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Des femmes de 28 pays sont présentes : une cinquantaine de déléguées, 25 observatrices internationales et 40 observatrices du Pérou. La situation politique au Pérou a d’ailleurs été sans cesse présente durant cette rencontre. C’est ainsi que par exemple, le jeudi 6 juillet, une énorme manifestation des femmes membres du groupe Vaso de leche (le Verre de lait) nous a attirées dans la rue, où nous avons pu leur montrer notre solidarité.
Les femmes se rendaient au Congrès pour son dernier jour de session, afin de réclamer des budgets pour que soit maintenu le programme. Vaso de leche est une initiative née en 1984 dans la ville de Lima, qui s’est ensuite étendue au reste du pays. Selon ce programme, les enfants pauvres âgés de moins de 6 ans, les femmes enceintes et les femmes qui allaitent reçoivent un soutien alimentaire. Encore faut-il, chaque année, qu’elles descendent dans la rue pour obtenir des budgets. Leur présence dans la rue était d’autant plus importante que des accusations de malversation financière à propos de ce programme ont couru dans les médias nationaux. Or le maintien de cette aide alimentaire est absolument vital pour des milliers de femmes péruviennes et pour leurs enfants.
A Lima, nous avons réfléchi collectivement sur l’avenir de notre mouvement et sur les actions à mener d’ici 2010. Rappelons que nous disposons d’outils politiques importants pour appuyer nos revendications majeures qui sont l’élimination de la pauvreté et de la violence envers les femmes. Parmi ceux-ci, les 17 revendications rédigées en 1998 et révisées en 2001 ; la Déclaration de valeurs adoptée en 2003 et la Charte mondiale des femmes pour l’humanité, ce document rédigé collectivement en 2004 et qui décrit le monde que les femmes de la Marche veulent construire, un monde basé sur les valeurs de liberté, égalité, solidarité, justice et paix.
Où souhaitons-nous aboutir comme Marche mondiale des femmes en 2010 ? Telle est la question principale que nous avons posée aux coordinations nationales lors d’une consultation, au début de 2006. Lors de sa réunion du mois de mars à Montréal, le Comité international de la Marche a, lui aussi, proposé des pistes de réponses. C’est la question centrale pour la construction de notre plan stratégique jusqu’en 2010. Elle a été au coeur de la rencontre de Lima. Invariablement, les deux dimensions qui ressortent de notre vision à plus long terme sont : le désir de voir la Marche mondiale des femmes comme un mouvement de plus en plus incontournable aux niveaux national, régional et international ; de même que le renforcement de notre identité politique et notre diversité.
Nous voulons offrir de plus en plus de résistance aux offensives orchestrées par les hommes refusant de partager leur pouvoir et de s’engager dans l’égalité. De même qu’aux attaques des biens nantis et des conservateurs de tout acabit qui font l’apologie de l’individualisme, de l’exploitation des personnes et des ressources et la domination « naturelle » de certains groupes. Nous voulons que la Charte mondiale des femmes pour l’humanité et les valeurs qu’elle représente, deviennent des outils collectifs pour faire avancer les droits de toutes et tous.
Dès lors, nous proposons d’avoir quatre champs d’actions autour desquels construire notre plan stratégique et nos actions : la paix et la démilitarisation de notre planète ; la violence envers les femmes comme outil de maintien du patriarcat (contrôle du corps, de la vie et de la sexualité des femmes et marchandisation du corps des femmes) ; le travail des femmes (formel et informel, surcharge et exploitation du travail des femmes, type et conditions de travail) ; le bien commun (accès aux ressources, à l’eau, à la terre, la protection de l’environnement, la souveraineté alimentaire).
La Marche mondiale des femmes a vu le jour précisément parce que nous avions identifié l’impact de la mondialisation néolibérale sur la vie des femmes, de toutes les femmes, et le besoin de se donner des outils pour contrer cette logique d’exclusion, d’exploitation et de discriminations. La mondialisation actuelle renforce les systèmes d’oppression déjà en place et mine les avancées que nous avons pu faire comme mouvement des femmes dans certains pays. Ainsi nous voyons la mondialisation comme un accélérant pour le patriarcat, le capitalisme et le racisme.
C’est pourquoi, notre lutte pour un monde meilleur comme féministes, nécessite de remettre en question et changer nos modèles économiques, politiques, sociaux et culturels. Pour la Marche mondiale des femmes, l’analyse de l’impact de la mondialisation actuelle doit être présente dans chacun de nos champs d’actions et orienter nos choix stratégiques. Tout comme l’analyse du patriarcat comme système d’oppression ayant ses propres règles, ses institutions, ses moyens de contrôle et de répression et régissant la vie de toutes les femmes fait partie de notre plate-forme commune et guide nos actions.
