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La vie rêvée de Los Angeles
Dans le petit monde idéologiquement formaté de la recherche urbaine française, le sociologue Mike Davis jouit, si l'on peut dire, d'une réputation sulfureuse. Bien que l'ouvrage qui l'avait fait connaître en France, City of Quartz, eût reçu le Best Book Award de l'American Social Science Association avant de devenir un classique mondial de la sociologie urbaine(1), les adeptes d'une conception rassurante et consensuelle des « mutations urbaines »contemporaines, qui font autorité sous nos cieux, dénient toute scientificité à sa vision dé l'avenir de l'urbanisation capitaliste. Qualifiée d'«apocalyptique »par ses détracteurs, elle est d'autant moins acceptée qu'elle est rehaussée par une écriture polémique de haute volée dont on chercherait vainement trace dans nos milieux académiques. À cet égard, cet opuscule tiré d'un ouvrage plus important de M. Davis, non,encore traduit, consacré de nouveau à ce laboratoire social et urbanistique que constitue Los Angeles(2), ne devrait pas les décevoir. Autant dire qu'il enchantera tous les lecteurs, chercheurs ou non, soucieux d'aborder avec un regard lucide le monde urbain de demain.

Ce que dépeint l'auteur, sur la base de renseignements de première main, et à partir de son expérience personnelle du terrain, c'est le paysage futur de la mégapole post-industrielle. Un paysage qui, sous bien des aspects, a déjà commencé à faire partie de nôtre présent. Certes, cet essai sur la décomposition urbaine - en France, où l'euphémisation est devenue la règle, on préférera parler de «fragmentation » - a été rédigé il y a sept ans et, surtout, il traite d'une agglomération présentée d'ordinaire comme le contre-modèle de ce qu'il est convenu d'appeler la ville européenne. Pourtant, les situations et les évolutions dont M. Davis rend compte, avec la perspicacité et le sens aigu de l'ironie qui lui sont propres, ne peuvent qu'inciter aux rapprochements. À tel point que, en francisant certains vocables ou noms propres, nombre de ses analyses et jugements paraissent porter sur la réalité urbaine de notre pays.
Visions futuristes de la métropole « verticale » à venir qui avaient inspiré le filin de Ridley Scott se sont révélées inadéquates, M. Davis, fidèle à son goût pour la provocation, commence par détourner « le diagramme le plus célèbre des sciences sociales », à savoir celui popularisé dans les années 1920 par les sociologues de l'École de Chicago pour visualiser la répartition des différentes catégories d'habitants dans la ville américaine. L'auteur en profite au passage pour rappeler tout le mal qu'il pense de cette école de pensée - ce qui choquera en France où beaucoup la révèrent après l'avoir tardivement découverte - en raison du « darwinisme social universitaire » qui imprégnerait ses explications. La fameuse « cible de fléchettes » de Burgess représenterait, en effet, une « hiérarchie spatiale engendrée par la lutte pour la survie du citadin le plus adapté, censée organiser les classes sociales et leurs habitats respectifs ». Sous couvert d'« écologie humaine », la concentration, la centralisation, la ségrégation, l'invasion et la succession seraient présentées comme des « forces biologiques », alors que leurs déterminants (revenu, valeur foncière, classe et origine) ne sont pas d'ordre naturel, mais sociopolitiques. Pour élaborer sa « carte extrapolant un Los Angeles futur déjà à moitié né », M. Davis les reprend, mais y ajoute un facteur nouveau, « décisif », selon lui: la peur.
On ne peur plus dire, toutefois, que « le paysage de la surveillance », tel qu'il se dessine à L. A., préfigure ce qu'il adviendra de nos villes puisqu'elles apparaissent déjà, pour la plupart, comme un décalque du premier. De part et d'autre de l'Atlantique, en effet, on assiste à une « érosion toujours plus forte de la frontière entre l'architecture et le maintien de l'ordre - ». Reconfiguration des bâtiments et réaménagement des espaces publics à des fins « défensives », prolifération des caméras vidéo et des systèmes de contrôle électronique, harcèlement policier des « indésirables » sur les trottoirs, les places ou dans les squares, le tout au nom de la lutte contre 1a criminalité...
Ces programmes de "veille urbaine ", prédisait M. Davis, pourraient devenir la norme dans le monde entier. » Terrorisme aidant, ils le sont devenus depuis quelque temps. D' « architecture de prévention situationnelle » en «boulevards civilisés »,Paris, à l'instar de Londres, Bruxelles ou Madrid, pour ne citer que des capitales de ce continent, n'a plus rien à envier à L. A. en matière d'« espace de visibilité protectrice définissant de plus en plus les lieux du centre-ville où les cols blancs qui travaillent dans les bureaux et les touristes de la classe moyenne se sentent en sécurité ». Ici comme là-bas, « la vie citadine se pare d'une armure » face aux troubles consécutifs à la fermeture ou la délocalisation des usines, à la disparition des emplois, à la compression des budgets publics - dépenses militaro-policières mises à part – et à la précarisation généralisée. Ici comme là-bas, aussi, on retrouve le même «consensus bipartite »sur les choix économiques à l'origine des «insolubles problèmes de la pauvreté urbaine et de l'errance des sans-logis ».C'est pourquoi la conclusion qu'en tire M. Davis pourrait parfaitement s'appliquer à la politique dite « de la ville » ou ses divers succédanés dont maints chercheurs persistent à faire leur miel: « La rhétorique des réformes urbaines continue, mais la substance en est vidée. »
