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L'En Dehors


Quotidien anarchiste individualiste





Crée le 18 mai 2002

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Han RYNER. Petit manuel individualiste
--> Texte publié en 1905 pour le compte des éditions EUGENE FIGUIERE & Cie.
Lu ici : J’ai adopté la forme par demandes et par réponses si commode pour l’exposition rapide. Elle n’exprime ici aucune prétention dogmatique. Il n’y a pas ici un maître qui interroge et un disciple qui répond. Il y a un individualiste qui se questionne lui-même. J’ai voulu indiquer dans la première ligne qu’il s’agit d’un dialogue intérieur.

Tandis que le catéchisme demande : “Êtes-vous chrétien?” je dis : “suis-je individualiste ?” Mais, prolongé, le procédé n’irait pas sans inconvénients et, une fois mon intention marquée, je me suis souvenu que le soliloque emploie fréquemment la seconde personne.

On trouvera pêle-mêle dans ce petit livre des vérités qui sont certaines — mais dont on ne peut d’ailleurs découvrir qu’en soi-même la certitude — et des opinions qui sont probables. Il y a des problèmes qui admettent plusieurs réponses. D’autres — en dehors de la solution héroïque, qu’on peut conseiller seulement lorsque tout le reste est crime — n’ont pas de solution tout à fait satisfaisante et les à-peu-près que je propose ne sont pas supérieurs à d’autres à-peu-près. Je n’insiste pas. Le lecteur qui ne saurait point faire le départ et, acquiesçant aux vérités, trouver des probabilités analogues à mes probabilités et souvent plus harmonieuses à lui-même, serait indigne du nom d’individualiste.

Faute de développement ou pour d’autres raisons, je laisserai souvent insatisfait l’esprit même le plus fraternel. Je ne puis que recommander aux hommes de bonne volonté la lecture assidue du Manuel d’Epictète. Là, mieux que partout ailleurs, se trouve la réponse à nos inquiétudes et à nos doutes. Là, plus que partout ailleurs, celui qui est capable du vrai courage, puisera le courage.

A Epictète, à d’autres aussi, j’ai emprunté des formules, sans croire toujours nécessaire d’indiquer mes dettes. Dans un travail de la nature de celui-ci, les choses importent, non leur origine et on mange plus d’un fruit sans demander au jardinier le nom du fleuve ou du ruisseau qui féconde son jardin.



H. R.



Petit manuel individualiste






CHAPITRE PREMIER


De l’individualisme et de quelques

individualistes





Suis-je individualiste ?

Je suis individualiste.


Qu’est-ce que j’entends par individualisme ?

J’entends par individualisme la doctrine morale qui, ne s’appuyant sur aucun dogme, sur aucune tradition, sur aucune volonté extérieure, ne fait appel qu’à la conscience individuelle.


Le mot individualisme n’a-t-il jamais désigné que cette doctrine ?

On a souvent donné le nom d’individualisme à des apparences de doctrines destinées à couvrir d’un masque philosophique l’égoïsme lâche ou l’égoïsme conquérant et agressif.


Citez un égoïste lâche qu’on appelle quelquefois individualiste.

Montaigne.


Connaissez-vous des égoïstes conquérants et agressifs qui se proclament individualistes ?

Tous ceux qui étendent aux relations des hommes entre eux la loi brutale du combat pour la vie.

Citez des noms,

Stendhal, Nietzsche (1).


Nommez quelques vrais individualistes ?

Socrate, Epicure, Jésus, Epictète.


Pourquoi aimez-vous Socrate ?

Il n’enseignait pas une vérité extérieure à ceux qui l’écoutaient, mais il leur apprenait à trouver la vérité en eux-mêmes.


Comment mourut Socrate ?

Il mourut condamné par les lois et par les juges, assassiné par la Cité, martyr de l’individualisme.


De quoi l’accusait-on ?

De ne pas honorer les dieux que la Cité honorait et de corrompre la jeunesse.


Que signifiait ce dernier grief ?

Il signifiait que Socrate professait des opinions désagréables au pouvoir.

Pourquoi aimez-vous Epicure ?

Sous son élégance nonchalante, il fut un héros.


Citez une parole ingénieuse de Sénèque sur Epicure ?

Sénéque appelle Epicure “un héros déguisé en femme.”


Quel bien fit Epicure ?

Il délivra ses disciples de la crainte des dieux ou de Dieu, qui est le commencement de la folie.


Quelle fut la grande vertu d’Epicure ?

La tempérance. Il distinguait entre les besoins naturels et les besoins imaginaires. Il montrait qu’il faut bien peu de chose pour satisfaire la faim et la soif, pour se défendre contre le chaud et le froid. Et il se libérait de tous les autres besoins, c’est à dire de presque tous les désirs et de presque toutes les craintes qui asservissent les hommes.


