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La notoriété récente des blacks blocs, leur présence spectaculaire à chaque manifestation d’une certaine ampleur des opposants à la mondialisation (Gènes, Québec, Seattle, Prague) les interrogations sur leurs motivations ainsi que la complaisance intéressée des médias devaient nécessairement déboucher sur des livres. Au Québec un politologue universitaire s’en est chargé[1] il y a quelques années.
Entre analyse sociologique et survol politique, l’auteur explorait la stratégie
et les principes anarchistes des blacks blocs. Il est pertinent de revenir sur son analyse,
même avec quelques années de décalage, car ce petit livre illustre parfaitement
l’ignorance, la confusion et la prétention d’une pensée sociale qui ne
s’embarrasse ni des apports de l’histoire ni de possibles effets retours sur
tous ceux qui seraient séduits par les blacks blocs. Il est regrettable que cet
opuscule ait été écrit par un universitaire qui par ailleurs donne un cours sur
l’éthique alors que ces thèses en sont si totalement dépourvues. Il est tout
aussi regrettable que cette analyse puise passer pour une lecture radicale ou
révolutionnaire d’un moment historique particulier. Cette lecture parasite n’a,
au contraire rien de radicale, elle est l’expression d’une pensée morte dont
l’expression embrouillée est un moment nécessaire à la récupération de tous les
combats et de toutes les formes de résistance qui sont liés à ces luttes . De cette façon, l’aliénation se perpétue sans
mal : ceux qui se réclament maintenant de l’anarchisme (cette idéologie
qui a échouée en Espagne au siècle dernier) ne propageant plus que des idées
fausses.
Les
blacks blocs sont nés d’une forte mobilisation d’individus inorganisés autour
des squats autonomes de Berlin ouest dans les années 80. Pour défendre des
expulsions les squats du quartier de Kreutzberg, ils utilisaient alors une
tactique et une stratégie de convergence rapide sur les lieux de l’affrontement
mêlant solidarité active dans l’action (priorité à la libération des arrêtés,
premiers soins, regroupements rapides et harcèlement) et résistance afin de
lutter efficacement contre les groupes tactiques policiers. Cette mini guérilla
urbaine était adaptée à un quartier de Berlin où les autonomes allemands
étaient majoritaires, remarquablement motivés et parfois protégés par les
habitants, eux-mêmes notamment les immigrés (majoritairement turcs) et une
frange importante des marginaux (artistes, chômeurs) de la société berlinoise.
Les groupes autonomes en RFA, en Italie et
en France, le mouvement punk en Angleterre, certains groupes à Madrid et à
Barcelone vont généraliser ces types d’actions offensives et coordonnées et,
parallèlement, leurs critères de groupe et d’identification vont évoluer vers
des modes vestimentaires où le noir et le port des masques vont se généraliser
dans les manifestations pour tenter de générer un certain anonymat des
manifestants.
La tentation de la violence incarnée dans
la rage et la haine ou dans le geste de révolte spontané (casse de vitrines, incendies
ciblés de banques, jets de pierres, pillage) va devenir la marque distinctive
de ces groupes.
À ce sujet, il aurait été nécessaire que
l’auteur indique le contexte révolutionnaire et social dans lequel sont nés ces
groupes autonomes et l’influence de ces conditions d’émergence sur leur
pratique et leur théorie. Il aurait alors compris combien la tentation du
terrorisme (souvent en arrière plan lorsqu’on prône la violence sociale) de la
pratique comme culte, était considérable dans les années 70/80 en Europe.
Elle ne fut écartée qu’en partie en France (Action Directe) et après des débats
difficiles parmi les organisations les plus radicales alors qu’en Italie et en
RFA le terrorisme recouvrait peu à peu toutes les perspectives de la lutte
comme de la critique. Manipulés, infiltrés, détournés de leurs objectifs
révolutionnaires, les activistes des Brigades rouges, de Prima Linea, de la
RAF, et de tant d’autres groupes enfermés dans une logique clandestine ont
servi à atomiser considérablement un mouvement social alors d’une certaine
ampleur. Sur le continent américain, les Weatherman ont joué le même rôle
tragique d’une façon encore plus isolée. Le militant américain Michael Albert a
raison de souligner, dans sa contribution à ce livre, que se sont souvent les
meilleurs parmi nos camarades qui avaient choisis la lutte armée, nous
rajouterons que par rejet viscéral de la théorie ils ont voué leurs vies à
l’apologie désespérée de la “ pratique ”. Une des leçons de cette
fausse guerre aura consisté au moins à montrer la nécessité d’une praxis et non
le fétichisme d’une lutte suicidaire, la réapparition cyclique du sacrifice.