Pour mieux faire ressortir le lien entre le déploiement des stratégies et des technologies sécuritaires dans l'espace urbain et l'« agitation sociale »toujours susceptible d'en perturber la tranquillité, M. Davis parle d'« une tectonique des émeutes qui, épisodiquement, froisse et restructure l'espace urbain ». L'« épisode » du printemps 1992, auquel il consacre un chapitre éclairant, confirme le bien-fondé de cette métaphore. Toutes choses égales par ailleurs, les émeutes des ghettos paupérisés en 1992, encore plus violentes que celles de Watts en 1965, ont joué un rôle d'« analyseur » comparable à celui de l'«embrasement »des «cités » françaises de novembre 2005. Les incendies, les pillages et les affrontements n'ont pas seulement révélé au grand jour les contradictions résultant de l'accroissement des inégalités de tous ordres parmi les habitants du «paradis californien »,mais aussi l'occultation systématique dont celles-ci ont fait l'objet de la part de commentateurs intéressés. Dans là lecture décapante qu'il propose de ces journées mémorables, M. Davis montre comment politiciens, journalistes et certains experts ès-«violences urbaines » ont conjugué leurs efforts pour rendre «invisible »leur nature politique, c'est à-dire leur caractère de classe. Une formulation imagée - tirée de l'ouvrage original, mais non reprise dans la traduction française - résume ce qu'il fallait penser des « informations » diffusées à l'intention de l'« opinion publique »: « La couverture télévisée des raisons de cette émeute de la colère était encore plus tordue que le métal fondu des centres commerciaux dévastés de Crenshaw. (3) »
Comme en France, aujourd'hui, le discours qui se fera le plus entendre pendant et après les événements visait à une ethnicisation délibérée de la lutte des classes, autrement dit, à faire accroire qu'ils n'étaient pas un nouvel avatar de la vieille « question sociale », celle que posent la « hausse continue de la pauvreté » et la « perception d'un futur privé de toute opportunité », mais la réémergence l'émergence, en France - d'une « question ethnique » non résolue parce que refoulée.
Pour ce faire, on n'hésita pas, par exemple, à imposer le black-out sur les pillages de masse de Mid-City, un secteur urbain peuplé en majorité d'immigrants latinos et asiatiques, et non de Noirs afro-américains comme à South Central. Les gens qui étaient descendus dans la rue étaient « motivés principalement par la faim et la désillusion, non par la colère suscitée pat' l'acquittement des flics qui avaient rossé Rodney King ». Mais le pillage auquel se livrèrent ces « familles industrieuses » d'aides-serveurs, de jardiniers, d'ouvriers du bâtiment et autres prolétaires aux emplois intermittents, « qui d'habitude respectent la loi », était de nature utilitaire: il se concentra « sur les prosaïques nécessités de la vie comme les sprays anti-cafards et les couches pour bébé ». Sans doute des commerces coréens furent-ils, dans cette zone comme ailleurs, attaqués et brûlés après avoir été dévalisés, notamment les magasins de vins et de spiritueux qui vendent très cher des produits de mauvaise qualité. Mais, comme le soulignait un instituteur du quartier, cité par M. Davis, « les agences de voyage et les salons de beauté coréens sont restés intacts. Le soulèvement était dirigé contre Tâ police et les arnaques des commerçants. Ce sont le ressentiment de classe et le désespoir économique qui l'ont motivé, pas l'origine ethnique ». On ne s'étonnera pas, dans ces conditions, du silence orchestré sur « la réaction officielle à cette émeute du pain post-moderne ». Pas plus que les perquisitions brutales opérées sans mandat dans les appartements des parents de la « racaille » dans le cadre de l'« état d'urgence » instauré à la fin l'année 2005 en France, ou le chiffre des < sauvageons » grièvement blessés par les flash-balls dont les forces de répression firent usage à foison, « la plus grande opération de rétablissement de l'ordre public coordonnée dans l'histoire » des États-Unis n'eut droit aux gros titres de la presse et des actualités télévisées.
La classification établie par M. Davis des « districts de contrôle social » californiens selon le degré de gravité des infractions et des modes juridiques d'action correspondants destinés à y imposer une « discipline spatiale » aurait pu paraître effarante il y a une quinzaine d'années. Mais les mesures qui n'ont cessé de s'accumuler depuis lors en France pour garantir le bon usage des lieux publics ou « reconquérir les zones de non-droit » invitent à la relativisation Pénalisation des parents pauvres pour leur laxisme supposé à l'égard de leur progéniture, installation de portiques de détection ou de bornes biométriques à l'entrée des établissements scolaires, arrestation des prostituées « pour le seul fait de marcher dans la rue » «racolage passif » en langage sarkôzien -, « ordonnances anti-camping »votées par des municipalités «pour faire disparaître hors de vue les sans-abri » - « arrêtés anti-bivouacs » de nos, élus locaux -,délation comme attitude « citoyenne »face aux comportements déviants - « incivilités » dans la novlangue scientifique hexagonale -des individus marginalisés... Autant de mesures qui font désormais partie du tout-venant d'une politique de « criminalisation du statut » qui se nourrit des « fantasmes de la classe moyenne sur la nature des classes dangereuses », et dont les États-Unis n'ont plus le monopole.