Comment mourut Epicure ?

Il mourut d’une longue et douloureuse maladie en se vantant d’un parfait bonheur.


Connaît-on généralement le véritable Epicure ?

Non. Des disciples infidèles ont couvert leurs vices de sa doctrine, comme on cache un ulcère sous un manteau volé.


Epicure est-il coupable de ce que de faux disciples lui ont fait dire ?

On n’est jamais coupable de la sottise ou de la perfidie d’autrui.


La déformation de la doctrine d’Epicure est-elle un phénomène exceptionnel ?

Toute parole de vérité, si elle est écoutée de beaucoup d’hommes, est transformée en mensonge par les superficiels, par les habiles et par les charlatans.


Pourquoi aimez-vous Jésus ?

Il vécut libre et errant, étranger à tout lien social. Il fut l’ennemi des prêtres, des cultes extérieurs et, en général, de toutes les organisations.


Comment mourut-il ?

Poursuivi par les prêtres, abandonné par l’autorité judiciaire, il mourut cloué sur la croix par les soldats. Il est, avec Socrate, la plus célèbre victime de la Religion, le plus illustre martyr de l’individualisme.


Connaît-on généralement le véritable Jésus ?

Non. Les prêtres ont crucifié sa doctrine comme son corps. Ils ont transformé en poison le breuvage vivifiant. Sur les paroles faussées de l’ennemi des organisations et des cultes extérieurs, ils ont fondé la plus organisée et la plus pompeusement vide des religions.


Jésus est-il coupable de ce que les disciples et les prêtres ont fait de sa doctrine ?

On n’est jamais coupable de la sottise ou de la perfidie d’autrui.


Pourquoi aimez-vous Epictète ?

Le stoïcien Epictète supporta courageusement la pauvreté et l’esclavage. Il fut parfaitement heureux dans les situations les plus pénibles aux hommes ordinaires.


Comment connaissons-nous la doctrine d’Epictète ?

Son disciple Arrien a recueilli quelques-unes de ses paroles dans un petit livre intitulé Manuel d’Epictète.

Que pensez-vous du Manuel d’Epictète ?

Sa noblesse précise et sans défaillance, sa simplicité exempte de tout charlatanisme me le rendent beaucoup plus précieux que les Évangiles. Le Manuel d’Epictète est le plus beau et le plus libérateur de tous les livres.

N’y a-t-il pas dans l’histoire d’autres individualistes célèbres ?

Il y en a d’autres. Mais ceux que j’ai nommés sont les plus purs et les plus faciles à comprendre.


Pourquoi ne nommez-vous pas les cyniques Antisthène et Diogène ?

Parce que la doctrine cynique est l’ébauche de la doctrine stoïcienne.


Pourquoi ne nommez-vous pas Zénon de Cittium, le fondateur du stoïcisme ?

Sa vie fut admirable et, selon les témoignages anciens, ne cessa de ressembler à sa philosophie. Mais aujourd’hui il est moins connu que ceux que j’ai nommés.


Pourquoi ne nommez-vous pas le stoïcien Marc-Aurèle ?

Parce qu’il fut empereur.


Pourquoi ne nommez-vous pas Descartes ?

Descartes fut un individualiste intellectuel. Il ne fut pas assez nettement un individualiste moral. Sa véritable morale paraît avoir été stoïcienne. Mais il n’osa pas la rendre publique. Il fit connaître seulement une “morale provisoire” dans laquelle il se recommande d’obéir aux lois et coutumes de son pays, ce qui est le contraire de l’individualisme. Il semble d’ailleurs avoir manqué de courage philosophique en d’autres circonstances.


Pourquoi ne nommez-vous pas Spinoza ?

La vie de Spinoza fut admirable. Il vivait sobrement, de quelques grains de gruau ou d’un peu de soupe au lait. Refusant les chaires qu’on lui offrit, il gagna toujours sa nourriture par un travail manuel. Sa doctrine morale est un mysticisme stoïcien. Mais, trop exclusivement intellectuel, il professe une étrange politique absolutiste et ne réserve contre le pouvoir que la liberté de penser. Son nom fait d’ailleurs songer à une grande puissance métaphysique plus encore qu’à une grande beauté morale.



•••••







CHAPITRE II


Préparation à l’individualisme pratique






Suffit-il de se proclamer individualiste ?

Non. Une religion peut se contenter de l’adhésion verbale et de quelques gestes d’adoration. Une philosophie pratique qui n’est point pratiquée n’est rien.


Pourquoi les religions peuvent-elles montrer plus d’indulgence que les doctrines morales ?