Les conditions ont changé, la répression
et le contrôle social se sont renforcés en partie à cause des effets du
terrorisme de ces années-là, mais la stratégie des Black bloc continue à
colporter les illusions et la fable de cette opposition extra parlementaire
littéralement en écho du pouvoir. Cette stratégie, si elle s’étend, conduit
tout droit vers l’exclusive d’une pratique érigée en dogme. Michael Albert a
raison de s’en inquiéter et de rappeler l’impasse dans laquelle se sont
détruits les Weatherman aux U.S.A.
Maintenant que nous pouvons tirer partie de
l’enseignement de cet engrenage, de l’action directe au terrorisme, nous
observons qu’il a été aussi un constat d’impuissance généralisé face aux
impasses historiques du mouvement ouvrier et à la recomposition nécessaire de
sa praxis. L’insurrection devenue impatience solitaire et apologie systématisée
de la violence révolutionnaire a privilégié l’urgence du désir, la réalisation
du “ beau geste ”dont rien ne garantit la pertinence de l’angoisse
obsessive. Les textes des blacks blocs cités dans le livre de Dupuis-Deri relèvent
de l’incantation subversive, de la magie du geste, d’une perception immédiate fermée
à son propre sens, d’un discours romantique et révolutionnaire qui est le
rêve de la chose mais non la chose elle-même. Aucune autre perspective que
cette stratégie de lutte, que la présence de gestes répétés issus de la
souffrance du manque ne définit la différence et la cohérence de leur projet historique.
Or “ il n’est pas douteux, pour
qui examine froidement la question, que ceux qui veulent ébranler réellement
une société établie doivent formuler une théorie qui explique fondamentalement
cette société. ”[2]
Voici une violente vérité qui échappe à l’entendement
des Blacks blocs comme à l’auteur du livre. Ou plus récemment à Baillargeon dans son dernier morne livre[3].
Sa vision des blacks blocs semble un joli
conte de fée. Des discussions agitées ont en effet suivies les mobilisations
anti-mondialisation, les stratégies utilisées ayant trouvées plus que des
limites : des impossibilités. Ces analyses ont aussi libérés des
frustrations longtemps contenues. La démocratie interne des groupes a été
souvent vécue sous la forme d’un nivellement par le bas de la participation de
tous et par des spécialisations : de la parole, de l’action, de
l’organisation. Parallèlement, la posture romantique du héros radical, la
rhétorique du sacrifice, sacrifice au groupe, aux nécessités de la lutte, ont
été vécus comme la mise en place de systèmes compensatoires au détriment d’une
véritable réflexion théorique et pratique. Avec toutes ces réserves, il s’est
agi alors de poser les termes d’un véritable débat d’orientation, de
chercher à théoriser et à remettre en cause des vérités installées dans
l’évidence, d’y retrouver un élan propulsif du moment que les gens étaient
prêts à lutter pour elles.
Dans cette première partie du livre, nous
notons la complaisance avec laquelle la problématique de la violence est
débattue, justifiée sans véritable pertinence révolutionnaire, du seul point de
vue spectaculaire, comme un syndrome généralisé et juste à tout moment de
la pratique sociale. La violence existe quotidiennement dans la guerre sociale
actuelle. Les révolutionnaires doivent y répondre mais non par une dimension anecdotique
de la révolte qui n’exprime qu’une perception immédiate privant la critique
radicale d’une violence cohérente qui soit un réel dépassement de
l’impuissance.
Le rapport de forces est négligé,
l’expérience de la répression, les nombreuses arrestations et emprisonnements
récents sont oubliés.
Les enseignements de l’histoire concernant
cette stratégie violente et fragmentaire de la pratique rebelle sont
occultés. La conduite de la lutte sous les drapeaux du vandalisme, de la
provocation, de l’envie d’en découdre sans véritable plan qui vaille autre que
la spontanéité sont données comme les règles du jeu des blacks blocs. Bonnes
sur le terrain des manifestations de rue, il serait illusoire de vouloir
généraliser celles-ci partout sans un minimum de réflexion critique.
Les Blacks blocs ont élaboré une stratégie
de survie dans les manifestations efficace pour eux. Mais il semble
qu’en dehors du terrain balisé de la manifestation de rue commencent les
difficultés à maintenir leurs thèses, indéfendables ailleurs que sur un terrain
réactionnel.
Reste la rage mais la rage n’est pas une
stratégie limpide, elle pourrait devenir aveuglante et verser dans une
technique activiste dont l’efficacité semble plus épanouie sous les
caméras des TV, aidée d’une très trompeuse impunité des groupes radicaux que
les services spéciaux de la police infiltrent si aisément.