Le financement et la transition du Secrétariat international font partie des premières étapes à franchir. La consolidation de notre mouvement passe par les liens avec les groupes de femmes de la base mais aussi par la création ou le renforcement des coordinations nationales ou dans les territoires. Le membership sera clarifié avec les modifications de l’appellation et les précisions apportées à la définition de groupes participants actifs.
Nous devons cependant avoir aussi comme objectif de créer ou recréer des coordinations nationales là où il n’y en a pas et inviter de nouveaux groupes (particulièrement des groupes rejoignant des femmes doublement discriminées, des femmes du monde rural, des femmes autochtones, des femmes vivant avec un handicap, des jeunes femmes) à se joindre à la Marche mondiale des femmes.
Le renforcement de notre rôle d’actrices politiques sur la scène nationale, régionale et internationale et de notre impact : une des forces de la Marche est sans contredit le fait de déterminer notre propre agenda politique et de vouloir axer nos interventions sur la proposition d’alternatives. Nous souhaitons aussi viser des résultats concrets et avoir un plus grand rayonnement médiatique. C’est pourquoi nous proposons de fonctionner à partir des quatre champs d’actions précités pour lesquels nous identifierons nos objectifs stratégiques pour la prochaine période, nos cibles, nos actions et nos alliances. Ces alliances sont d’ailleurs très importantes pour arriver à nos fins. Nous devons cependant bien identifier les raisons, les espaces et les initiatives autour desquels nous souhaitons développer nos alliances et ce, autant avec les autres groupes féministes internationaux que les autres mouvements sociaux. Nous devons aussi voir comment la responsabilité pour le développement de ces alliances peut être partagée entre les membres du Comité international et les collectifs mais aussi au niveau national. Comment maintenir ces alliances à la fois au niveau local et international en respectant les dynamiques nationales et nos stratégies globales ?
En cohérence avec notre analyse de la mondialisation et en fonction de nos champs d’actions, nous sommes appelées à participer aussi aux mobilisations en réaction aux rencontres des institutions internationales telles que la Banque mondiale, le Fonds monétaire international ou l’Organisation mondiale du commerce et le G8. Ou bien encore, les conférences organisées par les Nations unies. Il faut entretenir, entre nous, une discussion pour aborder nos divergences sur la question de notre rapport aux Nations unies, comment et si nous souhaitons nous adresser à cette organisation internationale. Nous savons qu’il y a là des différences d’approche entre nous et nous pouvons sûrement apprendre les unes des autres en les abordant plus clairement.
Notre présence dans le mouvement altermondialiste reste au cœur de notre plan stratégique. Nous faisons là un travail de « réseautage » mais aussi de développement d’agenda commun avec les autres mouvements sociaux. Il reste à voir comment nous souhaitons orienter le processus du Forum social mondial, qui commence à montrer quelques signes d’essoufflement et à être le lieu de batailles rangées pour voir qui le contrôlera.
Depuis le lancement officiel de la Marche mondiale, le 8 mars 2000, nous avons mené de nombreuses actions. Au niveau de la sensibilisation et prise de position, nous avons, en 2000, lancé une campagne de signatures en appui aux revendications. Elle a recueilli 5 millions de signatures qui ont été transmises au secrétaire général de l’ONU.
Parallèlement, durant toute l’année 2000, les coordinations nationales, mises sur pied pour la Marche, rédigeaient des plates-formes de revendications nationales, organisaient des actions et des marches nationales tout au long de l’année. Plus de 6000 groupes issus de 161 pays et territoires se sont joints à la Marche.
Parmi les actions finales de la Marche en 2000, il y a eu, le 16 octobre 2000, la dénonciation, devant les dirigeants du FMI et de la Banque Mondiale, des effets dévastateurs pour les femmes des politiques menées par ces institutions. Le lendemain, le 17 octobre 2000, pendant qu’une délégation transmettait les revendications de la Marche aux responsables onusiens, 10 000 femmes marchaient dans les rues de New York.
Le 18 octobre 2000, les femmes décidèrent de continuer les actions. Une des manières choisie fut de décider (le 6 octobre 2001, lors de la 3e rencontre internationale), d’accentuer la présence de la Marche dans les forums altermondialistes. La paix fut aussi identifiée comme étant une priorité.
Le Comité international de la Marche fut constitué lors de la 4e rencontre internationale qui s’est tenue en mai 2003 en Inde. Des collectifs et groupes de travail furent chargés de suivre certains dossiers : violence et trafic sexuel, droits des lesbiennes, paix et militarisation, alliances et mondialisation, alternatives économiques féministes.