Les dieux des religions sont des monarques puissants. Ils sauvent les fidèles par des grâces et des miracles. Ils accordent le salut en échange de la foi, de certaines paroles rituelles et de certains gestes convenus. Ils peuvent même me tenir compte de gestes que je fais faire et de paroles que je fais prononcer par des mercenaires.


Que dois-je faire pour mériter réellement le nom d’individualiste ?

Je dois mettre tous mes actes d’accord avec ma pensée.


Cet accord n’est-il pas pénible à obtenir ?

Il est moins pénible qu’il ne le paraît.


Pourquoi ?

L’individualiste qui commence est retenu par les faux biens et les mauvaises habitudes. Il ne se libère pas sans quelque déchirement. Mais le désaccord entre ses actes et sa pensée lui est plus pénible que tous les renoncements. Il en souffre comme le musicien souffre d’un manque d’harmonie. Le musicien ne voudrait, à aucun prix, passer sa vie au milieu de bruits discordants. De même mon inharmonie est pour moi la plus grande des douleurs.


Comment s’appelle l’effort pour mettre sa vie d’accord avec sa pensée ?

Il s’appelle la vertu.


La vertu obtient-elle une récompense ?

La vertu est sa récompense à elle-même.


Que signifient ces paroles ?

Elles signifient deux choses :

1° Si je songe à une récompense, je ne suis pas vertueux. La vertu a pour premier caractère le désintéressement.

2° La vertu désintéressée crée le bonheur.


Qu’est-ce que le bonheur ?

Le bonheur est l’état de l’âme qui se sent parfaitement libre de toutes les servitudes étrangères et en partait accord avec elle-même.


N’y a-t-il donc bonheur que lorsqu’on n’a plus besoin de faire effort et le bonheur succède-il à la vertu ?

Le sage a toujours besoin d’effort et de vertu. Il est toujours attaqué par le dehors. Mais le bonheur n’existe, en effet, que dans l’âme où il n’y a plus de lutte intérieure.


Est-on malheureux dans la poursuite de la sagesse ?

Non. Chaque victoire, en attendant le bonheur, produit de la joie.


Qu’est-ce que la joie ?

La joie est le sentiment du passage d’une perfection moindre à une perfection plus grande. La joie est le sentiment qu’on avance vers le bonheur.


Distinguez par une comparaison la joie et le bonheur.

Un être pacifique, forcé de combattre, remporte une victoire qui le rapproche de la paix : il éprouve de la joie. Il arrive enfin à une paix que rien ne pourra troubler : il est dans le bonheur.


Faut-il essayer d’obtenir le bonheur et la perfection dès le premier jour où l’on comprend ?

Il est rare qu’on puisse tenter sans imprudence la perfection immédiate.

Quel danger courent les impatients ?

Le danger de reculer et de se décourager.


Comment convient-il de se préparer à la perfection ?

Il convient d’aller à Epictète en passant par Epicure.


Que voulez-vous dire ?

Il faut d’abord se placer au point de vue d’Epicure et distinguer les besoins naturels des besoins imaginaires. Quand nous serons capables de mépriser pratiquement tout ce qui n’est pas nécessaire à la vie ; quand nous dédaignerons le luxe et le confortable ; quand nous savourerons la volupté physique qui sort des nourritures et des boissons simples ; quand notre corps saura aussi bien que notre âme la bonté du pain et de l’eau : nous pourrons avancer davantage.


Quel pas restera-t-il à faire ?

Il restera à sentir que, même privé de pain et d’eau, nous serions heureux ; que, dans la maladie la plus douloureuse et la plus dénuée de secours, nous serions heureux ; que, même en mourant dans les supplices et au milieu des injures de tous, nous serions heureux.


Ce sommet de sagesse est-il abordable à tous ?

Ce sommet est abordable à tout homme de bonne volonté qui se sent un penchant naturel vers l’individualisme.


Quel est le chemin intellectuel qui conduit à ce sommet ?

C’est la doctrine stoïcienne des vrais biens et des vrais maux.


Comment appelle-t-on encore cette doctrine ?

On l’appelle encore la doctrine des choses qui dépendent de nous et des choses qui ne dépendent pas de nous.


Quelles sont les choses qui dépendent de nous ?

Nos opinions, nos désirs, nos inclinations, nos aversions, en un mot toutes nos actions intérieures.


Quelles sont les choses qui ne dépendent point de nous ?

Le corps, les richesses, la réputation, les dignités, en un mot toutes les choses qui ne sont point du nombre de nos actions intérieures.


Quels sont les caractères des choses qui dépendent de nous ?

Elles sont libres par nature ; rien ne peut les arrêter ou leur faire obstacle.


