Le 8 mai dernier « Pas de quartier », l'émission du groupe Louise-Michel, recevait sur les ondes de Radio libertaire -Sylvain, syndicaliste et salarié de Virgin Mégastore. L'occasion de revenir, entre autres, sur le cas d'Amandine.Radio libertaire: Pour commencer tu pourrais nous rappeler les faits?
Sylvain: Amandine, qui travaillait au Virgin des Grands Boulevards, à Paris, a été licenciée en décembre 2006. Immédiatement s'est crée un comité de soutien, qui exige sa réintégration. Une procédure aux Prud'hommes a été engagée de son côté par Amandine.
RL: Que lui reprochait au juste Virgin?
S.: D'avoir été irrespectueuse avec un client, d'avoir refusé de le servir, et d'avoir gravement menacé le directeur régional, présent ce jourlà au magasin. Ce qui, bien sûr, est totalement inventé.
RL:Tu peux nous rappeler quelle est l'implantation syndicale, dans le Virgin des Grands Boulevards?
S.: C'est surtout la CFDT qui est présente sur ce magasin, le directeur et le responsable de la sécurité sont par exemple syndiqués à la CFDT... Ce qui donne une idée du climat « unanimité sociale »...
RL: Amandine, par ailleurs, a un statut spécial...
S.: Oui, depuis décembre elle est conseillère du salarié, c'est-à-dire qu'elle intervient dans les petites entreprises où il ne peut pas y avoir de représentants du personnel, essentiellement des commerces.
RL: Depuis les péripéties d'Amandine, d'autres salariés de Virgin ont été menacés dans leur emploi, dont toi.
S.: Depuis que je me suis révélé en tant que syndiqué à Sud, j'ai quelques problèmes. Convocations multiples de la part de mon directeur, et aujourd'hui même je viens de recevoir mon premier avertissement: il m'est reproché de dépasser mes heures de délégation, et un vigile m'aurait trouvé dans les vestiaires après la fermeture. Bref, je suis apparemment accusé d'avoir voulu dormir dans le magasin...
RL: Revenons à Amandine. Elle est donc allée aux Prud'hommes, comment ça s'est passé?
S.: En première instance comme en appel, les Prud'hommes ont refusé de prendre une décision, puis en départition le dossier a été renvoyé sur le fond. La suite au prochain épisode.
RL: Vous continuez de demander sa réintégration pure et simple?
S.: Bien sûr. C'est à la fois une question de fierté personnelle, et une question de reconnaissance des droits des salariés comme de leurs représentants. Si Virgin proposait une indemnité en échange de sa non-réintégration, elle la refuserait évidemment. Ce serait une prime à l'hypocrisie, et à la saloperie.
RL: Il y a d'autres syndicats que Sud qui soutiennent Amandine?
S.: À Virgin les syndiqués sont très, très en retrait. Dans le comité de soutien il y a Sud mais aussi des gens de la FSU, de la CNT... Et des non-syndiqués aussi, qui viennent du mouvement social. Il y a eu, au début, des gens de la CGT.
RL: Qu'est-ce qui motive à ton avis une telle attitude de la part de la direction?
S.: D'abord, c'est la volonté de briser tout élan syndical bien sûr, en s'en prenant aux délégués, mais pas seulement. Ensuite il faut savoir que Virgin va mal financièrement; quand il s'est implanté en France c'était uniquement un disquaire, or les profits liés au marché du disque s'effondrent, et même s'il vend d'autres produits, Virgin voit son chiffre d'affaires baisser depuis cinq ou six ans. Depuis, la direction s'est progressivement transformée en véritable machine de guerre contre les salariés. Ils sont de plus en plus nombreux à être licenciés après sanction. L'an dernier, on a calculé que les licenciements individuels avaient représenté une économie d'environ 10 % de la masse salariale. C'est énorme.
RL: Ils font comme leurs petits copains, ils cherchent à dégager des profits en débarquant les gens.
S.: Oui, d'ailleurs ils n'y arrivent pas, et à Sud on craint que ça ne tourne en une sorte de fuite en avant, avec la fermeture de magasins entiers, par exemple.
RL: Mais pas de plan social, pour l'instant, chez Virgin ?
S.: Non. La direction a compris depuis bien longtemps qu'en contournant le dispositif ils pouvaient quand même licencier, au cas par cas. Pas un mois ne passe sans que des salariés soient virés, la plupart du temps parce qu'ils auraient prétendument mal fait leur boulot.
RL: Quelles actions a mené et mène le comité de soutien à Amandine?
S.: Tout l'hiver nous avons eu, devant le magasin, une tente, et des rassemblements de 50 à 80 personnes. En mars nous avons organisé une manifestation, et depuis avril nous sommes chaque vendredi devant le Virgin des Grands Boulevards, de 18 heures à 2 0 h 3 0. On pique-nique devant le magasin. Tous les vendredis on est face à cinq ou six vigiles, qui gardent l'entrée, ce qui fait que beaucoup de clients pensent que c'est fermé.
RL: Autre joli coup, vous vous êtes rendus à la réunion des actionnaires de Virgin. Comment ça s'est passé?
S.: C'était fin avril, porte Maillot. On a mis en place une banderole, et des. affichages. Bizarrement, le directeur du Palais des Congrès nous a invité à tracter à l'intérieur. Notre but c'était bien sûr de faire connaître le cas d'Amandine auprès des petits porteurs, et ça a plutôt fonctionné puisqu'il semblerait que l'information soit remontée jusqu'en haut lieu, peut-être jusqu'à Lagardère lui-même, qui je le rappelle est le principal actionnaire de Virgin.. Bref, ça s'est plutôt bien passé.
