Il y a quatre mois, le 31 octobre 2004, pour la première fois de son histoire, une coalition de gauche, le Frente Amplio (FA)-Encuentro Progresista-Nueva Majorité remporta les élections présidentielle et législatives. Cette victoire a mit fin à plus de 150 ans de partage de pouvoir entre les partis traditionnels "blanc" et "coloré" (1).
Même si tout le monde souligne la montée en
puissance du FA depuis sa création en 1971, son arrivée au pouvoir est aussi à
mettre sur le compte de la situation sociale et économique catastrophique que
les politiques "néo-libérales" des partis traditionnels (et des militaires) ont
mis en place.
SITUATION ECONOMIQUE ET SOCIALE
En 1999-2002, ces
politiques ont conduit l'Uruguay, à l'image de l'Argentine, dans une crise
profonde. Durant cette période, la dette publique brute a triplé, passant de 34
% en 98 à 93 % en 2002 et tous les autres indicateurs économiques ont chuté :
PIB (-17,5 %), consommation (- 20,2 %), investissement (- 50,9 %), exportation
(- 19,8 %), importations ( - 37,3 %), ce qui a engendré une inflation de 31,7 %
et un déficit fiscal moyen de 4,3 %.
Alors qu'en 2003 et 2004, l'Uruguay
affichait un déficit fiscal, le FMI exigeait un excédent de 4 %, ce qui
supposait une réduction des dépenses publiques qui touche avant tout les plus
pauvres. Le gouvernement de l'époque proposa 3,5 %.
La dette publique est
de 13,5 milliards de dollars, l'équivalent du PIB (produit intérieur brut) de
2004. Lors des cinq prochaine années, le nouveau gouvernement devra (si il veut
!) payer 9 milliards de dollars. En 2004, il a été payé, seulement au titre des
intérêts de la dette, l'équivalent de 112 % des salaires des fonctionnaires. Son
paiement devrait, si on tient compte de la situation sociale du pays, être remis
en cause mais le futur ministre de l'Economie, Daniel Astori, est un "ami" du
FMI (il s'est rendu à Washington avant les élections).
Car il n'y a pas
que la dette qui ait augmenté, en 2003, 41 % des uruguayens étaient pauvres (60
% des moins de 18 ans). Par contre le salaire réel s'est réduit de 23 % entre
1998 et 2004. Le taux de chômage est passé de 10 % en 1998 à 17 % en 2003 ; même
s'il est descendu à 12 % en 2004, le taux de travailleurs précaires est passé de
20,3 % à 44,6 %.
Une donnée qui devrait clouer le bec (mais une donnée
n'est pas suffisante, il faudrait quelque chose de plus percutant) aux
théoriciens de "la-croissance-comme-solution-sociale" est l'augmentation
comparée du PIB et du salaire réel, 12,4 % pour le premier et 0,4 % pour le
second. 40 % de la population active (économiquement parlant) n'a pas de
couverture sociale.
LE FRENTE AMPLIO : LA SOLUTION ?
Aujourd'hui,
le FA est très différent de celui de 1971 en raison du fait qu'il ait dû
amplifier ses alliances pour lui permettre d'accéder au pouvoir, avec l'entrée
de courants de centre-gauche. Alors qu'au sein de la coalition, le MPP
(Mouvement de Participation Populaire), ex-Tupamaros (MLN) est majoritaire (20
%), le FA regroupe des courants idéologiquement très hétérogènes. Certains font
remarquer que cette alliance autour du "programme commun", pourrait ne pas
résister aux exigences et aux objectifs des secteurs les plus revendicatifs, en
raison notamment du caractère relativement flou de ce programme (un peu à
l'image de ce qui s'est passé entre le PS et le PC après mai 81).
La
première mesure qui prendra le nouveau gouvernement, quelques heures après sa
prise de fonction, sera la signature du décret instaurant un Plan Nationale
d'Urgence Sociale dont les moyens et les financements se sont pas définis et
dont on peut douter qu'ils soient supérieurs à ceux du paiement de la
dette.
A noter tout de même qu'une particularité du FA est sa tendance à
s'appuyer sur sa base sociale (présence de comités de base dans les quartiers),
ce qui pourrait permettre une participation des habitants dans le procesus de
changement (d'ailleurs des voix au sein du FA s'élèvent déjà en ce sens) et
éviter une bureaucratisation de la nouvelle force politique au pouvoir ainsi que
lui rappeler certaines réalités sociales. Le rôle du mouvement social et en
particulier de la centrale syndicale, PIT-CNT, pourrait être également
déterminant.
Avant de laisser un uruguayen conclure, j'avais écrit dans
un article précédent (2) : "Une uruguayenne d'environ 50 ans me (répondit) sous
forme de métaphore : "C'est un bien terrible. Tout va changer mais par étapes.
Tabare Vasquez est (ontologue) et il va essayer de traiter le cancer qu'a laissé
la droite" Plus on tarde à traiter un cancer et plus les chances de s'en
débarraser sont minces, espérons que dans le cas de l'Uruguay il ne soit pas
trop tard. Ou alors il faudra trouver une méthode plus radicale que la
chimio-thérapie..."
Antonio Elias, au final de son article "un
gouvernement en dispute" (sur lequel je me suis appuyé pour rédiger cet article)
écrit : "Pour qu'il y ait un Uruguay productif, un changement de gouvernement ne
suffit pas, il faut changer le modèle -les règles du jeu et la stratégie de
dévelloppement- et pour cela il faut une accumulation de forces beaucoup plus
importante que pour réaliser des changements de degré à l'intérieur de
l'actuelle trajectoire. Ceci est la tâche".
Fab (
santelmo@no-log.org)
Montevidéo,
28/02/05
(1) Uruguay : et la gauche l'emporta
http://paris.indymedia.org/article.php3?id_article=28003&id_mot=11La
gauche uruguayenne : de l'hégémonie culturelle à l'hégémonie politique
http://risal.collectifs.net/article.php3?id_article=1163(2)
Elections en Uruguay : chronique personnelle
http://paris.indymedia.org/article.php3?id_article=27746&id_mot=11#commentaires