Quels sont les caractères des choses qui ne dépendent point de nous ?

Elles sont faibles, esclaves, sujettes à beaucoup d’obstacles et d’inconvénients, et entièrement étrangères à l’homme.


Quel est l’autre nom des choses qui ne dépendent pas de nous ?

Les choses qui ne dépendent pas de nous s’appellent aussi les choses indifférentes.


Pourquoi ?

Parce qu’aucune d’elles n’est un vrai bien ou un vrai mal.


Qu’arrive-t-il à celui qui prend les choses indifférentes pour des biens ou pour des maux ?

Il trouve partout des obstacles ; il est affligé, troublé ; il se plaint des choses et des hommes.


N’éprouve-t-il pas un plus grand mal encore ?

Il est esclave du désir et de la crainte.


Quel est l’état de celui qui sait pratiquement que les choses qui ne dépendent pas de nous sont indifférentes ?

Il est libre. Personne ne peut le forcer à faire ce qu’il ne veut pas ou l’empêcher de faire ce qu’il veut. Il n’a à se plaindre de rien ni de personne.


La maladie, la prison, la pauvreté, par exemple, ne diminuent-elles point ma liberté ?

Les choses extérieures peuvent diminuer la liberté de mon corps et de mes mouvements. Elles ne sont pas des empêchements pour ma volonté si je n’ai pas la folie de vouloir ce qui ne dépend pas de moi.


La doctrine d’Epicure ne suffit-elle pas dans le courant de la vie ?

La doctrine d’Epicure suffit si j’ai les choses nécessaires à la vie et si je me porte bien. Elle me rend devant la joie l’égal des animaux qui ne se forgent pas des inquiétudes et des maux imaginaires. Mais, dans la maladie ou dans la faim, elle ne suffit plus.


Suffit-elle dans les relations sociales ?

Dans les relations sociales courantes, elle peut suffire. Elle me libère de tous les tyrans qui n’ont de pouvoir que sur mon superflu.


Y a-t-il des circonstances sociales où elle ne suffit plus ?

Elle ne suffit plus si le tyran peut me priver de pain ; s’il peut me mettre à mort ou blesser mon corps.


Qui appelez-vous tyran ?

J’appelle tyran quiconque, en agissant sur les choses indifférentes, telles que mes richesses ou mon corps, prétend agir sur ma volonté. J’appelle tyran quiconque essaie de modifier mon état d’âme par d’autres moyens que la persuasion raisonnable.


N’y a-t-il pas des individualistes auxquels l’épicurisme suffira ?

Quel que soit mon présent, j’ignore l’avenir. J’ignore si la grande attaque où l’épicurisme ne suffit plus ne me guette pas à quelque détour de ma vie. Je dois donc, dès que j’ai atteint la sagesse épicurienne, travailler à me fortifier davantage, jusqu’à l’invulnérabilité stoïcienne.


Comment vivrai-je dans le calme ?

Dans le calme, je pourrai vivre doucement et sobrement comme Epicure, mais avec l’esprit d’Epictète.


Est-il utile à la perfection de se proposer un modèle tel que Socrate, Jésus ou Epictète ?

Cette méthode est mauvaise.


Pourquoi ?

Parce que j’ai à réaliser mon harmonie, non celle d’un autre.


Combien y a-t-il de sortes de devoirs ?

Il y a deux sortes de devoirs : les devoirs universels et les devoirs personnels.


Qu’appelez-vous devoirs universels ?

J’appelle devoirs universels ceux qui s’imposent à tout homme sage.


Qu’appelez-vous devoirs personnels ?

J’appelle devoirs personnels ceux qui s’imposent particulièrement à moi.


Existe-t-il des devoirs personnels ?

Il existe des devoirs personnels. Je suis un être particulier qui se trouve dans des situations particulières. J’ai un certain degré de force physique, de force intellectuelle et je possède plus ou moins de richesses. J’ai un passé à continuer. J’ai à lutter contre une destinée hostile, ou à collaborer avec une destinée amie.


Distinguez par un signe facile les devoirs personnels et les devoirs universels.

Sauf exception, les devoirs universels sont des devoirs d’abstention. Presque tous les devoirs d’action sont des devoirs personnels. Même dans les circonstances rares où l’action s’impose à tous, le détail de l’action portera la marque de l’agent, sera comme la signature de l’artiste moral.


Le devoir personnel peut-il contredire le devoir universel ?

Non. Il est comme la fleur, qui ne saurait pousser que sur la plante.


Mes devoirs personnels sont-ils ceux de Socrate, de Jésus ou d’Epictète ?

Ils ne leur ressemblent en rien, si je ne mène pas une vie apostolique.


