High-tech, sécurité et identification électronique : toutes les techniques sont disponibles pour nous contrôler dans le moindre de nos mouvements. Peut-on arrêter ce "progrès" ? Une entreprise a breveté le concept UAID (identification unique des adresses) qui permettrait de mettre sous code barre tous les villages, maisons, usines, rues, forêts..à la surface de la planète. Plus besoin de nom de rue, de localité, pour vous adresser un colis. LUAID est basé sur un code de 22 caractères alphanumérique (1). LUAID répondrait ainsi aux besoins des administrations européennes pour la sécurité et la traçabilité des aliments qui s'échangent de manière croissante entre continents et pays. La surface de la planète serait ainsi répertoriée dans un "annuaire" international d'adresses, mise en quelque sorte sous code barre.
Des systèmes d'identification électronique des produits existent dans l'industrie. Le plus en vogue est le système RFID (identification par fréquence radio) (2) qui permet d'identifier à distance (à travers le carton, le plastique, les murs...), des objets, des animaux, voire... des humains.
L'implantation sous-cutanée de ces micro-chips ne semble pas relever de la science fiction (3), elle est une pratique actuelle. Ce "concept" outre qu'il permet d'accroître la productivité des services de logistiques de tout poil, mais aussi celle de l'élevage et de l'industrie, pourrait bien au bout du compte servir à l'identification des humains (4). Il se trouve en effet que certaines sociétés prônent l'implantation de puces sous la peau de leurs propres salariés, ou même de là population. Ce procédé ayant maintenant acquis le vocable 1"'empucelage" d'un individu, le "dépucelage" correspondrait alors à l'extraction de la puce implantée.
Sans aller aussi loin, la carte d'identité électronique pourrait bien nous réserver des surprises.
Nouvelle carte d'identité : le coercitif à portée de puceDans la logique d'un contrôle social toujours plus efficace, pourquoi ne pas faire en sorte que des individus puissent être identifiables et repérables géographiquement, à leur insu, en fait dé les rendre en quelque sorte "transparents" aux yeux du contrôle social.
Aujourd'hui, à travers le projet INES (identité nationale électronique sécurisée) (5), l'Etat affiche sa volonté d'imposer à chacun le principe d'une carte d'identité électronique (6) interrogeable à distance car intégrant une puce RFID, et qui plus est, obligatoire. Il semble bien que ce projet porte atteinte à la protection des individus contre l'arbitraire éventuel de la puissance publique, mais aussi aux libertés individuelles tout en réduisant la personne sociale à ses attributs biophysiques.
Tout d'abord, le principe même d'une pièce d'identité dont le port serait obligatoire sont les prémices au déni du principe de liberté de circulation dans l'espace public. En effet, si aux yeux de la société et des institutions un individu est en situation irrégulière par le simple fait qu'il ne porte pas sur lui un document (électronique ou non) lui permettant de justifier de son identité, alors cela revient à établir qu'être, en soi, ne suffit plus pour avoir- librement sa place dans (espace public. Faut-il rappeler que de telles dispositions sont, d'abord, (apanage des dictatures ?
Les pouvoirs publics ont, il y a peu, instauré la gratuité de la carte nationale d'identité. La carte d'identité électronique (obligatoire d'autant qu'elle sera "gratuite") risque fort d'imposer un contrôle social d'une efficacité jamais atteinte dans (histoire de l'humanité et à (échelle de la population d'un pays.
Ensuite, le fait que cette "carte d'identité" puisse être interrogeable à distance â (insu du porteur, constitue une violation de la liberté d'obtempérer, et réduit de fait la population à un cheptel humain (7) qu'il faut gérer de la manière industrielle la plus efficace.