Haute surveillance ou haute sécurité? Tout dépend du point de vue où l'on se place. C'est-à-dire de la place que l'on occupe dans l'espace social et, donc, physique. Pour les nantis, des enclaves huppées autosurveillées ; pour les démunis, des zones de relégation hypercontrôlées. Dans les unes, Big Brother veille sur les habitants; dans les autres, il les surveille. Entre les deux, un «espace public » où le citadin est convié à se convertir en public d'un spectacle urbain préservé de toute irruption intempestive de (altérité, comme si, par compensation avec les zones résidentielles aménagées et gérées en fonction de la «guerre sociale de faible intensité » menée contre lés <parias » de la nouvelle civilisation urbaine, celle-ci devait prouver son existence et son excellence dans des «bulles touristiques » de «forte intensité »culturelle, ludique et, bien entendu, marchande.
À la suite des philosophes du postmodernisme (F Jameson, U Eco, J. Baudrillard, etc.), mais sans céder comme eux à la complaisance ou à la fascination pour la simulation et le simulacre, M. Davis pointe, en effet, un phénomène encore peu disséqué en France bien qu'il s'y soit répandu comme dans les autres sociétés des pays développés: la « disneylandisation » de certains espaces urbains métamorphosés en autant de « magie kingdoms » d'une urbanité revisitée. Ce dernier qualificatif est à prendre aux sens propre et figuré car il s'agit rien moins que de réaliser le «fantasme social » d'une ville où l'on pourrait déambuler en touriste pour en goûter les aménités sans courir le risque de mauvaises rencontres, ne seraient-elles que visuelles, sous la forme, par exemple, de gens «avec une pancarte pour demander à manger à tous les coins de rue ». Pour M. Davis, les quartiers historiques ravalés et muséifiés, quand ils ne sont pas tout simplement fabriqués de toutes pièces, les secteurs urbains aménagés ourla détente et l'évasion, les centres commerciaux supposés mêler le plaisir à l'achat, sont autant de
variations sur le thème du parc d'attractions ». Et de citer, à titre d'exemple, le projet avorté de « hollywoodisation » de... Hollywood Boulevard qui, sous prétexte de permettre à cette artère décrépite et mal famée de retrouver son aura glorieuse du passé, l'aurait transformée en « parc à thèmes clos, gardé par des complexes de divertissement à chaque extrémité », où l'« on tiendrait en respect les quartiers pauvres aux alentours jusqu'à ce qu'ils soient embourgeoisés ou démolis ». À la place, on a préféré édifier de faux centres urbains, tel City Walk, où les traits caractéristiques du patrimoine urbain ancien ont été « synthétisés sous la forme de petits morceaux prémachés destinés à être consommés par les touristes et les résidents », amateurs de cette « urbanité version junk food » qui a l'avantage de leur éviter toute « promiscuité » avec les éléments des classes inférieures et, à plus forte raison, avec les déclassés.
En fait, peu importe que l'on ait affaire à des pastiches ou à des originaux puisque, dans un cas comme dans l'autre, leur fonction et. leur fonctionnement obéissent à une même logique sociale. « Parmi les membres plus jeunes de la classe moyenne », observe M. Davis, « la vie dans les ghettos dorés et les banlieues protégées, l'expérience subjective de plus en plus réduite à la sphère privée » ont engendré « une envie de foules, de rues animées et de spectacles ». D'où « un appétit croissant pour les espaces publics à (échelle du piéton », une « demande de sensation urbaine sur laquelle les mégacorporations du divertissement comme MCA et Disney peuvent capitaliser en recréant quelques aspects trépidants de la ville à l'intérieur sécurisé de leurs parcs d'attractions ». Une vie urbaine rêvée qui peut, il est vrai, tout aussi bien avoir pour cadre, comme cela est devenu courant dans bien d'autres métropoles mondiales, certains espaces publics ou quartiers historiques « requalifiés », c'est-à-dire embellis et socialement « assainis » à coups de « rénovations » ou de « réhabilitations », donc, sécurisés, pour accueillir des citadins « de qualité ». Quant aux catégories d'habitants bas de gamme, leur présence ne sera tolérée que sous la forme d'une « armée d'employés mal payés, en grande partie invisibles », venus des zones de relégation résidentielle plus ou moins éloignées où ils sont parqués pour « faire tourner la machine de l'irréalité ».
En guise de conclusion, Mike Davis se demande si f« exercice monumental d'hygiène sociologique », à quoi se réduisent des opérations urbanistiques du genre City Walk, « n'est pas plutôt l'équivalent architectural de la bombe à neutrons: la ville vidée de toute expérience vécue ». Aussi fait-il sienne (interrogation de l'historien Kevin Starr, spécialiste de (histoire de la civilisation états-arienne et de la culture californienne en particulier « Sommes-nous arrivés à ce point de renoncement à la réalité de la ville de Los Angeles, que nous ayons besoin d'un tel niveau de contrôle social pour tout ce qui se rapproche de (expérience urbaine? » La question ne vaut évidemment pas que pour Los Angeles. Encore faudrait-il, pour pouvoir y répondre, que la recherche urbaine ne devienne pas aussi aseptisée que ces lieux à l'urbanité lisse qu'elle prétend analyser.