RL: Vous êtes en contact également avec des salariés de la Fnac. Qu'est-ce qui se passe à la Fnac ?
S.: Au niveau des méthodes de gestion du personnel, on assiste en ce moment à une « virginisation » de la Fnac. Jusqu'à présent elle se faisait de la publicité sur le dos de son modèle social, assez peu comparable c'est vrai, dans le monde de la distribution.
Et voilà que dernièrement la direction a décidé, de manière unilatérale, de supprimer toute hausse générale des salaires, et de mettre en place un système de rémunération au mérite, ce qui chez les salariés a fait l'effet d'une révolution antisociale.
Le tableau d'avancement, les grilles de salaire sont ainsi gravement remis en cause. Ici comme ailleurs, on individualise les salaires. Or la Fnac n'a même pas l'excuse de soucis financiers puisque, contrairement à Virgin, elle gagne de l'argent.
Plus grave encore, la direction vient de décider le licenciement de 300 personnes, au niveau de l'administration et du siège. Les salariés ont donc fait grève, sur le plan national, le 4 mai dernier, et nous les avons rejoints puisque nous considérons que leur lutte correspond à la nôtre. Simple question de solidarité.
RL: Tiens, parlons justement de solidarité syndicale...
S.: II faut savoir que Virgin, qui est arrivé en France dans les années 1980, n'a jamais vraiment eu de culture syndicale, ce qui est le cas par exemple de la Fnac. De ce fait, les individus syndiqués, et plus encore les représentants, sont assez isolés. Si on reprend le cas d'Amandine, la solidarité syndicale a été plus que faible. Les syndicats autres que Sud n'ont quasiment pas bougé, il a fallu quatre mois à la CGT pour sortir un tract, où en plus ils nous attaquent.
Le fait qu'on demande aux clients de différer leurs achats en signe de solidarité, ça dérange la CGT On est accusé de vouloir l'effondrement de l'enseigne. Par ailleurs, suite à la manifestation du 3 mars, en soutien à Amandine, le comité fut également accusé par les autres syndicats de mettre en péril la sécurité de la clientèle, et des salariés. Voilà où on en est...
RL: Et la solidarité entre magasins Virgin? Khadidja, grande gueule marseillaise bien connue, nous disait dernièrement qu'auVirgin de Marseille il y avait aussi des soucis.Vous êtes en contact?
S.: Au niveau des Virgin de province, syndicalement parlant malheureusement, il y'a pas grand-chose.
Pour ce qui est de Marseille, je sais que pour le sud de la France le syndicat en place c'est la CFTC.
RL: Ceci explique peut-être cela...
S.: De toute façon la solidarité est déjà difficile entre salariés d'un même lieu de travail, alors entre magasins... Et puis évidemment la direction fait tout pour éviter que ça se développe, de la même manière que le système de délation qui est encouragé entre collègues casse les solidarités.
RL: Délation?
S.: Oui, par exemple les vendeurs qualifiés sont chargés de surveiller les vendeurs qui sont au bas de l'échelle, et de remonter à la direction tout manquement de leur part, ou plutôt ce qu'ils jugent être des manquements. Ça m'est déjà arrivé de devoir m'expliquer suite à ce qu'avait fait remonter la personne chargée de me surveiller. Et ça se passe comme ça dans tous les Virgin.
La direction joue sur la division, en terme sde salaires aussi, avec une gestion pour le moins curieuse des primes. Au Virgin des Champs Élysées, les collègues simples vendeurs sont en ce moment furieux, car le directeur a décidé de verser une prime de satisfaction à l'encadrement, et rien qu'à l'encadrement. Il a clairement fait passer le message, qui disait en gros je vous punis, vous n'aurez rien car vous travaillez mal, par contre je verse une prime à l'encadrement car j'estime que l'encadrement, lui, a bien travaillé.
Voilà comment se fait le management chez Virgin. C'est la carotte et le bâton, une méthode pas vraiment neuve...
RL: Parle-nous un peu de l'accueil réservé au cas d'Amandine dans les milieux mal informés, comme on dit.
S.: Il y a eu quelques bons papiers dans la presse, notamment militante, et quelques brefs échos sur France 3 région. La mauvaise surprise est venue du Nouvel Observateur, où une journaliste pourtant bien intentionnée à son égard, à l'origine, a montré Amandine comme une salariée capricieuse, et quasiment sous dépendance psychologique de son mari, syndiqué à Sud également. Elle a tracé d'eux un portrait du type « Le couple maudit de Virgin ». Quand on les connaît bien, on ne peut que trouver ça dégueulasse. La direction a d'ailleurs très vite compris le bénéfice qu'elle pouvait tirer d'un pareil article, et n'a pas hésité à le diffuser carrément à l'ensemble des magasins. Quant à notre camarade délégué CGT, il a cru bon de l'afficher sur son panneau syndical.
RL: Un dernier mot, à l'adresse des auditeurs?
S.: Je les encourage à nous soutenir, à soutenir Amandine, et à nous faire une petite visite, lors des rassemblements du vendredi, devant le Virgin des Grands Boulevards. Et amenez de quoi pique-niquer!
Propos recueillis par François et Fred,
groupe Louise-Michel de la FA
Solidarité Amandine:
soutienamandine@yahoo.fr
Soutien financier: chèque à l'ordre de Sud Virgin, 37, rue de Bellefond, 75009 Paris (mention au dos: « soutien Amandine »)
Le Monde libertaire # 1478 du 16 au 26 mai 2007