Rappelons que dans le projet INES, il ne s'agit pas de sécuriser la carte d'identité en tant que telle en intégrant dans la puce une sorte de preuve numérique de son authenticité, mais bien d'intégrer dans la puce des informations d'identité et biométriques concernant le porteur (8). De fait, ce titre d'identité étant électronique réduit cette pièce d'identité à l'état de machine. Ces aspects des choses ont plusieurs conséquences
• l'information contenue dans le support électronique n'est plus directement et publiquement accessible, donc n'est plus sous le contrôle libre du porteur,
• il est nécessaire de disposer d'un équipement spécifique en bon état de fonctionnement pour pouvoir accéder aux informations du support électronique, équipement qui n'est pas accessible au porteur,
• lé fait de rajouter des intermédiaires technologiques à travers la puce elle même, le programme informatique qui la gère, le système de transmission par radiofréquence, le récepteur qui lit le contenu de la puce à distance... augmente le risque d'erreur, voire de malveillance, car au final, ce dispositif est inaccessible au citoyen lambda, et obéit aux critères établis par le pouvoir en place,
• alors que le simple fait d'avoir dès yeux et de savoir lire étaient les conditions suffisantes pour partager les informations présentes sur la carte d'identité papier, avec la carte d'identité électronique, (asymétrie entre le citoyen et les forces de police sera donc singulièrement renforcée.
Contrôle invisibleMais ce n'est pas tout car, si le port d'une pièce d'identité en France devenait obligatoire sur la voie publique, et si cette pièce était électronique, la connectivité du monde numérique via le Web et le Wap, associée aux possibilités des puces RFID et de l'UAID, ouvrirait sur un monde singulièrement nouveau...
Pour illustrer cette nouveauté voici une situation fictive: vous vous promenez dans la foule en ville et avez en poche votre carte d'identité high-tech, comme il se doit. Vous passez à une vingtaine de mètres d'un représentant des forces de l'ordre. I:agent de la force publique ne vous demande rien puisqu'il peut connaître votre identité en interrogeant à distancé les cartes d'identité électronique RFID qui sont à sa proximité, dont la vôtre.
Grâce à la connectivité numérique, il est en mesure de recevoir sur l'écran de son téléphone portable équipé du système d'interrogation des cartes à distance, à la fois votre photo d'identité et les autres renseignements figurant sur votre puce, mais aussi le cas échéant, les autres informations vous concernant que peut lui envoyer un serveur informatique dédié du ministère de l'intérieur.
Dans le même temps, votre positionnement géographique en terme d'UA1D (voir plus haut) est associé à votre identification renvoyée parla puce RFID de votre carte' d'identité, ceci en temps réel. Ces .informations peuvent facilement entrer dans les archives électroniques du dit ministère.
De plus, comme un maillage de balises a été installé sur toutes les grandes villes du territoire, un peu comme pour les relais de téléphones portables (mais avec cette différence que ces balises peuvent être beaucoup plus petites et sont beaucoup plus simples), De la sorte les forces de (ordre peuvent réaliser un véritable contrôle continu et automatique des déplacements de certaines .personnes, voire de leur activité si la carte intègre des fonctions de paiement, de carte de sécurité sociale, de vote... à leur insu. Untel dispositif permet aussi de contrôler la présence de toutes les personnes qui circulent sur une zone définie comme sensible (un champ d'OGM, une manifestation, une grève...). Vos déplacements géographiques pourront alors être suivis, mémorisés et transférés sur le serveur du ministère de l'intérieur donc accessible à tous les services de police... de l'espace Schengen, instantanément et surtout automatiquement. Vous êtes fliqué même si vous ne possédez plus un portable, car la carte d'identité électronique interrogeable à distance, elle, est obligatoire.
Si vous êtes effectivement recherché, le portable de l'agent de la force publique se met à vibrer selon un rythme caractéristique, lui signalant discrètement votre cas, votre visage apparaissant sur son écran. Et si vous n'êtes pas recherché : bug informatique ? fausse ressemblance ? erreur de manipulation ? perturbation de la liaison radio ? bouc émissaire idéal ? Autant le dire, la high-tech policière aura forcément les mains sales si on lui donne la possibilité de voir le jour.
Enfin, précisons que certains tenants de ces techno-folies prônent (implantation dans le corps, par exemple dans une des deux mains, entre les os du métacarpe, son implantation étant ici facile et son extraction ne pouvant être que volontaire, car nettement plus difficile.