Qui m’apprendra mes devoirs personnels et mes devoirs universels ?

Ma conscience.


Comment m’apprendra-t-elle mes devoirs universels ?

En me disant ce que j’attendrais de tout homme sage.


Comment m’apprendra-t-elle mes devoirs personnels ?

En me disant ce que je dois exiger de moi.


Y a-t-il des devoirs difficiles ?

Il n’y a pas de devoir difficile pour le sage.


Avant que j’ai atteint la sagesse, la pensée de Socrate, de Jésus, d’Epictète, ne me sera-t-elle pas utile dans les difficultés ?

Elles pourra m’être utile. Mais je ne me représenterai jamais ces grands individualistes comme des modèles.


Comment me les représenterai-je ?

Je me les représenterai comme des témoins. Et je désirerai qu’ils ne blâment point ma façon d’agir.


Y a-t-il des fautes graves et des fautes légères ?

Toute faute reconnue telle avant d’être commise est grave.


Théoriquement, pour juger de ma situation ou de celle d’autrui dans la voie de la sagesse, ne puis-je pas distinguer des fautes graves et des fautes légères ?

Je le puis.


Qu’appellerai-je faute légère ?

J’appellerai ordinairement faute légère celle qu’Epictète blâmerait et qu’Epicure ne blâmerait pas.


Qu’appellerai-je faute grave ?

J’appellerai faute grave celle que blâmerait même l’indulgence d’Epicure.





•••••








CHAPITRE III


Des relations des individus entre eux







Dites la formule des devoirs envers autrui.

Tu aimeras ton prochain comme toi-même et ton Dieu par dessus toute chose.


Qu’est-ce que mon prochain ?

Les autres hommes.


Pourquoi appelez-vous les autres hommes votre prochain ?

Parce que, doués de raison et de volonté, ils sont plus proches de moi que les animaux.


Qu’est-ce que les animaux ont en commun avec moi ?

La vie, la sensibilité, l’intelligence.


Ces caractères communs me créent-ils des devoirs envers les animaux ?

Ces caractères communs me créent le devoir de ne point faire souffrir les animaux, de leur éviter les souffrances inutiles et de ne point les tuer sans nécessité.


Quel droit me donne l’absence de raison et de volonté chez les animaux ?

Les animaux n’étant pas des personnes, j’ai le droit de me faire servir par eux dans la mesure de leurs forces et de les transformer en instruments.


Ai-je le même droit sur certains hommes ?

Je n’ai jamais le droit de considérer une personne comme un moyen. Chaque personne est un but, une fin. Je ne puis que demander aux personnes des services qu’elles m’accorderont librement, par bienveillance ou en échange d’autres services.


N’y-a-t-il pas des races inférieures ?

Il n’y a pas de races inférieures. L’individu noble peut fleurir dans toutes les races.


N’y-a-t-il pas des individus inférieurs incapables de raison et de volonté ?

Le fou excepté, tout homme est capable de raison et de volonté. Mais beaucoup n’écoutent que leurs passions et n’ont que des caprices. C’est parmi eux que se rencontrent ceux qui ont la prétention de commander.


Ne puis-je me faire des instruments avec ces individus incomplets ?

Non. Je dois les considérer comme des enfants arrêtés dans leur développement, mais en qui l’homme s’éveillera peut-être demain.


Que penserai-je des ordres de ceux qui ont la prétention de commander ?

Un ordre ne peut être qu’un caprice d’enfant ou une fantaisie de fou.


Comment dois-je aimer mon prochain ?

Comme moi-même.


Que signifient ces mots ?

Ils signifient : de la même façon que je dois m’aimer.


Qui m’apprendra comment je dois m’aimer ?

La seconde partie de la formule m’apprend comment je dois m’aimer.


Répétez cette seconde partie.

Tu aimeras ton Dieu par dessus toute chose.


Qu’est-ce que Dieu ?

Le mot Dieu a plusieurs sens : il a un sens différent dans chaque religion ou métaphysique et il a un sens moral.


Quel est le sens moral du mot Dieu ?

Dieu est le nom de la perfection morale.

Que signifie dans la formule d’amour, le possessif TON “tu aimeras TON Dieu.” ?

Mon Dieu, c’est ma perfection morale.


Qu’est-ce que je dois aimer par dessus toute chose ?

Ma raison, ma liberté, mon harmonie intérieure, mon bonheur ; car ce sont là les autres noms de mon Dieu.


Mon Dieu exige-t-il des sacrifices ?

Mon Dieu exige que je lui sacrifie mes désirs et mes craintes ; il exige que je méprise les faux biens et que je sois “pauvre d’esprit”.


Qu’exige-t-il encore ?

