Lu sur
Notes & Morceaux Choisis : "À loccasion de sa comparution avec José Bové et Francis Roux, deux de ses camarades de la Confédération paysanne, lors du premier procès du maïs transgénique.le 3 février 1998.
« La maladie a longtemps été une fatalité individuelle ou un malheur social dont le soulagement éventuel relevait de la connaissance médicale et dune charité privée progressivement relayée par la puissance publique. La santé publique est maintenant une affaire économique ; doublement dailleurs. Dune part parce que léconomie marchande, par sa victoire sur danciennes conditions naturelles partout disparues, produisant stricto sensu la vie et la mort de lhomme moderne, se révèle être en quelque sorte un problème de santé, et même un problème pour la santé. Nul nignorant sous nos lattitudes que ce quil mange, boit, respire, bref les conditions générales de sa vie quotidienne sur lesquelles il ne peut habituellement rien, constitue une menace pour son capital-santé, selon la poétique expression du temps ; et à chaque instant on nous recommande den améliorer la gestion en renonçant à telle ou telle habitude ancienne devenue néfaste et dont on peut chiffrer la nocivité dans les comptes généraux de la nation. Dautre part, plus directement et plus crûment, la santé publique est devenue une affaire économique en accédant à la dimension et à la qualité dindustrie; la France par exemple y consacre plus de 8% de son produit national brut, somme considérable et en rapide augmentation, supérieure au double des dépenses militaires. Comme dans toute industrie, lunique préoccupation est de conquérir des marchés en répondant aux besoins existants et en en créant de nouveaux dans les domaines essentiels de lingénierie médicale et de la chimie, ceci grâce à toutes les ressources du marketing et de la corruption. »
Jacques Philipponneau, Relation de lempoisonnement perpétré en Espagne et camouflé sous le nom de syndrome de lhuile toxique, éditions de lEncyclopédie des Nuisances, Paris, 1994.
Madame le Président du Tribunal, Messieurs,
Ces lignes sont extraites dun excellent petit ouvrage publié en 1994 et consacré à une remarquable manipulation, celle quavaient entreprise non sans succès lÉtat, les experts et la justice espagnols, en lien direct avec la multinationale agrochimique Bayer, afin de dissimuler sous le nom de syndrome de lhuile toxique la prosaique responsabilité dun organophosphoré, le Nemacur 10 de la firme Bayer, utilisé au traitement de tomates, dans la mort de plus de mille personnes et la maladie ou linfirmité (cécité, atrophie musculaire, paralysie définitive) de dizaines de milliers dautres en 1981 et 1982.
En dautres temps un tel livre aurait sans doute dû être imprimé à Genève ou à Amsterdam. Mais on peut désormais tout publier ici, et surtout nimporte quoi. Cest là lincomparable progrès de ce que lon ne craint pas aujourdhui de nommer démocratie et qui, pour entretenir diverses impostures qui nen renvoient finalement pas moins toutes au leurre central quon a affublé de ce beau nom, préfère chaque fois que cest encore possible, couvrir de la sono du spectacle la musique de la vérité. Ce livre est donc paru ; sous le manteau en somme, mais il a su trouver ses lecteurs.
Si je lévoque, ce nest pas seulement parce que son sujet a fort à voir avec ce qui nous préoccupe dans ce procés, cest aussi parce que les techniques de domination évoluent si vite, plus vite même que les courbes du chômage ou des gains de productivité, quelles imposent à tous ceux qui ne sont pas du bon côté du manche de répondre rapidement à la question quil posait implicitement il ny a pas quatre ans : est-il encore possible de faire entendre la vérité quand tant de puissances, dÉtat et dargent, se liguent pour locculter ? Comment, lorsquon est du côté des assourdis, des sans-voix, faire obstacle aux machinations que les marchands et leurs commis ourdissent au grand jour dans linsolente certitude où ils sont, non davoir nécessairement raison mais de nêtre pas contredits ? Comment y parvenir en cas durgence ?
