En Ariège, l'arrivée de très nombreux néo-ruraux fait qu'ils sont majoritaires dans les communes dès que l'altitude s'élève. Alors plutôt que de créer des écovillages, on assiste aujourd'hui à l'apparition de villages gérés par des écolos. Exemple à Montagagne, près de Foix. Dominique Masset est depuis le début 2005, maire de Montagagne, une commune d'une cinquantaine d'habitants. Ce nom ne doit pas vous être inconnu : Dominique Masset est l'une des trois personnes ayant fait le jeûne contre l'EPR en juin et juillet 2004 (1). Comment un militant peut-il devenir maire de sa commune ?
Recherche de sensNé en 1952 dans le Pas-de-Calais, Dominique Masset est d'abord un révolté chahuteur au collège, encarté à l'extrême gauche à 15 ans. Perturbateur pendant son service militaire, il y restera plus longtemps que prévu : les jours de cachot se rajoutant au service militaire.
En 1974, il bénéficie d'une amnistie qui met fin à sa lutte au sein de la grande muette et décide de partir faire la routé. Il vivra un temps au Maroc, partira en Inde en stop, traversera ce pays à pied pendant six mois... pour découvrir que l'on peut aussi voyager en soi sans se déplacer. De ces voyages, il tire une certaine philosophie de la vie et décide alors de venir s'installer dans les Pyrénées.
En 1985, il trouve un terrain à Montagagne et s'installe comme apiculteur bio... au moment où arrive le varroa, un parasite qui détruit les essaims et provoque une baisse importante de la production de miel. Il complète alors son activité en développant une activité de charpentier et se lance dans la construction en habitat bois bio. Il y a alors beaucoup de demandes de la part des néo-ruraux. Souvent, il intervient uniquement comme conseil pour des projets en autoconstruction.
Une commune à reconstruireA Montagagne, il devient le neuvième habitant d'un village en voie de désertification. Le maire de l'époque ne prend aucune initiative pour attirer de nouveaux habitants, au contraire. Des maisons sont en ruine, de nombreux terrains agricoles sont à l'abandon. Comme de très nombreux natifs de la région, le maire d'alors est persuadé que ces villages de montagne (2) sont condamnés à disparaître... et que l'arrivée des néo-ruraux n'est qu'un phénomène passager qui n'a pas d'avenir.
Aux élections municipales de 1989, les trois familles de néo-ruraux décident dé s'impliquer dans la vie du village. Mais pour bien montrer qu'ils veulent travailler avec tout le monde, ils demandent à figurer sur la liste du maire sortant. Comme dans toutes les petites communes, il y a neuf élus au conseil municipal, soit pratiquement un par famille. La liste est seule à se présenter et le nouveau conseil municipal compte six anciens et trois nouveaux dont Dominique Masset.
L'ambiance ne reste pas longtemps au beau fixe. Les trois nouveaux s'abstiennent dès le début sur le choix du maire. te maire se sentant menacé va prendre des mesures de manière unilatérale, ce qui lui vaut, progressivement, de se fàcher avec les cinq autres anciens.
Les trois nouveaux se retrouvent alors en position de négociateurs pour que la commune puisse continuer à vivre.
En 1991, cela dégénère et le maire est poussé à la démission. Les autres anciens qui ont apprécié le dynamisme apporté par les trois nouveaux acceptent un changement d'équipe : un nouvel arrivant est élu maire et Dominique Masset se retrouve adjoint.
Pour redynamiser le village, la nouvelle équipe va alors proposer de faire une fête pour faire connaître la commune. Ils impliquent d'autres néo-ruraux des environs et proposent sur une quinzaine de jours un parcours de land-art réalisé avec l'apport d'artistes internationaux. Cela vaut à la commune d'avoir 2500 visiteurs et des passages à la télévision régionale.
Cela marque le début d'une reconquête de la commune par de nouveaux arrivants.
La nouvelle équipe change le dicton de la commune. De "A Montagagne, ta place te gagne" est préféré "A Montagagne, qui monte y gagne".