Futur improbable ? Allégations sans fondements ? Observons tout de même que les banques adoptent le RFID. Par exemple Visa, après Master Card et American Express, se dotent d'une carte de payement RFID (9). Qui refusera une carte de crédit qu'il n'est même plus besoin de sortir de sa poche ? Les occasions de préparer les masses au "concept" RFID sont nombreuses comme l'ont précisé les auteurs de Pièces et main doeuvre dans un article récent de Silence (10).
Des moyens efficaces, des fichiers peu fiablesLe pouvoir en place a déjà préparé le terrain technique, judiciaire et médiatique depuis des années pour un flicage technologique idéal. II s'est doté de réseaux de communication, de fichiers et de matériels spécifiques et compatibles (11), il a modifié la loi informatique et libertés durant l'été 2004, accordant des libertés inédites aux organes ayant la responsabilité du fichage des citoyens, ce que la Commission nationale informatique et libertés a clairement critiqué (.12). Rien d'illogique à ce qu'aujourd'hui il soit en train de vanter les mérites d'une carte d'identité à puce basée sur la biométrie, comptant sur le "sentiment d'insécurité", sensé crédibiliser la nécessité du renforcement du contrôle social.
La France excelle dans la création de fichiers dont les grosseurs ne posent plus de problème d'utilisation avec l'informatique embarquée et les réseaux de télécommunication. Par contre, la multiplicité de ces fichiers officiels ou devenus officiels (13), s'ajoute à la pratique des "listes noires" (14), ainsi qu'à la qualité (I5) et la fiabilité (16) très discutées contenues dans ces fichiers.
Mais, au-delà de ces faits graves, c'est surtout la compatibilité de l'existence et de l'usage de ces réseaux, fichiers et matériels, avec les droits et libertés humains qui pose problème.
En effet, le refus d'un contrôle d'identité à lui seul peut justifier une inscription au fichier STIC, le refus de se soumettre à un prélèvement afin d'être intégré dans un fichier tel que le fichier FNAEG peut se révéler être une infraction pouvant impliquer une inscription au- fichier STIC (17). On rappellera juste qu'au RoyaumeUni, vous ne pouvez pas vous faire reprocher par la force publique de ne pas avoir de carte d'identité, car, de haute lutte au sein des institutions politiques de ce pays, il n'y a toujours pas, pour l'instant, de carte d'identité au pays de Shakespeare.
La voie du progrès et de la sécurité est pavée de bonnes intentions"Mais quel esprit torturé avez-vous! L'unification des système tels que l'UAID et le RFID, vous permettra de vivre avec moins de soucis. Plus besoin de code pour votre carte bancaire, ni même besoin de la sortir de votre poche, plus besoin de clefs pour ouvrir la porte du domicile, et en cas d'accident, la puce contiendra les informations de base informant les secouristes de vos particularités médicales".
Pour la quiétude du citoyen consommateur sécurisé, toute mobilité pourra être repérée, tout rapprochement de deux individus dans une même zone ou deux zones proches pourra être identifié, analysé, mémorisé. Certains clameront l'impossible mariage entre liberté et sécurité. "Mais cher monsieur, foin de telles paroles de Cassandre, vivez avec votre temps que Diable, on arrête pas le progrès ! ".
Et on vous expliquera que si telle personne, enlevée par un maniaque avait eu une puce RFID sur elle, voire implantée en elle (c'est plus sûr), on aurait pu la retrouver aisément avant que le pire n'arrive... On a bien entendu des discours semblables dans certaines affaires, cette fois à la faveur des téléphones portables.
1984 et Le meilleur des mondes semblent peu à peu prendre corps dans le présent. Mais n'y sommes-nous pas déjà un peu préparés, voire un peu consentants ? Un collège californien (18) a imposé aux élèves, sans demander l'avis à leurs parents, de porter des badges RFID, afin d'automatiser donc faciliter l'intendance de l'établissement, le contrôle des absences, mais aussi réduire le vandalisme, car pouvant de la sorte localiser et retrouver tous les déplacements horodatés de chaque étudiant dans l'établissement...