Depuis 2001, la Marche mondiale des femmes participe activement aux Forums sociaux mondiaux (Porto Alegre, Brésil, 2001, 2002, 2003 ; Mumbai, Inde, 2004 ; Bamako, Caracas et Karachi en 2006). Elle a été présente au Sommet des peuples des Amériques à Québec en avril 2001 ; à la Conférence de Johannesburg en Afrique du sud sur le développement durable et au Forum sur le financement du développement durable à Monterrey, au Mexique en 2002 ; au G8 de Kananaskis, en Alberta (Canada) en juin 2002 ; à la rencontre Beijing +10 en 2005 à New-York, ainsi que dans plusieurs forums régionaux.
Nous avons produit de nombreux documents durant toutes les rencontres, ainsi que des documents sur les alternatives économiques féministes pour circulation interne et publié un document critique des objectifs de développement du millénaire à partir de notre Charte mondiale des femmes pour l’humanité. Concernant la paix, en octobre 2000, une déclaration des femmes pour la paix a été rédigée par des femmes provenant de 5 régions en situation de conflits récents ou actuels et remise à la vice-secrétaire générale de l’ONU.
En 2001, 2003, 2004 et 2005, lors de rencontres ou d’actions internationales, nous avons produit des déclarations et marché contre les attentats, les bombardements et les invasions à New York, en Afghanistan ou en Irak. Nous avons dénoncé l’ensemble des conflits armés et l’inaction des gouvernements à reconnaître le rôle des femmes dans la prévention et la résolution des conflits tout comme la construction de la paix.
En 2004, nous avons tenu un séminaire international sur la paix et la démilitarisation à Goma en République démocratique du Congo à partir duquel nous avons dénoncé les violences envers les femmes en situation de guerre. Une campagne mondiale a été amorcée pour donner un visage à cette réalité de la violence envers les femmes et dénoncer l’impunité des agresseurs qui utilisent le corps des femmes comme terrain de guerre.
Le 10 décembre 2004, la Marche mondiale des femmes a adopté la Charte mondiale des femmes pour l’humanité au cours de sa 5e rencontre internationale à Kigali, au Rwanda. Le 8 mars 2005, a lieu le lancement mondial du relais de la Charte à São Paolo, au Brésil. La Charte a circulé dans 54 pays. À chaque arrêt, les femmes menaient des actions d’information, de sensibilisation autour du contenu de la Charte et interpellaient leurs représentantEs politiques, les autres mouvements sur la mise en œuvre des valeurs de la Charte : égalité, liberté, solidarité, justice et paix.
À chaque fois aussi, elles réalisaient un carré de courtepointe qui était assemblé pour former la courtepointe de la solidarité mondiale. Durant les actions, certains thèmes sont ressortis. Les femmes ont ainsi réaffirmé leur engagement à lutter contre : le néolibéralisme, le capitalisme, le patriarcat ; les violences envers les femmes et le trafic sexuel ; l’inaction des gouvernements à combattre les inégalités.
Ainsi que leur luttes pour : la paix et la démilitarisation ; l’accès à la terre, à l’eau, la souveraineté alimentaire ; l’égalité, particulièrement dans les droits au travail.
L’arrivée de la Charte mondiale des femmes pour l’humanité et de la courtepointe de la solidarité a eu lieu le 17 octobre à Ouagadougou, au Burkina Faso en présence d’une importante délégation internationale.
Au même moment, à midi, les femmes menaient des actions dans leur pays, réalisant une chaîne de 24 heures de solidarité féministe.
« Nous croyons dans le leadership des femmes de la base avec toutes leurs diversités pour réussir les transformations sociales désirées. Nous croyons dans l’importance d’agir à partir de notre propre agenda politique et de maintenir une critique de toute forme d’institutionnalisation du mouvement. L’existence même de la Marche interpelle les stratégies d’autres groupes féministes, rendant parfois difficiles certaines alliances mais nous avons développé à travers les années des alliances concrètes avec quelques réseaux féministes internationaux sur lesquels nous pouvons compter. Certains gouvernements et alliés au niveau du développement international, ont accru la reconnaissance politique et le soutien financier à la Marche. Néanmoins, le risque de la récupération politique du travail de la Marche de la part des gouvernements et des grandes ONG internationales existe aussi. De ce fait et du fait de notre difficulté à obtenir un financement régulier ces dernières années, le défi de construire une politique d’autofinancement se présente de façon urgente » (Diane Matte. Hacia Nuevas formas de alianzas entre mujeres, in America Latina in movimiento, n° 408, 30 mai 2006, p.32). Outre le problème évoqué plus haut, Diane Matte souligne par ailleurs le manque de convergence quelquefois dans les appels du mouvement altermondialiste et la difficulté à se retrouver comme féministe dans certains appels qui ont tendance à se concentrer sur une seule vision du monde. Pour améliorer l’articulation / coordination au niveau régional ou international, elle pense qu’il faut d’abord bien identifier les objectifs politiques pour le maintien de ce réseau de la Marche et, par la suite, trouver les moyens de maintenir cette articulation. |
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URL: http://www.cadtm.org
Source : Les Autres Voix de la Planète n°32.