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Un jour je prendrai la route, quittant la vieille cité.
Bâton au poing, cheveux au vent, j’irai par les chemins.
Je laisserai s’estomper dans la brume matinale les vieilles bâtisses et leur contenu nauséabond, où la crasse intellectuelle se mêle et s’entremêle à la crasse physique. Mon pas joyeux martèlera le caillou du chemin. La bise du matin viendra fouetter ma poitrine, qui se gonflera d’aire pure. Je pourrai me lever quand bon me semblera ; travailler, manger, boire, penser, aimer au gré de ma fantaisie. Ni Dieu, ni Maître. Je serai libre.
Un jour, je prendrai la route, quittant la société.
Bâton au poing, cheveux au vent, j’irai par les chemins.
Cette obligation héréditaire, qui s’est muée en loi, je la déserterai avec ses droits et ses devoirs, ses mensonges et ses crimes. Qu’elle croupisse dans son imbécillité, puisque tel est son désir ; qu’elle s’entretue avec la société voisine puisque tel est son bon vouloir ; qu’elle se meure de la pauvreté des uns et de la richesse des autres, puisque elle ne veut pas faire autrement ! Mais que je n’aie aucun devoir et aucun droit envers elle, que je ne mente, ne tue et ne sois tué, ni par elle, ni pour elle. Que je ne sois ni pauvre, ni riche avec elle. La route m’ôtera cette obligation. Je serai libre de disposer de mon individu, sans avoir à référer à autrui
Un jour je prendrai la route, abandonnant ma famille.
Bâton au poing, cheveux au vent, j’irai par les chemins.
Je me débarrasserai de cette chaîne bourgeoise que la société nous impose dès notre enfance. Ma famille : je ne l’ai pas choisie. La coutume m’a dit : Celui-ci est ton cousin, cet autre est ton oncle, celui-là encore est ton père. La chance a voulu que certains fussent bons, d’autres mauvais. Mais bons ou mauvais il m’a fallu les subir. La route me libérera. Je n’aurai plus à supporter leur égoïsme qu’il dénomment : Respect. Leurs préjugés cesseront de me harceler. Je serai volontairement un sans-famille.
Un jour je prendrai la route, rompant avec l’amour qui ne voudra me suivre.
Bâton au poing, cheveux au vent, j’irai par les chemins.
L’amour, je ne l’aimerai pour lui-même que le jour où il suffira de se regarder, de se comprendre, de s’aimer, comme il nous plaira, de la manière pratique, la plus adéquate à notre état d’esprit. Le jour où les préjugés amoureux auront disparu, pour faire place à la liberté la plus grande, la plus profonde. Le jour enfin ou l’hypocrisie amoureuse aura fait place nette à la franchise amoureuse, où l’individu ne se considérera plus le maître ou l’esclave d’un autre individu, mais son égal et son compagnon.
Mais pourrai-je prendre la route ? En aurai-je le courage ?
Quand de la vieille cité s’égrèneront les notes des refrains populaires qui ont charmé mon enfance ; quand sortiront d’entre les vieux pavés disjoints, les doux souvenirs du passé, et que des chemins branlants montera vers le ciel bleu une fumée jaunâtre et épaisse, semblable à celle que je regardais étant petit et que ma pensée se plaisait à suivre dans les remous du vent.
Pourrai-je prendre la route ? Quand je verrai les bons camarades, les chics copains qui, le sourire aux lèvres, feront involontairement le geste de me retenir. L’ambiance fraternelle de leur amitié, leurs poignées de mains franches et loyales sembleront alors m’enchaîner à la cité.
Pourrai-je prendre la route ? Quand je verrai les yeux doux et tristes d’une maman qui s’embueront de larmes et que sa voix familière me murmurera : Mon petit.
Pourrai-je prendre la route ? Quand je sentirai autour de mes épaules l’enlacement de deux bras blancs. La douce caresse de fins cheveux blonds et le baiser de deux lèvres amoureuses.
Pourrai-je prendre la route ?
Bâton au poing, cheveux au vent, irai-je par les chemins ?
Roland Actorie
L’Unique N°1, juin 1945
Découverte faite via Le Grenier des Insoumis
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à 21:08