Sagissant du maïs transgénique Novartis et de la révoltante complaisance avec laquelle lÉtat français a jugé bon den autoriser commercialisation et mise en culture en mentant sur lavis rendu par le Comité de Prévention et de Précaution quil avait lui-même désigné, des paysans, ces êtres étranges qui simaginent plus qualifiés pour nourrir les hommes que lindustrie pharmaceutique et chimique, mes camarades de la Confédération paysanne en tout cas, ont considéré quil y avait urgence à se dresser contre ceux qui voulaient imposer le fait accompli.
En se rendant à Nérac le 8 janvier 1998 pour y dénaturer du maïs transgénique Novartis afin de le rendre impropre à la commercialisation, ils ont, à nen pas douter, proposé aux importantes questions que je mentionnais tout à lheure une réponse que je ne suis pas loin de trouver exemplaire. Je me flatte dy avoir participé. Comme je mhonore davoir depuis utilisé en homme libre les moyens qui mont paru utiles pour faire comprendre au plus grand nombre le sens de ce que nous avons accompli ce 8 janvier.
Je ne lai pas fait seul. Outre mes camarades de la Confédération Paysanne et de la Coordination paysanne Européenne, quantité de personnes honnêtes et valeureuses sur toute la planète sy sont consacrées les trois dernières semaines avec les pauvres moyens dont elles disposaient. Vous conviendrez que nous navons pas démérité : les quelques milliers denfants, de femmes et dhommes qui nous font, à José Bové, Francis Roux et moi-même, une sorte de haie dhonneur devant ce Tribunal, les centaines de témoignages de solidarité et dencouragement, français, européens et internationaux que nous avons reçus, votre Tribunal aussi je le crains, les milliers de pétitions de soutien qui ont été signées en un temps si court témoignent que nous avons bien travaillé, que nous avons été compris.
Je souhaite me faire bien comprendre ici aussi même si cette déclaration a été préparée hâtivement, quelque peu sacrifiée aux autres préparatifs de ce procès, et nest donc pas aussi rigoureuse quil laurait fallu. Je tiens à préciser à quel point je remercie les témoins que nous avons sollicités davoir accepté de dire ici leur conviction. Je leur donne acte du fait que cela nimpliquait en rien quils approuvent ou pas la méthode que nous avions choisi pour créer les conditions du débat.
Je partage très largement les points de vue exposés par ces brillants témoins sur les risques et les dangers que font planer sur la santé humaine, la santé animale, le milieu naturel, la ressource en eau et la biodiversité, la culture et la consommation des plantes issues du génie génetique telles quelles sont proposées aujourdhui par les firmes. Pas une pour laquelle la recherche mercenaire na eu dautre but amélioration de qualités nutritionnelles, diététiques, ce que lon voudra que délaborer une marchandise profitable et facile à vendre au prétexte, le plus souvent spécieux, quelles autoriseraient des gains de productivité! on aura compris, je pense, que ce nest pas de cela que lagriculture et les paysans ont besoins, ni dans les pays dits développés, ni dans les autres.
On aura entendu aussi les témoins souligner quel cas le gouvernement français a fait dun Principe de Précaution dont on avait pu imaginer quil allait simposer aux gouvernants par prudence politique sinon par sens moral.
On aura enfin, je veux le croire, retenu ce que nombre dentre eux ont dit du sens quil convient de donner à loffensive de multinationales de la pharmacie et de la chimie pour imposer puis comquérir le marché des semences transgéniques; et en quoi cela touche de si près au droit des peuples à lautonomie alimentaire dès lors que serait atteint lobjectif final des marchands de poison; : la brevétabilité du vivant qui veut abolir la pratique immémoriale des paysans reproduisant leur propre semence au profit des actionnaires de ces multinationales.
