c’était mieux avant ?” Il est de bon ton de dire que même si ce n’est pas génial à présent, c’était pire avant, et ce bien que la plupart d’entre nous sont dans une ignorance totale du passé et que nous vivons maintenant la sixième extinction d’espèces, de loin la plus rapide, de l’histoire de la planète. Il s’agit plutôt d’entrevoir que les sociétés traditionnelles ont ouvert des horizons à présent inatteignables du fait de notre manque de confiance en l’humain et la remise concomitante de nos destinées aux mains de la mégamachine industrialo-étatique. Quand, dans un système social qui cultive ce qu’il y a de plus laid en l’humain, on croit en une nature humaine (les « de tous temps ça a été comme ça », ou encore « l’homme a toujours ... », etc.), alors il ne reste plus qu’à s’en remettre aux institutions bourgeoises. Il semble que ce soit bien cette idéologie qui est contenue dans les actions de la FRAPNA mais aussi en fait de tous les processus de pensée de France Nature Environnement [10] et évidemment des Verts.

La liste des actions écologistes qui ne font qu’entériner le statu quo et le mouvement d’artificialisation de la vie est malheureusement trop longue pour être énumérée ici. Que les écologistes collaborent met le doigt sur la pauvreté de leur réflexion politique. Qu’ils affirment en cœur « nous avions raison avant tout le monde » ne fait-il pas raisonner Bourdieu quand il affirmait que la « contestation de l’ordre établi qui, trouvant son principe dans le sentiment de ne pas occuper sa juste place dans cet ordre, obéit aux normes de bienséance imposées par la classe d’aspiration dans la contestation même de cette classe » ? Et plus encore, ceci nous montre à quel point la petite-bourgeoisie, par définition acculturée par l’urbanisation, ne peut accepter de critique radicale du système qui nécessiterait d’entrevoir l’immensité des possibles bloqués par la défaite des peuples traditionnels. Mais le décervelage politique dont l’action des associations environnementalistes porte la marque a des conséquences concrètes : en minant la radicalité, il fait le lit de tous les extrémismes. La domination bourgeoise a gagné.

Si le monde agricole a divorcé, avec d’autres, du monde militant, c’est pour des raisons qui prennent leurs sources au sein même de la Modernité. La pauvreté de la réflexion politique qui décide de parler la novlangue du territoire et de la qualité tout en faisant participer les entreprises est bien loin du compte. Dans ce tract et cette stratégie emblématiques, il y a la croyance que la « com’ » et l’information sont suffisantes pour dépasser les antagonismes que la colonisation du monde vécu par l’hétéronomie fait naître au sein même de la Modernité. La classe de fonctionnement qu’est la petite-bourgeoisie, avec son prosélytisme, est un agent de cette colonisation. Jamais les agriculteurs, à l’exception des néo-ruraux, ne seront écologistes et toutes les savantes stratégies de manipulation mentale par l’information, la pédagogie et le vocabulaire soigneusement choisi d’une « com’ » décervelante n’y feront rien.

Des luttes dépossédées

Ne nous arrêtons pas en si bon chemin. Les actions anti-OGM, de par leur forme, acceptent déjà l’inacceptable. Mais il y a plus. La volonté de faire parler de ces actions par les médias indique qu’est acceptée la forme occidentale moderne de tuer tout débat. En effet, ceux que, pour prendre nos désirs pour des réalités, nous nommons citoyens sont condamnés à lire les arguments des uns et des autres dans la presse, presse dont on sait qu’elle est aux ordres des multinationales (donc de la bourgeoisie), et à peser le pour et le contre pour se faire une opinion qui ne portera pas à conséquence, étant donné que toute opinion critique donnant naissance à une action de contestation réellement subversive se voit rapidement éliminée par la violence physique du pouvoir central. La fonction de la presse est de personnaliser des problématiques sociétales pour en évacuer le contenu radicalement critique.

Nous voilà donc condamné.es à écouter les mâles dominants du mouvement social faire de la politique, en une parole qui ne peut apparaître dans cet espace public artificiellement créé que parce qu’elle n’est que peu subversive et qu’elle n’empêchera pas d’advenir ce qu’elle critique mollement. Aussi avons-nous droit en première page du Daubé à un magistral : « L’ultimatum de José Bové » (Le Dauphiné Libéré du 27/07/2007). Ou bien encore, le 25/07/2007 : « Frédéric Jacquemart : une théorie battue en brèche ». Pour leur engagement, ces représentants élus sont ainsi rétribués symboliquement par le prestige (il est ici important de retourner au chapitre La distinction). Ils se retrouvent en première ligne du fait des mécanismes complexes de l’idéologie charismatique, dont est particulièrement imbibée la petite-bourgeoisie, qui met des meneurs d’hommes à la tête de ses organisations.

L’époque est en quête de leaders qui ne feraient pas mentir Karl Marx quand il affirmait que « ce qui en fait des représentants du petit-bourgeois [les représentants démocrates], c’est qu’intellectuellement ils ne dépassent pas les limites que celui-ci ne franchit pas dans sa vie, si bien qu’ils sont contraints théoriquement aux mêmes tâches et solutions auxquelles le petit-bourgeois est contraint pratiquement par l’intérêt matériel et la situation sociale. » [11]

Et comme pour confirmer Marx et Bourdieu, la Pravda locale indique : « Pour autant le collectif anti-OGM et son leader à la casquette Olivier Keller n’ont pas dit leur dernier mot dans ce qui apparaît bel et bien comme une bataille. Celle de “l’information” et de la “sensibilisation,” le sens initial de la marche. » [12]