Pour éviter de telles dérives sécuritaires, donc rejeter un état civil biométrico-radiosécurisé et conserver un état civil simplement social (19) avec si désiré une carte d'identité en papier avec à la rigueur des hologrammes incorporés, il faudra certainement lutter. Dans les faits, de plus en plus de pays européens s'apprêtent à adopter des techniques semblables, et les institutions européennes n'y voient aucun inconvénient... Alors, le flicage numérique high-teck, qui veut vivre avec ?
Daniel julien
(1) Par exemple "32U27C74QDR527SL4QIK4D". Voir le site
uaid.org qui vante les mérites de ce système.
(2) Voir les nombreux sites internet professionnels qui font la promotion de ces puces.
(3)Voir
www.pcinpact.com/actu/news/RFID_une_ piqure__dabeille_qui_sauve_la_vie.htm.
(4) Voir:
http://www.verichipcorp.com/(5) Voir le document de présentation en huit pages du projet INES produit par le secrétariat général de la Direction du programme INES du ministère de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales, téléchargeable sur :
http://www.foruminternet.org/telechargement/forum/pres-prog-ines-20050301.pdf(6) Voir le site internet de la Cnil, dossier "titres d'identité" sur
www.cnil.fr/index.php?id=1773.
(7)La technique d'identification par puce RFID est déjà en application dans certains élevages bovins.
(8)Certains pays comme l'Estonie qui a équipé plus de la moitié de sa population, a opté pour une carte avec authentification et signature électroniques, cette carte pouvant servir de ticket de transport, de carte de sécurité sociale et d'accès aux dossiers médicaux, et devrait étendre ses fonctions en incluant le permis de conduire, l'assurance automobile, carte d'électeur. (source :
http://www.id.ee/pages.php/0302 cité par la Direction du programme INES).
(9)Voir:
http://solutions.journaldunet.com/0503/050201_visa_rfid.shtml(10)Téléphone portable, gadget de destruction massive, Silence n°328 et 329.
(11)La compatibilité technique des fichiers et des matériels n'est pas un problème, les technologies de l'information mises en oeuvre concernant la sécurité sont maintenant conçues de manière à atteindre une versatilité maximale.
(12)Voir la position de la Cnil sur
www.cnil.fr/fileadmin/documents/approfondir/dossier/CNIbiometrie/Position-cnil-CNI-05-2005.pdf.
(13)On citera par exemple : FICP (fichier national des incidents de remboursement des crédits aux particuliers), RNIPP (répertoire national d'identification des personnes physiques), FCA (fichier central des automobiles), FAED (fichier automatisé des empreintes digitales), AGDREF (application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France), STIC (système de traitement des infractions constatées), Judex (fichier propre à la gendarmerie nationale), FNAEG (fichier national des empreintes génétiques), OFPRA (fichiers de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides), FPR (fichier des personnes recherchées), FNI (fichier national des immatriculations), RNIAM (répertoire national interrégimes des bénéficiaires de l'assurance maladie), Preventel (base de prévention des impayés), Europol (fichier de la "police" européenne), SIS (système d'information Schengen)...
(14)Voir le dossier de la Cnil proposé au téléchargement sur son site
www.cnil.fr/index.php?id=1000.
(15)Des informations relevant de la vie privée, à caractère racial, sexuel ou politique sont souvent constatées par la Cnil elle-même (voir les descriptifs des fichiers sur le site de la Cnil, dossier "Fichiers en Fiches")
(16)Par exemple concernant le fichier "Stic", la Cnil a constaté un taux d'erreur de 25% (source Cnil)
(17)Source : Cnil.
(18)Voir :
www.incomcorporation.com/ et
http://www.principalspartnership.com/idbadges.pdf(19)Rappelons que l'existence de la carte d'identité est considérée dans un certain nombre de pays comme une mesure liberticide, et que cette mesure est, en France, un héritage pafticulier complètement intégré dans nos moeurs.
S!lence #333 mars 2006
à 08:57