Jy ajoute volontiers une remarque. Si comme nous le souhaitons, le gouvernement français revient sur sa décision et instaure un moratoire général sur lutilisation dorganismes génétiquement modifiés em agriculture jusquà ce que de véritables expérimentations (qui supposent un confinement et non cette expérimentation grandeur nature que certains Folamour, y compris dans la recherche dite publique de ce pays, ne craignent pas de considérer comme une aubaine) vérifient sur une durée suffisante, OGM après OGM, leur innocuité et les avantages réels quil y a lieu den attendre ; si après cela lUnion Européenne adoptait dans son ensemble une position de responsabilité face aux pressions des Etats-Unis et de lOrganisation Mondiale du Commerce, le risque demeurerait encore dune dissémination incontrôlable dOGM végétaux, notamment dans les pays les plus vulnérables, je veux dire ceux que lon nomme sans pudeur en voie de développement. Les techniques de génie génétique ne ressortissent pas de lindustrie lourde. Des chercheurs compétents, si lon ose dire, des laboratoires très convenablement dotés par le Fond Monétaire International ou la Banque Mondiale travaillent sans contrôle dans de nombreux pays. Quelle tempête du désert faudra-t-il pour venir à bout des monstres quils couvent ? Combien de peuples de gueux faudra-t-il prendre en otage ? Qui faudra-t-il juger ?
Par delà la dérision involontaire belle comme la rencontre fortuite dun syndicaliste de chez Novartis et dun comité de chômeurs sur lagora dune cité démocratique quon pourrait trouver au fait davoir à traiter un telsujet devant un tribunal correctionnel, je veux dire à ceux qui en auraient été choqués combien jai jugé pertinents les accents proprement versaillais de Monsieur le Procureur-adjoint lors de notre comparution du 9 janvier dans ce qui sappelait naguère encore je crois une audience de flagrant délit. Nétant pas spécialiste de lart oratoire judiciaire, jai vivement été impressionné par la vigueur de ses propos dénonçant dans notre entreprise la volonté de trouble à lordre public et datteinte à la propriété privée au moment même où, dans tout le pays, resurgissaient sous forme de comités de chômeurs ces classes dangereuses dont on nattendait plus de sursaut et alors, faut-il le redire, que nous avions été interpellés à la faveur dun bref arrêt de solidarité devant les Assedic dAgen entourés par les CRS.
Tout est dit. Jajouterai néanmoins ceci : on ma demandé il y a quelques jours ce que je pensais des canuts. On voulait, je pense, me faire dire que cest en vain quils sétaient opposés à lirrésistible marche du progrès. Ils cassaient les métiers qui remplaceraient les hommes et nous avons dénaturé un peu, trop peu finalement je men excuse, de maïs transgénique chez Novartis parce que ce produit industriel sil venait à être diffusé contribuera, entre autres, à continuer déliminer des paysans. Où est la différence ? Je nen vois pas sinon que cest peut-être notre geste qui finit de donner aux canuts les raisons quils ne pouvaient alors totalement concevoir.
Un message de soutien qui nous est parvenu me paraît résumer lucidement tout cela. Il dit que « dans la version désormais suicidaire du capitalisme, chaque pas fait dans le sens du Progrès nest quun pas vers la catastrophe. Lampleur du désastre, et la menace de son aggravation, mettent en cause la nature même dune société dominée par les rapports marchands, de façon vitale » (Appel à lunification luttes). Il émane dune assemblée générale de chômeurs tenue à Jussieu le 21 janvier dernier. Voilà qui devrait donner à penser.
En venant faire avec nous le premier procès public dune plante transgénique, qu-a-telle dit dautre, cette foule joyeuse et résolue dont la rumeur nous est parvenue cet après-midi, sinon quelle intente en même temps le procès dun ordre social qui ne craint plus dannoncer quil assume le risque dempoisonner les hommes et leur planète au nom des équilibres financiers et de la libre circulation des marchandises ?
Jai dit à plusieurs reprises que jassumais mes responsabilités. Je le répète. Ce que nous avons fait à Nérac le 8 janvier était parfaitement légitime. Je continuerai dagir en fonction de ce qui me paraît tel quand bien même les lois tarderaient à ladmettre. Dautres procès naguère, aujourdhui même pas loin dici, bientôt ailleurs prouvent que des conceptions différentes sopposent radicalement à ce propos. La mienne est claire. Votre jugement dira la vôtre.
René Riesel.