Initiatives en faveur des nouveaux habitants
La commune est le plus gros propriétaire foncier et rien ne se fait plus pour l'entretien des terrains du fait d'un morcellement complexe du privé avec en moyenne des parcelles d'un dixième d'hectare. La commune met alors en place une association forestière pastorale pour la mise en commun de la gestion foncière. Cette création passe par une enquête publique : si 75 % des propriétaires sont d'accord, les autres doivent suivre. Il y a alors des oppositions de quelques propriétaires privés comme l'ancien maire. Après une période de médiations, cette association va permettre de réunir en une seule entité plus de 250 hectares qui peuvent ensuite être loués pour de nouveaux arrivants. Un des arguments en faveur de cette structure commune est la possibilité de bénéficier d'aides financières pour la remise en état des clôtures, la restauration des points d'eau et l'entretien des chemins. Le taux de 75% est finalement atteint et permet de louer à deux nouveaux agriculteurs bio.
En 1995, à la fin de leur premier mandat, l'équipe de nouveaux est reconduite... avec maintenant sept nouveaux pour deux anciens : la population de la commune est remontée à 35 habitants. Pour favoriser l'arrivée dé nouvelles personnes souvent peu fortunées, la commune aménage, à côté de la mairie, un premier logement social. Comme les demandes sont nombreuses, une autre maison est rachetée et devient un deuxième logement social. La commune incite les nouveaux arrivants à récupérer les anciennes maisons avant de songer à construire des maisons neuves. Aujourd'hui, presque toutes les anciennes maisons sont habitées. A la fin du deuxième mandat, en 2001, la commune compte 54 habitants.
Démocratie directeLors de ce deuxième mandat, il y a un assagissement des élus, avec une action plus centrée sur_la nécessité de maintenir des passerelles entre les anciens et les nouveaux, d'éviter les conflits et une possible rupture. II y a également un approfondissement de la réflexion sur ce que peut être un fonctionnement alternatif d'une commune et en particulier sur les avantages et les risques de l'intercommunalité.
Au nom de l'efficacité, les petites communes sont poussées à déléguer de plus en plus de compétences à des syndicats intercommunaux. Dominique Masset, en tant qu'adjoint, découvre alors que c'est parfois utile (ramassage scolaire par exemple), mais que cela implique beaucoup d'administratif et que cela éloigne les habitants des lieux de décisions.
Dominique Masset, qui s'est penché sur les notions de démocratie directe, voit dans l'intercomunalité le risque d'une dépossession des décisions politiques par les habitants au profit de technocrates.
Aux élections de 2001, il annonce alors son intention de travailler plus sur cette question de démocratie directe et ne se représente pas. Mais c'est compter sans le destin. Le maire d'alors, maire depuis douze ans, connaît des problèmes de santé et démissionne au bout de trois mois. Il ne reste alors plus que deux élus de l'ancienne équipe et on lui demande de se présenter pour renforcer l'équipe. Il est donc élu conseiller municipal. Un nouveau maire exerce de 2001 à fin 2004 quand à son tour, il a des problèmes de santé et demande à ne rester plus que simple conseiller municipal. En décembre 2004, faute de candidat, Dominique Masset est poussé à être le nouveau maire. Il pose alors ses conditions: remettre plus de politique dans le village en favorisant les décisions par démocratie directe et que le conseil municipal fonctionne plus en équipe avec une meilleure répartition des responsabilités.
La bataille de l'eauD'un côté, les militants altermondialistes de la région multiplient les campagnes en faveur des "biens communs" et luttent contre la privatisation des services publics, de l'autre, le département, depuis toujours socialiste, incite à confier la gestion de l'eau à un syndicat mixte au niveau du département. Dominique Masset y voit une criante contradiction comment les habitants peuvent-ils prendre ~ soin de leur eau si celle-ci est gérée de loin au niveau départemental ? Il demande'alors au conseil général d'organiser un débat contradictoire où l'on puisse savoir quels sont les arguments en faveur de la solution actuelle (des syndicats intercommunaux liés aux vallées et des communes en régie communale) et un syndicat départemental. En tant que maire, il participe aux réunions de conciliation, mais n'obtient pourtant aucune réponse.