La matière de cette colère, son image
ramenée trop explicitement à ce qu’en attendent les médias masquent la vérité
de la substance révolutionnaire, réduite à l’oppositionnel, à la dépendance et
finalement peu différente car réduite dans ce qu’elle préfigure (voir le texte Communiqué
au sujet des tactiques et de l’organisation p. 87 et suivantes du livre de
Dupuis-Deri) à la violence d’état ou aux stratégies militaires.
La conjoncture historique, l’autonomie
comme conscience, la théorie du mouvement réel, la cohérence expérimentale
de ces nouvelles formes de regroupement stratégique, la nécessité d’une
pratique renouvelée, tous ces détails ne sont jamais abordés du point de
vue de la critique dans ce livre mais seulement repoussés très loin, dans l’écho
simplifié d’une expression radicale et non d’un point de vue qui tendrait à
devenir unitaire.
“ L’accent mis sur la gestualité
rebelle occultait à ses chroniqueurs la mutilation produite : jamais on n’aura rassemblé autant de préceptes
d’activisme et d’aventure pour masquer les mésaventures du spontanéisme,
partout où celui-ci se postulait comme le court circuit capable d’abolir
magiquement le manque à soi réciproque de théorie pratique et d’auto conscience
critique. ”[4]
Au fond, ce qui intéresse Dupuis-Déri,
c’est de montrer que le zèle activiste des blacks blocs ne doit pas dérouter
les organisations réformistes (p.53 et suivantes- chapitre
anti-mondialisation). Au contraire, derrière le visage de cette violence,
se dissimulent des gestes qui font avancer l’histoire et que les réformistes
pourraient et devraient récupérer à leur profit. En vérité, cette
interprétation n’est pas dépourvue d’humour involontaire. Ce sens commun de
l’honnête rentier politique, éternelle duplicité de la récupération, est
toujours soucieux de légalité, là où même les organisations réformistes, dans
leur conscience simple, prennent pour argent comptant leur condamnation dans
les intentions des blaks blocs qu’on sait assez subversives pour s’affronter
durement à leurs services d’ordre.
La deuxième partie du livre, Les Blacks
Blocs par eux-mêmes, comprend des documents ayant circulés à peu près tous sur
le net et le texte critique du militant américain Michael Albert. Ces documents
n’ont rien de véritablement inédit, toutefois ils nous inspirent un certain
nombre de commentaires.
D’une façon générale, la sympathie de
l’auteur envers les Blacks blocs augmente la valeur de reconnaissance de leurs
faits d’armes, de leurs pensées. Elle renforce la rumeur spectaculaire de leur
efficacité en tant que groupe. Qu’en est-il vraiment ?
Les textes proposés et attribués aux
blacks blocs sont d’une indigence théorique et critique totale. Par exemple le
texte ( Communiqué au sujet des tactiques et de l’organisation p. 87)
qui décrit l’organisation révolutionnaire idéale va jusqu’à proposer une très
militaire structure de commandement basée sur des principes anarchistes
entretenant (on ne sait trop comment) la fameuse spontanéité anarchiste. Nous
signalons aux auteurs de ce texte désolant que les conditions historiques et
sociales ont largement changé depuis la Colonne de fer de Durruti. On ne
saurait sacrifier, sous prétexte d’une efficacité qui reste à prouver, à la prudence et à la
vision claire du rapport de force actuel.
Un peu de bon sens suffirait parfois à
clarifier la pensée.
La mise en place de structures
clandestines ou semi-clandestines basées sur la seule exigence d’une stratégie
toujours plus efficace mérite qu’on s’attarde au moins au niveau théorique à la
prise de risques dans un livre qui entend traiter de ce sujet. Mais ici, il n’y
a aucune analyse critique, aucune objectivité, aucune perception des limites de l’attitude proposée. Seul le
texte de Michael Albert commente avec une bienveillante compréhension, la
dérive suicidaire qui attend ceux parmi les Blacks blocs qui seraient les plus
impatients, les plus en colères pour accélérer la venue du Grand Soir.
Dupuis-Déri qui « s’intéresse aux questions d’éthique que soulèvent les
actes de désobéissance et de contestation politiques, qui s’inspire des
théories de l’éthique délibérative pour penser la légitimité de ces actions
directes [5] », ce professeur donc
aurait du poser quelques gardes fous aux textes de ces Blacks blocs. Gardes
fous explorant leur idéologie pour mieux en faire sentir les passions intérieures
exacerbées. La criminalisation du mouvement anti-mondialisation, les exemples
de manipulation (le Groupe Germinal au Québec par exemple) sont restitués au
niveau de la pure surface journalistique. Il aurait été judicieux de se
demander en quoi les membres du groupe Germinal ont fait preuves d’inconscience
et de naïveté, quelles étaient leurs prédispositions – jeunesse, enthousiasme,
confusion théorique- pour constituer la cible du SCRS, en quoi étaient-ils
manipulables, etc. ..