Il exige encore que je sois prêt à lui sacrifier ma sensibilité et, au besoin, ma vie.


Qu’aimerai-je donc chez mon prochain ?

J’aimerai le Dieu de mon prochain, c’est-à-dire sa raison, son harmonie intérieure, son bonheur.


N’ai-je pas des devoirs envers la sensibilité de mon prochain ?

J’ai envers la sensibilité de mon prochain les mêmes devoirs qu’envers la sensibilité des animaux ou envers la mienne.


Expliquez-vous.

Je ne créerai ni chez autrui ni chez moi de souffrance inutile.


Puis-je créer de la souffrance utile ?

Je ne puis pas créer activement de la souffrance utile. Mais certaines abstentions nécessaires auront pour conséquence de la souffrance chez autrui ou chez moi. Je ne dois pas plus sacrifier mon Dieu à la sensibilité d’autrui qu’à ma sensibilité.


Quels sont mes devoirs envers la vie d’autrui ?

Je ne dois ni tuer ni blesser mon prochain.


N’y a-t-il pas des cas où l’on a le droit de tuer ?

Dans le cas de légitime défense ; il semble que la nécessité crée le droit de tuer. Mais, presque toujours, si je suis assez brave, je conserverai le sang froid qui permet de se sauver sans tuer.


Ne vaut-il pas mieux subir l’attaque sans se défendre ?

L’abstention est, en effet, ici, le signe d’une vertu supérieure, la véritable solution héroïque.


N’y a-t-il pas, en face de la souffrance d’autrui, des abstentions injustifiées équivalant exactement à de mauvaises actions ?

Il y en a. Si je laisse mourir celui que je puis sauver sans crime, je suis un véritable assassin.


Citez à ce sujet une parole de Bossuet.

“Ce riche inhumain a dépouillé le pauvre parce qu’il ne l’a pas revêtu ; il l’a égorgé cruellement, parce qu’il ne l’a pas nourri”


Que pensez-vous de la sincérité ?

La sincérité est mon premier devoir envers les autres et envers moi-même le témoignage que mon Dieu exige comme un sacrifice continuel comme une flamme que je ne dois jamais laisser éteindre.


Quelle est la sincérité la plus nécessaire ?

La proclamation de mes certitudes morales.


Quelle sincérité placez-vous au second rang ?

La sincérité dans l’expression de mes sentiments.


L’exactitude dans l’exposition des faits extérieurs est-elle sans importance ?

Elle est beaucoup moins importante que les deux grandes sincérités philosophique et sentimentale. Le sage l’observe cependant.


Combien y a-t-il de mensonges ?

Il y a trois sortes de mensonges : le mensonge malicieux, le mensonge officieux et le mensonge joyeux.


Qu’est-ce que le mensonge malicieux ?

Le mensonge malicieux est celui qui a pour but de nuire à autrui.


Que pensez-vous du mensonge malicieux ?

Le mensonge malicieux est un crime et une lâcheté.


Qu’est-ce que le mensonge officieux ?

Le mensonge officieux est celui qui a pour but mon utilité ou celle d’autrui.

Que pensez-vous du mensonge officieux ?

Quand le mensonge officieux ne contient aucun élément nuisible, le sage ne le blâme pas chez autrui ; mais il l’évite pour lui-même.


N’y a-t-il pas des cas où le mensonge officieux s’impose, si un mensonge peut, par exemple, sauver la vie à quelqu’un ?

Dans ce cas, le sage pourra faire un mensonge qui ne touche qu’aux faits. Mais presque toujours, au lieu de mentir il refusera de répondre.


Le mensonge joyeux est-il permis ?

Le sage s’interdit le mensonge joyeux.


Pourquoi ?

Le mensonge joyeux sacrifie à un jeu l’autorité de la parole qui, conservée, peut quelquefois être utile à autrui.


Le sage s’interdit-il la fiction ?

Le sage ne s’interdit aucune fiction avouée et il lui arrive de dire des paraboles, des fables, des symboles des mythes.


Que doivent être les relations entre l’homme et la femme ?

Les relations entre l’homme et la femme doivent être, comme toutes les relations entre personnes, absolument libres des deux côtés.


Y a-t-il une autre règle à observer dans ces relations ?

Elles doivent exprimer une sincérité mutuelle.


Que pensez-vous de l’amour ?

L’amour mutuel est la plus belle parmi les choses indifférentes, la plus proche d’être une vertu. Il fait la noblesse du baiser.


Le baiser sans amour est-il une faute ?

Si le baiser sans amour est la rencontre de deux désirs et de deux plaisirs, il ne constitue pas une faute.







CHAPITRE IV


De la Société







N’ai-je de relations qu’avec des individus isolés ?