II propose alors à son conseil municipal de réaliser eux-mêmes cet argumentaire pour ou contre un syndicat départemental... et &ensuite demander l'avis de la population. Un dossier est exposé en mairie, l'argumentaire est envoyé à tout le monde, c'est-à-dire aux 46 habitants permanents et aux 40 habitants ayant des résidences secondaires sur la commune. Une permanence téléphonique est mise en place pour répondre aux questions et une réunion publique est annoncée un mois après la distribution des documents. Plus d'une trentaine de personnes viennent à la réunion et il est décidé de procéder à un référendum communal avec trois questions
• adhésion au syndicat pour la gestion de la production de l'eau,
• adhésion au syndicat pour la production et la distribution de l'eau,
• adhésion au syndicat pour l'assainissement.
Le conseil municipal prend l'engagement de voter proportionnellement aux réponses des habitants. Il y a 74% de votants et la réponse est non à 100% pour les trois questions !
Le conseil municipal vote alors son refus de l'adhésion au syndicat... c'est la seule commune du canton à refuser les trois niveaux proposés et cela provoque la colère des élus socialistes du département qui traitent les élus de Montagagne d'irresponsables, un conseiller général allant même jusqu'à lancer en réunion que "débattre, c'est une perte de temps". Un socialiste bien sûr !
Pour Dominique Masset, c'est une bonne réussite et cela permet d'envisager d'autres débats. Il y en deux en perspective
• redéfinir avec les propriétaires fonciers le mode de fonctionnement de l'ACCA, Association communale de gestion de la chasse, afin de tenir compte de la demande de nombreux nouveaux arrivants, non-chasseurs, qui souhaitent que l'on limite le temps et l'espace réservés à la chasse.
• débattre d'un projet de village pour déterminer des objectifs pour la fin du mandat, sachant que le nouvelle équipe veut faire des propositions dans le domaine social (favoriser la mixité professionnelle, les relations intergénérationnelles) et écologique (favoriser ce qui va dans le sens de l'autosuffisance locale, introduction des énergies renouvelables, valorisation de déchets agricoles pour produire du biocarburant, assainissement communal par filtration à roseau...).
La situation dans la commune est des plus favorables à une expérimentation sociale : les néo-ruraux y sont beaucoup plus ouverts à des idées nouvelles que les anciens (plus que deux ! ), mais rien n'est acquis, car évidemment chacun a des approches différentes et Dominique Masset espère que la démocratie directe permette un enrichissement mutuel. Lui veut poser, au niveau de la commune, mais aussi au niveau des syndicats intercommunaux, la nécessité de rester au niveau de décision le plus bas pour maintenir une démocratie vivante.
Insurrection des consciencesDominique Masset est impliqué dans différentes associations locales et du fait de son intérêt pour le débat politique, il se retrouve en 2003 à la réunion constitutive du Mouvement pour l'appel à l'insurrection des consciences, à l'initiative des proches de Pierre Rabhi. Un premier bureau collégial de vingt personnes voit le jour, autodésigné, et il en fait partie.
Ce mouvement va consacrer alors son action à pérenniser le fort mouvement de soutien perçu lors de la tentative de Pierre Rabbi de se présenter aux élections présidentielles de 2002.
Très vite, toutefois, le mouvement se trouve partagé entre différentes tendances entre ceux qui voient Pierre Rabbi comme un messie, ceux qui veulent faire de la politique autrement... Les débats s'enlisent et il devient de plus en plus difficile d'être actif dans un mouvement immobile, crispé autour d'un Pierre Rabbi chargé de la modération.
En décembre 2004, c'est un constat d'échec et les trois quarts du bureau démissionnent, non par opposition, mais parce que plus rien ne se passe.
Pour Dominique Masset, cela n'est pas important : l'insurrection des consciences n'a pas forcément besoin d'un mouvement pour le représenter. Chacun doit porter en soi cette insurrection et cela se traduit pour lui par le respect au niveau local de la démocratie directe. Alors que Pierre Rabhi et ses proches sautaient allègrement vers une nouvelle candidature en 2007, Dominique Masset pense qu'il est plus important de commencer par le local, avant d'avoir un message par le haut. Pour lui, la réflexion dans les mouvements écologistes ne devrait pas porter sur comment prendre le pouvoir, mais comment le partager.
Dominique Masset insiste d'ailleurs beaucoup au sein de la commune pour que l'on distingue sa fonction de maire de ses engagements militants. Si lui-même est investi dans différentes associations ou collectifs (collectif contre un projet de salon du 4x4, animation d'un lieu collectif l'Equitable - voir page 36 - faucheur volontaire contre les OGM, antinucléaire, collectif pour développer des moteurs à huile...), cela ne lui donne aucun droit particulier au sein du village : tout au plus, a-t-il une force de proposition, mais il'refuse d'avoir celle de décision.
