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(…) Il lit… Que ne lit-il ?
En dix-huit mois, le jeune exilé a fait le tour, crayon en main, de toute l’extraordinaire floraison socialisante, libertaire qui s’épanouit depuis cinquante ans sur le vieux monde et trouve en France et en Angleterre son terrain le plus favorable.
Fourrier, Proudhon, les précurseurs, William Godwin, l’auteur des « Recherches sur la Justice en Politique », Stirner, dont « L’Unique et sa Propriété », qui date de 1844, vient de ressusciter de l’oubli ; Marx et Engels, vieilles connaissances, Tucker, beaucoup moins sectaire, dont les articles de la « Liberty » sont reproduits ou critiqués dans le « Révolté », que Jean Grave a hérité de Reclus ; Nieuwenhuys, César de Paepe, Malatesta – Que Malato va bientôt lui faire connaître en personne – Cafiero, Jean Marestan.
Ajoutez les deux grands russes, Bakounine et Kropotkine, pour lesquels il rompt les lances à l’abbaye de Thélène ou à la taverne du Panthéon (avec une prédilection marquée par le second « tellement moins haineux ») dans un petit cercle où se coudoient ses amis français (Malato, Paraf-Javal, le fils Salmeron, etc.) Plusieurs, du cénacle, épouseraient « l’humanitarisme » de Tolstoï, dont Ferrer déteste au contraire la propension à « tendre l’autre joue », si opposé à la fierté native du Catalan.
Tous, ou presque, les auteurs qu’on révère-là sont des « anarchistes », n’en déplaise à R. Zorilla. Et « anarchistes » aussi les maîtres que mon père sent le plus près de son cœur : Reclus, qu’il brûlerait de toucher, et Jean Grave, qu’il va visiter. On imagine mal aujourd’hui ce que furent les vingt ans qui suivirent la guerre de 70. Déjà, le régime capitaliste avait fait la preuve de ses tares et de son impuissance, s’était montré fauteur de misère et d’entre-tuerie. Cependant il avait triomphé, par la défaite de la Commune, confirmant l’écrasement des « hommes de 48 ». D’où une vague de désespoir passant sur le peuple incapable d’arracher de vraies conquêtes, jetant à bas tous ses espoirs de justice et de fraternité.
Les intellectuels s’aigrissaient. Le retour désemparé des déportés de 71 jetait sur le pavé de Paris un ferment de vengeances. Il se reformait en coulisse un prolétariat revanchard qui, sentant la route barrée vers le mieux-être indispensable, préférait faire sauter l’obstacle. Sauter qui ?
C’était l’époque typique des lanceurs de bombes, ceux-là que Ferrer avait déjà vu à l’œuvre dans son pays. Quelques poignées d’hommes de toutes les origines, soudés par la rancœur, gens d’action ou théoriciens, parfois une vraie pègre, cambrioleurs, assassins ou violeurs de sépultures, comme – selon certains – Ravachol, souvent une « élite » en son genre susceptible des gestes les plus nobles et des paroles les plus magnanimes, comme – peut-être – ce même Ravachol devant qui, à l’heure de l’échafaud, s’incline respectueusement une partie de la France pensante, tandis que l’autre répand sur lui l’infamie et l’exécration.
Sol Ferrer – Le véritable Francisco Ferrer – Editions des Deux Sirènes, Paris 1948