À L'HEURE DES DÉFORESTATIONS et des catastrophes écologiques, diverses instances à vocation internationale paraissent vouloir se préoccuper du problème de la production et de la consommation de la viande. Ce n'est pas trop tôt. Une enquête publiée le 23 septembre dernier dans Le Monde dresse un tableau alarmant du problème posé par l'alimentation carnée, dans les mêmes termes que ce que nous écrivions il y a deux ans déjà (ML n° 1374, 4-10 novembre 2004).
À savoir que la production de viande n'existe que par le viol permanent de la nature et des écosystèmes. Les 30 % des surfaces émergées occupés par les pâturages, et près de la moitié des céréales récoltées servant à nourrir, non pas directement les hommes et les femmes, mais le bétail, se paient au prix des défrichages massifs, du gaspillage de l'eau et du saccage des cultures vivrières. Tristes corollaires, auxquels il faut ajouter divers effets polluants, en particulier les rejets azotés dans les sols et les rivières engendrés par les milliards de tonnes de déjections, ou encore les émissions de gaz à effet de serre dont l'élevage représente, à lui seul, 18 %. Régulièrement, le développement des épizooties provoquées par cette industrie criminelle, tant pour les animaux que pour les hommes, devrait rappeler à tous qu'il est temps de revoir, radicalement, nos habitudes alimentaires.
Le temps presse en effet. Bientôt, la Terre comptera 9 milliards de bouches à nourrir... 9 milliards! Prétendre garantir de la viande à autant d'appétits, dans l'état actuel de la planète et des ressources énergétiques, relèverait tout simplement de la folie furieuse. Hélas, les récentes études menées en commun par la FAO-OCDE (1) prévoient une augmentation de la production mondiale de viande pour les prochaines années, évoquant même une possible multiplication par deux!
À cela, une double cause. La première, que les experts, par pudeur sans doute, n'évoquent pas, s'attache aux intérêts des lobbys de l'agroalimentaire, peu enclins à changer un commerce particulièrement rentable (les besoins fondamentaux de l'humanité ayant ceci d'avantageux, qu'ils sont, par définition, inextinguibles). La seconde, c'est que, pour différentes raisons (culturelles, religieuses...) les consommateurs sont tout aussi peu disposés à modifier leur comportement.
Mais sont-ils convenablement informés? Certes, au sein des pays dits développés, la progression des maladies cardio-vasculaires et de l'obésité qu'entraîne la surconsommation de viande suscite un intérêt croissant pour diverses formes de régime diététique. Mais, du côté des pays réellement pauvres, le problème toujours non résolu de la faim rend impossible toute réflexion sur les comportements. Les repus seraient mal inspirés de donner des leçons de civisme alimentaire aux ventres affamés qui, selon un adage hélas encore vrai, n'ont point d'oreilles.
On nous apprend alors qu'une étude publiée par la revue médicale britannique The Lancet, préconise un rééquilibrage: que les pays riches réduisent leur surconsommation de viande au profit des pays pauvres dont la consommation est actuellement dix fois moindre. Et, afin de conjurer les effets désastreux de la production sur l'environnement, tout en maintenant des rendements suffisamment élevés, il faudrait imposer le concept « d'agriculture écologiquement intensive ».
Que cache cette novlangue de technocrates? C'est simple, et très proche de ce qui a déjà été accompli avec les OGM pour accroître la productivité des végétaux. Séquençage des génomes pour obtenir des races aussi résistantes qu'exploitables, utilisation d'additifs alimentaires pour agir sur la fermentation entérique des bovins (et réduire ainsi la production de méthane), élaboration de rations plus concentrées en céréales... qu'il faudra bien produire, d'ailleurs. Bref, tout cela n'est pas très au point, mais qu'on se rassure: une équipe de sociologues, zootechniciens, économistes, nutritionnistes, .agronomes et j'en passe joue d'ores et déjà les apprentis sorciers dans les laboratoires de l'Inra (2), pour les besoins de la cause industrielle.
Quand admettra-ton que le gaspillage énergétique induit par la production de viande, allié à une démographie mondiale galopante, condamne à court terme le régime alimentaire carné ? Qu'il faille rééquilibrer la production agricole - et surtout la distribution des denrées - afin de régler une fois pour toutes le scandale de la faim dans le monde, c'est une nécessité absolue. Mais les ressources limitées de notre planète nous obligent désormais à nous arrêter aux céréales, aux fruits, aux légumes, sans les réintroduire dans un circuit de boucherie nuisible.
Nuisible, et inutile. Depuis des siècles, des millions de végétariens prouvent qu'on peut vivre et bien vivre sans consommer ni viande ni poisson. Qu'on cesse de mentir en affirmant, comme certains experts du Cirad (3), que la malnutrition dans les pays du Sud tient au manque de protéines animales. Elle tient, en l'espèce, au manque de nourriture tout court.
L'alimentation sans viande, solution d'avenir? Trop longtemps délaissée, la question appelle les réflexions et propositions des anarchistes. Et pour commencer, pourquoi ne pas renouer avec la propagande par le fait, entendons par l'exemple? Le végétarisme serait, de ce point de vue, un excellent terrain d'exercices.
André Sulfide
1. La FAO est une organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture. OCDE: Organisation de coopération et de développement économiques.
2. Institut national de la recherche agronomique.
3. Centre de coopération internationale de recherche agronomique pour le développement.
Le Monde libertaire #1489 du 11 octobre 2007
à 13:49