L’absence de critique solide, une certaine
indulgence, aboutit en conclusion, à proposer l’idéologie des Blacks blocs
comme une alternative crédible et efficace de lutte. Nous y voyons avant tout
des actes groupusculaires, une sorte d’anticipation et d’espoir dans
l’avènement d’une guérilla pour le moment sans moyen, une colère subversive aux
batailles fictives qui peuvent conduire aux sordides tragédies vécues en
Italie, en RFA et en Espagne.
Le temps du terrorisme, de l’action
directe anarchiste, des Netchaïev et Ravachol, Bonnot, etc.… est révolu. Il
faut inventer d’autres gestes, d’autres vérités qui soient gagnantes et
symbolisent la vie, non le nihilisme et le désespoir.
La naïveté et la confusion des arguments
avancés (se procurer des armes p.129, la logique proactive des groupes
p.168, la gauche anarchiste – qu’est ce qu’une gauche anarchiste dont les
deux termes conceptuels s’annulent?- p.89, l’exemple direct d’un style de vie p. 93) rappellent les
pratiques des communautés thérapeutiques, ces bases révolutionnaires, lieux
d’utopies concrètes, mises en place en Italie par les autonomes des années 80
afin d’expérimenter de nouveaux rapports humains, des stratégies de lutte et de
survie abordées comme une préfiguration du communisme réalisé. Elles se sont
toutes terminées en désastre humain. Quand ce ne furent pas la drogue et les
suicides, la police s’en est occupée avec une rare détermination en les assimilant
avec des bases terroristes. Ces enclaves “ libérées ” se sont avérées
des pièges encore plus archaïques que la théorie qui était à leur origine pour
toute une frange jeune et insuffisamment préparée à faire face à ce genre de
mystifications.
Les blacks blocs, du moins ceux des
communiqués proposés par le livre de Dupuis-Déri, passent beaucoup de temps à
se justifier (p.178-179 par exemple). C’est du moins une interrogation
en négatif de la légitimité de leurs stratégie.
C’est avec le soutien des TV, les
interviews complaisantes (BB2, BB3 (?) dans cet ouvrage), la tendance à
s’insérer comme un élément esthétiquement présentable du spectacle, la
séduction d’un vedettariat passager, que l’image publique des Blacks blocs
progresse en clameurs et confusions du spectre du chaos.
Ce qui
manque dans ce livre c’est une dimension critique tournée vers l’histoire.
Encore faut-il en être capable, c’est vrai.
Les blacks blocs admirent les grands
mythes anarchistes (La commune de Paris, l’Ukraine révolutionnaire,
l’Espagne de 36, Mai 68), mais ils ont manifestement à découvrir les théoriciens
et les activistes qui ont rendu possibles ces évènements ou qui les ont
interprétés du point de vue de la révolution.
À commencer par Debord qu’ils recommandent
pourtant (p.130) et qui écrivait dans la société du spectacle, thèse 93
: les anarchistes, qui se distinguent explicitement de l’ensemble du
mouvement ouvrier par leur conviction idéologique, vont reproduire entre eux
cette séparation des compétences, en fournissant un terrain favorable à la
domination informelle, sur toute organisation anarchiste, des propagandistes et
défenseurs de leur propre idéologie, spécialistes d’autant plus médiocres en
général que leur activité intellectuelle se propose principalement la
répétition de quelques vérités définitives.
Debord avait anticipé ce qui ne peut
manquer d’arriver : la déliquescence des Blacks Blocs. Il avait aussi
prévu, mais c’était sans doute plus facile, la médiocrité des
commentateurs. Ce livre en est une bonne illustration.
Patrick Tillard
[1] Les blacks blocs, la liberté et l’égalité
se manifestent, Dupuis-Déri, Francis, Lux, Montréal,
2003.
[2] Préface à la quatrième édition italienne de “ la société du spectacle ”, Guy Debord, janvier 1979.
[3] Baillargeon, Norman, Petit cours d’autodéfense intellectuelle, Montréal, Lux, 2005.
[4] Ce que taire ne se peut, G. Cesarano, M. Serra, Janvier 1975. À propos du terrorisme en Italie.
[5] Lu sur http://www.creum.umontreal.ca/Francis-Dupuis-Deri.html . Le CREUM est un Centre de Recherche en Ethique de l’université de Montréal.
Commentaires :
Anonyme |
Un texte intéressant, mais qui ne réponds pas à la question essentielle :
"on fait quoi maintenant, on cause de nouveau pendant 20 ans ?" Répondre à ce commentaire
|
à 00:16