J’ai des relations non seulement avec des individus isolés, mais aussi avec divers groupes sociaux et, d’une façon générale, avec la société.


Qu’est-ce que la société ?

La société est la réunion des individus pour une œuvre commune.


Une œuvre commune peut-elle être bonne ?

Une œuvre commune peut être bonne, à de certaines conditions.


A quelles conditions ?

L’œuvre commune sera bonne si, par amour mutuel ou par amour de l’œuvre, les ouvriers agissent tous librement et si leurs efforts se groupent et se soutiennent en une coordination harmonieuse.


En fait, l’œuvre sociale a-t-elle ce caractère de liberté ?

En fait, l’œuvre sociale n’a aucun caractère de liberté. Les ouvriers y sont subordonnés les uns aux autres. Leurs efforts ne sont pas les gestes spontanés et harmonieux de l’amour, mais les gestes grinçants de la contrainte.


Que concluez-vous de ce caractère de l’œuvre sociale ?

J’en conclus que l’œuvre sociale est mauvaise.


Comment le sage considère-t-il la société ?

Le sage considère la société comme une limite. Il se sent social comme il se sent mortel.

Quelle est l’attitude du sage en face des limites ?

Le sage regarde les limites comme des nécessités matérielles et il les subit physiquement avec indifférence.


Que sont les limites pour celui qui est en marche vers la sagesse ?

Pour celui qui est en marche vers la sagesse, les limites constituent des dangers.


Pourquoi ?

Celui qui ne distingue pas encore pratiquement, avec une sûreté inébranlable, les choses qui dépendent de lui et les choses indifférentes, risque de traduire les contraintes matérielles en contraintes morales.


Que doit faire l’individualiste imparfait en face de la contrainte sociale ?

Il doit défendre contre elle sa raison et sa volonté. Il repoussera les préjugés qu’elle impose aux autres hommes, il se défendra de l’aimer ou de la haïr ; il se délivrera progressivement de toute crainte et de tout désir à son égard ; et il se dirigera vers la parfaite indifférence, qui est la sagesse en face des choses qui ne dépendent pas de lui.


Le sage espère-t-il une meilleure société ?

Le sage se défend de toute espérance.


Le sage croit-il au progrès ?

Il remarque que les sages sont rares à toute époque et qu’il n’y a pas de progrès moral.


Le sage se réjouit-il des progrès matériels ?

Le sage remarque que les progrès matériels ont pour objet d’accroître les besoins artificiels des uns et le travail des autres. Le progrès matériel lui apparaît comme un poids croissant qui enfonce de plus en plus l’humanité dans la boue et dans la peine.


L’invention des machines perfectionnées ne diminuera-t-elle pas le labeur humain ?

L’invention des machines a toujours aggravé le travail. Elle l’a rendu plus pénible et moins harmonieux. Elle a remplacé l’initiative libre et intelligente par une précision servile et craintive. Elle a fait de l’ouvrier, jadis maître souriant des outils, l’esclave tremblant de la machine.


Comment la machine, qui multiplie les produits, ne diminue-t-elle pas la quantité de travail à fournir par l’homme ?

L’homme est avide et la folie des besoins imaginaires grandit à mesure qu’on la satisfait. Plus l’insensé a de choses superflues, plus il veut en avoir.


Le sage exerce-t-il une action sociale ?

Le sage remarque que, pour exercer une action sociale, il faut agir sur les foules, et qu’on n’agit point sur les foules par la raison, mais par les passions. Il ne se croit pas le droit de soulever les passions des hommes. L’action sociale lui apparaît comme une tyrannie, et il s’abstient d’y prendre part.


Le sage n’est-il pas égoïste d’oublier le bonheur du peuple ?

Le sage sait que ces mots : “le bonheur du peuple” n’ont aucun sens. Le bonheur est intérieur et individuel ; on ne peut le produire qu’en soi-même.


Le sage n’a donc pas pitié des opprimés ?

Le sage sait que l’opprimé qui se plaint aspire à devenir oppresseur. Il le soulage dans la mesure de ses moyens, mais il ne croit pas au salut par l’action commune.


Le sage ne croit donc pas aux réformes ?

Il remarque que les réformes changent les noms des choses, non les choses elles-mêmes. L’esclave est devenu le serf, puis le salarié. On n’a jamais réformé que le langage. Le sage reste indifférent à ces questions de philologie.


Le sage est-il révolutionnaire ?

L’expérience prouve au sage que les révolutions n’ont jamais de résultats durables. La raison lui dit que le mensonge ne se réfute pas par le mensonge et que la violence ne se détruit pas par la violence.