Depuis son arrivée, il a proposé, avec succès, l'adhésion de la commune à Abolition 2000, une association internationale qui regroupe les communes favorables au désarmement nucléaire. Il a également proposé l'adhésion à l'appel des communes sans OGM et a ainsi-pris un arrêté contre les OGM sur sa commune.
Cette nécessité de toujours bien distinguer l'élu de la personne n'est pas évidente. Dominique Masset rappelle que le maire a un devoir de police et qu'il est alors sous les ordres de l'Etat. Pour le moment, il n'a pas eu de problèmes dans ce domaine, mais l'histoire est là pour rappeler que cela n'est pas toujours simple (3).
Un RMIiste heureuxApiculteur et charpentier, Dominique Masset avait opté pour le statut d'agriculteur. Du fait de la chute de la production de miel, il avait demandé à ne plus dépendre de la MSA, Mutuelle sociale agricole, organisme censé le couvrir socialement : il prenait alors le risque de vivre sans couverture sociale. Pendant sept ans, la MSA lui a demandé ses cotisations et cela s'est terminé par un procès avec confiscation de ses terres. Il s'est alors inscrit au RMI. Au bout de quelques mois, les services sociaux l'ont menacé de supprimer le RMI sous prétexte qu'il ne faisait aucun effort de réinsertion ! Cela a provoqué une belle bataille politique sur ce qu'est l'insertion des personnes. Le département a arrêté les procédures de peur qu'il fasse un esclandre.
La liquidation judiciaire a pris cinq ans pour se terminer début 2005. Les saisies ont payé les frais de procédures... et la MSA n'a rien touché ! Exemple d'absurdité administrative.
Il inaugure donc un nouveau métier maire RMIiste ! Cerise sur le gâteau, en tant que maire, il est censé vérifier que les RMIistes de sa commune font bien les démarches nécessaires pour se réinsérer !
Du village écolo à l'éco-hameau ?Ainsi Montagagne est presque devenu un village écolo par le renouveau de sa population ("hippie" disent les mauvaises langues). I:ensemble des maisons existantes ont été rénovées et se pose maintenant la question de construire des maisons nouvelles. Quelques-unes ont déjà vu le jour et un débat est en cours pour réfléchir à ce que pourrait être sur la commune un éco-hameau. Différentes pistes sont à l'étude, des conférences ont eu lieu avec des intervenants extérieurs (4). Un certain nombre d'idées ont déjà été retenues : le hameau doit être pensé de manière dense pour éviter la multiplication des transports et un projet collectif de chauffage pourrait y être associé. Il s'agit de favoriser l'installation de personnes actives, les résidences secondaires ayant tendance à faire monter le prix du foncier. La réflexion porte sur l'articulation entre les choix des particuliers et les choix collectifs, la commune pouvant aider, mais ne pouvant pas être moteur pour de nombreuses questions.
C'est ainsi que dans la montagne ariégeoise se bâtit lentement un village de sensibilité écologique et que le changement vient du bas et non du haut. De quoi alimenter un plus vaste débat : fautil rêver d'écovillage ou orienter la vie d'un village ? La réponse est peut-être dans cette commune car "A Montagagne, qui y monte y gagne"...
MB
Dominique Masset, 09240 Montagagne,tel : 06 10 94 66 82, masset.dominique(a)free.fr
(1) Voir S!lence n°316.
(2)Les habitations du village se trouvent à environ 800 m d'altitude, mais la commune s'étend de 500 m à 1500 m.
(3)Que l'on pense par exemple au maire de Nonette (Puy-de-Dôme) qui malgré ces décisions anti-0GM s'est vu imposer, l'été 2005, des parcelles expérimentales surveillées jour et nuit par des rtiiradors, des gendarmes et des hélicoptères.
(4)Comme François Plassard qui porte un tel projet près de Toulouse.
S!lence #331 janvier 2006
Ecouter aussi sur France culture :
Développement durable et territoires : Montagagne en AriègeEmission du 25 Février 2006 Avec : Dominique Masset , maire de cette commune de 50 habitants et leurs témoignages.
à 10:35