Jean-Pierre Garnier

Mike Davis, Au-delà de Blade Runner, Los Angeles et l'imagination du désastre, éditions Allia, Paris, 1998, 155 p.

1. Mike Davis, City of Quartz, Los Angles, capitale du futur, La Découverte, Paris, 1997.
2. Au-delà de Blade Rtinner correspond au chapitreVII de Ecololgy of Fear.(Metropolitan Books, Henry HoIt and Cy, NewYork; 1998)..
3. Crenshaw Boulevard était le coeur du quartier noir le plus riche de l'ouest de Los Angeles.

Le Monde libertaire hors série #30 du 13 juillet au 14 septembre 2006

Ecrit par libertad, à 21:38 dans la rubrique "Pour comprendre".

Commentaires :

  Jack83
30-09-06
à 10:04

"City of quartz", un monument

Ce bouquin qui, à travers l'histoire de Los Angeles de sa création à nos jours, montre comment une ville de cete importance est, dès le départ, entièrement liée à des intêrets économiques. La spéculation immobilière et l'industrie automobile, entre autres, ont partie lièe dans l'extension de cette gigantesque pieuvre. L'estension de la ville continue de faire les choux gras de la tentaculaire mutinationale Kaufman et Broad qui est en train de se tailler la part du lion ici, principalement vers Marseille et environs....

Un livre à recommander.

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