“L’information” et la “sensibilisation” signent bien, concomitamment avec la quête de leader, les stratégies politiquement vides de la petite-bourgeoisie telle que l’a décrit Pierre Bourdieu (relire encore le chapitre La distinction). Et Marx de porter l’estocade : « Ce fond [de cette mentalité], c’est la transformation de la société par la voie démocratique, mais une transformation dans les limites petites-bourgeoises. Il ne faut cependant pas épouser l’idée bornée que la petite-bourgeoisie voudrait faire aboutir, par principe, un intérêt égoïste de classe. Elle croit au contraire que les conditions particulières de son émancipation sont les conditions générales offrant seules la possibilité de sauver la société moderne et d’éviter la lutte des classes. » [13]

Il apparaît étrange que des gens autant persuadés qu’il n’y a plus de lutte des classes et qui en tiennent aussi peu compte dans leurs pratiques militantes soient, à un tel niveau, des archétypes confirmant point par point les analyses des penseurs des classes sociales. Observons les mâles dominants (car il n’y a que des hommes) qui s’accomplissent au sommet de la hiérarchie militante et faisons le parallèle avec la sensation, qui habitent les militants de base des actions anti-OGM de cet été, de ne pas tout savoir. Les informations sont attendues mais sans savoir vraiment d’où elles viennent. Il suffit de mettre en parallèle le militantisme de salons et de préfectures mené par la FRAPNA ou les Verts et les désirs radicaux qui affleurent en de nombreuses occasions militantes pour voir que l’un ne complète pas l’autre mais bien plutôt que l’un utilise l’autre en le minant. Qu’une action anti-OGM ne rassemble que trois cent personnes en Ardèche en dit long sur l’idée que la population se fait de ces machines à perdre que sont les organisations militantes actuelles.

Au final, je tiens à préciser qu’il ne s’agit pas de critiquer individuellement les personnalités à la tête du militantisme qui ont souvent des qualités humaines énormes, j’en sais quelque chose. Il s’agit de dire que, collectivement, la critique telle qu’elle s’organise fait gravement fausse route au point d’aider ceux qu’elle combat. Il y a une disjonction entre les paroles et les actions militantes, disjonction introduite par des logiques de classes invisibles car globalement refusées par des groupes qui préfèrent le maintien de leur cohésion à la recherche de vérités éventuellement douloureuses.

Évidemment, il ne s’agit pas là de convaincre ceux qui participent déjà, mais de mettre en mot le malaise que de nombreuses personnes ressentent à l’évocation de ce genre d’actions. Alors que s’installe un ordre totalitaire et que les bruits de bottes s’accentuent, il faut répéter que le monde des possibles, en terme de résistance, ne se limite pas à l’actuel monde militant tout borné qu’il est par des catégories dont il ne comprend ni les tenants ni les aboutissants. L’avenir est sombre mais tout n’est pas perdu.

Christophe Hamelin

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Pourquoi je n’ai pas participé aux manifestations contre les premiers champs d’OGM en Ardèche

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Un autre tract du collectif anti-OGM
(Pour lire cliquer deux fois)

[1] Rappelons, bien que ça ne serve absolument à rien puisque même quand ils le savent les gens continuent à appeler notre régime « démocratie », que le régime dans lequel on vote pour un représentant s’appelle une oligarchie. cf Aristote, Les politiques , IV, 9, 1294-b6.

[2] Pour en savoir plus, voir cette page du collectif antiOGM ardéchois. Par ailleurs, précisons que les OGM n’auront pas passé l’été en Ardèche. Le Dauphiné Libéré annonçait dans un tout petit article de son édition du 05/09/2007 que les trois parcelles de presque deux hectares avaient été fauchées lors du premier week-end de septembre. Le présent texte a été en grande partie rédigé avant cet événement majeur qui n’a, bien sûr, pratiquement pas été relayé par les médias.

[3] L’expression technonature caractérise le projet d’artificialisation de la nature poursuivit par notre société technoscientifique. La transgénèse n’est que le début d’un travail d’ingénierie sur la nature destiné à se poursuivre avec les nanotechnologies dans lequel le corps humain risque de devenir une machine et où le moindre brin d’herbe sera susceptible de contenir des éléments technologiques.

[4] Il faut se pencher sur le cas de la géographie dite « humaine ». Cette matière réalise l’exploit de traiter de la société en dépolitisant toutes les problématiques. Une sociologie apolitique en quelque sorte : l’outil idéal pour fonctionnaliser le monde. La géographie est vraiment le caniche dont l’économie avait besoin.

[5] La gouvernance est une méthode de management politique destinée à annuler les antagonismes de classes en vue d’imposer le marché total. La décentralisation française s’effectue sur ce mode.

[6] Le paragraphe qui suit est entièrement issu de BOURDIEU Pierre, La distinction, Paris, Les Éditions de Minuit, 1979, pp.532-533.

[7] Ibidem, pp.532-533.

[8] Sur ces questions, voir sur Rebellyon ...quelques éléments de réflexion....

[9] « J’appelle sphère de l’hétéronomie l’ensemble des activités spécialisées que les individus ont à accomplir comme des fonctions coordonnées de l’extérieur par une organisation préétablie ». GORZ André, Métamorphose du travail – quête du sens, éditions Galilée, Paris, 1988, p. 49.

[10] France Nature Environnement est une fédération d’associations de protections de l’environnement à laquelle appartient la FRAPNA.

[11] MARX Karl, Les luttes de classes en France, Éditions Gallimard, collection Folio Histoire, 2002, p.214.

[12] Le Dauphiné Libéré du 27/07/2007.

[13] MARX Karl, op. cit., p.215.

Ecrit par libertad, à 22:26 dans la rubrique "Ecologie".



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