Qu’est-ce que le sage pense de l’anarchie ?

Le sage regarde l’anarchie comme une naïveté.


Pourquoi ?

L’anarchiste croit que le gouvernement est la limite de la liberté. Il espère, en détruisant le gouvernement, élargir la liberté.


N’a-t-il pas raison ?

Non. La vraie limite n’est pas le gouvernement mais la société. Le gouvernement est un produit social comme un autre. On ne détruit pas un arbre en coupant une de ses branches.


Pourquoi le sage ne travaille-t-il pas à détruire la société ?

La société est inévitable comme la mort. Sur le plan matériel, notre puissance est faible contre de telles limites. Mais le sage détruit en lui le respect et la crainte de la société, comme il détruit en lui la crainte de la mort. Il est indifférent à la forme politique et sociale du milieu où il vit comme il est indifférent au genre de mort qui l’attend.


Le sage n’agira-t-il donc jamais sur la société ?

Le sage sait qu’on ne détruit ni l’injustice sociale ni l’eau de la mer. Mais il s’efforce de sauver un opprimé d’une injustice particulière, comme il se jette à l’eau pour sauver un noyé.





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CHAPITRE V


Des relations sociales








Le travail est-il une loi sociale ou une loi naturelle ?

Le travail est une loi naturelle aggravée par la société.


Comment la société aggrave-t-elle la loi naturelle du travail ?

De trois façons :

1° Elle dispense arbitrairement un certain nombre d’hommes de tout travail et rejette leur part du fardeau sur les autres hommes ;

2° Elle emploie beaucoup d’hommes à des travaux inutiles, à des fonctions sociales ;

3° Elle multiplie chez tous et particulièrement chez les riches les besoins imaginaires et elle impose au pauvre l’odieux travail nécessaire à la satisfaction de ces besoins.


Pourquoi trouvez-vous naturelle la loi du travail ?

Parce que mon corps a des besoins naturels que seuls les produits du travail satisferont.


Vous ne considérez donc comme travail que le travail manuel ?

Sans doute.


L’esprit n’a-t-il pas aussi des besoins naturels ?

Le seul besoin naturel de nos facultés intellectuelles, c’est l’exercice. L’esprit reste toujours un enfant heureux qui a besoin de mouvement et de jeu.


Ne faut-il pas des ouvriers spéciaux pour donner à l’esprit des occasions de jouer ?

Le spectacle de la nature, l’observation des passions humaines et le plaisir des conversations suffiraient aux besoins naturels de l’esprit.


Vous condamnez donc l’art, la science et la philosophie ?

Je ne condamne pas ces plaisirs. Semblables à l’amour, ils sont nobles tant qu’ils restent désintéressés. Dans l’art, dans la science, dans la philosophie, dans l’amour, la volupté que j’éprouve à me donner ne doit pas être payée par celui qui goûte la volupté de recevoir.


Mais il y a des artistes qui créent avec peine et des savants qui cherchent avec fatigue ?

Si la peine dépasse le plaisir, je ne vois pas pourquoi ces pauvres gens ne s’abstiennent point.


Vous exigeriez donc de l’artiste et du savant un travail manuel ?

Du savant et de l’artiste, comme de l’amoureux ou de l’amoureuse, la nature exige un travail manuel ; puisqu’elle leur impose, comme aux autres hommes, des besoins matériels.


L’infirme a aussi des besoins matériels et vous n’auriez pas la cruauté de lui imposer une besogne dont il est incapable ?

Sans doute, mais je ne considère pas comme des infirmités la beauté du corps ou la puissance de la pensée.


L’individualiste travaillera donc de ses mains ?

Oui, autant que possible.


Pourquoi dites-vous : autant que possible ?

Parce que la société a rendu difficile l’obéissance à la loi naturelle. Il n’y a pas de travail manuel rémunérateur pour tout le monde. D’ordinaire, on s’éveille à l’individualisme trop tard pour faire l’apprentissage d’un métier naturel. La société a volé à tous, pour le livrer à quelques-uns, le grand instrument du travail naturel, la terre.


L’individualiste peut donc, dans l’état actuel des choses, vivre d’une besogne qu’il ne considère pas comme un vrai travail ?

Il le peut.


L’individualiste peut-il être fonctionnaire ?

Oui. Mais il ne peut pas consentir à toutes sortes de fonctions.


Quelles sont les fonctions dont s’abstiendra l’individualiste ?

L’individualiste s’abstiendra de toute fonction de l’ordre administratif, de l’ordre judiciaire ou de l’ordre militaire. Il ne sera pas préfet ou policier, officier, juge ou bourreau.

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Ecrit par rokakpuos, à 07:02 dans la rubrique "Pour comprendre".



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